Quelques
Éléments
biographiques
concernant
Dulaurens
Le
Tempérament
de Dulaurens
Portrait
de l'homme, traits
Dulaurens se jouait constamment du sérieux et de l’ironie.
Pétulant,
il aimait la contradiction jusqu’au sarcasme, la dérision jusqu’au doute,
la satire jusqu’à l’outrage, la provocation jusqu’aux poursuites.
À l’image de son parcours, son esprit était un feu d’artifices latent, prompt à tout éclatement, laissant derrière lui des traînées de poudre multicolores, fuyant les feux allumés sans se garder des étincelles. Vif dans ses répliques, caustique dans sa critique, Dulaurens déstabilisait son interlocuteur pour peu que celui-ci lui déplût, autant qu’il surprendra son lecteur si ce dernier n’y prend garde. Pour autant, l’homme manquait du courage des braves : fort en esprit, l’échauffourée pour lui demeurait littéraire et la fugue remplaçait avantageusement l’épée qu’il ne porta jamais. Entré jeune dans les ordres par contrainte familiale, il aurait très tôt abandonné la soutane si la fortune le lui eût permis. Ses flèches anticléricales sont avant tout dirigées contre l’intolérance dont il souffrit, l’étroitesse de vue qui le musela, l’incohérence des raisonnements dogmatiques qui le fatiguèrent ; ses piques littéraires ou philosophiques visent l’affinité du goût, la “sottise” ou l’absence d’honnêteté intellectuelle selon un regard parfois déroutant et souvent capricieux que lui seul s’autorise :
« Sa
prose et ses vers sont détestables. On ne peut cependant s’empêcher
de convenir qu’il n’aurait pas manqué de talent, s’il avait pu le
cultiver dans le commerce de la bonne compagnie. Sa manière d’écrire
rappelle quelquefois celle de M. de Voltaire ; mais un moment après
il se replonge dans les ordures » (Grimm, Diderot, Correspondance littéraire,
philosophique et critique, V, 1er juin 1763) « Ce
M. du Laurens est assurément un détestable poète, ses indécences et
ses obscénités à part ; mais si ce M. du Laurens avait été élevé
dans le monde, et qu’il eût su prendre le ton de la bonne compagnie,
et se former le goût, il n’aurait pas manqué de talent. » (Grimm, Diderot, Correspondance littéraire,
philosophique et critique, VI, 15 oct. 1765) « C’est
un drôle qui a quelque esprit, un peu d’érudition et qui rencontre
quelquefois » (Voltaire, Correspondance, La Pléiade, “Lettre à
Charles Bordes” n° 10673 du 4 avril 1768) « Un
moine défroqué qui a de l’esprit, mais qui n’a pas le bon ton de
la compagnie » (Voltaire, ibid., “Lettre à Jean Ribote-Charron”
n° 10712 du 16 avril 1768) « ce
Dulaurens, qui n'est, pour notre siècle, que l'auteur du Compère
Mathieu, a été, dans son siècle, un esprit rare et redoutable. Au
bout de ces imaginations ordurières, de ces portraits caricaturaux,
derrière cette parade licencieuse, ce rire et cette polissonnerie, il y
a une idée armée. Dans ce carnaval de la Bible et de l'Évangile, de
l'enfer et du paradis, il y a un pamphlet, un réquisitoire, un
manifeste. Dans ce farceur, il y a un parti : la raison du XVIIIe
siècle. » (les frères Goncourt, Portraits intimes du XVIIIe siècle, Dentu, 1857)
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Le
plus fidèle portrait de Dulaurens est sans doute celui qu’en fit
Marc-Ferdinand Groubentall de Linière, ami et complice lors des premiers procès,
portrait tardif publié dans la notice qui précéda l’édition 1807 de La
Chandelle d’Arras :
« Celui
dont je vais parler est un homme plus respectable par les qualités de
son esprit que par le caractère dont il est revêtu : c’est un
Prêtre, ou pour mieux dire un ex-Moine [...]. À
sa figure rebondie, vous le jugeriez aisément du sacré bercail ;
il est gros, court et replet ; n’est-ce pas là l’extérieur
d’un Moine ? [...] Sans être ennemi de la société, il n’a
point les qualités sociales. C’est un homme qui s’ennuiera dans la
plus belle compagnie ; et le cercle le plus galant n’est pas
capable de suspendre l’impétuosité de son génie. [...] Il
est vif, turbulent, inquiet et hypocondre, et parfois visionnaire.
Inconstant plus qu’un Français, il forme mille projets en un jour, et
n’a pas la force d’en exécuter un seul. Il n’a ni le ton de la
galanterie, ni les grâces du bel air. [...] Sa vivacité le rend
souvent brouillon, et plus souvent impatient ; mais ne vous
attachez point à l’extérieur : il est tout esprit, et son corps
n’est que pur accident. [...] Son
génie est une de ces sources qui jaillissent sans cesse et ne tarissent
jamais. Il est inégal dans son travail, sans ordre dans ses idées.
Trop d’abondance est son défaut. [...] Mon
héros est cependant inconnu ; mais il va bientôt cesser de
l’être. Il peut avoir la quarantaine ; et depuis vingt ans il a
bien composé de quoi faire une suite de 60 ou 80 volumes. Il est Poète
épique, tragique, comique, satirique, lytique, historien, théologien,
que sais-je enfin ? [...] Il a l’oreille ouverte à tous les conseils, le cœur fermé à la confiance. Il est peu communicatif, je dirais même dissimulé ; [...] Il aime les femmes, et les déchire ; il satisfait à la fois ses désirs et son acharnement. Enfin il est crédule et simple. »
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Quelques
traits de Dulaurens
Portrait
de l'homme, traits
Sur
la religion : « Quand
nous sommes lassés de parler de modes et d'atours avec le Cardinal,
nous égayons nos entretiens par des matières Théologiques. Je lui
fais mille questions, il répond à toutes et n'en résout aucune. Je
lui demandais l'autre jour ce qu'il pensait de la Foi Catholique ?
il me répondit que la Religion ressemblait beaucoup au cocuage » L’Antipapisme, chap. III, 1767 « Suivez
notre exemple & celui des Pères de la Trappe : pour nous
occuper salutairement du moment de la mort, nous ne faisons rien pendant
toute la vie. » Les Abus, Préface, 1765/67 Troubler
des cœurs qui vivent sans s’aimer, Sans
se connaître, & qui, pour s’enflammer L’un
contre l’autre, ont dans cette maison, Dans
chaque sœur, des sujets à foison.[...] Si
dans le monde ainsi l’on se dévore, Dans
le couvent c’est cent fois pis encore. Le Balai, Chants V & XVIII, 1761 « Mariez
vos moines et vos nonnes, vous ne pécherez point contre la nature
[...]. En suivant ce système, vous aurez cinquante mille bons chrétiens
tous les neuf mois et l’État cinquante mille sujets. Le lendemain des
noces, vos vierges se sentiront animées d’un nouvel être ;
avouez que vous aurez fait des heureux à bon marché. » L’Arretin,
“L’agriculture”, 1763 « Cette
innocente
[une jeune carmélite]
vient de promettre d'effacer ce que ta
main a gravé sur sa chair ; c'est une hypocrite trompée par
d'autres hypocrites, qui en s'en imposant à elles-mêmes, se vantent de
dompter la nature : tu es le Créateur, elle vient jurer à tes
pieds d'anéantir ce que ta main féconde a formé » Les Abus, “Sermon”, 1765/67 « qu'on
ait besoin de la signature d'un Evêque pour passer librement dans
l'autre monde, cela n'a pas l'ombre du bon sens. Quand on est malade,
l'ordonnance du Médecin ne suffit pas pour guérir, il faut la
composition des remedes, & le morceau de papier devient inutile. » L’Antipapisme, Chant III, 1767 « Il
n'y a point d'endroit où la religion s'oublie plus aisément que dans
les casernes et dans les cloîtres. Les soldats ne pensent que légèrement
à Dieu. La plupart des moines, accoutumés aux rubriques de leurs
heures, croient avoir tout fait pour le ciel, lorsqu'ils ont braillé
dans un chœur et fait le même bruit que les orgues de leur église. » Imirce, “Mon éducation et celle de ma cousine”, 1765 « Les
choses qui servent au plaisir du mariage, de déshonnêtes deviennent
très honnêtes quand l’Église a passé dessus. » Les
Abus,
“Les empêchemens dirimans”, 1765/67 |
Sur les femmes : « Il
la trouva endormie sur un paquet de linge sale. Qu’elle est belle !
dit-il en la voyant, c’est l’amour qui sommeille ; que celui
qui a imaginé les filles avait de l’esprit ! » Imirce, “Histoire du merveilleux Dressant”, 1765 « L’orateur
aperçut Madame Xang-Xung, fut pétrifié à l’aspect de ses charmes,
et ne put achever sa harangue ; en rhétorique il est permis de
rester court vis-à-vis d’une jolie femme » Imirce, “Histoire du merveilleux Dressant”, 1765 « Les
filles de Mr. Duplat n'apprirent point à faire la culbute
[en
gymnastique] ;
le Père la regardait comme science infuse dans le beau sexe. » Les Abus, ”Hist. du Révérend Père Duplessis”, 1765/67 Une
jeune fille étonnée du développement de ses attraits s’en inquiète
auprès de sa mère qui lui répond : « Tais-toi,
chienne de sotte, ne vois-tu pas bien que ce sont tes fleurs ! –
Voyez, dit Kitty, est-ce que je pensais que mon cul était un jardin ?! » Imirce, “Histoire du merveilleux Dressant”, 1765 « Le
second Char représentait le Temple de la Déesse Vesta ; onze
filles, aussi pucelles que leurs mères, étaient les gardiennes du feu
sacré. Ces vierges étaient superbement décorées ; on avait
choisi exprès celles qui avaient plus de gorge ; ce Char avait
l'air d'une boutique de tétons Flamands. » Les Abus, ”Histoire de la Procession et du Grand Géant de Douay”,
1765/67 « Chassé
de chez mon précepteur, j'allais chez une tante, qui savait
malheureusement mon histoire. Elle avait une fille laide et bête, deux
qualités excellentes pour conserver les filles. En me voyant, elle crut
que ma cousine était perdue. » Imirce, “Mon éducation et celle de ma cousine”, 1765 « Lorsqu’une
femme a confié ses chagrins à un homme aimable, elle lui confie bientôt
le reste. » L’Arretin, “Mon pèlerinage”, 1763 |
Sur la vie : « L’esprit
dans les vieillards est le thermomètre de leurs jours. » Imirce, “Histoire du merveilleux Dressant”, 1765 « Nos
pères et nos mères, qui n'ont écouté que leur incontinence pour nous
donner l'être, se citent toujours pour exemple. A les croire, ils ont
été sages comme Solon, prudents comme Pythagore. Dans leur jeunesse,
ils étaient les types de la chasteté, les modèles de l'obéissance et
les miroirs sans tache de la vertu. Leurs amis, leurs enfants et leurs
domestiques ne croient point à ces oraisons funèbres. » Imirce, “Mon éducation et celle de ma cousine”, 1765 « L’amour
sera toujours le Dieu le mieux servi » L’Arretin, “Histoire du sage Pangloss”, 1763 « Si
l'Église me donnait un peu de son bien, je travaillerais pour elle ;
mais le faire pour rien, je ne dois point être plus généreux que le
Curé de ma paroisse. » Imirce,
“Mon éducation et celle de ma cousine”, 1765 « Qu’il
est difficile d’éviter une mauvaise réputation ! Il est encore
plus difficile de mériter l’estime et l’approbation générale. » Porte-Feuille
d’un Philosophe, 1767. « Morbleu !
le droit de propriété est un droit inventé par Belzébuth pour faire
enrager les hommes. La possession d'un bien tourmente, fatigue, ennuie
le possesseur, ou tente, ou fait tort à celui qui ne le possède pas. » Le
Compère Mathieu, t. I, XIII, 1766. « Deux
pucelages se perdent rarement l’un avec l’autre. Cela ne se
communique point comme la peste, par la raison qu’à beaucoup près,
les bonnes choses ne sont pas aussi contagieuses que les mauvaises. » Je
suis pucelle,
1767. |
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