Établi par S.P. 2004

 

 

 

LE BALAI

par  Henri-Joseph Dulaurens

 

Comparaison de deux éditions :

 

 

 

ÉPÎTRE

PRÉFACE

CHANT PREMIER.

CHANT SECOND.

CHANT TROISIEME.

CHANT QUATRIEME.

CHANT CINQUIEME.

 

 

CHANT SIXIEME.

CHANT SEPTIEME.

CHANT HUITIEME.

CHANT NEUVIEME.

CHANT DIXIEME.

CHANT ONZIEME.

CHANT DOUZIEME.

 

 

CHANT TREZIEME.

CHANT QUATORZIEME.

CHANT QUINZIEME.

CHANT SEIZIEME.

CHANT DIX-SEPTIEME.

CHANT DIX-HUITIEME.

 

 

 

1761 in-12

1774 in-8

 

 

  

 

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Les différences sont spécifiées en rouge dans l’édition de 1774

 

 

 

ÉPÎTRE

 

 

EPITRE

 

A l’AUTEUR

 

DE LA

 

PUCELLE.

 

 

Monsieur,

 

La sagesse était un manche à Balai qui tomba du Ciel ; en tombant il fut brisé par la Foudre, en mille pieces minces comme nos allumettes. Un homme qui n’était pas sot, en ramassa quelques éclats auprès du Temple d’Iphis, & alla trouver un peuple fort vilain, à qui il dit : Vous êtes le triomphe de la crasse & de la ladrerie. Si vous voulés avoir le manche à Balai, faites comme les chats, commencés par couvrir proprement votre ordure, lorsque vous ferés ce que les gentils font si décemment sur leurs chaises percées ; que vos femmes changent tous les mois de chemise : cela est fort honnête ; & gardés vous sur-tout de manger des Omelletes au lard, ni de poulet picqué. Ce peuple stupide ne mangea point de poulet picqué, & crut avoir le manche à Balai.

 Quelques centaines d’années après des gens fort respectables par la droiture de leur cœur & la pureté de leur morale avaient ramassé tous les morceaux du manche à Balai, dans les environs de Bethanie. Ils vinrent dans le païs des Paiens bâtir un édifice, dont la structure parut belle, parce qu’elle était simple. Leurs successeurs, qui aimaient mieux l’or que les pacquets d’allumettes, renverserent l’édifice, firent un temple à peu près semblable au Panthéon d’Adrien : prirent les morceaux du manche à Balai, les lierent ensemble & se battirent avec. C’est ce que nous appellons depuis dix-sept cens ans la legion militante.

Un frippon adroit vint avec un pacquet d’allumettes d’une main & une épée de l’autre : Ecoutés, s’écria t il, j’ai fait mes caravannes dans la lune, j’ai bu dans la chopine de mon camarade, l’Ange Gabriel. Je tiens le manche du Balai par le bon bout, vous m’obéirés ou je vous tuerai. Ceux qui ont annoncé les manches à Balai avant moi, n’ont point fait cette petite Cérémonie d’abord : mais assommer les gens avant ou après, c’est une misere qui revient au même.

Des gens fourés de poil & d’argumens in Baroco se sont avisé de prendre le titre du manche à Balai. Les sages maîtres ont pretendu être sages à cause qu’ils avaient troublé les consciences, rempli la France de persécuteurs & de persécutés. Ils soutiennent sur des morceaux de bois, qu’ils nomment des bancs, que sans les allumettes de Tournelli, du Grand Colas, de Colin & de Colette, on n’aurait point le manche à Balai.

Une multitude de Sauterelles reste de cette plaïe, qui affligea l’Egipte sous Pharaon, Vermine oiseuse qui ronge depuis si longtems les épics de nos bleds & les fleurs de nos vignes, crierent par-tout qu’ils avaient le manche à Balai, que pour avoir des brimborions de leurs allumettes, il fallait renoncer à l’utilité publique, que les filles sur-tout, laissassent infecter dans leur sein par le soufle du néant les germes créateurs que la main féconde de l’Etre suprême y avait mis pour éclore. La fureur d’avoir le manche à Balai peupla des maisons immenses de gens oisifs, où ces voleurs de la société jouissent des sueurs & du sang de ceux qui travaillent & qui sont plus sages.

Nous serions inconsolables, Monsieur, des malheurs du manche à Balai, nous douterions presque de son existence, si les Dames ne nous avaient conservé précieusement ce dépot sacré. Interrogés toutes les femmes, elles vous diront qu’elles ont le manche à Balai. S’il faut nécessairement de la bonne foi dans ce monde pour être trompé, qu’il est galant de croire aux jolies femmes ! J’ai vu des filles très gentiles qui souflaient tous les jours comme les Canadiennes sur les allumettes de leurs amoureux, me jurer sur leur honneur, qu’elles tenaient un beau brin du manche à Balai. Je crois volontiers à tout cela, je suis comme les Parisiens : ils sont si persuadés que leur fidele moitié est pourvue de ce rare manche qu’ils sont les époux les plus complaisans & les plus tranquiles de l’univers. N’est il pas vrai, Monsieur, que cela n’est point méchant, que vous aimeriés mieux les maris credules que les bêtes fourées qui sont plus feroces.

Dans la marche des Epitres dedicatoires un Auteur doit toujours parler de lui. Pour suivre l’usage je vous dirai, Monsieur, que je suis Chinois, natif de Pekin. Je reside depuis cinq mois à Constantinople  Dès ma jeunesse je fus amené en Flandres par des Missionnaires Jésuites qui avaient marché sur le Crucifix au Japon & delà avaient passé à la Chine. Eloigné de mes Penates on me fit bientôt oublier le culte de Tien, mais non pas les sages Conseils de Confucius & la loi de nos Lettrés, qui admirent autant vos ouvrages que les Européans : dans une de leur grande assemblée, ils ont démontré par des calculs d’Algébre que vous aviés seul en France tous les morceaux du manche à Balai. En fait de goût, de calcul & de verité, on doit croire nos Philosophes, ils n’ont point de bénéfice en nous trompant.

Je fus baptisé à Douai à l’âge de seize ans par le fameux Pere Duplessis, qui a tapissé de Calvaires les grands chemins de France. On me nomma sur les Saints fonds de Baptême Modeste, Tranquille. J’eus pour Marainne la Révérende Mere Amidon, premiere Tourriere du couvent de Sin, qui m’apprit la guerre du Balai & toutes les medisances de son Cloître ; c’était une bonne fille que ma marainne, elle est aujourd’hui devant Dieu ; que le Ciel lui fasse paix : je la recommande à vos saintes prieres.

Le lendemain de mon Baptême je fis la connaissance d’une jolie fille qui me faisait plaisir & qui n’avait rien de caché pour moi. Ma maîtresse était Poëte, faisait voluptueusement des chansons tendres ; vous voiés qu’avec des talens, des graces & un cœur qui disait toujous [sic] oui, le mien, qui n’était point méchant, ne pouvait dire non. Eh bien, Monsieur, les Jésuites s’apperçurent que j’aimais plus les filles, que leur Société. Ces Révérends, qui ne s’attachent point aux visages, me tracasserent comme ils tracassent tout le monde : pour échapper à leur ressentiment, je quittai ma maitresse & ma fortune, je vins à Constantinople, où je porte depuis deux mois, des pacquets à la messagérie pour la Mecque.

Pourquoi tous les Frérons n’en font ils pas de même.

Si vous aviés Monsieur, quelques pacquets à faire passer au Mouphti ou au grand Penitencier de la grande Mosquée, je me charge de les porter gratis, à condition que vous agrerés pour tel usage qu’il vous plaira, le Poëme que j’ai l’honneur de vous dedier. Je suis avec toute la Chine & l’Europe

     MONSIEUR,

 

 

 

 

  A Constantinople,             Votre Admirateur

     de la Lune de                 Modeste Tranquile

      ma femme, le 3.             XAN-XUNG.

 

 

 

EPITRE

 

A l’AUTEUR

 

DE LA

 

PUCELLE.

 

 

Monsieur,

 

LA Sagesse est un manche à Balai qui tomba du Ciel ; en tombant, il fut brisé par la foudre, en mille pieces minces comme nos allumettes. Un homme qui n’était pas sot, en ramassa quelques éclats auprès du Temple d’Iphis, & alla trouver un peuple fort vilain, à qui il dit : Vous êtes le triomphe de la crasse & de la ladrerie. Si vous voulez avoir le manche à Balai, faites comme les chats ; commencez par couvrir proprement votre ordure, lorsque vous ferez ce que les gentils font si décemment sur leurs chaises percées ; que vos femmes changent tous les mois de chemise ; cela est fort honnête ; & gardez-vous sur-tout de manger des Omelettes au lard, ni de poulet piqué. Ce peuple stupide ne mangea point de poulet piqué, & crut avoir le manche à Balai.

Quelques centaines d’années après, des gens fort respectables par la droiture de leur cœur & la pureté de leur morale, avaient ramassé tous les morceaux du manche à Balai, dans les environs de Bethanie. Ils vinrent dans le pays des Païens bâtir un édifice, dont la structure parut belle, parce qu’elle était simple. Leurs successeurs, qui aimaient mieux l’or que les paquets d’allumettes, renverserent l’édifice, firent un temple à peu près semblable au Panthéon d’Adrien, prirent les morceaux du manche à Balai, les lierent ensemble, & se battirent avec. C’est ce que nous appellons depuis dix-sept cent ans la légion militante.

Un fripon adroit vint avec un paquet d’allumettes d’une main & une épée de l’autre : Ecoutez, s’écria-t-il, j’ai fait mes caravannes dans la lune, j’ai bu dans la chopine de mon camarade, l’Ange Gabriel. Je tiens le manche du Balai par le bon bout, vous m’obéirez ou je vous tuerai. Ceux qui ont annoncé les manches à Balai avant moi, n’ont point fait cette petite Cérémonie d’abord ; mais assommer les gens avant ou après, c’est une misere qui revient au même.

Des gens fourrés de poils & d’argumens in Baroco, se sont avisés de prendre le titre du manche à Balai. Les sages maîtres ont prétendu être sages à cause qu’ils avaient troublé les consciences, rempli la France de persécuteurs & de persécutés. Ils soutiennent sur des morceaux de bois qu’ils nomment de bancs, que sans les allumettes de Tournelli, du Grand Colas, de Colin & de Colette, on n’aurait point le manche à Balai.

Une multitude de sauterelles, reste de cette playe qui affligea l’Egypte sous Pharaon ; Vermine oiseuse qui ronge depuis si long-temps les épics de nos bleds & les fleurs de nos vignes, crierent par-tout qu’ils avoient le manche à Balai, que pour avoir des brimborions de leurs allumettes, il fallait renoncer à l’utilité publique, que les filles, sur-tout, laissassent infecter dans leur sein par le souffle du néant, les germes créateurs que la main féconde de l’Etre suprême y avait mis pour éclore. La fureur d’avoir le manche à Balai peupla des maisons immenses de gens oisifs, où ces voleurs de la société jouissent des sueurs & du sang de ceux qui travaillent & qui sont plus sages.

Nous serions inconsolables, Monsieur, des malheurs du manche à Balai, nous douterions presque de son existence, si les Dames ne nous avaient conservé précieusement ce dépôt sacré. Interrogez toutes les femmes, elles vous diront qu’elles ont le manche à Balai. S’il faut nécessairement de la bonne foi dans ce monde pour être trompé, qu’il est galant de croire aux jolies femmes ! J’ai vu des filles très-gentilles qui soufflaient tous les jours comme des Canadiennes sur les allumettes de leurs amoureux, me jurer sur leur honneur, qu’elles tenaient un beau brin du manche à Balai. Je crois volontiers à tout cela, je suis comme les Parisiens : ils sont si persuadés que leur fidelle moitié est pourvue de ce rare manche, qu’ils sont les époux les plus complaisants & les plus tranquilles de l’univers. N’est-il pas vrai, Monsieur, que cela n’est point méchant, que vous aimeriez mieux les maris crédules que les bêtes fourrées qui sont plus féroces ?

Dans la marche des Epîtres Dédicatoires un Auteur doit toujours parler de lui. Pour suivre l’usage, je vous dirai, Monsieur, que je suis Chinois, natif de Pékin. Je réside depuis cinq mois à Constantinople. Dès ma jeunesse je fus amené en Flandres par des Missionnaires Jésuites qui avaient marché sur le Crucifix au Japon, & de-là avaient passé à la Chine. Eloigné de mes Penates, on me fit bientôt oublier le culte de Tien, mais non pas les sages Conseils de Confucius & la loi de nos Lettrés, qui admirent autant vos ouvrages que les Européens : dans une de leurs grandes assemblées, ils ont démontré par des calculs d’Algebre que vous aviez seul en France tous les morceaux du manche à Balai. En fait de goût, de calcul & de vérité, on doit croire nos Philosophes, ils n’ont point de bénéfice en nous trompant.

Je fus baptisé à Douai à l’âge de seize ans, par le fameux pere Duplessis, qui a tapissé de calvaires les grands chemins de France. On me nomma sur les saints fonds de Baptême, Modeste-Tranquille. J’eus pour Marraine la Révérende mere Amidon, premiere Tourriere du couvent de Sin, qui m’apprit la guerre du Balai, & toutes les médisances de son Cloître ; c’était une bonne fille que ma Marraine, elle est aujourd’hui devant Dieu ; que le Ciel lui fasse paix : je la recommande à vos saintes prieres.

Le lendemain de mon Baptême je fis la connaissance d’une jolie fille, qui me faisait plaisir & qui n’avait rien de caché pour moi. Ma maîtresse était Poëte, faisait voluptueusement des chansons tendres ; vous voyez qu’avec des talens, des graces & un cœur qui disait toujours ouï, le mien, qui n’était point méchant, ne pouvait dire non. Eh bien, Monsieur, les Jésuites s’apperçurent que j’aimais plus les filles, que leur Société. Ces Révérends, qui ne s’attachent point aux visages, me tracasserent comme ils tracassent tout le monde : pour échapper à leur ressentiment, je quittai ma maîtresse & ma fortune, je vins à Constantinople, où je porte depuis deux mois des paquets à la messagerie pour la Mecque.

Pourquoi tous les Frérons n’en font-ils pas de même ?

Si vous aviez, Monsieur, quelques paquets à faire passer au Mouphti ou au grand Pénitencier de la grande Mosquée, je me charge de les porter gratis, à condition que vous agrérez pour tel usage qu’il vous plaira, le Poëme que j’ai l’honneur de vous dédier. Je suis avec toute la Chine & l’Europe,

     MONSIEUR,

 

                                             Votre Admirateur,

                                             Modeste-Tranquille

                                             XAN-XUNG.

 

                 A Constantinople,

                    de la Lune de

                        ma femme, le 3.

 

 

 

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PRÉFACE

 

 

PREFACE

 

Crede mihi, mores distant à carmine nostro :

Vita verecunda, musa jocosa mihi.

 

 

Le Poëte doit être sage :

Pour ses vers, il importe peu ;

Il n’aurait ni grace ni jeu,

Sans un air de libertinage.

 

 

A mon arrivée à Constantinople j’eus le bonheur de voir de mes yeux profanes le saint Balai, qui avait balaïé en 1761 la sainte chapelle de la Mecque. Il était porté processionellement sous un dais, par un grand Penitencier de Mahomet, qui allait dans le Royaume de Golconde curer la large conscience du grand Arungeberg. Il était suivi de tous les Bacha [sic] à trois queues, des Dévotes & des vieilles Dames du serail, qui tenaient en main des grands chapelets Musulmans de la belle taille des Rosaires Espagnols. Le P. Pancrace, Capucin indigne, que l’Ambassadeur de France avait amené à la Porte avec les pacotilles de sa cuisine, était auprès de moi à voir passer ce cortege. L’habit, la figure du Capucin, capables de faire reculer une procession romaine, auraient occasionné quelques lacunes dans celle du S Balai, si les Dervis de la cour étaient des gens à faire attention à des Capucins. Le P. Pancrace, en voiant cette cérémonie, disait à chaque instant : Quel scandale ! les Turcs sont damnés... notre P. Saint François avait un chapelet : mais, grace à la Ste Vierge, il y avait au bout une croix, une medaille du Pape, un vrai S. Suaire & beaucoup d’Agnus Dei. Le Révérend Pere eut arraché les yeux à quelque Dervis de la fête, tant il paraissait animé du vrai zele : il n’osa remuer, à cause qu’il y avait ce jour-là, à Constantinople, plus de circoncis que d’anes-bâtés.

Des gens qui ne font rien, qui citent toujours à cause qu’ils n’ont rien à faire, un vieux livre où est écrit, L’ouvrier est digne de son salaire, ne manqueront point de tenir sur ce Poëme, les propos que le P. Pancrace tenait sur la procession du S. Balai. Quel scandale, diront-ils ! comment se moquer du P. Ignace, plaisanter le Rosaire, attaquer les gros marchands de chapelets, tirer sans cesse sur les Moines, ces braves Serviteurs inutiles de l’Evangile ! oh cela est effroïable : on passerait ces miseres à l’Auteur, s’il n’avait point touché à nos gouvernantes. Quoi, nos filles, toutes dévouées à notre mere la sainte Eglise, des saintes créatures remplies de notre onction. Ah ! cela est misérable. Nous voions bien que l’Auteur est un Chinois qui n’a point de Bénéfice ni de Gouvernante : il faut que la Justice rotisse le Balai & le Poëte ; cela est conforme à l’écriture qui dit expressément au sixieme commandement, tu ne tueras point.

Je n’ai point fait ce Poëme en France pour trois raisons ; la premiere c’est qu’on doit jamais fronder les usages du païs qu’on habite, la seconde à cause des honnêtes gens, & la troisieme par égard pour mon grand pere.

En France on met Mahomet sur le Théatre, Arlequin lui fait boire chopine du meilleur vin de la cave du Mouphti à ce qu’il assure au parterre. Si Arlequin venait représenter cette piece à Constantinople, il serait empalé : j’en serais fâché pour lui, car il m’a fait rire. Si les Comédiens de Sa Hautesse allaient à Rome faire manger un chapon au S. Pere le vendredi saint, ils seraient brûlés, parce que la sainte Inquisition ne rit point. Voilà ce qui m’a fait respecter les usages du païs que j’habitai, car il est aisé de voir que l’on à [sic] raison à Constantinople, qu’on a encore raison à Rome, & que toutes ces raisons prouvent fort bien qu’une partie du monde se mocque de l’autre.

Je n’ai point fait ce Poëme en France, dans la crainte d’offenser les honnêtes gens, à cause que les honnêtes gens se fâchent plus aisément que ceux qui ne sont point honnêtes. Les honnêtes gens m’auraient dit : Mr. Modeste, votre ouvrage est rempli d’immodestie : nous aimons la décence & une preuve que nous la cherissons, c’est qu’on a fait dix-sept éditions de la Pucelle que nous avons épuisées dans six semaines.

Je n’ai point fait ce Poëme à Paris, à cause de mon grand Pere : mon grand Pere était un Gentilhomme aussi noble que notre dernier Empereur, lorsqu’il vendait des verres à tous les bouchons du païs, & des flacons à toutes les femmes de chambre de Pekin. Il s’avisa de vendre des galons d’or, qui n’étaient point de verre  il fit tomber son arbre généalogique : bref, ce bon grand Pere qui était très connaisseur me disait : Xan-Xung, la tête te conduira loin, si tu voïages en France, avec ton maigre talent de faire de méchans vers, ne rime jamais que des Salve-Regina, des petits bouquets à Cloé, que tu feras enterrer dans le Mercure. Si tu vas en Espagne, chante les onze mille vierges & prends garde d’en échapper une, car les Jacobins ne te manqueraient pas. Si tu vas en Turquie trouve la circoncision admirable, assure à tous les Dervis que cette opération, qui fait du mal & ne produit aucun bien, est parfaitement imaginée. A Rome ne t’avise point d’y aller. Le païs est plein de fagots bénis. En Prusse, tu peux y séjourner hardiment. Un Roi qui fait de si beaux vers, qui éclaire les arts, instruit son Peuple, est assurément le Souverain d’un païs où il est permi d’avoir raison.

Je fis ce Poëme en vingt-deux jours, parce que je n’aime pas à pâlir longtems sur un même ouvrage quand je meurs de faim : mes vers se sentent de cette précipitation : on s’appercevra qu’ils sont mal nourris. Je n’ai point suivi dans cet ouvrage les conseils du P. Rappin, la Poëtique d’Aristote, le sublime allongé par Longin, inutilement encore allongé par Despreaux. Il ne faut point tant d’ingrédiens pour chanter un morceau de bois ou les chevilles de Maître Adam.

Les préceptes de l’Art sont ceux de la Nature.

Je me flatte que cette piece sera accueillie favorablement du public : ce qui m’assure un applaudissement général, c’est que j’ai rencontré à Constantinople un de mes amis de Paris, garçon boulanger de la rue Jean Pain molet, de la Paroisse de.... de..... Je ne me rappelle plus le nom de la Paroisse, c’est bien dommage. Mon ami était un garçon un peu froid, mais d’un cœur aussi bon que le bon pain, il m’aimait si terriblement qu’il eut ôté les morceaux de sa bouche pour me les donner, si j’avais voulu les agréer : il ne faut point user ses amis  Un Poëte qui a des chausses honnêtes & du crédit à Paris chés un boulanger, est un homme en pied qui peut braver ses confreres.

Mon ami était un jeune homme lettré aussi prodigieusement que le sont ordinairement les garçons boulangers. Il savait des choses fort curieuses sur sa famille & des anecdotes sur son parain Monsieur Gilles Claude Blaise Branbrin Pisse-Chouville, un des plus forts négocians de la rue des deux anges. Ce garçon se nommait Pierre Bagnolet, il descendait en ligne froide du fameux Pierre Bagnolet qui avait si peur de la bise, & qui faisait si bien les choses sur le cul du four lorsqu’il n’avait point froid. Je communiquai ce Poëme à son petit-fils. Pierre trouva mes vers aussi beaux que tous ceux qu’on avait faits pour son grand Pere. J’espere que le public unira ses suffrages à celui du petit-fils du grand Pierre Bagnolet, qui a chanté si longtems.

 

 

 

PREFACE

 

Crede mihi, mores distant à carmine nostro :

Vita verecunda, musa jocosa mihi.

 

 

Le Poëte doit être sage :

Pour ses vers, il importe peu ;

Il n’aurait ni grace, ni jeu,

Sans un air de libertinage.

 

 

A Mon arrivée à Constantinople, j’eus le bonheur de voir de mes yeux profanes le Saint Balai, qui avait balaïé en 1761 la Sainte Chapelle de la Mecque. Il était porté processionellement sous un dais, par un grand Pénitencier de Mahomet, qui allait dans le Royaume de Golconde curer la large conscience du grand Arungeberg. Il était suivi de tous les Bachas à trois queues, des Dévôtes & de vieilles Dames du sérail, qui tenaient en main des grands chapelets Musulmans de la belle taille des Rosaires Espagnols. Le Pere Pancrace, Capucin indigne, que l’Ambassadeur de France avait amené à la Porte avec les pacotilles de sa cuisine, était auprès de moi à voir passer ce cortege. L’habit, la figure du Capucin, capables de faire reculer une procession Romaine, auraient occasionné quelques lacunes dans celle du Saint Balai, si les Dervis de la Cour étaient des gens à faire attention à des Capucins. Le Pere Pancrace en voyant cette cérémonie, disait à chaque instant : Quel scandale ! les Turcs sont damnés... notre Pere Saint François avait un chapelet : mais, graces à la Sainte Vierge, il y avait au bout une croix, une médaille du Pape, un vrai Saint Suaire, & beaucoup d’Agnus Dei. Le Révérend Pere eût arraché les yeux à quelques Dervis de la fête, tant il paraissait animé du vrai zele : il n’osa remuer, à cause qu’il y avait ce jour-là, à Constantinople, plus de circoncis que d’ânes-bâtés.

Des gens qui ne font rien, qui citent toujours, à cause qu’ils n’ont rien à faire, un vieux livre où est écrit, L’ouvrier est digne de son salaire, ne manqueront point de tenir sur ce Poëme les propos que le Pere Pancrace tenait sur la procession du Saint Balai. Quel scandale, diront-ils ! comment se moquer du Pere Ignace, plaisanter le Rosaire, attaquer les gros marchands de chapelets, tirer sans cesse sur les Moines, ces braves serviteurs inutiles de l’Evangile ! oh cela est effroyable : on passerait ces miseres à l’Auteur, s’il n’avait point touché à nos gouvernantes. Quoi, nos filles, toutes dévouées à notre mere la sainte Eglise, des saintes créatures remplies de notre onction ! Ah ! cela est misérable. Nous voyons bien que l’Auteur est un Chinois, qui n’a point de Bénéfice, ni de Gouvernante : il faut que la Justice rôtisse le Balai & le Poëte ; cela est conforme à l’Ecriture qui dit expressément au sixieme commandement, tu ne tueras point.

Je n’ai point fait ce Poëme en France pour trois raisons ; la premiere, c’est qu’on doit jamais fronder les usages du Pays qu’on habite ; la seconde à cause des honnêtes gens ; & la troisieme par égard pour mon grand-pere.

En France on met Mahomet sur le Théâtre : Arlequin lui fait boire chopine du meilleur vin de la cave du Mouphti, à ce qu’il assure au parterre. Si Arlequin venait représenter cette piece à Constantinople, il serait empalé ; j’en serais fâché pour lui, car il m’a fait rire. Si les Comédiens de Sa Hautesse allaient à Rome faire manger un chapon au Saint Pere le Vendredi Saint, ils seraient brûlés, parce que la Sainte Inquisition ne rit point. Voilà ce qui m’a fait respecter les usages du Pays que j’habitais ; car il est aisé de voir que l’on a raison à Constantinople, qu’on a encore raison à Rome, & que toutes ces raisons prouvent fort bien qu’une partie du monde se moque de l’autre.

Je n’ai point fait ce Poëme en France, dans la crainte d’offenser les honnêtes gens, à cause que les honnêtes gens se fâchent plus aisément que ceux qui ne sont point honnêtes. Les honnêtes gens m’auraient dit : Mr. Modeste, votre ouvrage est rempli d’immodestie : nous aimons la décence ; & une preuve que nous la chérissons, c’est qu’on a fait dix-sept éditions de la Pucelle que nous avons épuisées dans six semaines.

Je n’ai point fait ce Poëme à Paris, à cause de mon grand-pere ; mon grand-pere était un Gentilhomme aussi noble que notre dernier Empereur, lorsqu’il vendait des verres à tous les bouchons du Pays, & des flacons à toutes les femmes de chambre de Pékin. Il s’avisa de vendre des galons d’or, qui n’étaient point de verre ; il fit tomber son arbre généalogique ; bref, ce bon grand-pere qui était très-connaisseur, me disait ; Xan-Xung, la tête te conduira loin, si tu voyages en France, avec ton maigre talent de faire de méchants vers, ne rime jamais que des Salve Regina, des petits bouquets à Chloé, que tu feras enterrer dans le Mercure. Si tu vas en Espagne, chante les onze mille Vierges & prends garde d’en échapper une, car les Jacobins ne te manqueraient pas. Si tu vas en Turquie, trouve la circoncision admirable, assure à tous les Dervis que cette opération, qui fait du mal & ne produit aucun bien, est parfaitement imaginée. A Rome, ne t’avise point d’y aller. Le Pays est plein de fagots bénis. En Prusse, tu peux y séjourner hardiment. Un Roi qui fait de si beaux vers, qui éclaire les arts, instruit son Peuple, est assurément le Souverain d’un Pays où il est permis d’avoir raison.

Je fis ce Poëme en vingt-deux jours, parce que je n’aime pas à pâlir long-temps sur un même ouvrage quand je meurs de faim ; mes vers se sentent de cette précipitation ; on s’appercevra qu’ils sont mal nourris. Je n’ai point suivi dans cet ouvrage les conseils du P. Rappin, la Poëtique d’Aristote, le sublime allongé par Longin, inutilement encore allongé par Despréaux. Il ne faut point tant d’ingrédients pour chanter un morceau de bois ou les chevilles de Maître Adam.

Les préceptes de l’Art sont ceux de la Nature.

Je me flatte que cette piece sera accueillie favorablement du public ; ce qui m’assure un applaudissement général, c’est que j’ai rencontré à Constantinople un de mes amis de Paris, garçon boulanger de la rue Jean-Pain-Mollet, de la Paroisse de..... de..... Je ne me rappelle plus le nom de la Paroisse, c’est bien dommage. Mon ami était un garçon un peu froid, mais d’un cœur aussi bon que le bon pain ; il m’aimait si terriblement, qu’il eût ôté les morceaux de sa bouche pour me les donner, si j’avais voulu les agréer ; il ne faut point user ses amis. Un Poëte qui a des chausses honnêtes & du crédit à Paris chez un boulanger, est un homme en pied, qui peut braver ses confreres.

Mon ami était un jeune homme lettré, aussi prodigieusement que le sont ordinairement les garçons boulangers. Il savait des choses fort curieuses sur sa famille & des anecdotes sur son Parrain Monsieur Gilles-Claude-Blaise-Brainbrin-Pisse-Chouville, un des plus forts négociants de la rue des deux anges. Ce garçon se nommait Pierre Bagnolet ; il descendait en ligne froide du fameux Pierre Bagnolet ; qui avait si peur de la bise, & qui faisait si bien les choses sur le cul du four lorsqu’il n’avait point froid. Je communiquai ce Poëme à son petit-fils. Pierre trouva mes vers aussi beaux que tous ceux qu’on avait faits pour son grand-pere. J’espere que le Public unira ses suffrages à celui du petit-fils du grand Pierre Bagnolet, qui a été chanté si long-temps.

 

 

 

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CHANT PREMIER

 

 

CHANT PREMIER.

 

La Moinerie montée sur un Balai, apporte dans la nuit un Reliquaire à sœur Ursule.

 

 

Aimable Eglé, tu veux donc que je chante

Ces fiers débats, cette guerre éclatante,

Qu’un vieux Balai, qu’un dépit insolent,

Firent trois mois régner dans un couvent.

Ton cœur l’ordonne, & ma main va l’écrire.

Puisse le Dieu qui préside à ta lire,

Unir sa voix à mes timides chants,

Et me prêter ta grace & tes accens !

Sur l’un des bords de la Scarpe tranquile,

Loin des mondains, s’élève un saint azile ;

Quarante sœurs jouïssent dans ce lieu

Du triste honneur d’avoir fait à leur Dieu

Comme Jepthé, des sermens téméraires.

Le tems perdu sous ces toits solitaires

File est [sic] baillant sur des fuseaux d’airain,

Des jours d’horreurs, de trouble & de chagrin.

Jamais la paix n’habite ce lieu sombre ;

Pour compagnon chaque sœur a son ombre,

Pour plaire à Dieu l’habit de la vertu,

Et pour espoir dans son cœur abattu

L’affreux néant d’un état qu’elle abhorre,

Le souvenir d’un monde qu’elle adore,

Et que l’amour lui peint encor plus beau.

Sin (*) est le nom de ce triste tombeau.

Dans ce séjour de la faible innocence,

Du saint murmure, & de la médisance,

Depuis cent ans un unique Balai

Servait, dit-on, à nos sœurs de Douai,

Pour nétoyer le parloir & la Sale,

Les deux dortoirs, l’ouvroir, l’abbatiale,

Et tous les trous de leur vieille maison.

Dans le chapitre, au coin d’une cloison,

Un saint usage avait marqué sa place ;

Dans aucun tems, la Monastique audace

N’osait toucher à cet emplacement :

Car sur ce point, la regle clairement,

Dans un statut doublement canonique,

Expliquait bien l’usage & la rubrique.

Ce point suivi sans contestation,

Faisait honneur à la Religion ;

Quand certain jour l’aveugle Moinerie,

De la Rubrique implacable ennemie,

Bravant la regle, & Blasphémant ce soin,

Vint déranger le Balai de son coin.

Muse, dis nous comment dans cette grille

Un monstre affreux vint tromper une fille,

Comment il fit servir à ses desseins

Une ame pure, & vingt oisives mains.

Depuis trois mois cachés aux yeux du monde,

Les noirs chagrins, & la haine profonde,

Dévotement déchiraient dans ce lieu

Quarante cœurs consacrés au bon Dieu.

L’entêtement, ce vice de l’enfance,

Parlait tout haut, & préparait d’avance

Une ame ardente à ces impressions,

Et propre enfin aux grandes actions.

Ce cœur coupable, était celui d’Ursule

Nonne intrépide, & ferme comme Hercule,

Qui pour s’instruire avait lu mainte fois

Des Paladins les terribles exploits,

Du grand Sancho la bravoure immortelle,

Et les travaux de la Sainte Pucelle,

Qui conserva sous un vieux jupon court,

Le Roi des Francs, l’Oriflâme & la Cour.

Ces sots récits d’un siecle ridicule

Avaient troublé dans le cerveau d’Ursule,

Certain instinct un peu stigmatisé,

Et dans ce lieu fort mal organisé,

Ce crâne étroit, meublé de ces prodiges,

Déja fameux par ses anciens vertiges,

Depuis trois mois combinait sourdement

Le grand projet d’abîmer saintement

L’autorité des meres vénérables ;

Quand, dans la nuit à ces desseins coupables

Un monstre affreux vint souffler à la sœur

Son fiel amer & sa prompte fureur.

Pour mieux tromper la jeune cénobite

La Moinerie avait pris d’un Jésuite

L’air composé, le regard tapinois,

Et l’ajusté de Monsieur saint François.

Un Capuchon couvrait sa vieille tête :

Un Reliquaire en sa main déshonnête

Brillait des feux dont rougit la pudeur :

Son sang impur, échauffé par l’ardeur

Du saint Cordon de l’Ordre Séraphique,

Faisait monter dans son œil impudique,

Les sales feux qui consumaient ses reins :

Sur son noir front la haine, de ses mains,

Avait tracé ces mots épouventables :

” Sur l’innocent lance tes traits coupables ;

” N’épargne rien, que rien ne te soit cher :

” Le cœur d’un moine est du siecle de fer.

Ainsi le monstre alla trouver Ursule.

Dans une alcove, au fond d’une cellule,

La propreté, cette vertu des Saints,

Avait dressé, de ses modestes mains,

Un lit mollet, une couche brillante ;

L’éclat du lis, celui de l’amaranthe,

Du Pavillon nuancaient [sic] les couleurs ;

Les rideaux teints du feu des autres fleurs,

Malgré la nuit, reproduisaient encore

Le jour naissant de la brillante aurore.

Dans ce réduit plus riant que Samos,

L’aimable sœur dans les bras du repos

Respirait l’air qu’on respire à Cythere ;

Du noir dépit, des feux de sa colere

Son jeune sein n’était point agité ;

Et la pâleur de la virginité,

Ne voilait point la beauté de ses charmes.

Un jeune enfant à qui tout rend les armes,

Du vif éclat de son flambeau divin

Avait rougi l’albâtre de son teint.

Le doux sommeil, dans un rêve paisible,

Livrait son ame à l’image sensible

Des saints danger de Robert d’Arbrissel :

Souvent un songe est un bonheur réel.

Pour adoucir nos courtes destinées,

L’ennui constant de nos tristes journées,

Les Dieux ont fait les songes bienfaisans,

Et les desirs trop nombreux pour nos sens.

Plein du courroux dont la fievre le brûle,

Le noir fantôme avance vers Ursule.

Déja ses yeux, sans émouvoir son cœur,

Ont contemplé les charmes de la sœur.

D’un sein naissant la blancheur éclatante

S’offrait sans voile à la vue effrayante.

Quoi, monstre affreux ! tu n’en fus point touché,

Quoi ! vis-à-vis d’un si joli péché

Tu fus de marbre ?.... Ah ! qu’Ursule était belle !

Non, chez les Dieux, la Déesse immortelle

Qu’Endimion vit sans témérité,

N’égala point l’éclat de sa beauté.

Vous, qui cachés dans cette grille austere

Mille agrémens révérés à Cythere,

Voiles épais, Guimpes & Guénillons,

Bénits des mains des Guis (*) des Baglions,

Hé pourquoi donc, à ses regards coupables,

Ne voiliés vous ces charmes adorables ?

Sur ce beau sein il fallait demeurer :

C’est l’amour seul qui doit vous déchirer.

Le monstre enfin harangue l’héroïne :

O vous, dit-il, qu’une faveur divine

Comble aujourd’hui d’un bonheur pur & vrai,

Vous tairés vous, en voiant un Balai

Tenir son coin constamment au chapitre ?

Quoi ! dans ce lieu, sans raison & sans titre,

Un sot usage, la folie & le tems,

L’auront fixé depuis près de cent ans ;

Et sous des loix que l’infirme vieillesse,

Dicta jadis dans ses momens d’yvresse,

Où l’amour-propre ébloüit les esprits,

Vos jeunes cœurs, seront-ils donc soumis ?

Non, non, bravés la vieillesse & l’usage,

Rompés ma sœur, les fers de l’esclavage :

L’homme est né libre, & s’il doit obéir

C’est à l’amour, à son cœur, au plaisir.

Si contre vous, les meres vénérables

Veulent armer leurs rides effroyables,

Ne craignés point ces fronts glacés d’horreur ;

Chaque animal doit porter sa couleur.

Vos jeunes ans qu’accompagnent les graces,

Les ris, les jeux, qui volent sur vos traces,

A votre char attacheront les cœurs ;

Et le crédit de vos antiques sœurs

Peut-il tenir à l’asp[e]ct de vos charmes ?

Sans pitié, voiés couler leurs larmes,

C’est à l’hiver, à répandre des pleurs ;

C’est au printems à nous donner des fleurs.

Déja le Ciel sensible à votre gloire,

Veut éclairer des feux de la Victoire

Vos grands combats, vos illustres destins.

Pour assurance acceptés de ses mains

Ce gage heureux, ce sacré Reliquaire,

Où, sous les yeux du Maître de Cythere,

Vulcain grava, de sa main, autrefois

Du beau Girard les amoureux exploits.

Jamais mortel n’égala ce grand homme ;

Sa main brisa les autels de Sodome.

Vous le savés, notre Regle jadis

Foulait aux pieds les mirthes de Cypris ;

Et la nature au niveau de la Grace,

Entre nos mains n’était point efficace.

L’heureux Girard corrigea nos statuts,

Et sous les feux de la tendre Vénus,

On vit bientôt disparaître en Provence,

Tous les faux Dieux de Rome & de Florence,

Que Duchauffour encensait autrefois.

De ce Licurgue imités les exploits :

Faites tomber vos stupides Rubriques,

Foullés aux pieds ces folles loix antiques ;

Pour triompher faites voir à vos sœurs

Ce gage heureux des célestes faveurs.

Dans le contour de ce Saint Reliquaire

Voiés, ma sœur, la dévote Cadiere,

Tous les plaisirs animent ses appas ;

Sur son beau sein, comprimé dans ses bras,

Un directeur instruit son ame tendre ;

Sur ses lecons [sic] l’amour semble répandre

Ces feux amis qui couronnent les Dieux.

O couple uni ! couple béni des Cieux !

Couvrés vos fronts des roses de Cythere :

Dieu fit l’amour pour embellir la terre,

Et le plaisir pour enchanter vos cœurs.

Allés, portés ce saint gage à vos sœurs ;

Armés, armés leurs mains victorieuses ;

Et déchirés les regles odieuses,

Qu’un Dieu tyran vous dicta dans ce lieu.

Le fanatisme est le nom de ce Dieu :

Ce monstre est né des feux du sanctuaire ;

Du zele ardent il prend le caractere ;

Le fer, la croix, l’encensoir dans les mains,

Bénissant Dieu, poignarde les humains.

Sous d’autres traits il paraît à la grille,

Là des appas séduisans d’une fille

Il fait couvrir ses hideuses laideurs,

(Tel un serpent se cache sous les fleurs ?)

Dans son œil fier rien ne paraît farouche,

Un miel flatteur découle de sa bouche,

Son triste front, serein pour un instant,

De la bonté semble être le garant ;

Mais la malice en voyant ce visage,

D’un ris mocqueur sourit à son image.

Partés, ma sœur, les dépits indomptés

Suivent vos pas, marchent à vos cotés ;

Du haut des Cieux la Gloire vous appelle,

Vous allés vaincre en combattant pour elle.

Du vieux Ramon allés fronder les droits,

Et de sa chûte illustrés vos exploits.

Sur le divan, sur ces antiques têtes,

Faites tomber la foudre & les tempêtes :

Un Dieu puissant en a porté l’arrêt.

La sœur s’éveille & l’ombre disparaît.

 

 

(*) Abbaye sous la regle de St. Augustin.

(*) Anciens Evêques d’Arras.

 

 

 

CHANT PREMIER.

 

La Moinerie, montée sur un Balai, apporte dans la nuit un Reliquaire à sœur Ursule.

 

 

Aimable Eglé, tu veux donc que je chante

Ces fiers débats, cette guerre éclatante,

Qu’un vieux Balai, qu’un dépit insolent,

Firent trois mois régner dans un couvent.

Ton cœur l’ordonne, & ma main va l’écrire.

Puisse le Dieu qui préside à ta lyre,

Unir sa voix à mes timides chants,

Et me prêter ta grace & tes accents !

Sur l’un des bords de la scarpe tranquille,

Loin des mondains, s’élève un saint asyle ;

Quarante sœurs jouissent dans ce lieu

Du triste honneur d’avoir fait à leur Dieu,

Comme Jepthé des serments téméraires.

Le temps perdu sous ces toits solitaires,

File en bâillant, sur des fuseaux d’airain,

Des jours d’horreurs, de trouble & de chagrin.

Jamais la paix n’habite ce lieu sombre.

Pour compagnon, chaque sœur a son ombre ;

Pour plaire à Dieu, l’habit de la vertu ;

Et pour espoir, dans son cœur abattu,

L’affreux néant d’un état qu’elle abhorre,

Le souvenir d’un monde qu’elle adore,

Et que l’amour lui peint encor plus beau.

Sin (*) est le nom de ce triste tombeau.

Dans ce séjour de la faible innocence,

Du saint murmure, & de la médisance,

Depuis cent ans un unique Balai

Servait, dit-on, à nos sœurs de Douai,

Pour nettoyer le parloir & la salle,

Les deux dortoirs, l’ouvroir, l’abbatiale,

Et tous les trous de leur vieille maison.

Dans le chapitre, au coin d’une cloison,

Un saint usage avait marqué sa place ;

Dans aucun temps, la monastique audace

N’osait toucher à cet emplacement :

Car sur ce point, la regle clairement,

Dans un statut doublement canonique,

Expliquait bien l’usage & la rubrique.

Ce point suivi sans contestation,

Faisait honneur à la réligion.

Quand certain jour l’aveugle Moinerie,

De la rubrique implacable ennemie,

Bravant la regle, & blasphêmant ce soin,

Vint déranger le Balai de son coin.

Muse, dis-nous, comment dans cette grille

Un monstre affreux vint tromper une fille,

Comment il fit servir à ses desseins

Une ame pure & vingt oisives mains.

Depuis trois mois cachés aux yeux du monde,

Les noirs chagrins & la haine profonde,

Dévôtement déchiraient dans ce lieu

Quarante cœurs consacrés au bon Dieu.

L’entêtement, ce vice de l’enfance,

Parlait tout haut & préparait d’avance

Une ame ardente à ces impressions,

Et propre enfin aux grandes actions.

Ce cœur coupable, était celui d’Ursule,

Nonne intrépide, & ferme comme Hercule,

Qui, pour s’instruire, avait lu mainte fois

Des Paladins les terribles exploits,

Du grand Sancho la bravoure immortelle,

Et les travaux de la sainte Pucelle,

Qui conserva sous un vieux jupon court,

Le Roi des Francs, l’Oriflâme & la Cour.

Ces sots récits d’un siecle ridicule

Avaient troublé dans le cerveau d’Ursule,

Certain instinct un peu stygmatisé,

Et dans ce lieu fort mal organisé,

Ce crâne étroit, meublé de ces prodiges,

Déja fameux par ses anciens vertiges,

Depuis trois mois combinait sourdement

Le grand projet d’abymer saintement

L’autorité des meres vénérables ;

Quand, dans la nuit, à ces desseins coupables,

Un monstre affreux vint souffler à la sœur

Son fiel amer & sa prompte fureur.

Pour mieux tromper la jeune Cénobite

La Moinerie avait pris d’un Jésuite

L’air composé, le regard tapinois,

Et l’ajusté de Monsieur saint François.

Un Capuchon couvrait sa vieille tête :

Un Réliquaire en sa main déshonnête

Brillait des feux dont rougit la pudeur :

Son sang impur, échauffé par l’ardeur

Du saint Cordon de l’Ordre Séraphique,

Faisait monter dans son œil impudique,

Les sales feux qui consumaient ses reins.

Sur son noir front, la haine, de ses mains,

Avait tracé ces mots épouvantables :

” Sur l’innocent lance tes traits coupables :

” N’épargne rien, que rien ne te soit cher :

” Le cœur d’un moine est du siecle de fer.

Ainsi le monstre alla trouver Ursule.

Dans une alcove, au fond d’une cellule,

La propreté, cette vertu des Saints,

Avait dressé, de ses modestes mains,

Un lit mollet, une couche brillante ;

L’éclat du lis, celui de l’amaranthe,

Du Pavillon nuançaient les couleurs ;

Les rideaux teints du feu des autres fleurs,

Malgré la nuit, réproduisaient encore

Le jour naissant de la brillante aurore.

Dans ce réduit plus riant que Samos,

L’aimable sœur dans les bras du repos

Respirait l’air qu’on respire à Cythere ;

Du noir dépit, des feux de sa colere

Son jeune sein n’était point agité ;

Et la pâleur de la virginité

Ne voilait point la beauté de ses charmes.

Un jeune enfant à qui tout rend les armes,

Du vif éclat de son flambeau divin

Avait rougi l’albâtre de son teint.

Le doux sommeil dans un rêve paisible,

Livrait son ame à l’image sensible

Des saints danger de Robert d’Arbrissel :

Souvent un songe est un bonheur réel.

Pour adoucir nos courtes destinées,

L’ennui constant de nos tristes journées,

Les Dieux ont fait les songes bienfaisants,

Et les desirs trop nombreux pour nos sens.

Plein du courroux dont la fievre le brule,

Le noir fantôme avance vers Ursule.

Déja ses yeux, sans émouvoir son cœur,

Ont contemplé les charmes de la sœur.

D’un sein naissant la blancheur éclatante

S’offrait sans voile à la vue effrayante.

Quoi, monstre affreux ! tu n’en fus point touché ?

Quoi ! vis-à-vis d’un si joli péché

Tu fus de marbre ?... Ah ! qu’Ursule était belle !

Non, chez les Dieux, la Déesse immortelle

Qu’Endymion vit sans témérité,

N’égalat [sic] point l’éclat de sa beauté.

Vous, qui cachez dans cette grille austere

Mille agréments révérés à Cythere,

Voiles épais, Guimpes & Guénillons,

Bénits des mains des Guis, (*) des Baglions,

Hé pourquoi donc, à ses regards coupables,

Ne voiliez-vous ces charmes adorables ?

Sur ce beau sein il fallait demeurer :

C’est l’amour seul qui doit vous déchirer.

Le monstre enfin harangue l’héroïne :

O vous, dit-il, qu’une faveur divine

Comble aujourd’hui d’un bonheur pur & vrai,

Vous tairez-vous, en voyant un Balai

Tenir son coin constamment au chapitre ?

Quoi ! dans ce lieu, sans raison & sans titre,

Un sot usage, la folie & le temps,

L’auront fixé depuis près de cent ans ;

Et sous des loix que l’infirme vieillesse,

Dicta jadis dans ses momens d’yvresse,

Où l’amour propre éblouit les esprits,

Vos jeunes cœurs, seront-ils donc soumis ?

Non, non, bravez la vieillesse & l’usage,

Rompez, ma sœur, les fers & l’esclavage :

L’homme est né libre ; & s’il doit obéir,

C’est à l’amour, à son cœur, au plaisir.

Si contre vous, les meres vénérables

Veulent armer leurs rides effroyables,

Ne craignez point ces fronts glacés d’horreur ;

Chaque animal doit porter sa couleur.

Vos jeunes ans qu’accompagnent les graces,

Les ris, les jeux, qui volent sur vos traces,

A votre char attacheront les cœurs ;

Et le crédit de vos antiques sœurs,

Peut-il tenir à l’aspect de vos charmes ?

Sans pitié, voyez couler leurs larmes,

C’est à l’hyver, à répandre des pleurs,

C’est au printemps à nous donner des fleurs.

Déja le ciel sensible à votre gloire,

Veut éclairer des feux de la victoire

Vos grands combats, vos illustres destins.

Pour assurance acceptez de ses mains

Ce gage heureux, ce sacré reliquaire,

Où, sous les yeux du maître de Cythere,

Vulcain grava, de sa main, autrefois

Du beau Girard les amoureux exploits.

Jamais mortel n’égala ce grand homme ;

Sa main brisa les autels de Sodome.

Vous le savez, notre regle jadis

Foulait aux pieds les myrthes de Cypris ;

Et la nature au niveau de la Grace,

Entre nos mains n’était point efficace.

L’heureux Girard corrigea nos statuts,

Et sous les feux de la tendre Venus,

On vit bientôt disparaître en Provence,

Tous les faux Dieux de Rome & de Florence,

Que Duchauffour encensait autrefois.

De ce Lycurgue imitez les exploits :

Faites tomber vos stupides Rubriques ;

Foulez aux pieds ces folles loix antiques ;

Pour triompher, faites voir à vos sœurs

Ce gage heureux des célestes faveurs.

Dans le contour de ce Saint Reliquaire

Voyez, ma sœur, la dévôte Cadiere :

Tous les plaisirs animent ses appas ;

Sur son beau sein, comprimé dans ses bras,

Un directeur instruit son ame tendre,

Sur ses leçons l’amour semble répandre

Ces feux amis, qui couronnent les Dieux.

O couple uni ! couple béni des Cieux !

Couvrez vos fronts des roses de Cythere :

Dieu fit l’amour pour embellir la terre,

Et le plaisir pour enchanter vos cœurs.

Allez, portez ce saint gage à vos sœurs ;

Armez, armez leurs mains victorieuses ;

Et déchirez les regles odieuses,

Qu’un Dieu tyran vous dicta dans ce lieu.

Le fanatisme est le nom de ce Dieu :

Ce monstre est né des feux du sanctuaire ;

Du zele ardent il prend le caractere ;

Le fer, la croix, l’encensoir dans les mains ;

Bénissant Dieu, poignarde les humains,

Sous d’autres traits il paraît à la grille ;

Là des appas séduisants d’une fille

Il fait couvrir ses hideuses laideurs,

(Tel un serpent se cache sous les fleurs.)

Dans son œil fier rien ne paraît farouche,

Un miel flatteur découle de sa bouche,

Son triste front, serein pour un instant,

De la bonté semble être le garant ;

Mais la malice en voyant ce visage,

D’un ris moqueur sourit à son image.

Partez, ma sœur, les dépits indomptés

Suivent vos pas, marchent à vos côtés ;

Du haut des Cieux la gloire vous appelle,

Vous allez vaincre en combattant pour elle.

Du vieux Ramon allez fronder les droits,

Et de sa chûte illustrez vos exploits.

Sur le Divan, sur ces antiques têtes,

Faites tomber la foudre & les tempêtes :

Un Dieu puissant en a porté l’arrêt.

La sœur s’éveille, & l’ombre disparaît.

 

 

(*) Abbaye sous la regle de S. Augustin.

(*) Anciens Evêques d’Arras.

 

 

 

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CHANT SECOND

 

 

CHANT SECOND.

 

 

Réveil d’Ursule. Allarmes des vieilles sœurs sur l’indisposition du P. Directeur. Histoire de l’homme de Dieu. Complot des jeunes sœurs pour enlever le Balai.

 

 

L’astre du jour, en ouvrant sa carriere,

Voyait déja sœur Ursule en priere,

Le cœur ému, les yeux mouillés de pleurs,

Ainsi du Ciel implorer les faveurs.

O vous grand Saint, (*) défenseur de nos Grilles,

Vous qui jadis mariâtes trois filles,

Qu’un pere avare, inique & sans pudeur,

Voulait livrer au serpent séducteur ;

Hélas ! sans vous & sans votre opulence,

Un soû-fermier eût bien payé d’avance,

Ce dont par fois on n’a que des extraits,

Ou pour tout fruit mille cuisans regrets.

Qu’un pucelage est entouré d’abîmes !

Hélas ! grand Saint sans vos soins magnanimes,

On aurait pris ce trésor mal scellé,

Dont tout un sexe a la fatale clé ;

Un seul instant suffit pour nous le prendre ;

Pris une fois, pourait-on nous le rendre ?

Ainsi la sœur priait Dieu dans son lit,

Quand tout à coup on entendit du bruit.

A coups doublés l’on frappait à la porte,

Avec le jour, qui frappe de la sorte

Dit sœur Ecoute, il faut assurément

Qu’un feu subit ait pris au bâtiment.

Au mot de feu, la mere Jubilaire

Croyant déja la flamme à son derriere,

D’un vieux poumon ranimant les efforts ;

Et de sa voix les antiques ressorts,

Saute du lit, crie au feu comme un Diable.

Tout le Dortoir à sa voix effroyable

Transi de peur, se réveille en sursaut,

Vîte, à la hâte, on se sauve aussitôt.

L’une en fuyant, défile un grand Rosaire ;

L’autre en morceaux brise un vieux saint suaire ;

Sœur Thècle court en priant saint Kostka,

De conserver son sucre & son moka.

On laisse au feu dans ce moment terrible

Un Bérruyer, le Scaron de la Bible,

Un sot Mainbourg, le menteur des chrétiens,

Un Rodriguès & des Noëls anciens.

On laisse en proye aux flammes dévorantes

De cent bonbons les douceurs suculentes.

Dans ce danger la sœur Jeanne Luçon

Sentit tomber son large calleçon

Antique étui, qui chez l’Anacorete

Garentissait des feux de sa chausete

Les environs, & tous les Pays-bas.

Par un malheur qui côtoyait ses pas

Voulant léver ses canons incommodes,

Son cul à nu chaussa les Antipodes.

Tandis qu’en troupe on fuiait du dortoir,

Sœur Jeudi-Saint de retour au parloir,

Leur dit : Mes sœurs, où courés vous aux armes ?

Le feu n’est point l’objet de nos allarmes,

Un deuil profond va régner dans ces lieux ;

Pleurons d’avance un veuvage ennuieux.

L’objet chrétien de nos oisives flammes,

Le grand Docteur qui dirige de [sic] nos ames,

D’un rhume affreux cette nuit a toussé ;

S’il tousse encor, le bon homme est troussé.

Mon bon Jesus ! notre Dame de joïe !

Dit sœur Cécile, arrachés cette proïe

Des Médecins, car ils ont d’Atropos

Certains talens, avec certains ciseaux.

Avant d’ouir les sensibles complaintes,

Et les douleurs dont nos sœurs sont atteintes,

Muse, dis nous quel fut ce Directeur,

Docte, savant, & cher à plus d’un cœur.

L’homme de Dieu dans ce réduit tranquile

Dévotement faisait de très-bon chile.

Sa Ménagere, un vieux chat, un vieux chien,

Tous trois rivaux composaient tous son bien.

Là chaque jour, des plus antiques filles

Il écoutait les vieilles peccadilles ;

A son début il fit pour coup d’essai

Changer, dit-on, le manche du Balai,

Car le bon pere un peu trop Janséniste,

Et du plaisir sévere Antagoniste,

De rond jadis le fit faire quarré ;

Car manche rond, disait le bon Curé,

Des saintes sœurs eût flétri l’innocence,

Et par le tact dame concupiscence

Qui sur un rien s’éguisse [sic] l’appétit,

Eût soulevé la chair contre l’esprit.

L’esprit des sots, l’aveugle Calomnie

A répandu quelques traits sur sa vie,

Qui font penser qu’avec l’amour divin,

Son cœur profane aimait trop le prochain.

Certains papiers disent que le bon homme,

Fit tout exprès certain voyage à Rome,

Ville chrétienne, au désordre propice,

Où l’étendart de la croix & du vice,

A réuni, depuis plus de mille ans,

Des Monsignors, des moines fénéans,

Et pour de l’or les enfans de la Bible.

C’est dans ce lieu qu’un Pontife infaillible

Le crâne orné d’un vieux Solideo, (*)

Pour de l’argent lui vendit l’absolvo.

Ce cas véreux touchait un peu sa niece

Qui certain jour (qu’une ame a de faiblesse !)

Se laissa choir lourdement sur un point,

Et de la chûte orna son embonpoint.

Que voulés vous ? jeune fille est fragile,

L’esprit est prompt, & la chair trop docile

Se laisse aller au jeu du tendre amour :

Et puis après, d’un quart où deux trop court

Le cotillon trahissant le mistere,

Porte l’allarme au sein du presbitere,

Et le remplit de l’odeur du péché.

L’oncle pourtant n’était point débauché.

Il avait fait, jadis dans sa jeunesse,

Ces petits tours que l’humaine faiblesse

Fait sans trembler tous les jours sous les yeux

D’un Dieu charmant vainqueur des autres Dieux.

Aussi parfois mettait-il sous la presse

Certain objet, moins chaste que Lucrece,

Par là, plus propre à la conception.

Enfin pour Dieu, soit par distraction,

On dit qu’il fit, cela sans eau bénite,

Du même coup un clerc, un acolyte.

Ce soin chrétien était bien dans son lieu :

Il faut pourvoir la maison du bon Dieu

Avant la sienne, & puis quand on est sage,

On songe en paix aux besoins du ménage.

Pas n’y manqua, car l’homme était prudent ;

Or faisant droit à son besoin pressant,

D’un Tourne-broche il meubla sa cuisine.

Que voulés vous ? la servante Claudine

Avait tenté le serviteur de Dieu :

Deux yeux frippons, un minois tout en feu,

Sont suffisans pour éteindre la glace

De la sagesse, & puis d’ailleurs la Grace

N’est point toujours à côtoyer nos pas ;

Et dans ce monde enfin n’avons nous pas

Chacun un cœur & chacun nos foiblesses,

Chacun un Diable ou chacun nos maitresses ?

L’âge bientôt, plus puissant que le Ciel,

Avait touché ce pénitent mortel.

Les cheveux blancs, qui font germer la Grace,

Ces jours heureux où sa pointe efficace

Sur tous les cœurs agit avec succès,

Et fait meurir [sic] nos stériles regrets,

Avait, dit on, converti le saint homme,

Tout aussi saint, que bien des Saints à Rome ;

Il gemissait, il lavait de ses pleurs,

Des courts plaisirs les volages faveurs.

Son bon exemple, & sa dévote mine,

Avaient touchés la suivante Claudine

Qui loin du monde, & plus près des amours,

A cinquante ans alla fixer ses jours

Près du Verger d’un hermite profane,

Qui sous ses pas lui découvrit la mane

Cachée aux yeux des profanes mondains :

Cet heureux fruit, de prodiges divins

Avait meublé sa terrestre cervelle.

Ce cœur contrit, cette vierge nouvelle

Reçut des cieux une insigne faveur :

Dieu députa son ange tentateur

Pour éprouver un peu sa continance.

Le Ciel souvent fait cette expérience,

Et par le Diable il éprouve ses saints,

Hélas ! pour nous, misérables mondains,

Le Ciel est dur, & sa bonté nous laisse

Sans tentateur nous damner à notre aise.

Ainsi sans Diable, aux graces de Baron,

On vit pécher l’adorable Ninon.

Toujours en proïe à la tristesse amere,

Nos tendres sœurs, sur l’accident du pere

Poussaient au Ciel de lamentables cris,

Et tour à tour faisaient ces pot-pourris. (*)

Hélas ! dit l’une, ô que la race humaine

A de malheurs ! les soucis & la peine

Vont avec elle, & menent pas à pas

Chaque mortel aux portes du Trépas.

O triste vie ! O songe peu durable !

Vos maux sont purs & le plaisir aimable

Est bien mêlé d’amertume & de fiel ;

O jours trop courts ! faible présens du Ciel !

Vous n’êtes beaux qu’au printems de la vie

Dans ces momens où la douce folie

Du tendre amour, enchaîne, avec nos cœurs

Nos sens captifs dans ces liens de fleurs.

Hélas ! dit l’autre, on marche sur la terre

Tout garroté de sa triste misere.

La faulx du tems moissonne à nos côtés

Les plus beaux jours, les plus fortes santés.

De tous les maux ce monde est l’assemblage ;

Dieu faisant l’homme, ou plutôt son image,

Ne fit au fond qu’un rien organisé ?

Ah ! que la vie est un tems mal aisé !

S’il est par fois sujet aux morts subites

Dit sœur Suson, appréhendons les suites ;

L’autre disait : Ah ! son lit fut mal fait,

La couverture ainsi que le chevet,

Auront sorti peut-être de leur place.

Le vent coulis, ce vent plus froid que glace,

Aura glissé sous les draps doucement

Et du bon pere aura subitement

Gelé les pieds, le poumon, ou la bile.

Sa Ménagere est donc bien mal habile,

Répond sœur Thécle ; & comment sans horreur,

Fait elle ainsi le lit du Directeur !

Il a, dit l’autre, une douceur charmante ;

Mais sa bonté gâte sa gouvernante,

Elle est chés lui tout le long d’un saint jour,

A toujours dire & du contre, & du pour,

Les bras croisés, & le bec aux corneilles,

Croit faire ici des monts & des merveilles.

Madame à tout veut mettre son caquet ;

Comment un lit peut-il être bien fait ?

Elle a pourtant demeuré chez des moines,

Dès sa jeunesse a servi trois chanoines.

Chez tout ce monde on doit avoir appris

A remuer, à bien fouler des lits.

Grand Saint Bernard ?.... disait sœur Angélique,

Le Révérend à [sic] souvent la Colique :

Ce mal affreux l’incommode très-fort ;

S’il n’en guérit, notre bon pere est mort.

Vîte au plutôt appellons la Tourriere

Envoions lui du jus de capilaire

Du Chocalat [sic], des massepins exquis,

De la gelée & des citrons confits.

D’album Græcum donnons lui quelque prise :

Ce simple est bon pour le rhume d’Eglise.

Tandis qu’en proïe aux plus justes douleurs,

La vieille cour répandait mille pleurs ;

Dans le dortoir les plus jeunes professes

L’esprit rempli de saintes gentillesses,

Sur leurs regrets éguissaient [sic] leurs bons mots,

Et dans les jeux de cent rians propos

Faisaient briller avec la médisance,

Le zele ardent d’une prompte vangeance.

Ce fut alors, qu’Ursule avec succès

Prit le moment d’annoncer ses secrets,

Quoi, donc mes sœurs, verrons nous en silence,

Le vieux Sénat enflé de sa puissance

Nous captiver sous ses antiques Loix ?

Sur la raison les ans ont-ils des droits ?

Est-ce au couchant à diriger l’Aurore ?

L’hiver jamais l’emporta-t il sur Flore ?

Allons, mes sœurs : que chacune de nous

Fasse en ce jour éclater son courroux !

Livrons la guerre aux vieilles vénérables ;

Courons ôter de leurs mains méprisables,

Le vil objet de leur indigne soin.

Que le ramon, rélégué dans un coin,

Signale ici notre éclatante gloire.

Contre l’usage appellons la Victoire ;

Le Ciel propice aux charmes de nos ans

Couronnera nos efforts triomphans.

Déja pour nous sa bonté se déclare :

Entre mes mains voiés ce gage rare

Qu’un Loyola m’a remis cette nuit,

Ce Réliquaire où le destin peignit

Avec l’amour, les plaisirs de Cythere.

Voiés, mes sœurs, l’amoureuse Cadiere

Entre ses bras serrer son cher amant :

Voiés couler les pleurs du sentiment.

Girard expire au doux sein de l’yvresse :

De cent baisers il rougit sa maitresse.

Le sot remord n’étouffe point ses feux :

Ce ver rongeur dans ses momens heureux

Laisse au plaisir le triomphe & la gloire.

Allons mes sœurs ; courons à la Victoire.

Tout nous promet les plus heureux destins ;

Et les lauriers n’attendent que nos mains.

A ce discours de la Nonne éloquente

On vit bientôt la jeunesse bouillante

Brûlant d’ardeur de courir sur ses pas,

Chercher la gloire & le sort des combats.

Allons, dit-on, que le péril commence.

Nos cœurs vaillans brûlent d’impatience.

Non, dit Ursule, attendons que la nuit

Aux yeux du jour dérobe ce réduit.

Son voile heureux, ses ombres bienfaisantes

Nous cacherons [sic] aux vieilles surveillantes.

Sans craindre alors d’un pas plus affermi

Nous marcherons en troupe à l’ennemi.

Jusqu’à tantôt conservons le silence :

Que dans notre air rien n’annonce d’avance

Le grand débat qui doit troubler ces lieux :

Un coup fourré réussit toujours mieux.

Ainsi la sœur, des fleurs de rhétorique

Embellissant son discours politique,

Tint jusqu’au soir leur babil aux arrêts :

Miracle grand, s’il arriva jamais ?

 

 

(*) Leur Parloir est dédié à St Nicolas & à St Babil.

(*) Solideo, nom de la Coëffure du pape, c’est une espéce de Bonnet de nuit à oreilles. Les Italiens dévots disent qu’il n’y a que le Pape & Dieu le Pere qui aient le droit de le porter.

(*) Comme les paroles chés les Nonnes se précipient [sic] les unes sur les autres, j’ai tâché de me rapprocher de leur stile.

 

 

 

CHANT SECOND.

 

 

Réveil d’Ursule. Alarmes des vieilles Sœurs sur l’indisposition du P. Directeur. Histoire de l’Homme de Dieu. Complot des jeunes Sœurs pour enlever le Balai.

 

 

Lastre du jour, en ouvrant sa carriere,

Voyait déjà sœur Ursule en priere,

Le cœur ému, les yeux mouillés de pleurs,

Ainsi du ciel implorer les faveurs,

O vous, grand Saint, (*) défenseur de nos grilles,

Vous qui jadis mariâtes trois filles,

Qu’un pere avare inique & sans pudeur,

Voulait livrer au serpent séducteur ;

Hélas ! sans vous & sans votre opulence ;

Un sous-fermier eût bien payé d’avance,

Ce dont par fois on n’a que des extraits,

Ou pour tout fruit mille cuisants regrets.

Qu’un pucelage est entouré d’abymes !

Hélas ! grand Saint, sans vos soins magnanimes,

On aurait pris ce trésor mal scellé,

Dont tout un sexe a la fatale clé ;

Un seul instant suffit pour nous le prendre ;

Pris une fois, pourrait-on nous le rendre ?

Ainsi la sœur priait Dieu dans son lit,

Quand tout à coup on entendit du bruit.

A coups doublés l’on frappait à la porte.

Avec le jour, qui frappe de la sorte,

Dit sœur Ecoute ? il faut assurément

Qu’un feu subit ait pris au bâtiment.

Au mot de feu, la mere Jubilaire,

Croyant déja la flamme à son derriere,

D’un vieux poumon ranimant les efforts,

Et de sa voix les antiques ressorts,

Saute du lit, crie au feu comme un diable.

Tout le dortoir, à sa voix effroyable,

Transi de peur, se reveille en sursaut,

Vîte, à la hâte, on se sauve aussi-tôt.

L’une en fuyant défile un grand Rosaire ;

L’autre en morceaux brise un vieux saint Suaire ;

Sœur Thecle court en priant saint Kostka,

De conserver son sucre & son moka.

On laisse au feu dans ce moment terrible

Un Berruyer, le Scarron de la Bible,

Un sot Mainbourg, le menteur des Chrétiens,

Un Rodriguez & des Noëls anciens.

On laisse en proye aux flammes dévorantes

De cent bonbons les douceurs succulentes.

Dans ce danger la sœur Jeanne Luçon

Sentit tomber son large caleçon,

Antique étui, qui chez l’Anachorete

Garantissait des feux de la chaussette

Les environs & tous les pays-bas.

Par un malheur qui côtoyait ses pas,

Voulant lever ses canons incommodes,

Son cul à nud chaussa les antipodes.

Tandis qu’en troupe on fuyait du dortoir,

Sœur Jeudi-Saint de retour au parloir,

Leur dit : Mes sœurs, où courez-vous aux armes ?

Le feu n’est point l’objet de nos alarmes :

Un deuil profond va regner dans ces lieux ;

Pleurons d’avance un veuvage ennuyeux.

L’objet chrétien de nos oisives flammes,

Le grand Docteur qui dirige nos ames,

D’un rhume affreux cette nuit a toussé ;

S’il tousse encor, le bon homme est troussé.

Mon bon Jesus ! notre Dame de joye !

Dit sœur Cécile, arrachez cette proye

Des Médecins ; car ils ont d’Atropos

Certains talents, avec certains ciseaux.

Avant d’ouir les sensibles complaintes,

Et les douleurs dont nos sœurs sont atteintes,

Muse, dis-nous quel fut ce Directeur,

Docte, savant, & cher à plus d’un cœur ?

L’homme de Dieu dans ce réduit tranquille

Dévôtement faisait de très-bon chyle.

Sa ménagere, un vieux chat, un vieux chien,

Tous trois rivaux composaient tout son bien.

Là chaque jour, des plus antiques filles

Il écoutait les vieilles peccadilles.

A son début il fit, pour coup d’essai,

Changer, dit-on, le manche du Balai ;

Car le bon pere un peu trop Janséniste,

Et du plaisir sévere Antagoniste,

De rond jadis le fit faire quarré.

Car manche rond, disait le bon Curé,

Des saintes sœurs eût flétri l’innocence ;

Et par le tact, dame concupiscence,

Qui sur un rien s’aiguise l’appétit,

Eût soulevé la chair contre l’esprit.

L’esprit des sots, l’aveugle calomnie

A répandu quelques traits sur sa vie,

Qui font penser qu’avec l’amour divin,

Son cœur profane aimait trop le prochain.

Certains papiers disent que le bon homme,

Fit tout exprès certain voyage à Rome,

Ville chrétienne, au désordre propice,

Où l’étendart de la croix & du vice,

A réuni depuis plus de mille ans,

Des Monsignors, des moines fainéans,

Et pour de l’or les enfans de la Bible,

C’est dans ce lieu qu’un Pontife infaillible,

Le crâne orné d’un vieux Solideo, (*)

Pour de l’argent lui vendit l’absolvo.

Ce cas verreux touchait un peu sa niece,

Qui certain jour (qu’une ame a de faiblesse !)

Se laissa cheoir lourdement sur un point,

Et de la chûte orna son embonpoint.

Que voulez-vous ? jeune fille est fragile,

L’esprit est prompt, & la chair trop docile

Se laisse aller au jeu du tendre amour :

Et puis après, d’un quart où deux trop court,

Le cotillon, trahissant le mistere,

Porte l’alarme au sein du presbitere,

Et le remplit de l’odeur du péché.

L’oncle pourtant n’était point débauché.

Il avait fait, jadis dans sa jeunesse,

Ces petits tours que l’humaine faiblesse

Fait sans trembler, tous les jours, sous les yeux

D’un Dieu charmant, vainqueur des autres Dieux.

Aussi par fois mettait-il sous la presse

Certain objet, moins chaste que Lucrece,

Par là, plus propre à la conception.

Enfin, pour Dieu, soit par distraction,

On dit qu’il fit, cela sans eau bénite,

Du même coup un clerc, un acolyte.

Ce soin chrétien était bien dans ce lieu :

Il faut pourvoir la maison du bon Dieu

Avant la sienne ; & puis, quand on est sage,

On songe en paix aux besoins du ménage.

Pas n’y manqua, car l’homme était prudent.

Or, faisant droit à son besoin pressant,

D’un tourne-broche il meubla sa cuisine.

Que voulez-vous ? la servante Claudine

Avait tenté le serviteur de Dieu :

Deux yeux fripons, un minois tout en feu,

Sont suffisans pour éteindre la glace

De la sagesse, & puis d’ailleurs la grace

N’est point toujours à côtoyer nos pas ;

Et dans ce monde enfin n’avons nous pas

Chacun un cœur & chacun nos faiblesses,

Chacun un diable, ou chacun nos maîtresses ?

L’âge bientôt, plus puissant que le Ciel,

Avait touché ce pénitent mortel.

Les cheveux blancs, qui font germer la grace,

Ces jours heureux où sa pointe efficace

Sur tous les cœurs agit avec succès,

Et fait mûrir nos stériles regrèts,

Avaient, dit-on, converti le saint homme,

Tout aussi saint, que bien des saints à Rome.

Il gémissait, il lavait de ses pleurs,

Des courts plaisirs les volages faveurs.

Son bon exemple, & sa dévôte mine,

Avaient touché la suivante Claudine,

Qui loin du monde, & plus près des amours,

A cinquante ans alla fixer ses jours

Près du verger d’un hermite profane,

Qui sous ses pas lui découvrit la manne

Cachée aux yeux des profanes mondains :

Cet heureux fruit, de prodiges divins

Avait meublé sa terrestre cervelle.

Ce cœur contrit, cette vierge nouvelle

Reçut des cieux une insigne faveur :

Dieux députa son ange tentateur

Pour éprouver un peu sa continence.

Le ciel souvent fait cette expérience,

Et par le Diable, il éprouve ses saints.

Hélas ! pour nous, misérables mondains,

Le Ciel est dur, & sa bonté nous laisse

Sans tentateur nous damner à notre aise.

Ainsi sans diable, aux graces de Baron,

On vit pécher l’adorable Ninon.

Toujours en proye à la tristesse amere,

Nos tendres sœurs, sur l’accident du pere

Poussaient au Ciel de lamentables cris,

Et tour à tour faisaient ces pots-pourris. (*)

Hélas ! dit l’une, ô que la race humaine

A de malheurs ! les soucis & la peine

Vont avec elle, & menent pas à pas

Chaque mortel aux portes du trépas.

O triste vie ! ô songe peu durable !

Vos maux sont purs, & le plaisir aimable

Est bien mêlé d’amertume & de fiel.

O jours trop courts ! faible présent du Ciel !

Vous n’êtes beaux qu’au printemps de la vie,

Dans ces momens où la douce folie

Du tendre amour, enchaîne, avec nos cœurs,

Nos sens captifs dans ces liens de fleurs.

Hélas ! dit l’autre, on marche sur la terre

Tout garroté de sa triste misere.

La faulx du temps moissonne à nos côtés

Les plus beaux jours, les plus fortes santés.

De tous les maux ce monde est l’assemblage ;

Dieu faisant l’homme, ou plutôt son image,

Ne fit au fond qu’un rien organisé.

Ah ! que la vie est un temps mal aisé !

S’il est par fois sujet aux morts subites,

Dit sœur Suson, appréhendons les suites.

L’autre disait : Ah ! son lit fut mal fait ;

La couverture ainsi que le chevet,

Auront sorti peut-être de leur place ;

Le vent coulis, ce vent plus froid que glace,

Aura glissé sous les draps doucement,

Et du bon pere aura subitement

Gêlé les pieds, le poumon, ou la bile.

Sa ménagere est donc bien mal habile,

Répond sœur Thecle ; & comment sans horreur,

Fait-elle ainsi le lit du directeur !

Il a, dit l’autre, une douceur charmante ;

Mais sa bonté gâte sa gouvernante :

Elle est chez lui tout le long d’un saint jour,

A toujours dire & du contre, & du pour,

Les bras croisés, & le bec aux corneilles,

Croit faire ici des monts & des merveilles.

Madame à tout veut mettre son caquet ;

Comment un lit peut-il être bien fait ?

Elle a pourtant demeuré chez des moines,

Dès sa jeunesse a servi trois chanoines.

Chez tout ce monde on doit avoir appris

A remuer, à bien fouler des lits.

Grand saint Bernard !... disait sœur Angélique,

Le Révérend a souvent la colique :

Ce mal affreux l’incommode très-fort ;

S’il n’en guérit, notre bon pere est mort.

Vîte au plutôt appellons la tourriere,

Envoyons-lui du jus de capillaire,

Du chocolat, des massepains exquis,

De la gêlée & des citrons confits.

D’album Græcum donnons lui quelque prise :

Ce simple est bon pour le rhume d’église.

Tandis qu’en proye aux plus vives douleurs,

La vieille cour répandait mille pleurs ;

Dans le dortoir les plus jeunes professes,

L’esprit rempli de saintes gentillesses,

Sur leurs regrets aiguisaient leurs bons mots.

Et dans les jeux de cent riants propos,

Faisaient briller, avec la médisance,

Le zele ardent d’une prompte vengeance.

Ce fut alors, qu’Ursule avec succès

Prit le moment d’annoncer ses secrets.

Quoi donc, mes sœurs, verrons-nous en silence,

Le vieux sénat, enflé de sa puissance,

Nous captiver sous ses antiques Loix ?

Sur la raison les ans ont-ils des droits ?

Est-ce au couchant à diriger l’Aurore ?

L’hyver jamais l’emporta-t-il sur Flore ?

Allons, mes sœurs : que chacune de nous

Fasse en ce jour éclater son courroux !

Livrons la guerre aux vieilles vénérables ;

Courons ôter de leurs mains méprisables,

Le vil objet de leur indigne soin.

Que le ramon, relégué dans un coin,

Signale ici notre éclatante gloire.

Contre l’usage appellons la victoire ;

Le Ciel propice aux charmes de nos ans,

Couronnera nos efforts triomphans.

Déjà pour nous la bonté se déclare :

Entre mes mains voyez ce gage rare

Qu’un Loyola m’a remis cette nuit.

Ce reliquaire où le destin peignit

Avec l’amour, les plaisirs de Cythere.

Voyez, mes sœurs, l’amoureuse Cadiere

Entre ses bras serrer son cher amant :

Voyez couler les pleurs du sentiment.

Girard expire au doux sein de l’yvresse :

De cent baisers il rougit sa maîtresse.

Le sot remords n’étouffe point ses feux :

Ce ver rongeur, dans ses momens heureux,

Laisse au plaisir le triomphe & la gloire.

Allons, mes sœurs, courons à la Victoire.

Tout nous promet les plus heureux destins,

Et les lauriers n’attendent que nos mains.

A ce discours de la nonne éloquente,

On vit bientôt la jeunesse bouillante,

Brûlant d’ardeur de courir sur ses pas,

Chercher la gloire & le sort des combats.

Allons, dit-on, que le péril commence ;

Nos cœurs vaillans brûlent d’impatience.

Non, dit Ursule, attendons que la nuit

Aux yeux du jour dérobe ce réduit.

Son voile heureux, ses ombres bienfaisantes

Nous cacheront aux vieilles surveillantes.

Sans craindre alors, d’un pas plus affermi

Nous marcherons en troupe à l’ennemi.

Jusqu’à tantôt conservons le silence :

Que dans notre air rien n’annonce d’avance

Le grand débat qui doit troubler ces lieux :

Un coup fourré réussit toujours mieux.

Ainsi la sœur, de fleurs de rhétorique

Embellissant son discours politique,

Tint jusqu’au soir leur babil aux arrêts :

Miracle grand, s’il arriva jamais !

 

 

(§) Leur Parloir est dédié à Saint Nicolas & à Saint Babil.

(α) Solideo, nom de la coëffure du Pape ; c’est une espece de bonnet de nuit à oreilles. Les Italiens dévôts disent qu’il n’y a que le Pape & Dieu le Pere qui aient le droit de le porter.

(§) Comme les paroles chez les nonnes se précipitent les unes sur les autres, j’ai tâché de me rapprocher de leur style.

 

 

 

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CHANT TROISIÈME

 

 

CHANT TROISIEME.

 

 

L’Alégresse va trouver l’Amour. Le Dieu va trouver un chat aux Jacobins. Terreur des Nonnes : le Balai est enlevé.

 

 

La sombre nuit, le sommeil, & les songes,

Heureux présens du Ciel & des mensonges,

Versaient déja, sur ce vaste univers,

Tous les bienfaits de leurs êtres divers.

Là dans les bras, de leurs douces compagnes,

Le forgeron, l’habitant des campagnes,

Sur un châlit, trône des cœurs heureux,

Seuls jouissaient d’un sommeil fait pour eux.

Un songe ami, miroir pur de leur ame,

Leur assurait cette éternelle flamme

Dont chaque époux ferait sa joie encor,

Si vous regniés, candeur de l’age d’or.

Ce fut ce tems cher au Dieu du silence,

Qu’on vit dans Sin, la coupable vangeance,

Au sombre éclat d’un sinistre flambeau

Créer dans l’ombre un jour pâle & nouveau.

Ce feu guidait cette troupe invincible

Vers le chapitre, où le Balai paisible,

Du vieux Divan saintement appuié,

Goutait en paix un honneur envié :

Tel à Colchos, la fable nous présente

Du Roi Phrixus la Toison triomphante,

Qu’un vieux Dragon, portrait des vieilles sœurs,

Gardait jadis des pieges des vainqueurs.

Tandis qu’ainsi l’héroïque cohorte,

Va du chapitre environner la porte ;

Muse, dis-nous comment le Dieu des cœurs

Vint dans ces lieux intimider nos sœurs.

Depuis trois mois la riante Alégresse,

L’ame livrée à la sombre tristesse,

Voiait dans Sin les plaisirs isolés,

Les jeux captifs, & les ris exilés.

Quoi, disait-elle en répandant des larmes,

Pour ces beaux lieux n’aurai-je plus de charmes ?

Déja les fronts, ces images des cœurs,

N’ont plus l’éclat de mes vives couleurs ;

Des doux plaisirs, ne suis-je plus la mere ?

Quoi, le dépit, l’envie & la colere,

Me chasseront de ce riant séjour ?

Pour nous vanger, appellons y l’Amour.

Disant ces mots elle vole à Cythere.

Là dans les bras des jeux & de sa mere,

L’enfant malin respirait les douceurs

De ce repos dont il prive nos cœurs.

L’Alégresse entre en ce Palais terrible,

Où l’enfant Dieu par un charme invincible

Tient dans ses mains les ames des mortels ;

Là chaque jour aux pieds de ses autels

Epris des feux que la Beauté fait naître,

Tous les amans viennent chanter leur maître ;

Là l’Espagnol, né constant & jaloux,

Au feu des cœurs allume son courroux ;

Là le Français, léger comme sa flamme,

Des feux d’un jour court embellir son ame :

Le Musulman, seul paisible en ce lieu,

Baîlle & s’endort dans le sein de ce Dieu.

L’Amour de loin voit venir l’Alégresse.

Sa lente marche annonçait sa tristesse ;

D’humides pleurs, découlaient de ces yeux ;

Un noir cyprès, couronnait ses cheveux.

Au sombre deuil répandu sur ses charmes,

L’Amour soupire & sent couler ses larmes.

Que vois-je, hélas ! dit-il en gémisant [sic] ?

Qu’est devenu cet éclat séduisant,

Dont autrefois vous ornâtes les Graces,

Ma sœur ? Des Dieux, auriés vous les disgraces,

Vos doux plaisirs vainqueurs de nos douleurs,

Dont les regards embellisaient [sic] les cœurs,

Ne sont-ils plus les délices du monde ?

N’êtes vous plus cette source féconde

De ces doux jeux, de ces rians desirs,

Enfans heureux de vos tendres plaisirs ?

Ce tems n’est plus, répondit l’Alégresse,

Où des mortels souveraine maitresse,

Ma flamme heureuse allumait les transports,

Où mes plaisirs, inconnus des remords,

Portaient ces fruits que l’aimable innocence,

A ses enfans donnait pour récompense.

Ces fruits encor muriraient dans les cœurs,

Si le dépit n’en fanait point les fleurs.

Ce monstre né des pleurs de la vangeance,

Triste ennemi, jaloux de ma puissance,

Dans ses liens veut tenir les mortels ;

Déja partout il sappe mes autels ;

Déja dans Sin, je vois que sur mon trône,

Sa main flétrie honteusement couronne

Le fier orgueil fils de l’entêtement,

Dont la douleur est le seul élément.

Si par mes soins j’étendis votre empire,

Si mes plaisirs & les jeux que j’inspire,

Ont illustré votre nom dans les cieux,

Et si mes fleurs sont les sceptres des Dieux,

Volés à Sin, faites fuir la tristesse.

Que sans regret la brillante jeunesse

Jouïsse encor de ces tendres douceurs,

Dont mes bienfaits avaient comblé les cœurs.

L’Amour sourit, & dit à la Déesse,

Calmés ma sœur, la douleur qui vous presse ;

De votre front arrachés ces ciprès.

Je cours à Sin vanger vos intérêts.

Tout dans ce lieu reconnaît mon empire ;

D’un feu muet plus d’un cœur y soupire ;

L’adroit mistere y cache avec des fleurs,

Les tendres nœuds de mes liens vainqueurs.

Disant ces mots, de ses ailes brillantes

Il fend des cieux les voutes éclatantes,

Bientôt suivi des jeux vifs & badins,

Vole à Douai, descend aux Jacobins.

Là dans les bras de l’heureuse ignorance,

De l’embonpoint & de la nonchalance,

Vivait alors le plus beau des matoux.

Là sans jamais hurler avec les loups,

Le saint reclus, constant célibataire,

Comptait pour rien les plaisirs de la terre.

Jamais Robin n’avait, en tapinois,

Croqué des yeux le moindre des minois ;

Jamais n’avait d’une ardeur pétulante

Fanné les fleurs d’une Beauté naissante ;

Chaste toujours & toujours continent ;

Quel Jacobin en pouvait dire autant ?

Le tendre amour qui cherche à le surprendre,

Sous un faux nom près de lui vient se rendre ;

Du frere George il prend la grêle voix

La taille épaise [sic] & le défunt minois.

Un vieux bonnet de couleur de grain d’orge,

Dont autrefois l’insolent frere George, [abs. : (§)]

Parait son chef, aux grands jours, qu’au lutrin

Le Pere Jean mutilait le Latin,

Du fils de Mars ornait la chevelure.

Un tablier d’un vieux chiffon de bure,

De six vingt trois percé dans son contour,

Montrait du Dieu la place & le Fauxbourg.

A ce haillon pendait une écumoire,

Deux grands couteaux, une énorme lardoîre.

Ainsi l’Amour s’avança vers Robin.

Bon jour l’ami, lui dit l’enfant malin,

A-t-on toujours son pesant pucelage ?

O siecle ! ô mœurs ! il devrait à votre âge

Déja courrir & les monts & les champs.

Que faites-vous de cela si longtems ?

Quoi ! voulés vous que votre cœur moisisse ?

Joués vous-donc à gagner la jaunisse ?

Il faut, l’ami, faire valoir son bien ;

La chasteté ne produit jamais rien.

Vivés d’exemple, imités vos confreres.

Si comme vous, ces dévots solitaires

N’avaient jamais triché sur ce grand point,

Quel superflus de sang & d’embonpoint !

On n’est point sot, on chérit l’existance,

Et puis, Robin, sans la concupiscence,

La vie à l’homme est-elle un grand bonheur ?

Comment porter le fardeau de son cœur ?

Comment remplir les vuides de la vie

Et tenir tête aux desirs de l’envie ?

Si le devoir, tiran de nos plaisirs,

Défend au cœur d’écouter ses desirs,

A ses leçons opposés la nature.

Contre elle envain qu’il tonne ou qu’il murmure,

Elle a sur lui l’antiquité des droits,

Et nos desirs sont nos premieres loix.

Les Dieux ont fait & les chats & les hommes ;

Pouvons-nous être autrement que nous sommes ?

En chat d’esprit révérés leurs desseins,

Nos passions sont l’œuvre de leurs mains.

Si de leur cœur notre cœur est l’image,

Comme eux, Robin, il faut en faire usage.

L’être & l’amour sont leurs plus grands bienfaits :

Pourquoi gémir des biens qu’ils nous ont faits ?

Des cerveaux plats, trente grosses machoires,

Pour nous instruire ont fait cent vieux grimoires.

Qu’ont ils gagné ? Qu’ont produit leurs leçons ?

Sur nos écrans, l’on plaça leurs chansons.

Ces bonnes gens, hérissés d’ignorance,

Voulaient de l’homme éléver l’existance.

Si leur systême eût pris chés vos matous

Les chats peut-être aussi faibles que nous,

Se repaissant d’une idée aussi creuse,

Auraient rempli la Trappe & la Chartreuse ;

Mais votre instinct, plus fort que la raison,

Vous garantit de la tentation.

Par là les Dieux garderent leur ouvrage,

Du projet fou d’être austérement sage.

La volupté qui trompait Ixion,

Qui couronna l’heureux Endimion,

Du sein des Dieux fait briller sa lumiere.

Son feu vainqueur vous montre la carriere

De ces beaux jours, de cet heureux printems,

Que flore ici ramene tous les ans.

Si des mortels le printems est l’image,

Ainsi que lui, le mortel n’a qu’un âge,

Les vents bientôt dessécheront les fleurs :

Les ans bientôt dessécheront les cœurs.

Du jour qui fuit, & du tems qui s’avance,

Par les plaisirs arrêtons l’inconstance ;

Ou s’il faut perdre au moins de si beaux jours,

Qu’ils saient [sic] perdus dans les bras des amours.

Non loin d’ici, dans une austere grille,

Depuis six mois une chatte gentille

Porte à regret un joiau que l’honneur

A mis à prix plus haut que sa valeur.

Malgré les soins de vingt chastes Nonettes

L’attention de cinq à six discrettes,

Son jeune cœur lassé de la vertu,

Voudrait goûter certain fruit défendu ;

Non point celui qui tenta jadis l’homme,

Le beau ragoût de croquer une pomme !

Minette eut un morceau plus friand,

Plus homogene & moins propre à la dent.

Déja ses cris vous ont fait les avances,

Bientôt son cœur, avec les dépendances,

Sera le prix de vos amoureux soins.

Courés, mon cher, soulager ses besoins,

Des romanciers laissés le vieux langage,

Prenés le ton, moulés vous sur l’usage,

Que le bel air vient d’amener chés nous.

L’amour parfait, ce partage des foux,

Ne touche plus la chatte & la vestale.

Laissés filer Hercule aux pieds d’Omphale.

De si longs soins ne font que prolonger

L’ennui du cœur, & l’heure du berger.

L’heureux Robin sent bientôt dans son ame,

Ces traits vainqueurs, cette immortelle flamme,

Qui, des mortels adoucissant le sort

Remplit chés eux les vuides de la mort.

Partons, dit-il au Dieu de la tendresse ;

Laissons les sots moisir dans la sagesse,

Guidés mes pas, éclairés mon dessein.

Disant ces mots, le chat arrive à Sin,

Il grimpe, il saute & bientôt par la vitre,

Avec l’Amour, Robin entre au chapitre.

Depuis une heure en ce paisible lieu

La jeune chatte entre les bras du Dieu,

Qui fait fleurir le teint brillant des moines,

Le vermillon, l’embonpoint des chanoines ;

Tranquillement jouissait sans remords,

Du doux plaisir, des sensibles transports

Qu’un songe heureux permettait à son ame.

Au bruit du chat, ou plutôt à la flamme

Du feu vainqueur qui fait pâlir le jour,

Qu’offre à ses yeux le redoutable Amour,

Elle s’éveille, & son ame confuse

Croit au moment, qu’un vain songe l’abuse,

Que le matou dont les airs gracieux,

Charment ses sens, éblouissent ses yeux,

Sont de ces jeux que le sommeil fait naître,

Ou de ces riens que l’auteur de notre être

Mêle à nos maux, pour soulager nos cœurs

Des noirs chagrins & des soucis rongeurs.

Déja Robin qu’un tendre feu dévore,

Parle d’amour à l’objet qu’il adore ;

Et sans noier son cœur dans ses récits,

Je viens, dit-il, appelé par vos cris,

Offrir, Minette, au mal qui vous consume

Certain remede hétérogene au rhume,

Que sagement les Dieux ont fait, je crois,

Pour nous guérir tous les deux à la fois.

Au médécin confiés vos stigmates ;

Un chat de moine est la perdrix des chattes.

Dame, avec eux on va toujours bon train,

Gens reposés font bien mieux leur chemin.

Ainsi Robin faisait parler sa flamme,

Ses yeux rendaient les transports de son ame.

Ah ! que l’amour exprime nos besoins :

Abandonnons notre cœur à ses soins :

L’art a toujours gâté son éloquence.

Robin pressé par la concupiscence,

Dit à Minette : Avançons le moment,

Et par la queue entamons le Roman.

De longs amours font périr la tendresse,

De longs propos font périr de tristesse.

Laissés la forme aux Lucreces du jour.

Feu Céladon, ce flambeau de l’amour,

Dont le goût fade & les tristes lumieres,

Aux Ostrogots, aux matoux nos grands-peres

Servant de phare, éclairaient autrefois

Leurs cœurs épais & leur vieux feu gaulois,

N’est plus le Dieu que notre siecle adore.

Si l’on gémit, si l’on soupire encore,

C’est dans le sein des séduisans plaisirs,

Qu’un tendre cœur exhale des soupirs.

Le cœur ému, notre chatte-Lucrece

Sent dans son ame expirer la sagesse.

Son front serein, siege de la pudeur,

Ne rougit plus que d’un feu suborneur ;

L’adroit matou qui prévoit sa défaite,

D’un œil malin contemplant sa conquête,

Par les cheveux empoignant le hazard,

Touche à l’instant flatteur du cauchemart ;

Quand tout à coup il vit entrer les Nonnes :

Amour, dit-il, du fer des Amazonnes

Garantissés la perle des matoux.

Des saintes sœurs je connais le courroux ;

Prenés le soin de ma race future ;

Je crains ici certaine découpure,

Qui, pour nommer modestement l’endroit,

Se fait sur l’homme ailleurs qu’au bout du doigt.

A ce danger ranimant sa vaillance,

Vers l’ennemi l’amoureux chat avance :

Son air guerrier, ses yeux étincelans

Sa griffe en l’air, ses Fu Fu menaçans,

Firent trembler cette troupe guerriere.

Mon doux Jesus ! s’écria Dame Hilaire,

Que vois-je ici ! quels spectres sont cachés !

C’est le démon & ses traits tout crachés.

A ce gros mot, les Nonnes se dispersent,

Poussent des cris, se heurtent, se renversent.

Envain Ursule, incapable d’effroi,

Ferme, tranquille & maitresse de soi,

Veut ranimer cette troupe tremblante ;

Du spectre affreux l’horreur & l’épouvante,

Ont consterné les cœurs & les esprits.

On n’entend plus, que ces horribles cris :

Ciel, quelle griffe ! o Dieux ! qu’elle est horrible !

Que le démon est un monstre terrible ?

Où nous sauver ! où courir ! hélas où !

Mon doux Jesus ! il nous tordra le cou !

O quel danger ! sauvons nous au plus vîte,

On vole en troupe, on court à l’eau bénite.

Où fuiés vous ? Jour de Dieu ! quelle erreur !

Mes sœurs, cette eau ne guérit point la peur,

Que n’avés vous plutôt dans ces allarmes,

Du beaume humain, ou bien de l’eau des carmes ?

Cela, dit-on, ressuscite les cœurs,

Et rend au teint ses premieres couleurs.

Tandis qu’ainsi le Bataillon timide

Battait aux champs, le valeureux Alcide,

Le chat vainqueur des sœurs & de l’amour,

Dans les plaisirs à qui tout doit le jour,

Goutait en paix le seul agrément d’être,

Et le moment où le cœur voit rénaitre

Ces grands désirs trop nombreux pour nos sens.

Sa jeune amante en ces instans pressans,

Voyant de loin revenir la cohorte,

Lui dit : Robin, vîte prenés la porte.

N’exposés point aux dangers du hazard,

Le doux bijou que perdit Abailard.

Ce rien suffit, pour ternir votre gloire,

Méfiés vous des jeux de la victoire.

En chat d’esprit rétirés de ce lieu,

Adroitement votre épingle du jeu.

La nuit prochaine, au fond de la goutiere,

Loin de nos sœurs, plus loin de la Touriere,

Tranquillement nous pourrons de nos feux

Gouter en paix nos transports amoureux,

Allés, partés, & fuiés au plus vîte.

L’heureux matou prend aussitôt la fuite.

Déja Robin, avait sans dire adieu

Subitement abandonné ce lieu.

Ursule alors, ranimant son courage,

D’un front ridé, d’un œil brûlant de rage,

Court à ses sœurs, & leur dit en courroux :

Revenés donc : lâches, où courés vous ?

D’un faible chat l’impuissante grimace,

A donc glacé cette guerriere audace,

Dont vous faisiés tantôt un si grand bruit ?

La honte, hélas ! sera donc tout le fruit

Des grands succès promis à notre gloire ;

Et nous verrons sur le champs de victoire

Nos ennemis, gonflés de leur grandeur,

Nous insulter, sourire à notre peur ?

Quoi ! c’est un chat, s’écria sœur Florence ?

Dans le chapitre, ô ciel ! en conscience

Pouvait il bien corrompre un jeune cœur.

Ah ! notre chate a perdu son honneur.

Grand Saint Mathieu ! dit la sœur Rosalie,

Quel garnement & quelle ignominie !

Pere éternel ! Seigneur ! les Jacobins,

Ont-ils chés eux des chats si libertins ?

Mon doux Jesus ! dit une sœur converse,

De plus en plus le monde se renverse.

L’un sur le dos, l’autre bien autrement,

Hélas ! tout va, le bon Dieu sait comment.

Ame du monde, amoureuse folie,

Que vous jettés d’agrémens sur la vie !

Le noir courroux, cette fievre des cœurs,

Dont l’Iliade exprime les fureurs,

Aux cris d’Ursule, à sa voix intrépide,

Dans les esprits portant son feu rapide,

On vit bientôt la troupe avec ardeur

Bravant les chats, le démon, & la peur,

Dans le chapitre entrer avec audace.

Tel autrefois le vainqueur de la Thrace,

Bravant Cerbere, intimidant Pluton,

Seul menaça les Dieux du Phlégéton.

Telle on a vu, telle on ouit Ursule,

Dans les accès d’un courroux ridicule

D’une voix mâle articulant ces mots,

Faire au Balai ces risibles propos.

” Fier monument de nos fureurs durables,

” Toi qu’en ces lieux, les vieilles vénérables

” Ont malgré nous placé depuis longtems,

” Pour insulter au printems de nos ans ;

” Sois aujourd’hui l’infaillible présage,

” Du noir courroux, du foudroïant orage,

” Qui doit demain éclater en ces lieux ;

” Va loin de nous sur quelque bord honteux,

” Honni, flétri, montrer que la vangeance

” A des attraits pour les cœurs qu’on offense.

Disant ces mots, elle empaume soudain,

Le vieux Balai d’une intrepide main :

Un bruit confus, mille cris de victoire

Remplissent l’air de sa brillante gloire.

Tel dans la Grece on vit jadis les rats,

Devant les Dieux, décidant leurs débats,

De leurs clameurs ébranler les montagnes.

D’un air guerrier Ursule & ses compagnes

Dans le jardin entrerent avec bruit.

L’Astre inconstant qui regne sur la nuit,

Au pâle éclat de sa triste lumiere

Conduit la troupe auprès d’une riviere.

Là sœur Ursule, en grande émotion

Dans l’eau soudain jette l’affreux ramon.

Va, lui dit-elle, errer au gré de l’onde.

Si le hazard te fait courrir le monde,

Sois sans repos, comme le Juif errant !

Sois le jouet de la foudre & du vent

Et que l’Enfer soit ton dernier rivage !

Antiques sœurs, que cet affront outrage,

Vous ignorés le destin du Balai.

Hélas, Grand Dieu ! tandis qu’un songe gai

Retrace encor sur les fibres tremblantes

De vos cerveaux, les images parlantes

Des doux plaisirs, dont vos sensibles cœurs

Ont autrefois épuisé les douceurs ;

Hélas ! tandis que ce sommeil barbare

Fils de la nuit & du sombre Ténare,

Fait reposer vos vieux individus

Entre les draps que Bertoul (*) a tissus ;

Vos jeunes sœurs, ces pétulantes filles,

Que les amours escortent à vos grilles,

Dans le chapitre, ont fait un coup affreux,

Qui doit demain, arracher de vos yeux

Des pleurs amers, & sur vos tristes mines,

Sur vos vieux fronts, tout hérissés d’épines,

Tracer en noir le chagrin dévorant,

L’affreuse haine, & le dépit sanglant.

Ah ! vous dormés...... vous ignorés encore...

Arrête, Muse !......... attendant que l’Aurore

Ait sur les fleurs répandus ses parfums,

Laissons en paix reposer les défunts.

 

 

(§) Le frere George marmiton des P.P. Jacobins, fut attaqué d’une sécheresse dans les Amygdales : il les humectait tous les matins avec une chopine d’eau-de vie. Il mourut dans l’opération.

(*) Fameux Tisseran qui fait les guenillons des Nonnes.

 

 

 

CHANT TROISIEME.

 

 

L’Allégresse va trouver l’Amour. Le Dieu va trouver un chat aux Jacobins. Terreur des Nonnes : le Balai est enlevé.

 

 

La sombre nuit, le sommeil, & les songes,

Heureux présens du Ciel & des mensonges,

Versaient déjà, sur ce vaste univers,

Tous les bienfaits de leurs êtres divers.

Là, dans les bras de leurs douces compagnes,

Le forgeron, l’habitant des campagnes,

Sur un châlit, trône des cœurs heureux,

Seuls jouissaient d’un sommeil fait pour eux.

Un songe ami, miroir pur de leur ame,

Leur assurait cette éternelle flamme

Dont chaque époux ferait sa joie encor,

Si vous régniez, candeur de l’âge d’or.

Ce fut ce temps cher au Dieu du silence,

Qu’on vit dans Sin, la coupable vengeance,

Au sombre éclat d’un sinistre flambeau

Créer dans l’ombre un jour pâle & nouveau.

Ce feu guidait cette troupe invincible

Vers le chapitre, où le Balai paisible,

Du vieux Divan saintement appuyé,

Goûtait en paix un honneur envié :

Tel à Colchos, la fable nous présente

Du Roi Phryxus la Toison triomphante,

Qu’un vieux dragon, portrait des vieilles sœurs,

Gardait jadis des pieges des vainqueurs.

Tandis qu’ainsi l’héroïque cohorte,

Va du Chapitre environner la porte ;

Muse, dis-nous comment le Dieu des cœurs

Vint dans ces lieux intimider nos sœurs.

Depuis trois mois la riante allégresse,

L’ame livrée à la sombre tristesse,

Voyait dans Sin les plaisirs isolés,

Les jeux captifs, & les ris exilés.

Quoi, disait-elle en répandant des larmes,

Pour ces beaux lieux n’aurai-je plus de charmes ?

Déjà les fronts, ces images des cœurs,

N’ont plus l’éclat de mes vives couleurs ;

Des doux plaisirs, ne suis-je plus la mere ?

Quoi, le dépit, l’envie & la colere,

Me chasseront de ce riant séjour ?

Pour nous venger, appellons-y l’amour.

Disant ces mots, elle vole à Cythere.

Là dans les bras des jeux & de sa mere,

L’enfant malin respirait les douceurs

De ce repos dont il prive nos cœurs.

L’Allégresse entre en ce Palais terrible,

Où l’enfant Dieu par un charme invincible

Tient dans ses mains les ames des mortels ;

Là chaque jour aux pieds de ses autels,

Epris des feux que la beauté fait naître,

Tous les amans viennent chanter leur maître ;

Là l’Espagnol, né constant & jaloux,

Au feu des cœurs allume son courroux ;

Là le Français, léger comme sa flamme,

Des feux d’un jour court embellir son ame :

Le Musulman, seul paisible en ce lieu,

Bâille & s’endort dans le sein de ce Dieu.

L’amour de loin voit venir l’allégresse.

Sa lente marche annonçait sa tristesse ;

D’humides pleurs découlaient de ses yeux ;

Un noir cyprès couronnaient [sic] ses cheveux.

Au sombre deuil répandu sur ses charmes,

L’amour soupire & sent couler ses larmes.

Que vois-je, hélas ! dit-il en gémissant ?

Qu’est devenu cet éclat séduisant,

Dont autrefois vous ornâtes les graces ?

Ma sœur, des Dieux auriez-vous les disgraces ?

Vos doux plaisirs vainqueurs de nos douleurs,

Dont les regards embellissaient les cœurs,

Ne sont-ils plus les délices du monde ?

N’êtes-vous plus cette source féconde

De ces doux jeux, de ces riants desirs,

Enfants heureux de vos tendres plaisirs ?

Ce temps n’est plus, répondit l’allégresse,

Où des mortels souveraine maîtresse,

Ma flamme heureuse allumait les transports ;

Où mes plaisirs, inconnus des remords,

Portaient ces fruits que l’aimable innocence

A ses enfans donnait pour récompense.

Ces fruits encor mûriraient dans les cœurs,

Si le dépit n’en fannait point les fleurs.

Ce monstre né des pleurs de la vengeance,

Triste ennemi, jaloux de ma puissance,

Dans ses liens veut tenir les mortels ;

Déjà partout il sappe mes autels ;

Déjà dans Sin, je vois que sur mon trône,

Sa main flétrie honteusement couronne

Le fier orgueil fils de l’entêtement,

Dont la douleur est le seul élément.

Si par mes soins j’étendis votre empire,

Si mes plaisirs & les jeux que j’inspire,

Ont illustré votre nom dans les cieux,

Et si mes fleurs sont les sceptres des Dieux,

Volez à Sin, faites fuir la tristesse.

Que sans regret la brillante jeunesse               

Jouisse encor de ces tendres douceurs,

Dont mes bienfaits avaient comblé les cœurs.

L’amour sourit, & dit à la Déesse :

Calmez, ma sœur, la douleur qui vous presse ;

De votre front arrachez ces cyprès.

Je cours à Sin venger vos intérêts.

Tout dans ce lieu reconnaît mon empire ;       

D’un feu muet plus d’un cœur y soupire ;

L’adroit mystere y cache avec des fleurs,

Les tendres nœuds de mes liens vainqueurs.

Disant ces mots, de ses aîles brillantes

Il fend des cieux les voûtes éclatantes ;

Bientôt suivi des jeux vifs & badins,

Vole à Douai, descend aux Jacobins.

Là dans les bras de l’heureuse ignorance,

De l’embonpoint & de la nonchalance,

Vivait alors le plus beau des matoux.

Là sans jamais hurler avec les loups,

Le saint reclus, constant célibataire,

Comptait pour rien les plaisirs de la terre.

Jamais Robin n’avait en tapinois,

Croqué des yeux le moindre des minois ;

Jamais n’avait d’une ardeur pétulante

Fanné les fleurs d’une beauté naissante ;

Chaste toujours & toujours continent :

Quel Jacobin en pouvait dire autant ?

Le tendre amour, qui cherche à le surprendre,

Sous un faux nom près de lui vient se rendre ;

Du frere George il prend la grêle voix

La taille épaisse & le défunt minois.

Un vieux bonnet de couleur de grain d’orge,

Dont autrefois l’insolent frere George (*)

Paraît son chef, aux grands jours, qu’au lutrin

Le Pere Jean mutilait le Latin,

Du fils de Mars ornait la chevelure.

Un tablier d’un vieux chiffon de bure,

De six vingt trous percé dans son contour,

Montrait du Dieu la place & le fauxbourg.

A ce haillon pendait une écumoire,

Deux grands couteaux, une énorme lardoire.

Ainsi l’amour s’avança vers Robin.

Bon jour, l’ami, lui dit l’enfant malin,

A-t-on toujours son pesant pucelage ?

O siecle ! ô mœurs ! il devrait à votre âge

Déjà courir & les monts & les champs.

Que faites-vous de cela si long-temps ?

Quoi ! voulez-vous que votre cœur moisisse ?

Jouez-vous donc à gagner la jaunisse ?

Il faut, l’ami, faire valoir son bien ;

La chasteté ne produit jamais rien.

Vivez d’exemple, imitez vos confreres.

Si, comme vous, ces dévôts solitaires

N’avaient jamais triché sur ce grand point,

Quel superflu de sang & d’embonpoint !

On n’est point sot, on chérit l’existence ;

Et puis, Robin, sans la concupiscence,

La vie à l’homme est-elle un grand bonheur ?

Comment porter le fardeau de son cœur ?

Comment remplir les vuides de la vie,

Et tenir tête aux desirs de l’envie ?

Si le devoir, tyran de nos plaisirs,

Défend au cœur d’écouter ses desirs,

A ses leçons opposez la nature.

Contr’elle en vain qu’il tonne ou qu’il murmure,

Elle a sur lui l’antiquité des droits,

Et nos desirs sont nos premieres loix.

Les Dieux ont fait & les chats & les hommes ;

Pouvons-nous être autrement que nous sommes ?

En chat d’esprit révérez leurs desseins,

Nos passions sont l’œuvre de leurs mains.

Si de leur cœur notre cœur est l’image,

Comme eux, Robin, il faut en faire usage.

L’être & l’amour sont leurs plus grands bienfaits :

Pourquoi gémir des biens qu’ils nous ont faits ?

Des cerveaux plats, trente grosses machoires,

Pour nous instruire ont fait cent vieux grimoires.

Qu’ont-ils gagné ? Qu’ont produit leurs leçons ?

Sur nos écrans l’on plaça leurs chansons.

Ces bonnes gens, hérissés d’ignorance,

Voulaient de l’homme élever l’existence.

Si leur systême eût pris chez vos matoux,

Les chats peut-être, aussi faibles que nous,

Se repaissant d’une idée aussi creuse,

Auraient rempli la Trappe & la Chartreuse ;

Mais votre instinct, plus fort que la raison,

Vous garantit de la tentation.

Par là les Dieux garderent leur ouvrage,

Du projet fou d’être austérement sage.

La volupté qui trompait Ixion,

Qui couronna l’heureux Endymion,

Du sein des Dieux fait briller sa lumiere.

Son feu vainqueur vous montre la carriere

De ces beaux jours, de cet heureux printemps,

Que Flore ici ramene tous les ans.

Si des mortels le printemps est l’image,

Ainsi que lui le mortel n’a qu’un âge :

Les vents bientôt dessécheront les fleurs,

Les ans bientôt dessécheront les cœurs ;

Du jour qui fuit, & du temps qui s’avance,

Par les plaisirs arrêtons l’inconstance ;

Ou s’il faut perdre au moins de si beaux jours,

Qu’ils soient perdus dans les bras des amours.

Non loin d’ici, dans une austere grille,

Depuis six mois une chatte gentille,

Porte à regret un joyau que l’honneur

A mis à prix plus haut que sa valeur

Malgré les soins de vingt chastes Nonnettes,

L’attention de cinq à six discretes,

Son jeune cœur, lassé de la vertu,

Voudrait goûter certain fruit défendu ;

Non point celui qui tenta jadis l’homme,

Le beau ragoût de croquer une pomme !

Minette veut un morceau plus friand,

Plus homogene & moins propre à la dent.

Déjà ses cris vous ont fait les avances ;

Bientôt son cœur, avec les dépendances,

Sera le prix de vos amoureux soins.

Courez, mon cher, soulager ses besoins ;

Des romanciers laissez le vieux langage,

Prenez le ton, moulez-vous sur l’usage,

Que le bel air vient d’amener chez nous.

L’amour parfait, ce partage des foux,

Ne touche plus la chatte & la vestale.

Laissez filer Hercule aux pieds d’Omphale.

De si longs soins ne font que prolonger

L’ennui du cœur, & l’heure du berger.

L’heureux Robin sent bientôt dans son ame

Ces traits vainqueurs, cette immortelle flamme,

Qui, des mortels adoucissant le sort,

Remplit chez eux les vuides de la mort.

Partons, dit-il au Dieu de la tendresse ;

Laissons les Sots moisir dans la sagesse,

Guidez mes pas, éclairez mon dessein.

Disant ces mots, le chat arrive à Sin,

Il grimpe, il saute, & bientôt par la vitre,

Avec l’amour, Robin entre au chapitre.

Depuis une heure en ce paisible lieu

La jeune chatte, entre les bras du Dieu

Qui fait fleurir le teint brillant des moines,

Le vermillon, l’embonpoint des chanoines,

Tranquillement jouissait sans remords,

Du doux plaisir, des sensibles transports

Qu’un songe heureux permettait à son ame.

Au bruit du chat, ou plutôt à la flamme

Du feu vainqueur qui fait pâlir le jour,

Qu’offre à ses yeux le redoutable amour,

Elle s’éveille, & son ame confuse

Croit un moment qu’un vain songe l’abuse,

Que le matou, dont les airs gracieux

Charment ses sens, éblouissent ses yeux,

Sont de ces jeux que le sommeil fait naître,

Ou de ces riens que l’auteur de notre être

Mêle à nos maux, pour soulager nos cœurs

Des noirs chagrins & des soucis rongeurs.

Déjà Robin qu’un tendre feu dévore,

Parle d’amour à l’objet qu’il adore ;

Et sans noyer son cœur dans les récits,

Je viens, dit-il, appelé par vos cris,

Offrir, Minette, au mal qui vous consume

Certain remede hétérogene au rhume,

Que sagement les Dieux ont fait, je crois,

Pour nous guérir tous les deux à la fois.

Au médecin confiez vos stygmates ;

Un chat de moine est la perdrix des chattes.

Dame, avec eux on va toujours bon train,

Gens reposés font bien mieux leur chemin.

Ainsi Robin faisait parler sa flamme,

Ses yeux rendaient les transports de son ame.

Ah ! que l’amour exprime nos besoins :

Abandonnons notre cœur à ses soins :

L’art a toujours gâté son éloquence.

Robin pressé par la concupiscence,

Dit à Minette : Avançons le moment,

Et par la queue entamons le Roman.

De longs amours font périr la tendresse,

De longs propos font périr de tristesse.

Laissez la forme aux Lucreces du jour,

Feu Céladon, ce flambeau de l’amour,

Dont le goût fade & les tristes lumieres,

Aux Ostrogots, aux matoux nos grands-peres,

Servant de phare, éclairaient autrefois

Leurs cœurs épais & leur vieux feu gaulois,

N’est plus le Dieu que notre siecle adore ;

Si l’on gémit, si l’on soupire encore,

C’est dans le sein des séduisants plaisirs,

Qu’un tendre cœur exhale des soupirs.

Le cœur ému, notre chatte-Lucrece

Sent dans son ame expirer la sagesse.

Son front serein, siege de la pudeur,

Ne rougit plus que d’un feu suborneur.

L’adroit matou qui prévoit sa défaite,

D’un œil malin contemplant sa conquête,

Par les cheveux empoignant le hazard,

Touche à l’instant flatteur du cauchemart ;

Quand tout à coup il vit entrer les Nonnes :

Amour, dit-il, du fer des Amazones

Garantissez la perle des matoux.

Des saintes sœurs je connais le courroux ;

Prenez le soin de ma race future ;

Je crains ici certaine découpure,

Qui, pour nommer modestement l’endroit,

Se fait sur l’homme ailleurs qu’au bout du doigt.

A ce danger ranimant sa vaillance,

Vers l’ennemi l’amoureux chat avance :

Son air guerrier, ses yeux étincelants,

Sa griffe en l’air, ses Fu Fu menaçants,

Firent trembler cette troupe guerriere.

Mon doux Jesus ! s’écria Dame Hilaire,

Que vois-je ici ! quels spectres sont cachés !

C’est le démon & ses traits tout crachés.

A ce gros mot, les Nonnes se dispersent,

Poussent des cris, se heurtent, se renversent.

En vain Ursule, incapable d’effroi,

Ferme, tranquille & maîtresse de soi,

Veut ranimer cette troupe tremblante ;

Du spectre affreux, l’horreur & l’épouvante,

Ont consterné les cœurs & les esprits ;

On n’entend plus que ces horribles cris :

Ciel, quelle griffe ! ô Dieux ! qu’elle est horrible !

Que le démon est un monstre terrible !

Où nous sauver ?courir ? hélas ! où ?

Mon doux Jesus ! il nous tordra le cou !

O quel danger ! sauvons-nous au plus vîte.

On vole en troupe, on court à l’eau bénite.

fuyez-vous ? Jour de Dieu ! quelle erreur !

Mes sœurs, cette eau ne guérit point la peur.

Que n’avez-vous plutôt dans ces alarmes,

Du beaume humain, ou bien de l’eau des carmes ?

Cela, dit-on, ressuscite les cœurs,

Et rend au teint ses premieres couleurs.

Tandis qu’ainsi le Bataillon timide

Battait aux champs, le valeureux Alcide,

Le chat vainqueur des sœurs & de l’amour,

Dans les plaisirs à qui tout doit le jour,

Goûtait en paix le seul agrément d’être,

Et le moment où le cœur voit renaître

Ces grands desirs trop nombreux pour nos sens.

Sa jeune amante en ces instans pressans,

Voyant de loin revenir la cohorte,

Lui dit : Robin, vîte prenez la porte.

N’exposez point aux dangers du hazard,

Le doux bijou que perdit Abailard.

Ce rien suffit pour ternir votre gloire ;

Méfiez-vous des jeux de la victoire.

En chat d’esprit retirez de ce lieu,

Adroitement votre épingle du jeu.

La nuit prochaine, au fond de la gouttiere,

Loin de nos sœurs, plus loin de la Tourriere,

Tranquillement nous pourrons de nos feux

Goûter en paix nos transports amoureux,

Allez, partez, & fuyez au plus vîte.

L’heureux matou prend aussi-tôt la fuite.

Déja Robin, avait sans dire adieu

Subitement abandonné ce lieu.

Ursule alors, ranimant son courage,

D’un front ridé, d’un œil brûlant de rage,

Court à ses sœurs, & leur dit en courroux :

Revenez donc, lâches, où courez-vous ?

D’un faible chat, l’impuissante grimace,

A donc glacé cette guerriere audace,

Dont vous faisiez tantôt un si grand bruit ?

La honte, hélas ! sera donc tout le fruit

Des grands succès promis à notre gloire ;

Et nous verrons sur le champs de victoire

Nos ennemis, gonflés de leur grandeur,

Nous insulter, sourire à notre peur ?

Quoi ! c’est un chat, s’écria sœur Florence ?

Dans le Chapitre, ô ciel ! en conscience

Pouvait-il bien corrompre un jeune cœur ?

Ah ! notre chate a perdu son honneur.

Grand Saint Mathieu ! dit la sœur Rosalie,

Quel garnement & quelle ignominie !

Pere éternel ! Seigneur ! les Jacobins,

Ont-ils chez eux des chats si libertins ?

Mon doux Jesus ! dit une sœur converse,

De plus en plus le monde se renverse.

L’un sur le dos, l’autre bien autrement,

Hélas ! tout va, le bon Dieu sait comment.

Ame du monde, amoureuse folie,

Que vous jettez d’agrémens sur la vie !

Le noir courroux, cette fievre des cœurs,

Dont l’Iliade exprime les fureurs,

Aux cris d’Ursule, à sa voix intrépide,

Dans les esprits portant son feu rapide,

On vit bientôt la troupe avec ardeur

Bravant les chats, le démon, & la peur,

Dans le Chapitre entrer avec audace.

Tel autrefois le vainqueur de la Thrace,

Bravant Cerbere, intimidant Pluton,

Seul menaça les Dieux de Phlégéton.

Telle on a vu, telle on ouït Ursule,

Dans les accès d’un courroux ridicule

D’une voix mâle articulant ces mots,

Faire au Balai ces risibles propos :

” Fier monument de nos fureurs durables,

Toi, qu’en ces lieux, les vieilles vénérables

” Ont malgré nous placé depuis long-temps,

” Pour insulter au printemps de nos ans ;

” Sois aujourd’hui l’infaillible présage,

” Du noir courroux, du foudroyant orage,

” Qui doit demain éclater en ces lieux ;

” Va loin de nous sur quelque bord honteux,

” Honni, flétri, montrer que la vengeance

” A des attraits pour les cœurs qu’on offense.

Disant ces mots, elle empaume soudain,

Le vieux Balai d’une intrépide main :

Un bruit confus, mille cris de victoire

Remplissent l’air de sa brillante gloire.

Tel dans la Grece on vit jadis les rats,

Devant les Dieux, décidant leurs débats,

De leurs clameurs ébranler les montagnes.

D’un air guerrier Ursule & ses compagnes

Dans le jardin entrerent avec bruit.

L’astre inconstant qui regne sur la nuit,

Au pâle éclat de sa triste lumiere,

Conduit la troupe auprès d’une riviere.

Là, sœur Ursule, en grande émotion,

Dans l’eau soudain jette l’affreux ramon.

Va, lui dit-elle, errer au gré de l’onde.

Si le hazard te fait courir le monde,

Sois sans repos, comme le Juif errant !

Sois le jouet de la foudre & du vent,

Et que l’enfer soit ton dernier rivage !

Antiques sœurs, que cet affront outrage,

Vous ignorez le destin du Balai.

Hélas, grand Dieu ! tandis qu’un songe gai,

Retrace encor sur les fibres tremblantes

De vos cerveaux, les images parlantes

Des doux plaisirs, dont vos sensibles cœurs

Ont autrefois épuisé les douceurs ;

Hélas ! tandis que ce sommeil barbare,

Fils de la nuit & du sombre Ténare,

Fait reposer vos vieux individus

Entre les draps que Bertoul (*) a tissus ;

Vos jeunes sœurs, ces pétulantes filles,

Que les amours escortent à vos grilles,

Dans le Chapitre ont fait un coup affreux,

Qui doit demain, arracher de vos yeux

Des pleurs amers, & sur vos tristes mines,

Sur vos vieux fronts, tout hérissés d’épines,

Tracer en noir le chagrin dévorant,

L’affreuse haine, & le dépit sanglant.

Ah ! vous dormez.... vous ignorez encore....

Arrête, Muse !.... attendant que l’Aurore

Ait sur les fleurs répandu ses parfums,

Laissons en paix reposer les défunts.

 

 

(*) Le frere George, marmiton des P. P. Jacobins, fut attaqué d’une sécheresse dans les Amygdales : il les humectait tous les matins avec une chopine d’eau-de-vie ; il mourut dans l’opération.

(*) Fameux tisserand qui fait les guenillons des Nonnes.

 

 

 

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CHANT QUATRIÈME

 

 

CHANT QUATRIEME.

 

 

Chapitre des Nonnes. Chaque sœur vient dire sa coulpe. Torticolis parait ; dans le chapitre allarmes des Nonnes. On députe à la mere Abbesse.

 

 

Déja les pleurs de la divine Aurore,

Présage vrai du jour qui doit éclore,

De leur fraicheur fertilisaient nos champs ;

Tels les zéphirs précurseurs du printems,

Vont ranimer cette saison riante,

Où nous voyons, sur l’herbe renaissante,

Le tems heureux de donner à nos cœurs,

Des feux nouveaux & le charme des fleurs.

Tandis qu’ainsi de sa couche brillante

Le vieux Titon voit sortir son amante,

Tandis qu’Aurore échapée à ses yeux,

Peint l’horison [sic] de ses plus tendres feux ;

Déja nos sœurs, colombes gémissantes,

Sur l’aigre ton de leurs voix glapissantes,

Chantaient au chœur & mutilaient au mieux

Le vieux plein-chant & les hymnes des Cieux.

Là l’ennemi si fatal à nos peres,

L’heureux plastron de toutes nos miseres,

Venait troubler par son soufle malin

La paix des cœurs, & l’office divin,

Là sans penser, sans goût, sans attitude,

L’œil entrouvert on voyait l’Habitude

D’un gosier sec & rouillé de tiedeur,

Nonchalament donner le ton au chœur.

Le sombre ennui, son compagnon fidele,

Tout pesamment, baillant vis-à-vis d’elle,

Abandonnait sa molle attention

Au gré des vents de la distraction.

Tel vers Assise un mortel Séraphique (*)

Savant, dit-on, en plus d’une rubrique,

Par les oiseaux était souvent distrait ;

Que l’homme, hélas ! est un être imparfait !

Que les bouillons de la concupiscence

Ont affaibli chez lui l’intelligence !

Il ne fait plus aujourd’hui ce qu’il veut ;

Heureux encor, quand il fait ce qu’il peut.

Dans Sin pourtant on a fini l’office.

Déja les sœurs, pour un saint exercice,

D’un pas modeste avancent vers ce lieu,

Où chaque jour pour conserver à Dieu

Un cœur guéri des vanités mondaines

Chaque sœur doit raconter ses fredaines (*).

Là dans le fond d’un réduit ténébreux

Près des soucis, sur un siége poudreux,

Un sceptre en main la fade Moinerie

Dispense, au gré d’une aveugle manie,

Des châtimens, & tance pour un rien

L’ombre du mal & quelquefois le bien.

Or la Prieure en vertu de son titre,

ce matin-là présidait au chapitre ;

A ses côtés, la sœur Conception,

Sœur Quatre-tems, sœur Incarnation,

Du saint bercail les plus nettes visieres

A son vieux sens mariant leurs lumieres,

D’un air sucré, d’un ton fade & chrétien,

Parlaient toujours, & ne décidaient rien.

Bref on se tait, on écoute les Nonnes.

Hélas ! dit l’une, en récitant mes nones,

J’ai par oubli sauté quelque versets,

Et par malheur rompu deux chapelets.

Mon doux Jesus ! fussent vos deux rosaires !

Dit la Prieure, ô Ciel que de misteres !

Dans un moment vous avés rompus-là ?

Comment jamais réparer tout cela ?

Votre accident, ma sœur, est bien tragique.

Ignorés-vous que le Grand Dominique,

Pour le Rosaire à sué sang & eau,

Et qu’un vieux carme, autrefois chés Rousseau,

Fort embrouillé sur ses capitulaires,

Pour certain crime ordonnait deux rosaires ?

Si votre cas n’était point réservé,

Le saint remede, hélas ! serait trouvé ;

Mais sur ce point nous faisons abstinence.

Or donc, ma sœur, pour votre pénitence

Trois fois dirés pour la conversion

Des Jacobins, le vieux Lauda Sion.

Après parla la sœur Jeanne Monique,

De ce couvent animal domestique, (*)

Crâne à l’envers, esprit dur & méchant,

La bête noire & l’horreur du couvent.

Un jour, dit-elle, étant au réfectoire

Je fis, ma mere, une chose bien noire.

On nous servait du beurre & des œufs frais

Ah gourmandise ! ô bon Dieu ! quel excès !

Trois fois dans l’œuf je trampai la mouillete, ()

Et par trois fois, je trichai sœur Colette,

Mon bon Jesus ! sainte Religion !

Dit la Prieure, ô l’indigne action !

Si les époux allaient dans leur ménage

Tricher ainsi les droits du mariage,

Ah ! qu’on verrait un joli carillon !

Femme sur ce n’entend jamais raison ;

Aussi Saint Paul dit, pour sauver son ame,

Que chacun doit son offrande à sa femme.

C’est le lien, c’est le pain des époux,

Heureux précepte, ah ! s’il était chez nous,

Y verrait-on ces piquantes querelles,

Toujours sur rien, & toujours éternelles ?

La paix bientôt renaîtrait dans nos cœurs

Au doux aspect de ces médiateurs.

Or ça ma sœur pour votre pénitence,

Je vous condamne à trois jours d’abstinence.

Pendant ce tems, vous dirés trente fois

L’Exaudiat à l’honneur de la Croix.

On vit après arriver la sœur Jeanne,

Que n’avait-elle un cotillon profane ?

O quel objet ! O le friand morceau !

Jamais l’Amour ne vit rien de si beau ?

Sous les replis d’une guimpe mouvante

Le tendre jeu de sa gorge naissante,

Avertissait qu’on trouverait, hélas !

Une innocence, & bien d’autres appas.

Deux yeux fripons fatigués comme mille

Du célibat autant que de la grille,

Par ricochet convoitaient saintement

Certains enjeux d’un joli sacrement,

Hélas ! dit-elle à la sœur présidente,

Que le Démon me trouble & me tourmente !

Chaque nuitée il m’offre sans rideau

Du doux plaisir le séduisant tableau.

Hélas ! sans lui la pesante innocence,

Le bon sens plat, né sans expérience,

N’avait point l’art de séduire les cœurs ;

Un dur instinct, un gros gôut [sic] pour les mœurs,

Ecartaient loin de l’humaine sagesse,

Ces sentimens, dont la douce faiblesse

Charme les cœurs, enchaîne les héros ;

Hélas ! jamais les soupirs de Samos

Ces traits vainqueurs, & ces volages flammes,

Bienfaits des cieux, tendres fardeaux des ames,

Oncques n’auraient fait sentir à nos cœurs

Du doux plaisir les puissantes chaleurs.

Que le démon est un garçon à craindre !

Et que la chair difficile à contraindre

Coûte à nos corps d’embaras & de soins !

Que ne peut-on soulager ses besoins

Tout autrement ? Ah ! si la providence

Dans notre état, mêlait l’intelligence

Avec la chair, que l’on verrait d’ardeur !

Qu’on prirait Dieu, qu’on prirait de bon cœur !

Cela n’est point, répondit sœur Compresse,

Un bon chrétien doit combattre sans cesse ;

Si votre état, ma sœur, vous paraît dur,

Le mariage est-il du vin tout pur ?

Comme le cloître, il a bien ses vigiles,

Ses quatre tems, & ses fêtes mobiles,

L’on chomme là, ma sœur comme l’on peut,

Et non toujours comme la femme veut.

Priés, veillés & prenés bon courage,

Le Paradis vaut bien un pucelage.

D’un pas tardif l’antique sœur Gothon,

Singe moulé sur la vieille Alecton,

Vint s’accuser d’avoir vu dans un rêve

Certain bijou, dont autrefois la seve (*)

Au beau milieu du Paradis perdu,

Close gissait dans le fruit défendu.

Mon Dieu ! chassés ces profanes images,

Dit la prieure ; & quoi, vous dont les âges

Ont sillonné le cul, le front, les reins,

Faut-il jamais de ces objets vilains

Mortellement surcharger sa mémoire ?

Ignorés vous la déplorable histoire

Qui vous défend d’y penser à jamais ?

Hélas ! ma sœur, le plus grand des forfaits

Vous a réduite à combattre sans cesse

Des passions, qui jadis sans faiblesse,

Dans un jardin vaste & délicieux,

Pouvaient alors contempler de leurs yeux

Tous les objets que la pudeur nous cache.

Ah ! dans ce tems, rien de mou, rien de lâche,

Ne s’annonçait sous des voiles trompeurs ;

Tout était droit, aussi droit que les cœurs.

Si le démon de la concupiscence

Vient de rechef tenter votre innocence,

Levés la main, & serrant vos cinq doigts,

Faites sur vous un grand signe de croix ;

Ainsi, dit-on, les Pauls & les Antoines,

Ces bienfaiteurs des cochons & des moines,

Jadis en guerre avec l’esprit malin,

Avaient toujours le remede à la main.

L’esprit contrit, la jeune sœur Saint-Brice

Vint s’accuser d’avoir sonné l’office

Deux ou trois fois avec distraction.

Jesus Maria ! dit sœur Conception,

Quel sacrilege, & comment à ce crime,

Dieu sous vos pas n’ouvrit-il point l’abîme,

Où sa justice a creusé dès longtems

L’affreux séjour du Diable & des méchans ?

Mon Dieu, ma sœur, luit dit la présidente,

A ses devoirs il faut être présente.

Pour nous l’office est d’obligation ;

Dès qu’on le sonne avec attention

N’est-il point dit plus de moitié d’avance.

Or çà ma sœur, pour votre pénitence

Vous porterés pendant deux ou trois mois

Le saint cordon de Monsieur saint François.

Pour tous les maux, c’est un remede unique ;

Du grand saint Paul il guérit la colique,

Plus d’un tendron par ses succès vainqueurs

A ranimé ses mourantes couleurs.

Encor Agnès, & sans expérience,

Sentant les feux de la concupiscence

A deux génoux, sœur Jeanne de la croix

Dit en tremblant d’une timide voix :

Mere de Dieu ! l’autre jour quelle envie !

J’ai convoité du boudin tout en vie,

Sans doute, hélas ! c’était du boudin blanc,

Dit la prieure ? Il est plus succulent.

O cœur de chair ! ô plaisir ! ô nature !

Dieu ! le boudin a certaine figure

Qui fait trembler.... c’est du fruit défendu...

Songés, ma sœur, songés que la vertu

Est préférable aux boudins de ce monde,

N’aiés jamais cet appétit immonde,

Vive Jesus... l’image du boudin...

Peut quelquefois, dans un cœur pur & saint,

Porter la mort, & chasser l’innocence.

Pour ce péché vous ferés pénitence ;

Pendant trois jours, vous dirés quatre fois

Le Libera pour défunt saint François.

Tandis qu’ainsi, la mere révérende

A chaque sœur donnait la réprimande,

Torticolis l’ame de l’univers,

D’un vol rapide arriva des enfers.

Un voile épais tissu par l’imposture,

Cachait aux yeux sa hideuse coëffure.

Son front paré d’une feinte pudeur,

Son œil brûlant d’une aveugle fureur,

Du zele saint avait la ressemblance.

Ainsi toujours une fausse apparence

De la vertu, copiée avec art,

Du faible humain attire le regard ;

Ainsi masqué sous l’éclat du mérite,

L’homme peut-il connaître l’hipocrite?

Rien ne le montre, & tout le voile aux yeux :

Ce vice obscur n’est connu que des cieux.

Ornée ainsi, Torticolis s’avance

Vers le chapitre, où déja sa présence

Aux cœurs épris de ses charmes trompeurs,

Fait ressentir ces coupables fureurs,

Que sous Henri, des fanatiques prêtres,

La croix en main, prêchaient à nos ancêtres.

Le monstre affreux, les yeux lévés au Ciel,

D’un miel flatteur couvrant son aigre fiel,

Harangue ainsi les meres vénérables :

Filles des saints, ô Vierges respectables,

Vous qui malgré les naufrages des tems

Joignés encore aux beautés du printems,

Les agrémens d’un liant caractere,

Vous qui pouvés, & tout dire & tout faire ;

Soufrirés vous que vos antiques fronts

Saient [sic] colorés de cent honteux affronts ?

Laisserés vous cette verte jeunesse

Toujours ardente à croiser la vieillesse,

Vous refuser ce légitime encens

Qu’on doit, mes sœurs, à l’hommage des ans ?

Où sont ces jours si chers à l’innocence,

Où les vertus du cloître en son enfance

Régnaient encor dans ce paisible lieu ?

Là tous les cœurs, consacrés à leur Dieu,

Libres d’ennui, de chagrin & de crainte,

Dans les liens d’une charité sainte,

Faisaient briller avec l’humilité,

Les agrémens de la société.

Ce tems n’est plus ; la sacrilege audace

Dans un moment en a changé la face.

Le fol orgueil a tissu le projet,

L’indépendance a commis le forfait,

Vous le dirai-je ? ah ! puis-je à ma mémoire

Sans en frémir raconter une histoire

Qui doit borner & flétrir à toujours

Vos droits divins, & l’honneur de vos jours ?

Ce vieux Balai, ce monument antique,

Que par vos soins une sage rubrique

Dans le chapitre avait toujours logé,

Et sous vos loix constamment protégé,

En est banni. L’affreuse Moinerie,

L’entêtement, la détestable envie,

Ont éloigné pour jamais de ces lieux

Le cher dépot de vos soins précieux.

Verrés-vous donc d’un œil froid & profane,

Le sort malin où l’orgueil le condamne ?

Et suivrés vous le préjugé vainqueur

D’une jeunesse aveugle en sa fureur ?

Ah ! sévissés ; c’est l’esprit de l’Eglise ;

Des jeunes sœurs punissés la sotise.

Votre Ramon touche tous les chrétiens,

Votre intérêt uni sans-doute aux siens,

Doit vous toucher du sort de sa disgrace,

Ah ! rendés lui ses honneurs & sa place ;

Et que vos sœurs éprouvent une fois

L’affreux remord d’avoir choqué vos droits.

C’est l’âge ici, que leur fureur immole.

Disant ces mots, Torticolis s’envole.

Du fier courroux la dévorante ardeur,

Triste signal des tempêtes du cœur,

Dans tous les yeux fait briller la vangeance.

Le bruit bientôt succédant au silence,

On n’entend plus que ces lugubres cris :

Tout est perdu, nos droits anéantis ;

Quoi, ce Balai ! lui que de race en race,

Nos tendres soins maintenaient en sa place,

En est chassé ? Quoi, nos yeux le verront,

Ainsi que nous, couvert d’un dur affront ?

Ah ! périssons plutôt qu’il ne périsse,

Dit en pleurant la vieille sœur Clarice ;

Ai je vécu pour voir ces noirs forfaits ?

Hélas ! mes yeux, fermés vous pour jamais.

Grand saint Bernard ! s’écria sœur Constance

Peut-on ainsi, sans foi, sans conscience,

Le mépriser, le chasser, le bannir ?

Ah ! c’en est fait, le monde va périr.

Dieu ne peut plus sans choquer sa justice,

Souffrir longtems le désordre & le vice.

De toute part l’univers infecté,

Est digne, hélas ! de sa sévérité.

Mon doux Jesus ! nos jeunes sœurs sont folles,

Crie à l’instant, sœur Moulin-à-paroles ;

La Vérité voilée aux yeux des Rois,

Dont le beau feu nous guidait autrefois,

N’est plus, hélas ! l’étoile de nos sœurs.

L’art du soldat, né du sein des fureurs,

Ce fier métier du Démon de la guerre,

Est devenu l’art de ce monastere.

O Ciel !... comment... mépriser un Balai !

A cette [sic] affront l’on dira dans Douai

Que le bon sens n’est plus chés les Nonettes ;

Qu’on a dans Sin, malgré quinze discrettes,

Dans le chapitre enlevé le Ramon.

O le scandale ! ô l’indigne action !

Tantôt, tantôt nous saurons vous apprendre

Les saints devoirs que chacune doit rendre

A la raison, à l’ordre, aux cheveux blancs.

Dame, voilà des objets imposans,

Dit une jeune, en riant dans son ame.

Votre bon sens, vieux comme l’Oriflamme,

Du tems d’Hérode eût fait des envieux ;

Mais dans ce siécle où l’on pense bien mieux,

Le seul mérite à nos yeux est aimable ;

Nous n’avons point la fureur respectable

D’idolâtrer avec les sottes gens,

Vos fronts ridés, & l’hiver de vos ans.

A ce discours impertinent sans doute,

Grand Dieu d’en haut ! s’écria sœur Ecoute,

A-t-on jamais proféré telle horreur ?

Mes sens transis en ont frémi de peur.

De ces propos, répond la sœur Compresse,

Sans différer qu’on instruise l’Abbesse ;

Elle est habile, experte en tous les cas,

C’est un esprit bien plus grand que Pontas ; (*)

Elle a du sens, comme deux Barnabites,

De l’amour propre, autant que trois Jésuites ; [§]

Depuis dix ans, Madame sait par cœur

Son Jean Pichon, & son Richard sans peur.

Charmé d’ouïr un discours si sublime,

Le vieux sénat d’une voix unanime

Dit à Compresse : ô vous qui parlés d’or,

Vous, du Couvent la perle & le trésor,

De notre part allés trouver Madame ;

Du vieux Balai peignés en traits de flamme

L’affreux destin, nos chagrins dévorans ;

Intéressés, par des rapports touchans,

Son tendre cœur à nous rendre justice.

Allés, partés, auguste Ambassadrice ;

Pour seconder vos louables efforts

Nous chanterons l’office pour les morts.

Instruite ainsi, l’éloquente Compresse

D’un grave pas s’en va trouver l’Abbesse.

 

 

(*) St François était souvent interrompu par ses sœurs les irondelles & ses cousins le [sic] dindons. S. B. V. S. P. F.

() C’est un usage dans les couvens bien réglés d’aller au Chapitre après les matines dire sa coulpe, s’accuser de ses petites fautes. On dit dans les cloîtres que ces niaiseries font beaucoup d’honneur à l’être suprême, & attirent la rosée du Ciel sur les biens de la Communauté. Les Chinois doivent être bien mal avec le bon Dieu, ils ne disent point leur coulpe, & la rosée cependant en graisse leur terre. Que Dieu est petit dans le Cloitre !

(*) Sœur de peine ou Converse.

() Les jours maigres on donne un œuf frais pour deux Nonnes où elles trempent tour à tour religieusement leurs mouillettes. La sœur Monique avait profité de la distraction de sœur Colette, & trempé trois fois sa mouillette. Cette malheureuse affaire causa un grand scandale à la Communauté, & fut pour la sœur delinquante le sujet de trente Confessions Générales.

(*) Les Rabbins ont pretendu que le suc de la pomme que mengea [sic] le bon homme Adam avait débouché les obstructions qui l’empechaient de travailler à la génération de ces infiniment petits animaux, qui marchent depuis peu à deux pieds sur cette taupiniere.

S. Thomas & les Peres ont été à peu près du même sentiment ; ils prétendaient que les respectables ustensiles de la génération qu’ils appellent honteux, comme si le maître de la nature faisait des choses honteuses, étaient des excroissances de chair, suite malheureuse du peché. Quelle phisique ! Ce raisonnement ne blesse-t-il point la sagesse du créateur ?

(*) Auteur du grand & de l’énorme dictionnaire des cas de conscience, où l’on a gâté beaucoup de papier. Comme ce livre n’est point aussi aisé à manier que nos Etrennes Mignonnes ; que les Dames ne pâturent point dans cette Lecture, je vais citer un article de Pontas pour donner une idée de l’utilité d’une besogne inconnue au bons siécles de l’Eglise. Un homme mal à son aise donne dans la journée cinq sols aux pauvres, la nuit il rêve aux malheureux qui ont touché sa commisération, dans son rêve il épanche des millions dans leur sein ; cet acte est indifférent, son aumône ne produit rien. Un autre a causé dans le jour avec des jolies femmes, il est tout naturel de rêver aux jolies femmes quand on les aime. Selon Pontas, ce bon rêveur a péché volontairement, à cause qu’il y a du démérité à rêver aux jolies femmes. Les casuistes ne sont ni galans ni bons raisonneurs.

 

 

 

CHANT QUATRIEME.

 

 

Chapitre des Nonnes. Chaque Sœur vient dire sa coulpe. Torticolis parait dans le Chapitre. Alarmes des Nonnes. On députe à la Mere Abbesse.

 

 

Deja les pleurs de la divine Aurore,

Présage vrai du jour qui doit éclore,

De leur fraîcheur fertilisaient nos champs ;

Tels les zéphyrs précurseurs du printemps,

Vont ranimer cette saison riante,

Où nous voyons, sur l’herbe renaissante,

Le temps heureux de donner à nos cœurs,

Des feux nouveaux & le charme des fleurs.

Tandis qu’ainsi de sa couche brillante

Le vieux Titon voit sortir son amante,

Tandis qu’Aurore échappée à ses yeux,

Peint l’horison [sic] de ses plus tendres feux ;

Déjà nos sœurs, colombes gémissantes,

Sur l’aigre ton de leurs voix glapissantes,

Chantaient au chœur, & mutilaient au mieux

Le vieux plain-chant & les hymnes des Cieux.

Là l’ennemi si fatal à nos peres,

L’heureux plastron de toutes nos miseres,

Venait troubler par son souffle malin

La paix des cœurs, & l’office divin.

Là sans penser, sans goût, sans attitude,

L’œil entr’ouvert, on voyait l’habitude,

D’un gosier sec & rouillé de tiédeur,

Nonchalamment donner le ton au chœur.

Le sombre ennui, son compagnon fidele,

Tout pesamment, bâillant vis-à-vis d’elle,

Abandonnait sa molle attention

Au gré des vents de la distraction.

Tel vers Assise un mortel Séraphique (*)

Savant, dit-on, en plus d’une rubrique,

Par les oiseaux était souvent distrait ;

Que l’homme, hélas ! est un être imparfait !

Que les bouillons de la concupiscence

Ont affaibli chez lui l’intelligence !

Il ne sait plus aujourd’hui ce qu’il veut ;

Heureux encor, quand il fait ce qu’il peut.

Dans Sin pourtant on a fini l’office ;

Déjà les sœurs, pour un saint exercice,

D’un pas modeste avancent vers ce lieu,

Où chaque jour, pour conserver à Dieu

Un cœur guéri des vanités mondaines

Chaque sœur doit raconter ses frédaines. (**)

Là, dans le fond d’un réduit ténébreux

Près des soucis, sur un siege poudreux,

Un sceptre en main, la fade moinerie

Dispense, au gré d’une aveugle manie,

Des châtimens, & tance pour un rien,

L’ombre du mal & quelquefois le bien.

Or, la Prieure en vertu de son titre,

ce matin-là présidait au Chapitre ;

A ses côtés, la sœur Conception,

Sœur Quatre-temps, sœur Incarnation,

Du saint bercail les plus nettes visieres,

A son vieux sens mariant leurs lumieres,

D’un air sucré, d’un ton fade & chrétien,

Parlaient toujours, & ne décidaient rien.

Bref on se tait, on écoute les nonnes.

Hélas ! dit l’une, en récitant mes nones,

J’ai par oubli sauté quelques versets,

Et par malheur rompu deux chapelets.

Mon doux Jesus ! fussent vos deux rosaires !

Dit la Prieure, ô ciel que de mysteres !

Dans un moment vous avez rompus-là ?

Comment jamais réparer tout cela ?

Votre accident, ma sœur, est bien tragique.

Ignorez-vous que le grand Dominique,

Pour le rosaire à sué sang & eau,

Et qu’un vieux carme, autrefois chez Rousseau,

Fort embrouillé sur ses capitulaires,

Pour certain crime ordonnait deux rosaires ?

Si votre cas n’était point réservé,

Le saint remede, hélas ! serait trouvé ;

Mais sur ce point nous faisons abstinence.

Or donc, ma sœur, pour votre pénitence

Trois fois direz pour la conversion

Des Jacobins, le vieux Lauda Sion.

Après parla la sœur Jeanne Monique,

De ce couvent animal domestique, (*)

Crâne à l’envers, esprit dur & méchant,

La bête noire & l’horreur du couvent.

Un jour, dit-elle, étant au réfectoire,

        [omission d’un vers]

On nous servait du beurre & des œufs frais :

Ah gourmandise ! ô bon Dieu ! quel excès !

Trois fois dans l’œuf je trempai la mouillette, (**)

Et par trois fois, je trichai sœur Colette.

Mon bon Jesus, sainte Religion !

Dit la Prieure, ô l’indigne action !

Si les époux allaient dans leur ménage

Tricher ainsi les droits du mariage,

Ah ! qu’on verrait un joli carillon !

Femme sur ce n’entend jamais raison ;

Aussi saint Paul dit, pour sauver son ame,

Que chacun doit son offrande à sa femme.

C’est le lien, c’est le pain des époux.

Heureux précepte ! ah ! s’il était chez nous,

Y verrait-on ces piquantes querelles,

Toujours sur rien, & toujours éternelles ?

La paix bientôt renaîtrait dans nos cœurs,

Au doux aspect de ces médiateurs.

Or ça, ma sœur, pour votre pénitence,

Je vous condamne à trois jours d’abstinence.

Pendant ce temps, vous direz trente fois

L’Exaudiat à l’honneur de la Croix.

On vit après arriver la sœur Jeanne,

Que n’avait-elle un cotillon profane ?

O quel objet ! O le friand morceau !

Jamais l’amour ne vit rien de si beau ?

Sous les replis d’une guimpe mouvante,

Le tendre jeu de sa gorge naissante

Avertissait qu’on trouverait, hélas !

Une innocence, & bien d’autres appas.

Deux yeux fripons fatigués comme mille

Du célibat autant que de la grille,

Par ricochet convoitaient saintement

Certains en jeux [sic] d’un joli sacrement,

Hélas ! dit-elle à la sœur présidente,

Que le démon me trouble & me tourmente !

Chaque nuitée il m’offre sans rideau

Du doux plaisir le séduisant tableau.

Hélas ! sans lui, la pesante innocence,

Le bon sens plat, né sans expérience,

N’avait point l’art de séduire les cœurs ;

Un dur instinct, un gros goût pour les mœurs,

Ecartaient loin de l’humaine sagesse,

Ces sentimens, dont la douce faiblesse

Charme les cœurs, enchaîne les héros ;

Hélas ! jamais les soupirs de Samos

Ces traits vainqueurs, & ces volages flammes,

Bienfaits des cieux, tendres fardeaux des ames,

Oncques n’auraient fait sentir à nos cœurs

Du doux plaisir les puissantes chaleurs.

Que le démon est un garçon à craindre !

Et que la chair, difficile à contraindre,

Coûte à nos corps d’embarras & de soins !

Que ne peut-on soulager ses besoins

Tout autrement ? Ah ! si la providence,

Dans notre état, mêlait l’intelligence

Avec la chair ; que l’on verrait d’ardeur !

Qu’on prîrait Dieu, qu’on prîrait de bon cœur !

Cela n’est point, répondit sœur Compresse,

Un bon chrétien doit combattre sans cesse ;

Si votre état, ma sœur, vous paraît dur,

Le mariage est-il du vin tout pur ?

Comme le cloître, il a bien ses vigiles,

Ses quatre-temps, & ses fêtes mobiles.

L’on chomme-là, ma sœur, comme l’on peut,

Et non toujours comme la femme veut.

Priez, veillez & prenez bon courage,

Le Paradis vaut bien un pucelage.

D’un pas tardif l’antique sœur Gothon,

Singe moulé sur la vieille Alecton,

Vint s’accuser d’avoir vu dans un rêve

Certain bijou, dont autrefois la seve (*)

Au beau milieu du Paradis perdu,

Close gissait dans le fruit défendu.

Mon Dieu ! chassez ces profanes images,

Dit la prieure ; & quoi ! vous dont les âges

Ont sillonné le cul, le front, les reins,

Faut-il jamais de ces objets vilains

Mortellement surcharger sa mémoire ?

Ignorez-vous la déplorable histoire

Qui vous défend d’y penser à jamais ?

Hélas ! ma sœur, le plus grand des forfaits

Vous a réduite à combattre sans cesse

Des passions, qui jadis sans faiblesse,

Dans un jardin vaste & délicieux,

Pouvaient alors contempler de leurs yeux

Tous les objets que la pudeur nous cache.

Ah ! dans ce temps, rien de mou, rien de lâche,

Ne s’annonçait sous des voiles trompeurs ;

Tout était droit, aussi droit que les cœurs.

Si le démon de la concupiscence

Vient derechef tenter votre innocence,

Levez la main, & serrant vos cinq doigts,

Faites sur vous un grand signe de croix ;

Ainsi, dit-on, les Pauls & les Antoines,

Ces bienfaiteurs des cochons & des moines,

Jadis en guerre avec l’esprit malin,

Avaient toujours le remede à la main.

L’esprit contrit, la jeune sœur Saint-Brice

Vint s’accuser d’avoir sonné l’office,

Deux ou trois fois avec distraction.

Jesus Maria ! dit sœur Conception,

Quel sacrilege ! & comment à ce crime,

Dieu sous vos pas n’ouvrit-il point l’abyme,

Où sa justice à creusé dès long-temps

L’affreux séjour du Diable & des méchants ?

Mon Dieu, ma sœur, luit dit la présidente,

A ses devoirs il faut être présente.

Pour nous l’office est d’obligation ;

Dès qu’on le sonne avec attention,

N’est-il point dit plus de moitié d’avance ?

Or çà, ma sœur, pour votre pénitence

Vous porterez pendant deux ou trois mois

Le saint cordon de Monsieur saint François.

Pour tous les maux, c’est un remede unique ;

Du grand saint Paul il guérit la colique ;

Plus d’un tendron, par ses succès vainqueurs,

A ranimé ses mourantes couleurs.

Encor Agnès, & sans expérience,

Sentant les feux de la concupiscence,

A deux genoux, sœur Jeanne de la croix,

Dit en tremblant d’une timide voix :

Mere de Dieu ! l’autre jour quelle envie !

J’ai convoité du boudin tout en vie.

Sans doute, hélas ! c’était du boudin blanc,

Dit la prieure ? Il est plus succulent.

O cœur de chair ! ô plaisir ! ô nature !

Dieu ! le boudin a certaine figure

Qui fait trembler.... c’est du fruit défendu...

Songez, ma sœur, songez que la vertu

Est préférable aux boudins de ce monde,

N’ayez jamais cet appétit immonde,

Vive Jesus... l’image du boudin...

Peut quelquefois, dans un cœur pur & saint,

Porter la mort, & chasser l’innocence.

Pour ce péché vous ferez penitence ;

Pendant trois jours, vous direz quatre fois

Le Libera pour défunt saint François.

Tandis qu’ainsi la mere révérende

A chaque sœur donnait la réprimande,

Torticolis, l’ame de l’univers,

D’un vol rapide arriva des enfers.

Un voile épais tissu par l’imposture,

Cachait aux yeux sa hideuse coëffure.

Son front paré d’une feinte pudeur,

Son œil brûlant d’une aveugle fureur,

Du zele saint avait la ressemblance.

Ainsi toujours une fausse apparence

De la vertu, copiée avec art,

Du faible humain attire le regard ;

Ainsi masqué sous l’éclat du mérite,

L’homme peut-il connaître l’hypocrite?

Rien ne le montre, & tout le voile aux yeux :

Ce vice obscur n’est connu que des cieux.

Ornée ainsi, Torticolis s’avance

Vers le chapitre, où déjà sa présence

Aux cœurs épris de ses charmes trompeurs,

Fait ressentir ses coupables fureurs,

Que sous Henri, des fanatiques prêtres,

La croix en main, prêchaient à nos ancêtres.

Le monstre affreux, les yeux levés au Ciel,

D’un miel flatteur couvrant son aigre fiel,

Harangue ainsi les meres vénérables :

Filles des saints, ô Vierges respectables !

Vous qui malgré les naufrages des temps,

Joignez encor aux beautés du printemps,

Les agrémens d’un liant caractere,

Vous qui pouvez, & tout dire & tout faire ;

Souffrirez-vous que vos antiques fronts

Soient colorés de cent honteux affronts ?

Laisserez-vous cette verte jeunesse,

Toujours ardente à croiser la vieillesse,

Vous refuser ce légitime encens,

Qu’on doit, mes sœurs, à l’hommage des ans ?

Où sont ces jours si chers à l’innocence,

Où les vertus du cloître en son enfance

Régnaient encor dans ce paisible lieu ?

Là, tous les cœurs, consacrés à leur Dieu,

Libres d’ennui, de chagrin & de crainte,

Dans les liens d’une charité sainte,

Faisaient briller avec l’humilité,

Les agrémens de la société.

Ce temps n’est plus ; la sacrilege audace

Dans un moment en a changé la face.

Le fol orgueil a tissu le projet,

L’indépendance a commis le forfait,

Vous le dirai-je ? ah ! puis-je à ma mémoire

Sans en frémir raconter une histoire,

Qui doit borner & flétrir à toujours

Vos droits divins, & l’honneur de vos jours ?

Ce vieux Balai, ce monument antique,

Que par vos soins une sage rubrique

Dans le Chapitre avait toujours logé,

Et sous vos loix constamment protégé,

En est banni. L’affreuse moinerie,

L’entêtement, la détestable envie,

Ont éloigné pour jamais de ces lieux

Le cher dépôt de vos soins précieux.

Verrez-vous donc d’un œil froid & profane,

Le sort malin où l’orgueil le condamne ?

Et suivrez-vous le préjugé vainqueur

D’une jeunesse aveugle en sa fureur ?

Ah ! sévissez ; c’est l’esprit de l’Eglise ;

Des jeunes sœurs punissez la sottise.

Votre Ramon touche tous les chrétiens ;

Votre intérêt, uni sans doute aux siens,

Doit vous toucher du sort de sa disgrace.

Ah ! rendez-lui ses honneurs & sa place ;

Et que vos sœurs éprouvent une fois

L’affreux remord d’avoir choqué vos droits.

C’est l’âge ici, que leur fureur immole.

Disant ces mots, Torticolis s’envole.

Du fier courroux la dévorante ardeur,

Triste signal des tempêtes du cœur,

Dans tous les yeux fait briller la vengeance.

Le bruit bientôt succédant au silence,

On n’entend plus que ces lugubres cris :

Tout est perdu, nos droits anéantis ;

Quoi, ce Balai ! lui que de race en race,

Nos tendres soins maintenaient en sa place,

En est chassé ? Quoi, nos yeux le verront,

Ainsi que nous, couvert d’un dur affront ?

Ah ! périssons plutôt qu’il ne périsse,

Dit en pleurant la vieille sœur Clarice ;

Ai-je vécu pour voir ces noirs forfaits ?

Hélas ! mes yeux, fermez-vous pour jamais.

Grand saint Bernard ! s’écria sœur Constance,

Peut-on ainsi, sans foi, sans conscience,

Le mépriser, le chasser, le bannir ?

Ah ! c’en est fait, le monde va périr.

Dieu ne peut plus, sans choquer sa justice,

Souffrir long-temps le désordre & le vice.

De toute part l’univers infecté,

Est digne, hélas ! de sa sévérité.

Mon doux Jesus ! nos jeunes sœurs sont folles,

Crie à l’instant, sœur Moulin-à-paroles ;

La vérité voilée aux yeux des Rois,

Dont le beau feu nous guidait autrefois,

N’est plus, hélas ! l’étoile de nos sœurs.

L’art du soldat, né du sein des fureurs,

Ce fier métier du démon de la guerre,

Est devenu l’art de ce monastere.

O Ciel !... comment... mépriser un Balai !

A cet affront l’on dira dans Douai

Que le bon sens n’est plus chez les nonettes ;

Qu’on a dans Sin, malgré quinze discrettes,

Dans le chapitre enlevé le ramon.

O le scandale ! ô l’indigne action !

Tantôt, tantôt nous saurons vous apprendre

Les saints devoirs que chacune doit rendre

A la raison, à l’ordre, aux cheveux blancs.

Dame, voilà des objets imposants,

Dit une jeune, en riant dans son ame.

Votre bon sens, vieux comme l’Oriflamme,

Du temps d’Hérode eût fait des envieux ;

Mais dans ce siecle où l’on pense bien mieux,

Le seul mérite à nos yeux est aimable ;

Nous n’avons point la fureur respectable

D’idolâtrer avec les sottes gens,

Vos fronts ridés, & l’hyver de vos ans.

A ce discours impertinent, sans doute,

Grand Dieu d’en haut ! s’écria sœur Ecoute,

A-t-on jamais proféré telle horreur ?

Mes sens transis en ont frémi de peur.

De ces propos, répond la sœur Compresse,

Sans différer qu’on instruise l’Abbesse ;

Elle est habile, experte en tous les cas,

C’est un esprit bien plus grand que Pontas, (*)

Elle a du sens, comme deux Barnabites,

De l’amour-propre, autant que trois Jésuites ; (§)

Depuis dix ans, Madame sait par cœur

Son Jean Pichon, & son Richard sans peur.

Charmé d’ouïr un discours si sublime,

Le vieux sénat d’une voix unanime

Dit à Compresse : ô vous qui parlez d’or,

Vous, du Couvent la perle & le trésor,

De notre part allez trouver Madame ;

Du vieux Balai peignez en trait de flamme

L’affreux destin, nos chagrins dévorants ;

Intéressez, par des rapports touchants,

Son tendre cœur à nous rendre justice.

Allez, partez, auguste Ambassadrice ;

Pour seconder vos louables efforts

Nous chanterons l’office pour les morts.

Instruite ainsi, l’éloquente Compresse

D’un grave pas s’en va trouver l’Abbesse.

 

 

(*) Saint François était souvent interrompu par ses sœurs les irondelles & ses cousins les dindons. S. B. V. S. P. F.

(**)  C’est un usage dans les couvents bien réglés, d’aller au Chapitre après les matines dire sa coulpe, s’accuser de ses petites fautes. On dit dans les cloîtres, que ces niaiseries font beaucoup d’honneur à l’être suprême, & attirent la rosée du Ciel sur les biens de la Communauté. Les Chinois doivent être bien mal avec le bon Dieu ; ils ne disent point leur coulpe, & la rosée cependant engraisse leur terre. Que Dieu est petit dans le cloître !

(*) Sœur de peine ou converse.

(**)  Les jours maigres on donne un œuf frais pour deux Nonnes, ou elles trempent tour à tour religieusement leurs mouillettes. La sœur Monique avait profité de la distraction de sœur Colette, & trempé trois fois sa mouillette. Cette malheureuse affaire causa un grand scandale à la Communauté, & fut pour la sœur délinquante le sujet de trente Confessions Générales.

(*) Les Rabbins ont prétendu que le suc de la pomme que mangea le bon homme Adam, avait débouché les obstructions qui l’empêchaient de travailler à la génération de ces infiniment petits animaux, qui marchent depuis peu à deux pieds sur cette taupiniere.

S. Thomas & les Peres ont été à peu près du même sentiment ; ils prétendaient que les respectables ustensiles de la génération qu’ils appellent honteux, comme si le maître de la nature faisait des choses honteuses, étaient des excroissances de chair, suite malheureuse du péché. Quelle physique ! Ce raisonnement ne blesse-t-il point la sagesse du Créateur ?

(*) Auteur du grand & de l’énorme dictionnaire des cas de conscience, où l’on a gâté beaucoup de papier. Comme ce livre n’est point aussi aisé à manier que nos Etrennes Mignonnes, que les dames ne pâturent point dans cette lecture ; je vais citer un article de Pontas, pour donner une idée de l’utilité d’une besogne inconnue aux bons siécles de l’Eglise. Un homme mal à son aise donne dans la journée cinq sols aux pauvres, la nuit il rêve aux malheureux qui ont touché sa commisération, dans son rêve il épanche des millions dans leur sein ; cet acte est indifférent, son aumône ne produit rien. Un autre a causé dans le jour avec des jolies femmes, il est tout naturel de rêver aux jolies femmes quand on les aime. Selon Pontas, ce bon rêveur a péché volontairement, à cause qu’il y a du démérite à rêver aux jolies femmes. Les casuistes ne sont ni galants, ni bons raisonneurs.

(§) Les soi-disants Jésuites ne se sont jamais attachés qu’aux apparences de la modestie ; mais ils étaient autant éloignés de cette vertu qu’ils étaient proches de l’ambition, de la bassesse, de la fourbe, de la noirceur, de la trahison & de la perfidie. L’histoire de tous les temps, de tous les lieux & de tous les peuples nous les représentent comme tels.

 

 

 

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CHANT CINQUIÈME

 

 

CHANT CINQUIEME.

 

 

Description du Palais de Madame l’Abbesse. Ambassade de sœur Compresse. L’arrivée du Directeur. Accident du Pere. Indication du grand Chapitre pour le Balai.

 

 

Près d’un ruisseau, vers le soleil levant

Dans un lointain, écarté du couvent,

Est un palais construit par la mollesse

Le Dieu du goût, celui de la richesse

Ont à l’envi décoré ce beau lieu.

Cent doctes mains ont peint en camaieu

D’après Géry, (*) les images parlantes,

Les saints travaux, les vertus conquérantes

Des Bienheureux, à qui nos soins mortels

Ont élevé de superbes autels.

Sur le plafond brillait dans un nuage

Du bon Larron la délicate image :

A son côté vêtu d’un surplit blanc

Saint Loyola lui servait de pendant.

Près d’une alcove on voyait en baroque

Le beau tableau de Marie à la Coque,

Qui vers Parai, dévote au sacré cœur,

A fait, dit-on, en tout bien, tout honneur,

Pendant le cours d’une assés longue vie,

Plus d’un miracle & plus d’une folie.

Vis-à-vis d’elle, un peu dans le lointain,

Un saint François, qui n’était point vilain,

Peint par van Dyk, décorait bien la place.

A ses côtés, mais tourné face à face,

Le grand Antoine & Monsieur son Cochon,

L’un en Cravate & l’autre en capuchon,

Se regardaient avec la complaisance,

Et le bon ton de gens de connaissance.

Près du Cochon le Mâtin de saint Roch,

Mauvais sujet, natif de Languedoc,

Portait empreins, sur sa fiere effigie,

Le gout méchant & la brutale envie

De mordre encor les gens sans dire rien.

Ah ! que saint Roch avait un vilain chien,

Très mal instruit, soit dit sans lui déplaire :

Le Bien-heureux aurait du s’en défaire,

Ou tout au moins, le mieux endoctriner ;

Mais, dit l’adage, il ne faut détourner

L’eau du moulin. Saint Roch était bon Prince ;

D’ailleurs le Chien, talent qui n’est point mince,

Adroitement savait voler du pain.

Dans un tableau, tout auprès du Mâtin

Un saint Crépin, avec Monsieur son frere,

En clair obscur, dans un char de lumiere,

Montraient au doigt les sept freres dormans

Qui d’un seul trait ont, durant trois cens ans,

Dans un pays voisin de la Cocagne,

Fait en ronflant des châteaux en Espagne,

Pour soutenir l’intérêt de la foi.

Vis-à-vis d’eux, sur la même paroi,

De sœur Théresse [sic] on voyait l’effigie,

Fille à talens, dont le vaste génie

Fut du Carmel le triomphe & l’honneur.

Auguste Sainte ! ô trois fois sacré cœur !

Vos yeux savans ont bien versé des larmes,

Pour rétablir la chasteté des Carmes.

Hélas ! ma sœur, le vent des cotillons

A moissonné les fruits de vos leçons.

Tout ne rit point à nos vœux sur la terre.

La chasteté (*), cette glissante affaire

Est délicate à prêcher aux humains :

Cette vertu, faite exprès pour les Saints

Ne peut tenir dans un vase d’argile ;

L’homme né faible & peut-être indocile,

Se croit permis ce qu’un instinct vainqueur

Par les desirs lui crie au fond du cœur.

Il dit à Dieu : Toi dont la main divine

A sur ma chair gravé dès l’origine,

Ce sentiment qui me porte à l’amour,

L’aurais-tu mis pour me damner un jour ?

Puis-je te faire, ô mon pere, une injure

En répondant au vœu de la nature ?

Suis-je damné pour avoir quelquefois,

Aux doux aspects de cent jolis minois

(De tes beautés trop legeres images)

Offert mes soins, mon cœur & mes hommages ?

Suis-je perdu, pour avoir dans leurs bras,

Ivre, charmé de leurs divins appas,

Trompé cent fois leurs vigilantes meres ?

O Dieu puissant ! O le meilleur des peres !

Un cœur si faible est l’œuvre de tes mains ;

As-tu sur lui de plus vastes desseins,

Que le plaisir d’adoucir sa misere ?

Ce feu qu’amour répandit sur la terre,

Est de ton cœur le plus tendre présent,

Doux, comme toi, fécond & bienfaisant,

Il serait même aussi pur que ton ame,

Si le mortel dans le choix de sa flamme

Ne consultait que la voix de son cœur.

Mais l’intérêt, ce tiran suborneur,

Pere des loix, de l’or & des richesses,

A mis à prix nos sensibles caresses ;

Tandis qu’on voit les Tigres & les Ours

Dans les forêts prodiguer leurs amours.

Or ce beau lieu, séjour de la molesse,

Est le Palais de Madame l’Abbesse.

Là, dans les bras du séduisant plaisir

Près d’un miroir, Dieu nouveau du loisir,

Madame ornait sa modeste figure.

Les soins flatteurs chargés de sa coëffure

Pliaient son voile & donnaient saintement

Un air aimable à son ajustement.

Un prude Amour, qu’on distingue à la mine,

Adroitement, sous une guimpe fine

Montrait aux yeux des profanes humains

Certains attraits arrondis par ses mains.

Là les enfans de Paphos & Cythere

Le doux souris, la joie & le mistere

Près de l’Abbesse, occupaient leurs loisirs

A mille jeux, à d’innocens plaisirs.

L’un en riant, enfilait un rosaire :

L’autre à son cou mettait un scapulaire :

L’un se ceignait du cordon de François :

L’autre pensif, calculait sur ses doigts,

Les beaux défauts de la brillante Histoire

Où Berruyer, de galante mémoire,

Sut travestir & moûler sur le ton

De Cléveland & de la Frétillon,

Du Peuple Hébreu les fastes mémorables,

Et des Chrétiens les monumens durables.

Que ce scandale est joliment écrit !

Comme on y fait parler au Saint-Esprit

Eloquemment le jargon des ruelles !

Ah ! pour picquer le bon goût des donzelles,

Des libertins, que ce livre est charmant !

Que Berruyer sait avec agrément

Unir à l’art du ton & du langage,

Ces jolis riens & ce papillonage,

Dont le Français orne tout ce qu’il dit !

Un autre Amour, un peu moins bel esprit,

En sommeillant lisait certain ouvrage

Où Jean Pichon étale, à chaque page,

Les saints moyens & le remede heureux

De garantir nos penchans vicieux

De tout excés [sic], en tombant dans un autre.

Ah ! qu’un Jésuite est un mauvais apôtre !

Or, vers ces lieux, où l’Abbesse & l’Amour

Ont, loin du siecle, établi leur séjour,

A pas comptés avançait sœur Compresse :

Son maigre front où l’infirme vieillesse

Avait gravé de sa débile main,

Du désespoir le jaunissant chagrin,

Ornait en beau son long visage étique :

Deux yeux flétris dont la mobile Optique

Ne jouait plus qu’au travers du Cristal,

Par ricochet n’accompagnaient pas mal

Un plat menton, deux machoires usées,

Où quatre dents depuis longtems brisées,

Pour déserter, n’attendaient que l’instant

Ou d’une toux ou d’un grand bâillement.

Quel animal, jour de Dieu, qu’une vieille !

Jamais, jamais la sinistre corneille

Chés les Romains, dans le tems d’Annibal,

Ne fut, je crois, d’augure plus fatal.

La sœur Compresse est déja chez Madame ;

Sa bouche plate, organe de son ame,

D’un faible ton prononce ce discours

Que ses sanglots interrompaient toujours :

Sublime esprit, dont la grandeur profonde

Dans un besoin pourrait régir le monde,

Divine Abbesse, à qui le Roi des Cieux

A dispensé, dans ces tranquilles lieux,

Le plein pouvoir de traiter sans clémence,

Les cœurs soumis à votre obéissance ;

A vos genoux, souffrés que ma douleur

Fasse en détail le récit d’un malheur

Qui, pour jamais éloignant la concorde,

Va du poison de l’affreuse discorde

Troubler des cœurs qui vivent sans s’aimer,

Sans se connaitre, & qui pour s’enflammer

L’un contre l’autre, ont dans cette maison

Dans chaque sœur, des sujets à foison.

Ah ! que dirai je, ô jour fatal au monde !

Nos jeunes sœurs, à qui l’esprit immonde

Avait sans doute inspiré son esprit,

Furent, Madame, au milieu de la nuit

Dans le chapitre, ô que ne peut l’audace !

Pour nous fronder arracher de sa place

Un vieux Balai, que nous logions céans,

En tout honneur, depuis près de cent ans.

Un si grand crime est digne de la foudre :

Cent confesseurs pourraient-ils bien l’absoudre ?

C’est un forfait, qui fait crier le Ciel

Cent fois plus haut que le peché mortel.

Tandis qu’ainsi l’éloquente Compresse,

Les yeux en pleurs, aux genoux de l’Abbesse,

De son Balai racontait les malheurs,

Son vif ennui, le dépit de ses sœurs ;

La sœur Ecoute, arriva chez Madame.

Sur son front chauve, image de son ame,

La vive joie avait en clair obscur

Peint de l’espoir le présage futur.

Venés, dit-elle, en parlant à l’Abbesse,

De nos plaisirs partager l’alégresse.

Le Directeur vous demande au parloir :

Il est brillant, plus brillant qu’un miroir.

De la santé les forces renaissantes

Ont dissipé ses couleurs jaunissantes ;

Non, la fraicheur du Lys & du Jasmin

N’approche pas de l’éclat de son teint.

Dieu nous bénit : n’en doutons point, Madame,

Celui qui voit dans le fond de notre ame,

Dont les regards peuvent percer les reins,

Du haut des Cieux a pesé nos chagrins.

Nos justes pleurs ont touché sa clémence.

Il a rendu par la convalescence

Un nouvel être à notre Directeur :

A tout jamais bénissons le Seigneur.

Disant ces mots on arrive à la grille,

On voit le Pere, & bientôt chaque fille

Sent dans son cœur ces sentimens puissans

Enfans du ciel, de la chair & des sens.

Dieu soit loué, lui dit la mere Abbesse !

De vous revoir que je sens d’alégresse !

Que dans ce cloître on a tremblé pour vous !

Vous étiez mort pour le monde & pour nous,

Si Loyola, par sa bonté puissante,

N’eût desarmé la parque menacante [sic].

Grand Inigo (*), que votre cœur est bon !

En Paradis vous avez le bras long ;

Et sur la terre, au gré de votre envie,

Des courts momens des songes de la vie

Vous disposés, dit-on, en souverain.

Mere de Dieu, cria sœur Augustin,

Qu’avec plaisir je vous revois, mon pere !

Comment sans vous vivre en paix sur la terre ?

Quel Directeur m’eût accordé ses soins,

Et comme vous soulagé mes besoins ?

Vous connaissés d’après l’expérience,

La profondeur de notre conscience.

Vous y coulés, prudent Samaritain,

L’eau sans pareille, avec l’huile & le vin.

Un Directeur, jeune & moins raisonnable

En écoutant certaine faute aimable

Peut nous donner trop de conception.

La chair est faible & son traître aiguillon

Porte son coup, souvent sans qu’on y pense.

Vive les vieux ! ils ont plus de prudence

Et vis-à-vis de nos cas réservés

Oncques, dit-on, leurs cas ne sont levés.

En beau Wallon la mere Jubilaire

Vint à son tour féliciter le pere ;

Sur ses genoux, son cadavre tremblant

Offrait aux yeux le portrait ressemblant

De Gelboé, (*) ces montagnes arides

Où la rosée, & les Zephirs humides

N’ont fait germer les fleurs ni les plaisirs.

Hélas ! dit-elle en poussant deux soupirs,

Le tems passé ne revient plus, mon pere.

Le verd printems, cette saison si chere,

Où le plaisirs enchaîne tous les cœurs,

Et leur prépare une moisson de fleurs,

Laisse après lui des regrets bien durables.

Vous n’êtes plus, tems heureux ! tems aimables !

S’écria-t-elle, en branlant son vieux corps.

A dix huit ans que j’étais jeune ! alors

Que j’allais bien ! que j’étais dégourdie !

Que je menais joïeusement la vie !

Bien rarement je restais au dortoir

Mais en revanche, à chaque heure au parloir,

On me souflait, d’un stile plein de flamme,

Ces jolis riens dont on berce une femme.

O tendre amour, faiblesse des grands cœurs

Que sur mes pas vous semâtes de fleurs !

Dans ce tems-là, j’en valais bien la peine :

Pour moi Paris eût quitté son Hélene :

J’avais alors, Dieu sait, assurément

De l’embonpoint & bien du maniement.

Tandis qu’ainsi, la mere Jubilaire

Par ses propos réveillait chez le pere

Certains desirs mal-éteints dans nos cœurs ;

De tous côtés, nos agissantes sœurs

Allaient, venaient, s’empressaient à lui rendre

Les doux devoirs & les soins qu’un cœur tendre

Rend avec joie à l’objet qu’il chérit.

Là tour-à-tour, pour piquer l’appétit

Du bon vieillard, on offrait à l’envie

Citrons amers, confits à l’eau de vie,

Force bonbons, excellens massepains,

Travaux sacrés de leurs oisives mains.

Du chocolat la liqueur échauffante

Allait porter dans son ame mourante

Cette chaleur, la mere des plaisirs,

De l’impuissance & de nos répentirs ;

Quand tout-à-coup la liqueur trop sucrée

Coulant trop tôt sur sa langue sacrée,

De son gosier froissa les deux parois :

Cet accident le fit tousser trois fois.

A cette toux on vit trembler la grille :

La vive joie au front de chaque fille

Vit dissiper ses riantes couleurs :

La volupté fit éclipser ses fleurs,

Et les plaisirs virent pâlir leurs roses.

On aurait vu sans doute d’autres choses

Si l’homme, hélas ! pouvait voir dans les cœurs.

A ce danger rédoublant ses clameurs

Mon bon Jesus ! s’écria mere Abbesse,

Le Révérend va périr de faiblesse.

Vîte au plutôt decouvrés lui le sein.

Auprès de lui, Jeanne Porte-latin,

Du Directeur dévote chambriere,

De ses deux mains déboutonnant le pere,

Deux doigts plus bas, allait étourdiment

Aux yeux bénits montrer incongruement

Certain objet que l’on porte à l’office,

Chés la Dupas (*) & que fille novice

Voit en tremblant pour la premiere fois.

Mais grace à Jeanne & grace à ces cinq doigts,

Le Révérend revint de sa faiblesse.

O fille aimable ! ô force enchanteresse !

Un Saint de bois, Jeanne Porte-latin,

Ainsi qu’un Carme eût bondi sous ta main.

Le Directeur de sa toux effroiable

Enfin guéri, l’Abbesse vénérable,

Les yeux au ciel poussant de grands hélas,

De son Balai raconta les débats.

Aux longs discours que lui faisait Madame,

Le saint docteur sentait au fond de l’ame

Je ne sais quoi d’un certain trouble affreux

Qui fait dresser la tête ou les cheveux.

O quelle histoire ! ô Dieu, qu’elle est terrible !

Jamais, dit-il, je n’ai vu dans la Bible,

Un trait si noir, un tour si peu chrétien.

Sans doute, hélas ! le saint Ange Gardien,

Avec la Vierge, a pleuré de tristesse ;

Et vous, dit-il s’adressant à l’Abbesse,

A qui tout doit par obligation,

L’obéissance & la soumission,

Coupés, taillés, calcinés ; s’il le faut,

Toutes les sœurs qui seront en défaut ;

N’écoutés rien & n’épargnés personne.

Dieu, vous le dit, & ma voix vous l’ordonne.

Auparavant, tâchons de les toucher

Allés au chœur, je m’en vais les prêcher.

 

 

(*) Légendaire.

(*) Vertu qui commence à être pratiquable [sic] à 70. ans.

(*) Vrai nom Espagnol, d’Ignace. Les Jesuites ont dit que leur fondateur était, comme Dieu, l’arbitre de nos jours. On peut voir ces magnifiques impertinences dans un sermon d’Ignace imprimé à Cologne. Voici le texte tiré de la premiere épitre de St Paul aux Hebreux. “Dieu ayant plusieurs fois & en plusieurs manieres parlé autrefois à nos peres par les Prophêtes a parlé à nous en ces derniers tems par son fils Ignace, lequel il a établi heritier de toute choses par lequel aussi il a fait les siecles.” L’orateur Ignatien eut la modestie d’oublier, & pour lequel il a fait le Ciel & le Paraguai.

(*) Monts arrides célebres dans l’Ecriture par leur sécheresse & leur inutilité. Cette idée est montée sur celle de Salomon qui compare la phisionomie de la Sulamite à celle d’un mouton qui rêve, son nez à la tour du Liban, &  es [sic] deux yeux aux fossés des remparts de Jerusalem.

(*) Vierge, femme & veuve de l’Opera.

 

 

 

CHANT CINQUIEME.

 

 

Description du Palais de Madame l’Abbesse. Ambassade de sœur Compresse. L’arrivée du Directeur. Accident du Pere. Indication du grand Chapitre pour le Balai.

 

 

Près d’un ruisseau, vers le soleil levant,

Dans un lointain, écarté du couvent,

Est un palais construit par la mollesse.

Le Dieu du goût, celui de la richesse

Ont à l’envi décoré ce beau lieu.

Cent doctes mains ont peint en camaïeu

D’après Géry, (*) les images parlantes,

Les saints travaux, les vertus conquérantes

Des Bienheureux, à qui nos soins mortels

Ont élevé de superbes autels.

Sur le plafond brillait dans un nuage

Du bon Larron la délicate image :

A son côté vêtu d’un surplis blanc

Saint Loyola lui servait de pendant.

Près d’une alcove on voyait en baroque

Le beau tableau de Marie à la Coque,

Qui vers Pairai, dévôte au sacré cœur,

A fait, dit-on, en tout bien, tout honneur,

Pendant le cours d’une assez longue vie,

Plus d’un miracle & plus d’une folie.

Vis-à-vis d’elle, un peu dans le lointain,

Un saint François, qui n’était point vilain,

Peint par van Dyk, décorait bien la place.

A ses côtés, mais tourné face à face,

Le grand Antoine & Monsieur son cochon,

L’un en cravate & l’autre en capuchon,

Se regardaient avec la complaisance

Et le bon ton des gens de connaissance.

Près du cochon le mâtin de saint Roch,

Mauvais sujet, natif de Languedoc,

Portait empreints, sur sa fiere effigie,

Le goût méchant & la brutale envie

De mordre encor les gens sans dire rien.

Ah ! que saint Roch avait un vilain chien,

Très-mal instruit, soit dit sans lui déplaire !

Le Bienheureux aurait s’en défaire,

Ou tout au moins, le mieux endoctriner ;

Mais, dit l’Adage, il ne faut détourner

L’eau du moulin. Saint Roch était bon Prince ;

D’ailleurs le chien, talent qui n’est point mince,

Adroitement savait voler du pain.

Dans un tableau, tout auprès du mâtin,

Un saint Crépin, avec Monsieur son frere,

En clair obscur, dans un char de lumiere,

Montraient au doigt les sept freres dormans

Qui d’un seul trait ont, durant trois cent ans,

Dans un pays voisin de la Cocagne,

Fait en ronflant des châteaux en Espagne,

Pour soutenir l’intérêt de la foi.

Vis-à-vis d’eux, sur la même paroi,

De sœur Thérese on voyait l’effigie,

Fille à talents, dont le vaste génie

Fut du Carmel le triomphe & l’honneur,

Auguste Sainte ! ô trois fois sacré cœur !

Vos yeux savants ont bien versé des larmes,

Pour rétablir la chasteté des Carmes.

Hélas ! ma sœur, le vent des cotillons

A moissonné les fruits de vos leçons.

Tout ne rit point à nos vœux sur la terre.

La chasteté, (*) cette glissante affaire,

Est délicate à prêcher aux humains,

Cette vertu, faite exprès pour les Saints,

Ne peut tenir dans un vase d’argile ;

L’homme né faible & peut-être indocile,

Se croit permis ce qu’un instinct vainqueur

Par les desirs lui crie au fond du cœur.

Il dit à Dieu : Toi dont la main divine

A sur ma chair gravé dès l’origine,

Ce sentiment qui me porte à l’amour,

L’aurais-tu mis pour me damner un jour ?

Puis-je te faire, ô mon pere, une injure,

En répondant au vœu de la nature ?

Suis-je damné pour avoir quelquefois,

Aux doux aspects de cent jolis minois

(De tes beautés trop légeres images)

Offert mes soins, mon cœur & mes hommages ?

Suis-je perdu, pour avoir dans leurs bras,

Yvre, charmé de leurs divins appas,

Trompé cent fois leurs vigilantes meres ?

O Dieu puissant ! O le meilleur des peres !

Un cœur si faible est l’œuvre de tes mains ;

As-tu sur lui de plus vastes desseins,

Que le plaisir d’adoucir sa misere ?

Ce feu qu’amour répandit sur la terre,

Est de ton cœur le plus tendre présent,

Doux comme toi, fécond & bienfaisant ;

Il serait même aussi pur que ton ame,

Si le mortel dans le choix de sa flamme

Ne consultait que la voix de son cœur.

Mais l’intérêt, ce tyran suborneur,

Pere des loix, de l’or & des richesses,

A mis à prix nos sensibles caresses ;

Tandis qu’on voit les tygres & les ours,

Dans les forêts prodiguer leurs amours.

Or ce beau lieu, séjour de la mollesse,

Est le palais de Madame l’Abbesse.

Là, dans les bras du séduisant plaisir,

Près d’un miroir, Dieu nouveau du loisir,

Madame ornait sa modeste figure.

Les soins flatteurs chargés de sa coeffure

Pliaient son voile & donnaient saintement

Un air aimable à son ajustement.

Un prude amour, qu’on distingue à la mine,

Adroitement, sous une guimpe fine,

Montrait aux yeux des profanes humains

Certains attraits arrondis par ses mains.

Là les enfans de Paphos & Cythere,

Le doux souris, la joye & le mystere,

Près de l’Abbesse, occupaient leurs loisirs

A mille jeux, à d’innocents plaisirs.

L’un, en riant, enfilait un rosaire :

L’autre à son cou mettait un scapulaire :

L’un se ceignait du cordon de François :

L’autre pensif, calculait sur ses doigts,

Les beaux défauts de la brillante histoire

Où Berruyer, de galante mémoire,

Sut travestir & mouler sur le ton

De Cléveland & de la Frétillon,

Du Peuple Hébreu les fastes mémorables,

Et des Chrétiens les monuments durables.

Que ce scandale est joliment écrit !

Comme on y fait parler au Saint-Esprit

Eloquemment le jargon des ruelles !

Ah ! pour piquer le bon goût des donzelles,

Des libertins, que ce livre est charmant !

Que Berruyer sait avec agrément

Unir à l’art du ton & du langage,

Ces jolis riens, & ce papillonnage,

Dont le Français orne tout ce qu’il dit !

Un autre amour, un peu moins bel esprit,

En sommeillant lisait certain ouvrage

Où Jean Pichon étale, à chaque page,

Les saints moyens & le remede heureux

De garantir nos penchants vicieux

De tout excès, en tombant dans un autre.

Ah ! qu’un Jésuite est un mauvais apôtre !

Or, vers ces lieux, où l’Abbesse & l’Amour

Ont, loin du siecle, établi leur séjour,

A pas comptés avançait sœur Compresse :

Son maigre front où l’infirme vieillesse

Avait gravé de sa débile main,

Du désespoir le jaunissant chagrin,

Ornait en beau son long visage étique :

Deux yeux flétris ; dont la mobile optique

Ne jouait plus qu’au travers du crystal,

Par ricochet n’accompagnaient pas mal

Un plat menton, deux machoires usées,

Où quatre dents depuis long-temps brisées,

Pour déserter, n’attendaient que l’instant

Ou d’une toux, ou d’un grand bâillement.

Quel animal, jour de Dieu, qu’une vieille !

Jamais, jamais la sinistre corneille

Chez les Romains dans le temps d’Annibal,

Ne fut, je crois, d’augure plus fatal.

La sœur Compresse est déjà chez Madame ;

Sa bouche plate, organe de son ame,

D’un foible ton prononce ce discours

Que ses sanglots interrompaient toujours :

Sublime esprit, dont la grandeur profonde

Dans un besoin pourrait régir le monde,

Divine Abbesse, à qui le Roi des Dieux

A dispensé, dans ces tranquilles lieux,

Le plein pouvoir de traiter sans clémence,

Les cœurs soumis à votre obéissance ;

A vos genoux, souffrez que ma douleur

Fasse en détail le récit d’un malheur

Qui, pour jamais, éloignant la concorde,

Va du poison de l’affreuse discorde,

Troubler des cœurs qui vivent sans s’aimer,

Sans se connaître, & qui, pour s’enflammer

L’un contre l’autre, ont dans cette maison,

Dans chaque sœur, des sujets à foison.

Ah ! que dirai-je, ô jour fatal au monde !

Nos jeunes sœurs, à qui l’esprit immonde

Avait sans doute inspiré son esprit,

Furent, Madame, au milieu de la nuit

Dans le Chapitre, ô que ne peut l’audace !

Pour nous fronder arracher de sa place

Un vieux Balai, que nous logions céans,

En tout honneur, depuis près de cent ans.

Un si grand crime est digne de la foudre :

Cent confesseurs pourraient-ils bien l’absoudre ?

C’est un forfait, qui fait crier le Ciel

Cent fois plus haut que le péché mortel.

Tandis qu’ainsi l’éloquente Compresse,

Les yeux en pleurs, aux genoux de l’Abbesse,

De son Balai racontait les malheurs,

Son vif ennui, le dépit de ses sœurs ;

La sœur Ecoute arriva chez Madame.

Sur son front chauve, image de son ame,

La vive joye avait en clair obscur

Peint de l’espoir le présage futur.

Venez, dit-elle, en parlant à l’Abbesse,

De nos plaisirs partager l’allégresse.

Le directeur vous demande au parloir :

Il est brillant, plus brillant qu’un miroir.

De la santé les forces renaissantes

Ont dissipé ses couleurs jaunissantes ;

Non, la fraîcheur du Lys & du Jasmin

N’approche pas de l’éclat de son teint.

Dieu nous bénit : n’en doutons point, Madame,

Celui qui voit dans le fond de notre ame,

Dont les regards peuvent percer les reins,

Du haut des Cieux a pesé nos chagrins.

Nos justes pleurs ont touché sa clémence ;

Il a rendu par la convalescence

Un nouvel être à notre directeur :

A tout jamais bénissons le Seigneur.

Disant ces mots on arrive à la grille,

On voit le Pere, & bientôt chaque fille

Sent dans son cœur ces sentiments puissants,

Enfants du ciel, de la chair & des sens.

Dieu soit loué, lui dit la mere Abbesse,

De vous revoir que je sens d’allégresse !

Que dans ce cloître on a tremblé pour vous !

Vous étiez mort pour le monde & pour nous,

Si Loyola, par sa bonté puissante,

N’eût désarmé la parque menaçante.

Grand Inigo, (*) que votre cœur est bon !

En Paradis vous avez le bras long ;

Et sur la terre, au gré de votre envie,

Des courts moments des songes de la vie

Vous disposez, dit-on, en souverain.

Mere de Dieu, cria sœur Augustin,

Qu’avec plaisir je vous revois, mon pere !

Comment sans vous vivre en paix sur la terre ?

Quel Directeur m’eût accordé ses soins,

Et comme vous soulagé mes besoins ?

Vous connaissez d’après l’expérience,

La profondeur de notre conscience.

Vous y coulez, prudent Samaritain,

L’eau sans pareille, avec l’huile & le vin.

Un directeur, jeune & moins raisonnable,

En écoutant certaine faute aimable,

Peut nous donner trop de conception.

La chair est faible, & son traître aiguillon

Porte son coup, souvent sans qu’on y pense.

Vivent [sic] les vieux ! ils ont plus de prudence ;

Et vis-à-vis de nos cas réservés,

Oncques, dit-on, leurs cas ne sont levés.

En beau Wallon la mere Jubilaire

Vint à son tour féliciter le pere ;

Sur ses genoux, son cadavre tremblant

Offrait aux yeux le portrait ressemblant

De Gelboé, (*) ces montagnes arides,

Où la rosée, & les zéphyrs humides,

N’ont fait germer les fleurs ni les plaisirs.

Hélas ! dit-elle en poussant deux soupirs,

Le temps passé ne revient plus, mon pere.

Le verd printemps, cette saison si chere,

Où le plaisirs enchaîne tous les cœurs,

Et leur prépare une moisson de fleurs,

Laisse après lui des regrets bien durables.

Vous n’êtes plus, temps heureux ! temps aimables !

S’écria-t-elle, en branlant son vieux corps.

A dix-huit ans que j’étais jeune ! alors

Que j’allais bien ! que j’étais dégourdie !

Que je menais joyeusement la vie !

Bien rarement je restais au dortoir ;

Mais en revanche, à chaque heure au parloir,

On me soufflait, d’un style plein de flamme,

Ces jolis riens dont on berce une femme.

O tendre amour, faiblesse des grands cœurs,

Que sur mes pas vous semâtes de fleurs !

Dans ce temps là, j’en valais bien la peine :

Pour moi Pâris eût quitté son Hélene :

J’avais alors, Dieu sait, assurément

De l’embonpoint & bien du maniement.

Tandis qu’ainsi, la mere Jubilaire

Par ses propos réveillait chez le pere,

Certains desirs mal-éteints dans nos cœurs ;

De tous côtés, nos agissantes sœurs

Allaient, venaient, s’empressaient à lui rendre

Les doux devoirs & les soins qu’un cœur tendre

Rend avec joie à l’objet qu’il chérit.

Là tour-à-tour, pour piquer l’appétit

Du bon vieillard, on offrait à l’envie

Citrons amers, confits à l’eau-de-vie,

Force bonbons, excellents massepains,

Travaux sacrés de leurs oisives mains.

Du chocolat la liqueur échauffante

Allait porter dans son ame mourante,

Cette chaleur, la mere des plaisirs,

De l’impuissance & de nos répentirs ;

Quand tout à coup la liqueur trop sucrée

Coulant trop tôt sur sa langue sacrée,

De son gosier froissa les deux parois :

Cet accident le fit tousser trois fois.

A cette toux on vit trembler la grille :

La vive joye au front de chaque fille

Vit dissiper ses riantes couleurs :

La volupté fit éclipser ses fleurs,

Et les plaisirs virent pâlir leurs roses.

On aurait vu sans doute d’autres choses,

Si l’homme, hélas ! pouvait voir dans les cœurs.

A ce danger redoublant ses clameurs,

Mon bon Jesus ! s’écria mere Abbesse,

Le révérend va périr de faiblesse.

Vîte au plutôt découvrez-lui le sein.

Auprès de lui, Jeanne Porte-latin,

Du directeur dévôte chambriere,

De ses deux mains déboutonnant le pere,

Deux doigts plus bas, allait étourdiment

Aux yeux bénits montrer incongruement,

Certain objet que l’on porte à l’office,

Chez la Dupas (*) & que fille novice

Voit en tremblant pour la premiere fois.

Mais grace à Jeanne & grace à ses cinq doigts,

Le révérend revint de sa faiblesse.

O fille aimable ! ô force enchanteresse !

Un Saint de bois, Jeanne Porte-latin,

Ainsi qu’un Carme eût bondi sous ta main.

Le directeur de sa toux effroyable

Enfin guéri, l’Abbesse vénérable,

Les yeux au Ciel poussant de grands hélas,

De son Balai raconta les débats.

Aux longs discours que lui faisait Madame,

Le saint docteur sentait au fond de l’ame

Je ne sais quoi d’un certain trouble affreux

Qui fait dresser la tête ou les cheveux.

O quelle histoire ! ô Dieu, qu’elle est terrible !

Jamais, dit-il, je n’ai vu dans la Bible,

Un trait si noir, un tour si peu chrétien.

Sans doute, hélas ! le saint Ange Gardien,

Avec la Vierge, a pleuré de tristesse ;

Et vous, dit-il, s’adressant à l’Abbesse,

A qui tout doit par obligation,

L’obéissance & la soumission,

Coupez, taillez, calcinez, s’il le faut,

Toutes les sœurs qui seront en défaut.

N’écoutez rien, & n’épargnez personne.

Dieu vous le dit, & ma voix vous l’ordonne.

Auparavant, tâchons de les toucher ;

Allez au chœur, je m’en vais les prêcher.

 

 

(*) Légendaire.

(*) Vertu qui commence à être praticable à 70 ans.

(*) Vrai nom Espagnol d’Ignace. Les Jésuites ont dit que leur fondateur était comme Dieu, l’arbitre de nos jours. On peut voir ces magnifiques impertinences dans un sermon d’Ignace imprimé à Cologne. Voici le texte tiré de la premiere épître de Saint Paul aux Hébreux. “Dieu ayant plusieurs fois & en plusieurs manieres parlé autrefois à nos peres par les Prophétes, a parlé à nous en ces derniers temps par son fils Ignace, lequel il a établi héritier de toutes choses par lequel aussi il a fait les siecles.” L’orateur Ignatien eût la modestie d’oublier : & pour lequel il a fait le Ciel & le Paraguai.

(*) Monts arides, célébres dans l’Ecriture par leur sécheresse & leur inutilité. Cette idée est montée sur celle de Salomon, qui compare la physionomie de la Sulamite à celle d’un mouton qui rêve, son nez à la tour du Liban, & ses deux yeux aux fossés des remparts de Jérusalem.

(*) Vierge, femme & veuve de l’Opéra.

 

 

 

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CHANT SIXIÈME

 

 

CHANT SIXIEME.

 

 

Sermon du Pere Directeur sur le trou du néant, le trou du péché & le trou du monde. Premier point.

 

 

Déja trois fois la jeune sœur Louise

Avait branlé les tambours de l’église,

Et rassemblé les Nonnes au Sermon.

Le Révérend installé sur l’embon,

Se recueillant parcourait, l’ame émue,

Mille agrémens étalés sous sa vue.

De tant d’attraits le spectacle divin

Avait rougi la pâleur de son teint,

Et ranimé, dans son œil catholique,

Du chaste amour la chaleur séraphique.

Son ajusté, bien peigné cette fois,

Embellisait [sic] son modeste minois.

Un rabat blanc, dressé sans élégance,

Des cheveux plats, que la réforme en France

Vient d’introduire avec le grand chapeau,

Donnaient au pere un mérite nouveau,

Un air savant, le ton du saint sulpice :

Ainsi paré de ce maintien novice,

Et de sa voix adoucissant le son,

Le Directeur commença le Sermon.

Dans cette chaire, où la mince éloquence,

Le mauvais goût & la platte ignorance,

Ont quelquefois dans leur propos diffus

Loué le vice & flétri les vertus ;

Je viens, mes sœurs, vous prêcher la misere,

Et trois vieux trous d’où notre premier pere

Sortit jadis pour peupler ces bas lieux.

Vous le savés, le grand Maître des Cieux,

Pour s’amuser, façonnant la matiere,

Fit un château nommé la Fourmilliere.

Ce sol ingrat est dur & raboteux,

Dans certains trous il est un peu véreux ;

Il ne tient plus ; du côté de Lisbonne

Il tremble, il s’ouvre & la mort l’environne.

Là, gît le mal caché sous des jupons,

Là sont des sots, ici sont des fripons,

Sans les Frérons qui sont encore à naître.

Environné de l’éclat du bien-être,

Le grand se rit des fraieurs des petits.

Le peuple croit aller en Paradis

Rire, s’ébattre auprès de Magdelaine ;

Dieu veuille un jour récompenser sa peine !

Pour vous, mes sœurs, qui dans ce vieux château

Avés creusé dès l’enfance un tombeau,

Pour vous sévrer des douceurs de la terre ;

Dans les déserts de votre monastere

Où vous comptés les jours par les ennuis,

Songés toujours que vous vintes jadis

De ces trois trous que le mensonge habite,

Trous plus affreux que le sombre Cocite.

Le premier trou fut celui de néant ;

Quand du bon Dieu le soufle tout-puissant,

Mit dans le cœur de votre premier pere

Ce feu subtil, qu’à la premiere mere

L’heureux Adam, fils ainé de l’Amour,

Avec transport prodiguait chaque jour.

Cet heureux feu renfermé dans la pomme,

Etait encor un mistere pour l’homme,

Lorsqu’un matin dans un jardin fruitier,

Sa jeune épouse apperçut un pommier.

Voici, dit-elle, un arbre qui m’enchante :

De son beau fruit la couleur ravissante

Charme mes yeux : si j’en crois mes desirs,

Ce rare fruit me promet des plaisirs.

Dans ce jardin pour tenter l’innocence,

Et l’homme encore à peine à son enfance,

Dieu tout exprès avait mis un Serpent,

Vieux connaisseur & malin comme cent.

Le fier reptil [sic] avait pris la figure,

L’air sémillant, l’élégante parure,

D’un merveilleux, d’un homme du bon ton

Et l’esprit fort d’un jeune greluchon.

Il avait lu mainte fois dans sa vie

Certains beaux vers écrits pour Uranie,

Où notre Oracle avec attention

Offre aux chrétiens les deux bouts du bâton.

Or le Serpent appercevant la femme,

Et dans ses yeux jugeant que sur son ame

Le fruit nouveau faisait impression,

De la tenter saisit l’occasion.

Pourquoi, dit-il, du fruit de cet arbuste,

D’un Dieu jaloux un ordre trop injuste

Vous prive-t-il de gouter les douceurs ?

Quoi ? le plaisir, cet aliment des cœurs,

N’est point pour vous la douce nourriture

Qu’au moindre insecte accorde la nature ?

Vous languissés, tandis que ces oiseaux

Autour de vous, perchés sur ces ormeaux,

Chantent leurs feux, éprouvent les caresses

Que sa bonté prodigue à leurs tendresses ?

Ah ! si celui qui vous donna le jour,

Vous cache encor les plaisirs de l’amour,

De quel bienfait a-t-il comblé votre être ?

Si du néant sa grandeur vous fit naître,

Si de ses mains, il forma votre cœur,

Si le desir, ce sentiment vainqueur,

Au fond de l’ame incessamment vous crie :

” Le doux plaisir est le miel de la vie ;

A cette voix pourquoi résistés vous ?

Du tendre amour Dieu serait-il jaloux ?

Comment, sans lui, veut-il orner la terre ?

Comment ce Dieu, qui de rien sut tout faire,

Et dont la voix d’un seul mot tout-puissant

Pendant six jours fit sortir du néant,

Le bien, le mal, & sa fragile image,

Voudrait encor conserver d’âge en âge

L’œuvre imparfait de ses puissantes mains,

Sans allumer dans le cœur des humains

Ces feux sacrès [sic] que son sein fait éclore ?

Feux plus brillans que les feux de l’aurore.

Au long discours de l’Ange tentateur,

Eve sentit dans le fond de son cœur

Les premiers feux qu’allume la tendresse.

Son front serein, où brillait la jeunesse,

Prenait déja la couleur du plaisir.

Dans ses beaux yeux, la chaleur du desir

Au séducteur promettait la victoire.

Vous, que j’admire & que je voudrais croire,

Répondit Eve en lorgnant le Serpent,

Est-il bien vrai que ce fruit séduisant

Soit du plaisir la source intarissable ?

Mon cœur le dit, mais un ordre immuable

De l’éternel me défend d’y toucher :

Car dans ce fruit il a voulu cacher

Aux yeux des Cieux, aux miens, à ceux du monde,

Du bien, du mal, la science profonde ;

Mistere obscur, où mon œil ne voit rien.

Pour fuir le mal, ou pour faire le bien,

De l’un & l’autre il faut la connaissance.

Comment veut-il que mon intelligence

Qui les ignore, obéisse à sa loi ?

Si le plaisir, si tout est fait pour moi

Pourquoi veut-il me cacher ce que j’aime ?

Si tout est bien, comme il l’a dit lui-même,

Comment ce fruit peut-il nuire à mon cœur ?

Du bien, du mal, le Ciel est-il l’auteur ?

Un même fruit peut-il leur donner l’être ?

Au sein du bien, le mal pourrait-il naître ?

Non : le Ciel fit, je le vois aujourd’hui,

L’amour pour nous, la sagesse pour lui.

Disant ces mots Eve mordit la pomme,

Et le Serpent au front du premier homme

Planta ce bois qui croit en tout païs,

A Londres, à Rome & sur-tout à Paris.

Ainsi ce feu fut transmis à vos peres,

Qui tout-à-coup amoureux de vos meres,

Furent six mois, peut-être plus ou moins

A leur prouver, par d’inutiles soins,

Le haut dégré de leur concupiscence,

L’éternité d’une ferme constance.

Fidélité, vertu des cœurs étroits,

Vous êtes belle, & vous devés, je crois,

Bien ennuier le cœur & la tendresse,

Si les amans sont vrais dans leur promesse.

Enfin, mes sœurs, plein de ce feu puissant

Votre Papa, pour avoir le néant

Du jeune objet qui chatouillait son ame,

Et se charger du fardeau d’une femme,

Fit un contrat où signa l’intérêt ;

Et de concert avec son jeune objet

Alla trouver le curé du village,

Qui dans leurs yeux voiant du mariage

Quatre témoins, publia par trois fois,

Que les amants ayant fixé leur choix,

Feraient bientôt, en face de l’église,

Ce joli jeu, cette douce sottise,

Qu’on fait souvent de Paris à Pékin,

Sans eau bénite & sans un mot latin.

Grand Sacrement, fils de la pénitence,

Sacrés liens qui rarement, je pense,

Pouvés unir la femme à son époux,

Vous n’êtes plus aujourd’hui parmi nous,

Qu’un nœud coulant qu’on lâche & qu’on méprise :

Malgré les soins que se donne l’église

De vous serrer, vous rompés tous les jours.

Enfin, mes sœurs, graces au Dieu des amours,

Neuf mois après vous eûtes l’existance,

Et dans l’instant le Ciel par sa puissance

Vous retira du vieux trou du péché,

Où dans Adam perfidement niché

L’homme naissait pour être enfant du Diable.

Ce trait, mes sœurs, est bien épouvantable,

Faut-il, hélas ! que sur nous aujourd’hui

Retombe encor la sottise d’autrui !

Si Mons Adam, & sa coupable côte

L’ont offensé, ce n’est point notre faute.

Aucun de nous n’existait dans ce tems ;

Et puis le Ciel en veut-il tant aux gens ?

Sévira-t-il contre un morceau de terre ;

D’abord on boude, on se met en colere,

On n’entend rien dans le premier moment ;

Mais on revient, & puis en raisonnant,

On s’apperçoit que la parfaite image

N’est dans le fond qu’un méchant barbouillage,

Un pot pourri, l’ouvrage de ses mains ;

Et sans rancune on pardonne aux humains.

Vers quatorze ans, au printems de votre âge,

Pour conserver des périls du naufrage

Certaine fleur qui doit périr un jour

Entre les bras d’un sot ou de l’amour,

Un pere dur voiant que la jeunesse

Sur votre front déployait sa richesse,

Et les appas qui tentent le pécheur ;

Craignant pour vous une trompeuse ardeur,

De quatre murs scella votre innocence.

Un orateur, tout gonflé d’ignorance,

Vous assura dans un méchant sermon

Qu’un voile épais faisait peur au démon,

Qu’un jupon blanc embellissait une ame,

Et que la terre où le plaisir infame

Fait si souvent lever les tabliers,

Sur sa surface avait des ouvriers

Qui sont toujours à travailler les filles,

Les molester, offrir aux plus gentilles

Milles plaisirs pour un chiffon de fleur.

Que bien vous prit de garder votre honneur !

Aussi le Ciel sera votre partage ;

Et vos bijoux (*) au celeste héritage

Extasiront le peuple bien-heureux :

Environnés de tout l’éclat des cieux,

Ils jouiront d’une gloire immortelle

Les Cherubins dans leur prose éternelle

Les chanteront ; Lansberg avec éclat ()

En grossira son chétif Almanac.

Hélas ! pour vous, victimes malheureuses

Qu’un sort cruel, ou les façons affreuses

D’un pere ingrat, menerent aux autels,

Comment calmer vos chagrins éternels ?

Ce sombre lieu ne peut tarir vos larmes :

L’amour pour vous a perdu tous ses charmes.

Le préjugé vous condamne à souffrir :

Consolés vous dans l’espoir de mourir.

Le cloître est plein des pechés de la terre.

Hélas ! souvent les fruits de l’adultere

Sont destinés à gémir dans ces lieux.

O cœurs pervers ! ô mortels odieux !

Expiés vous un crime par un autre ?

Sage nature, ô mon divin apôtre !

Si ta morale est d’un Dieu créateur,

Et si ta loi, gravée au fond du cœur,

Est l’œuvre saint de la main de ton maître,

Cet univers est-il ce qu’il doit être ?

 

 

(*) Les Nonnes qui ont un langage proportioné à la petitesse de leur génie, appellent leur svertus [sic] des bijoux.

() Mathieu Lansberg auteur perpétuel d’un Mensonge imprimé, nommé l’Almanach de Liege.

 

 

 

CHANT SIXIEME.

 

 

Sermon du Pere Directeur sur le trou du néant, le trou du péché, & le trou du monde. Premier point.

 

 

DÉjà trois fois la jeune sœur Louise

Avait branlé les tambours de l’Eglise,

Et rassemblé les Nonnes au Sermon.

Le Révérend installé sur l’embon,

Se recueillant, parcourait, l’ame émue,

Mille agréments étalés sous sa vue.

De tant d’attraits le spectacle divin

Avait rougi la pâleur de son teint,

Et ranimé, dans son œil catholique,

Du chaste amour la chaleur séraphique.

Son ajusté, bien peigné cette fois,

Embellissait son modeste minois.

Un rabat blanc, dressé sans élégance,

Des cheveux plats, que la Réforme en France

Vient d’introduire avec le grand chapeau,

Donnaient au pere un mérite nouveau,

Un air savant, le ton du Saint Sulpice :

Ainsi paré de ce maintien novice,

Et de sa voix adoucissant le son,

Le Directeur commença le sermon.

Dans cette chaire, où la mince éloquence,

Le mauvais goût & la plate ignorance,

Ont quelquefois dans leurs propos diffus

Loué le vice & flétri les vertus ;

Je viens, mes sœurs, vous prêcher la misere,

Et trois vieux trous d’où notre premier pere

Sortit jadis pour peupler ces bas lieux.

Vous le savez, le grand maître des Cieux,

Pour s’amuser, façonnant la matiere,

Fit un château nommé la Fourmilliere.

Ce sol ingrat est dur & raboteux,

Dans certains trous il est un peu verreux ;

Il ne tient plus ; du côté de Lisbonne

Il tremble, il s’ouvre, & la mort l’environne.

Là, gît le mal caché sous des jupons,

Là, sont des sots, ici sont des fripons,

Sans les Frérons qui sont encore à naître.

Environné de l’éclat du bien-être,

Le grand se rit des frayeurs des petits.

Le peuple croit aller en Paradis

Rire, s’ébattre auprès de Magdelaine ;

Dieu veuille un jour récompenser sa peine !

Pour vous, mes sœurs, qui dans ce vieux château

Avez creusé dès l’enfance un tombeau,

Pour vous sevrer des douceurs de la terre ;

Dans les déserts de votre monastere

Où vous comptez les jours par les ennuis,

Songez toujours que vous vîntes jadis

De ces trois trous que le mensonge habite,

Trous plus affreux que le sombre Cocyte.

Le premier trou fut celui de néant ;

Quand du bon Dieu le souffle tout-puissant,

Mit dans le cœur de votre premier pere,

Ce feu subtil, qu’à la premiere mere

L’heureux Adam, fils aîné de l’amour,

Avec transport prodiguait chaque jour.

Cet heureux feu renfermé dans la pomme,

Etait encor un mystere pour l’homme,

Lorsqu’un matin dans un jardin fruitier,

Sa jeune épouse apperçut un pommier.

Voici, dit-elle, un arbre qui m’enchante :

De son beau fruit la couleur ravissante

Charme mes yeux : si j’en crois mes desirs,

Ce rare fruit me promet des plaisirs.

Dans ce jardin pour tenter l’innocence,

Et l’homme encor à peine en son enfance,

Dieu tout exprès avait mis un Serpent,

Vieux connaisseur & malin comme cent.

Le fier reptile avait pris la figure,

L’air sémillant, l’élégante parure,

D’un merveilleux, d’un homme du bon ton

Et l’esprit fort d’un jeune greluchon.

Il avait lu mainte fois dans sa vie

Certains beaux vers écrits pour Uranie,

Où notre oracle avec attention

Offre aux chrétiens les deux bouts du bâton.

Or, le Serpent appercevant la femme,

Et dans ses yeux jugeant que sur son ame

Le fruit nouveau faisait impression,

De la tenter saisit l’occasion.

Pourquoi, dit-il, du fruit de cet arbuste,

D’un Dieu jaloux un ordre trop injuste

Vous prive-t-il de goûter les douceurs ?

Quoi ? le plaisir, cet aliment des cœurs,

N’est point pour vous la douce nourriture

Qu’au moindre insecte accorde la nature ?

Vous languissez, tandis que ces oiseaux

Autour de vous, perchés sur ces ormeaux,

Chantent leurs feux, éprouvent les caresses

Que sa bonté prodigue à leurs tendresses ?

Ah ! si celui qui vous donna le jour,

Vous cache encor les plaisirs de l’amour,

De quel bienfait a-t-il comblé votre être ?

Si du néant sa grandeur vous fit naître,

Si de ses mains, il forma votre cœur,

Si le desir, ce sentiment vainqueur,

Au fond de l’ame incessamment vous crie :

” Le doux plaisir est le miel de la vie ;

A cette voix pourquoi résistez-vous ?

Du tendre amour Dieu serait-il jaloux ?

Comment, sans lui, veut-il orner la terre ?

Comment ce Dieu, qui de rien sut tout faire,

Et dont la voix d’un seul mot tout-puissant,

Pendant six jours fit sortir du néant,

Le bien, le mal, & sa fragile image,

Voudrait encor conserver d’âge en âge,

L’œuvre imparfait de ses puissantes mains,

Sans allumer dans le cœur des humains

Ces feux sacrés que son sein fait éclore,

Feux plus brillants que les feux de l’aurore !

Au long discours de l’Ange tentateur,

Eve sentit dans le fond de son cœur

Les premiers feux qu’allume la tendresse.

Son front serein, où brillait la jeunesse,

Prenait déjà la couleur du plaisir.

Dans ses beaux yeux, la chaleur du desir

Au seducteur promettait la victoire.

Vous, que j’admire, & que je voudrais croire,

Répondit Eve en lorgnant le serpent,

Est-il bien vrai que ce fruit séduisant,

Soit du plaisir la source intarissable ?

Mon cœur le dit, mais un ordre immuable

De l’éternel me défend d’y toucher :

Car dans ce fruit il a voulu cacher

Aux yeux des Cieux, aux miens, à ceux du monde,

Du bien, du mal, la science profonde ;

Mystere obscur, où mon œil ne voit rien.

Pour fuir le mal, pour faire le bien,

De l’un & l’autre il faut la connoissance.

Comment veut-il que mon intelligence,

Qui les ignore, obéisse à sa loi ?

Si le plaisir, si tout est fait pour moi ;

Pourquoi veut-il me cacher ce que j’aime ?

Si tout est bien, comme il l’a dit lui-même ;

Comme ce fruit peut-il nuire à mon cœur

Du bien, du mal, le Ciel est-il l’auteur ?

Un même fruit peut-il leur donner l’être ?

Au sein du bien, le mal pourroit-il naître ?

Non : le Ciel fit, je le vois aujourd’hui,

L’amour pour nous, la sagesse pour lui.

Disant ces mots, Eve mordit la pomme,

Et le serpent au front du premier homme

Planta ce bois qui croît en tout pays,

A Londres, à Rome, & sur-tout à Paris.

Ainsi ce feu fut transmis à vos peres,

Qui tout à coup amoureux de vos meres,

Furent six mois, peut-être plus ou moins,

A leur prouver par d’inutiles soins,

Le haut degré de leur concupiscence,

L’éternité d’une ferme constance.

Fidélité, vertu des cœurs étroits,

Vous êtes belle, & vous devez, je crois,

Bien ennuyer le cœur & la tendresse,

Si les amants sont vrais dans leur promesse.

Enfin, mes sœurs, plein de ce feu puissant,

Votre papa, pour avoir le néant

Du jeune objet qui chatouillait son ame,

Et se charger du fardeau d’une femme,

Fit un contrat où signa l’intérêt,

Et de concert avec son jeune objet,

Alla trouver le curé du village,

Qui dans leurs yeux voyant du mariage

Quatre témoins, publia par trois fois,

Que les amants ayant fixé leur choix,

Feraient bientôt, en face de l’église,

Ce joli jeu, cette douce sottise,

Qu’on fait souvent de Paris à Pékin,

Sans eau bénite & sans un mot latin.

Grand Sacrement, fils de la pénitence,

Sacrés liens, qui rarement, je pense,

Pouvez unir la femme à son époux,

Vous n’êtes plus aujourd’hui parmi nous,

Qu’un nœud coulant qu’on lâche & qu’on méprise :

Malgré les soins que se donne l’église

De vous serrer, vous rompez tous les jours.

Enfin, mes sœurs, graces au Dieu des amours,

Neuf mois après vous eûtes l’existance,

Et dans l’instant le Ciel par sa puissance

Vous retira du vieux trou du péché,

Où, dans Adam perfidement niché,

L’homme naissait pour être enfant du Diable.

Ce trait, mes sœurs, est bien épouvantable ;

Faut-il, hélas ! que sur nous aujourd’hui,

Retombe encor la sottise d’autrui !

Si Mons Adam ; & sa coupable côte

L’ont offensé, ce n’est point notre faute.

Aucun de nous n’existait dans ce temps ;

Et puis le Ciel en veut-il tant aux gens ?

Sévira-t-il contre un morceau de terre ?

D’abord on boude, on se met en colere,

On n’entend rien dans le premier moment ;

Mais on revient ; & puis en raisonnant,

On s’apperçoit que la parfaite image

N’est dans le fond qu’un méchant barbouillage,

Un pot pourri, l’ouvrage de ses mains,

Et sans rancune on pardonne aux humains.

Vers quatorze ans, au printemps de votre âge,

Pour conserver des perils du naufrage,

Certaine fleur qui doit périr un jour

Entre les bras d’un sot ou de l’amour,

Un pere dur voyant que la jeunesse,

Sur votre front déployait sa richesse,

Et les appas qui tentent le pécheur ;

Craignant pour vous une trompeuse ardeur,

De quatre murs scella votre innocence.

Un orateur, tout gonflé d’ignorance,

Vous assura dans un méchant sermon

Qu’un voile épais faisait peur au démon,

Qu’un jupon blanc embellissait une ame,

Et que la terre, où le plaisir infame

Fait si souvent lever les tabliers :

Sur sa surface avait des ouvriers,

Qui sont toujours à travailler les filles,

Les molester, offrir aux plus gentilles,

Milles plaisirs pour un chiffon de fleur.

Que bien vous prit de garder votre honneur !

Aussi le Ciel sera votre partage ;

Et vos bijoux (*) au céleste héritage

Extasiront le peuple bienheureux :

Environnés de tout l’éclat des cieux,

Ils jouiront d’une gloire immortelle :

Les Chérubins dans leur prose éternelle

Les chanteront ; Lansberg avec éclat, (*)

En grossira son chétif Almanach.

Hélas ! pour vous, victimes malheureuses,

Qu’un sort cruel, les façons affreuses

D’un pere ingrat, menerent aux autels,

Comment calmer vos chagrins éternels ?

Ce sombre lieu ne peut tarir vos larmes :

L’amour pour vous a perdu tous ses charmes.

Le préjugé vous condamne à souffrir :

Consolez-vous dans l’espoir de mourir.

Le cloître est plein des péchés de la terre.

Hélas ! souvent les fruits de l’adultere

Sont destinés à gémir dans ces lieux.

O cœurs pervers ! ô mortels odieux !

Expiez-vous un crime par un autre ?

Sage nature, ô mon divin apôtre !

Si ta morale est d’un Dieu créateur,

Et si ta loi, gravée au fond du cœur,

Est l’œuvre saint de la main de ton maître,

Cet univers est-il ce qu’il doit être ?

 

 

(*) Les Nonnes qui ont un langage proportionné à la petitesse de leur génie, appellent leurs vertus des bijoux.

(*) Matthieu Lansberg, auteur perpétuel d’un mensonge imprimé, nommé l’Almanach de Liege.

 

 

 

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CHANT SEPTIÈME

 

 

CHANT SEPTIEME.

 

 

Continuation du Sermon. Second Point.

Le trou du monde.

 

 

La sainte Eglise est d’un bon caractere ;

Pour les enfans c’est une tendre mere ;

Le moindre objet occupe ses doux soins ;

Toujours son cœur s’entrouvre à leurs besoins.

Or c’est pour eux que cette mere sage

A de tout tems gardé le saint usage

De se moucher au milieu d’un sermon.

Tertullien & la tradition

Ont bien fondé ce grand point de doctrine.

Oncque Calvin & sa secte mutine,

Qui sur des riens nous molestent souvent,

N’ont point touché cet article important.

Car sur ce point l’Eglise est infaillible (*),

Et dans Geneve où chacun lit la Bible,

On tousse, on crache & l’on baille au sermon,

C’a [sic] prouve au moins que le pape a raison.

Or l’orateur ayant suivi l’usage,

De son mouchoir essuié son visage,

Deux ou trois fois profondément craché,

Et l’auditeur parfaitement mouché,

Reprit ainsi son discours patétique,

Où ménageant les fleurs de rhétorique

Il s’écria, d’un ton rauque & nerveux :

Le trou du monde est un trou malheureux.

C’est le séjour du venin de Pandore :

Du sein des fleurs le plaisir fait éclore

Les fruits cuisans des tristes repentirs.

Là le mortel trompé par ses desirs,

Les yeux couverts du bandeau de cythere

Va d’Ixion répéter la chimere :

A son ardeur la nue ouvre son sein,

Il entre, il pleure & se plaint du destin.

Ah ! que ce trou fut jadis respectable !

Ecoutés bien, ceci n’est point la fable,

Un songe bleu tiré de l’Alcoran,

C’est le morceau le plus beau du roman.

Vers certain lieu dont la carte & l’histoire

N’ont jamais su conserver la mémoire,

Les Dieux ont fait bâtir à leurs dépens

Un grand jardin (*) de cinq à six arpens.

Dans ce beau lieu tout croissoit à merveille,

Le pissenlit, les choux-fleurs & l’oseille,

Sans les semer, ainsi que les Gascons,

Venaient par-tout comme les champignons.

Tels pullulaient les Jésuites en France.

Le doux rosier dans ce tems d’innocence

Ne picquait point la main des étourdis :

Que les rosiers sont bien changés depuis !

Séjour charmant, que vous aviés de charmes !

Chere innocence, ô sujet de nos larmes !

Siecle d’Astrée, en vos jours précieux,

Le trou du monde était délicieux ;

Il était frais, aussi frais que l’aurore.

Colomb, Kaikair () n’existaient point encore ;

Et l’Opéra, la veine des faveurs,

Ne vendait point ses galantes douceurs.

Laissons ce trou : parlons du trou du monde.

Dans ce dernier, hélas ! tout mal abonde

C’est dans ce trou que l’on voit chaque jour

Tant d’objets faits pour les yeux de l’amour ;

C’est là qu’on voit cette pudeur sévere,

Songe inconnu sous un autre hémisphere,

Servir de voile aux faiblesses des cœurs ;

C’est là qu’on voit ces fantômes d’honneurs,

Les songes creux, les antiques chimeres

Que les cerveaux des maris & des meres

Ont arrangés pour troubler les plaisirs.

C’est là qu’on voit réduite à ses desirs

A soixante ans, la vieillesse pesante

Chérir encor cette douceur charmante

De soupirer les plaisirs du printems :

Près du Tombeau sous le fardeau des ans

On aime, on brûle, on se repent encore :

Toujours enfant, toujours à son aurore,

Le tendre amour ne meurt point dans nos cœurs ;

C’est encor-là que cent prédicateurs,

Vains éloquens, habilement nous prêchent

Ces lieux communs qui rarement empêchent

Les passions de maitriser les cœurs.

C’est dans ce trou, refuge des pécheurs,

Que nous voions les tranquilles chanoines

Les tonsurés, les prélats & les moines

Entretenir pour la religion

Tout l’embonpoint de leur profession.

C’est là qu’on lit sur un fer homicide

La dure loi qu’un fantôme perfide,

Né de la rage a gravé de ses mains :

” Egorgés vous, misérables humains,

” Sans pitié, versés le sang d’un frere :

” Le point d’orgueil est le Dieu de la Terre.”

Là sans argent nichés dans leurs greniers

Maitre Fréron & mille Ecrituriers,

Epais cerveaux paitris d’un vieux salpetre,

Rimant des riens, donnent la vie & l’être

Aux baîllemens, au sommeil, à l’ennui ;

C’est là qu’on voit faiblement sur l’appui

D’un roseau sec, la sincere innocence

Faisant le bien, chercher sa récompense

Chés des mortels ennemis des vertus ;

C’est là qu’on fait mille efforts superflus

Pour être heureux, ou bien pour le paraître.

C’est là qu’on voit éclipser & renaître

Cette fumée, aliment des grands cœurs ;

C’est là qu’on voit des superbes vainqueurs,

Dans les chemins périlleux de la gloire,

Gagner souvent, aux jeux de la victoire,

Un bras de moins, quelques malins couplets,

Un ruban rouge, un bâton, des hochets.

Hélas ! mes sœurs, c’est dans ce trou du monde

Où chaque jour le démon à la ronde

Tourne & vous croque un tendron comme un rien ;

C’est dans ce monde où l’on trouve un bon chien,

Plus aisément qu’un parfait honnête homme.

Enfin c’est là que de Berlin (*) à Rome

On fait des loix pour corriger nos cœurs.

Hélas ! les loix ne sont rien sans les mœurs !

Le ciel en fit, & son expérience

Doit pour jamais nous ôter l’espérance

De corriger les malheureux humains.

Sots & méchans, voluptueux & vains,

Malgré le ciel, ils portent sur la terre

De leur néant le triste caractere.

L’esprit, ce rien qui meut leurs faibles corps,

Epuise envain ses courageux efforts ;

Et rien ne peut corriger la nature.

Etre imparfait, chétive créature,

Homme coupable, à qui ressemblés vous ?

Quoi ! Dieu vous aime & ce maître est jaloux

D’un cœur de boüe où séjourne le vice,

L’orgueil affreux, le vol & l’injustice ?

Que nous faisons, le bien mal-aisément !

L’homme est mauvais, son fier tempérament

Parle si haut, tient un si doux langage !

Ce Roi des Juifs qui fut quelque tems sage,

Et fou longtems, l’immortel Salomon,

A qui le ciel accorda la raison,

Le bel esprit & l’humaine faiblesse,

Put-il longtems conserver la sagesse ?

Plaisirs, honneurs, vertus & vérités,

Tout fut pour lui pieges ou vanités :

Car Salomon aimait la créature ;

Pour obéir au cri de la nature

Il soudoiait huit mille cotillons.

Comptons combien cela fait de tetons,

Dix... seize mille... oh ! c’est trop pour un sage.

Moi qui suis prêtre, hélas ! dans mon ménage,

Je n’ai que Jeanne & je me borne à deux,

Non, les gros biens ne font point les heureux.

Le fier Samson plus fort & plus tertible [sic],

Au Dieu des cœurs resta-t-il insensible ?

Entre les bras d’un dangereux objet

Bientôt il perd sa gloire & son secret.

Plus saint que lui, plus coupable peut-être,

Des passions David fut-il le maître ?

D’un jupon court le branle le séduit,

Il le chiffonne, & son ame gémit.

Dur lui cuisait, l’époux de sa clarice,

En garnison avait de saint Sulpice

Trouvé la rime : ainsi par ricochet,

Le Seigneur Roi, disait-on, en tenait :

Si tant de Saints aux pieds d’une maitresse

Ont de la chair ressenti la faiblesse,

Que ferons nous ? qui de nous aujourd’hui

Si près du crime est assuré de lui ?

Le mouvement d’un fichu le fait naître,

L’air d’un beau jour, un spectacle champêtre,

Le sang enfin.... étouffons ce desir, [abs. : (*)]

Le Ciel cruel nous deffend le plaisir.

Allons, mes sœurs, curés vos consciences

Dans vos regrets effacés vos offenses.

Fuiés le monde & la tentation,

Songés toujours à la componction.

Ne faites point comme on fait sur la terre :

On est contrit, sans penser à mieux faire :

On promet tout, on ne tient jamais rien :

Promettés moins, mais remplissés le bien.

Si votre cœur, dit le saint Evangile,

A vers le mal une pente docile,

Coupés ce cœur, il vaut mieux dans les cieux

Entrer sans cœur, que d’habiter ces lieux

Ou l’éternel fait briller sa vangeance [sic].

Vivés, vivés & faites pénitence.

N’attendés point, car le retour des ans

Rend quelquefois nos efforts impuissans.

Le tems s’écoule & le trépas s’avance ;

A chaque instant l’éternité commence.

Le bon, Jesus vous tend déjà les mains :

Venés, dit-il, cœurs choisis & divins,

Cent fois lavés des eaux de pénitence :

Le repentir égale l’innocence.

Voyés ma gloire entrouverte à vos yeux.

De vos appas venés orner les cieux.

Plusieurs maisons, dans celle de mon pere,

Offrent, mes sœurs, de quoi vous satisfaire :

L’une est la place attachée à l’Amour,

L’autre est le trône où le dévot un jour

Doit, sous les yeux de ma clarté profonde,

Juger encor son prochain & le monde.

Allons, allons, rendés vous à ses cris.

Foulés aux pieds, foulés avec mépris

Le vrai mérite & les talens du monde.

Le bel esprit est la source féconde

De nos erreurs & de nos maux réels.

Rien de mortel pour des cœurs immortels,

Voiés là-haut la maison rayonante,

Où sa grandeur en tout lieux agissante

Doit couronner, auprès des sept dormans,

Ces gros mortels, ces pieux fainéans

Qui de concert, dit-on, avec les anges

Font ici bas retentir ses louanges.

Moines oisifs, chanoines indolens,

En Paradis vos minois succulens,

Sans le secours de la teinte divine,

Conserveront cette céleste mine

Que le nectar, vainqueur de nos chagrins,

Rougit encor du jus de ses raisins.

Souvent au chœur votre sainte attitude,

Vos longs travaux toujours sans lassitude,

Méritent bien d’être récompensés.

Des maux d’Adam héritiers insensés,

Grossiers mortels, qui courbés sur la terre

Tirés du sein de cette ingrate mere,

Le suc heureux qui fait pomer les moines,

Le vin d’Ay, qui rougit les chanoines,

Vous travaillés ; ah ! que ne chantés vous !

Que ce métier est lucratif & doux !

L’on ne fait rien, l’on baille, l’on digere

En récitant quelquefois un bréviaire

Qu’on n’entend point, ou détonnant d’accort

L’hymne du jour ou l’office d’un mort.

Prions le Ciel que son bras nous seconde ;

Par nos vertus bouchons le trou du monde.

Eloignons nous du vieux trou du péché ;

Si le Démon dans ce trou débauché

Venait tenter.... ici la mere Abbesse,

Qui sur un rien se gendarme & se dresse,

Lasse d’ouir tous ces propos de trous,

Dit au Docteur : S’il vous plait, taisés vous.

Allés, les trous ne manquent point aux filles,

Nous en avons, Pere, assés dans nos grilles,

Sans ceux encor dont vous voulés parler.

A ce discours, n’osant pas sourciller

Les yeux au Ciel louant la providence,

Et du couvent admirant l’abondance,

Le Révérend descendit de l’embon,

Et nous priva du reste du sermon.

 

 

(*) Si l’écriture, l’ouvrage de la vérité, est infaillible, cette perfection dans la personne sacrée & riche du Pape est inutile. L’infaillible expliquer l’infaillible, est un jeu de mots. On ne croit point en France aussi robustement qu’à Rome cette chimere, mais nous croions comme un article de foi que le souverain Pontife est le successeur & surtout le véritable imitateur de S. Pierre qui marchoit pieds nuds, & qui ne pouvoit faire respecter ses pantoufles.

(*) Les champs élisées.

() Médecin qui guérit les cas reservés avec des pilulles.

(*) L’Alexandre du Nord, le Triomphe du Parnasse Français a fait l’Antimachiavel pour enseigner les Rois, & un traité de Législation pour rendre les peuples heureux.

(*) Toutes ces expressions sur la faute d’Adam, sur Salomon & David paraitront singulieres aux dévots. Elles sont tirées mot pour mot des anciens sermons qu’on prêchait à nos grands peres. St Vincent Ferrier en fourmille. On aurait tort de faire un crime de ce qu’on a admiré & canonisé dans les saints.

 

 

 

CHANT SEPTIEME.

 

 

Continuation du Sermon. Second Point.

Le trou du monde.

 

 

LA sainte Eglise est d’un bon caractere ;

Pour les enfans c’est une tendre mere ;

Le moindre objet occupe ses doux soins ;

Toujours son cœur s’entrouvre à leurs besoins.

Or, c’est pour eux que cette mere sage

A de tout temps gardé le saint usage

De se moucher au milieu d’un sermon.

Tertullien & la tradition

Ont bien fondé ce grand point de doctrine.

Oncque Calvin & la secte mutine,

Qui sur des riens nous molestent souvent,

N’ont point touché cet article important.

Car sur ce point l’Eglise est infaillible, [*]

Et dans Geneve où chacun lit la Bible,

On tousse, on crache & l’on bâille au sermon ;

Ça prouve au moins que le pape a raison.

Or, l’orateur ayant suivi l’usage,

De son mouchoir essuyé son visage,

Deux ou trois fois profondément craché,

Et l’auditeur parfaitement mouché,

Reprit ainsi son discours pathétique,

Où ménageant les fleurs de rhétorique

Il s’écria, d’un ton rauque & nerveux :

Le trou du monde est un trou malheureux.

C’est le séjour du venin de Pandore,

Du sein des fleurs le plaisir fait éclore

Les fruits cuisans des tristes repentirs.

Là le mortel trompé par ses desirs,

Les yeux couverts du bandeau de Cythere,

Va d’Ixion répéter la chimere :

A son ardeur la nue ouvre son sein,

Il entre, il pleure, & se plaint du destin.

Ah ! que ce trou fut jadis respectable !

Ecoutez bien, ceci n’est point la fable,

Un songe bleu tiré de l’Alcoran,

C’est le morceau le plus beau du roman.

Vers certain lieu dont la carte & l’histoire

N’ont jamais su conserver la mémoire,

Les Dieux ont fait bâtir à leurs dépens

Un grand jardin [*] de cinq à six arpents.

Dans ce beau lieu tout croissoit à merveille.

Le pissenlit, les choux-fleurs & l’oseille,

Sans les semer, ainsi que les gascons,

Venaient par-tout comme les champignons.

Tels pullulaient les Jésuites en France.

Le doux rosier dans ce temps d’innocence

Ne picquait point la main des étourdis :

Que les rosiers sont bien changés depuis !

Séjour charmant, que vous aviez de charmes !

Quelle Innocence ; ô sujets de nos larmes !

Siecle d’Astrée, en vos jours précieux,

Le trou du monde était délicieux ;

Il était frais, aussi frais que l’aurore.

Colomb, Kaizer [*] n’existaient point encore ;

Et l’opéra, la veine des faveurs,

Ne vendait point ses galantes douceurs.

Laissons ce trou : parlons du trou du monde.

Dans ce dernier, hélas ! tout mal abonde.

C’est dans ce trou que l’on voit chaque jour

Tant d’objets faits pour les yeux de l’amour ;

C’est là qu’on voit cette pudeur sévere,

Songe inconnu sous un autre hémisphere,

Servir de voile aux faiblesses des cœurs ;

C’est là qu’on voit ces fantômes d’honneurs,

Les songes creux, les antiques chimeres

Que les cerveaux des maris & des meres

Ont arrangés pour troubler les plaisirs.

C’est là qu’on voit réduite à ses desirs,

A soixante ans, la vieillesse pesante

Chérir encor cette douceur charmante

De soupirer les plaisirs du printemps :

Près du tombeau sous le fardeau des ans

On aime, on brûle, on se repent encore :

Toujours enfant, toujours à son aurore,

Le tendre amour ne meurt point dans nos cœurs.

C’est encor-là que cent prédicateurs,

Vains éloquents, habilement nous prêchent

Ces lieux communs qui rarement empêchent

Les passions de maîtriser les cœurs.

C’est dans ce trou, refuge des pécheurs,

Que nous voyons les tranquilles chanoines,

Les tonsurés, les prélats & les moines

Entretenir pour la religion

Tout l’embonpoint de leur profession.

C’est là qu’on lit sur un fer homicide

La dure loi qu’un fantôme perfide,

Né de la rage, a gravé de ses mains :

Egorgez-vous, misérables humains,

” Sans pitié versez le sang d’un frere :

” Le point d’orgueil est le Dieu de la terre.”

Là sans argent, nichés dans leurs greniers,

Maître Fréron & mille Ecrituriers,

Epais cerveaux paîtris d’un vieux salpêtre,

Rimant des riens, donnent la vie & l’être

Aux bâillements, au sommeil, à l’ennui ;

C’est là qu’on voit faiblement sur l’appui

D’un roseau sec, la sincere innocence

Faisant le bien, chercher sa récompense

Chez des mortels ennemis des vertus ;

C’est là qu’on fait mille efforts superflus

Pour être heureux, ou bien pour le paraître.

C’est là qu’on voit éclipser & renaître

Cette fumée, aliment des grands cœurs :

C’est là qu’on voit des superbes vainqueurs,

Dans les chemins périlleux de la gloire,

Gagner souvent, aux jeux de la victoire,

Un bras de moins, quelques malins couplets,

Un ruban rouge, un bâton, des hochets.

Hélas ! mes sœurs, c’est dans ce trou du monde

Où chaque jour le démon à la ronde

Tourne & vous croque un tendron comme un rien ;

C’est dans ce monde où l’on trouve un bon chien,

Plus aisément qu’un parfait honnête homme.

Enfin c’est là que de Berlin (*) à Rome

On fait des loix pour corriger nos cœurs.

Hélas ! les loix ne sont rien sans les mœurs !

Le ciel en fit, & son expérience

Doit pour jamais nous ôter l’espérance

De corriger les malheureux humains.

Sots & méchants, voluptueux & vains,

Malgré le ciel, ils portent sur la terre

De leur néant le triste caractere.

L’esprit, ce rien qui meut leurs faibles corps ;

Epuise en vain ses courageux efforts ;

Et rien ne peut corriger la nature.

Etre imparfait, chétive créature,

Homme coupable, à qui ressemblez-vous ?

Quoi ! Dieu vous aime ; & ce maître est jaloux

D’un cœur de boue où séjourne le vice,

L’orgueil affreux, le vol & l’injustice ?

Que nous faisons le bien mal-aisément !

L’homme est mauvais, son fier tempérament

Parle si haut, tient un si doux langage !

Ce Roi des Juifs qui fut quelque temps sage,

Et fou long-temps, l’immortel Salomon,

A qui le Ciel accorda la raison,

Le bel esprit & l’humaine faiblesse,

Put-il long-temps conserver la sagesse ?

Plaisirs, honneurs, vertus & vérités,

Tout fut pour lui pieges ou vanités :

Car Salomon aimait la créature ;

Pour obéir au cri de la nature

Il soudoyait huit mille cotillons.

Comptons combien cela fait de tetons,

Dix... seize mille... oh ! c’est trop pour un sage.

Moi qui suis prêtre, hélas ! dans mon ménage,

Je n’ai que Jeanne, & je me borne à deux,

Non, les gros bien ne font point les heureux.

Le fier Samson plus fort & plus terrible,

Au Dieu des cœurs resta-t-il insensible ?

Entre les bras d’un dangereux objet

Bientôt il perd sa gloire & son secret.

Plus saint que lui, plus coupable peut-être,

Des passions David fut-il le maître ?

D’un jupon court le branle le séduit,

Il le chiffonne, & son ame gémit.

Dur lui cuisait, l’époux de sa Clarisse,

En garnison avait de saint Sulpice

Trouvé la rime : ainsi par ricochet,

Le Seigneur Roi, disait-on, en tenait.

Si tant de Saints aux pieds d’une maîtresse

Ont de la chair ressenti la faiblesse,

Que ferons-nous ? qui de nous aujourd’hui

Si près du crime est assuré de lui ?

Le mouvement d’un fichu le fait naître,

L’air d’un beau jour, un spectacle champêtre,

Le sang enfin... étouffons ce desir, [*]

Le Ciel cruel nous défend le plaisir.

Allons, mes sœurs, curez vos consciences,

Dans vos regrets effacez vos offenses.

Fuyez le monde & la tentation,

Songez toujours à la componction.

Ne faites point comme on fait sur la terre ;

On est contrit, sans penser à mieux faire :

On promet tout, on ne tient jamais rien :

Promettez moins, mais remplissez le bien.

Si votre cœur, dit le saint évangile,

A vers le mal une pente docile,

Coupez ce cœur, il vaut mieux dans les cieux

Entrer sans cœur, que d’habiter ces lieux,

Ou l’éternel fait briller sa vangeance [sic].

Vivez, vivez, & faites pénitence.

N’attendez point, car le retour des ans

Rend quelquefois nos efforts impuissants.

Le temps s’écoule & le trépas s’avance ;

A chaque instant l’éternité commence.

Le bon Jesus vous tend déjà les mains :

Venez, dit-il, cœurs choisis & divins,

Cent fois lavés des eaux de pénitence :

Le repentir égale l’innocence.

Voyez ma gloire entrouverte à vos yeux.

De vos appas venez orner les cieux.

Plusieurs maisons, dans celle de mon pere,

Offrent, mes sœurs, de quoi vous satisfaire :

L’une est la place attachée à l’amour,

L’autre est le trône où le dévôt un jour

Doit, sous les yeux de ma clarté profonde,

Juger encor son prochain & le monde.

Allons, allons, rendez-vous à ses cris.

Foulez aux pieds, foulez avec mépris

Le vrai mérite & les talents du monde.

Le bel esprit est la source féconde

De nos erreurs & de nos maux réels.

Rien de mortel pour des cœurs immortels.

Voyez là-haut la maison rayonnante,

Où sa grandeur en tout lieux agissante

Doit couronner, auprès des sept dormants,

Ces gros mortels, ces pieux fainéants,

Qui de concert, dit-on, avec les anges,

Font ici-bas retentir ses louanges.

Moines oisifs, chanoines indolents,

En Paradis vos minois succulents,

Sans le secours de la teinte divine

Conserveront cette céleste mine,

Que le nectar, vainqueur de nos chagrins,

Rougit encor du jus de ses raisins.

Souvent au chœur votre sainte attitude,

Vos longs travaux toujours sans lassitude,

Méritent bien d’être récompensés.

Des maux d’Adam, héritiers insensés,

Grossiers mortels, qui, courbés vers la terre,

Tirez du sein de cette ingrate mere,

Le suc heureux qui fait pommer les moines,

Le vin d’, qui rougit les chanoines,

Vous travaillez : ah ! que ne chantez-vous !

Que ce métier est lucratif & doux !

L’on ne fait rien, l’on bâille, l’on digere,

En récitant quelquefois un bréviaire

Qu’on n’entend point, ou détonnant d’accord

L’hymne du jour ou l’office d’un mort.

Prions le ciel que son bras nous seconde ;

Par nos vertus bouchon [sic] le trou du monde.

Eloignons-nous du vieux trou du péché ;

Si le démon dans ce trou débauché,

Venait tenter... ici la mere Abbesse,

Qui sur un rien se gendarme & se dresse,

Lasse d’ouir tous ces propos de trous,

Dit au docteur : s’il vous plaît, taisez-vous.

Allez, les trous ne manquent point aux filles,

Nous en avons, pere, assez dans nos grilles,

Sans ceux encor dont vous voulez parler.

A ce discours, n’osant pas sourciller,

Les yeux au Ciel, louant la providence,

Et du couvent admirant l’abondance,

Le révérend descendit de l’embon,

Et nous priva du reste du sermon.

 

 

(*) Si l’écriture, l’ouvrage de la vérité, est infaillible, cette perfection dans la personne sacrée [& riche] du Pape, est inutile. L’infaillible expliquer l’infaillible, est un jeu de mots. On ne croit point en France aussi robustement qu’à Rome cette chimere ; mais nous croyons comme un article de foi, que le souverain Pontife est le successeur, & sur-tout le véritable imitateur de S. Pierre, qui marchoit pieds nuds, & qui ne pouvoit faire respecter ses pantoufles.

(*) Les champs Elisées.

(*) Médecin qui guérit les cas réservés avec des pilules.

(*) L’Alexandre du Nord, le Triomphe du Parnasse Français, a fait l’Anti-Machiavel pour enseigner les Rois, & un traité de Législation pour rendre les peuples heureux.

(*) Toutes ces expressions sur la faute d’Adam, sur Salomon & David, paraîtront singulieres aux dévôts. Elles sont tirées mot pour mot des anciens sermons qu’on prêchait à nos grands-peres. Saint Vincent Ferrier en fourmille. On auroit tort de faire un crime de ce qu’on a admiré & canonisé dans les saints.

 

 

 

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CHANT HUITIÈME

 

 

CHANT HUITIEME.

 

 

Le P. Girard monté sur un Balai va trouver Ursule : fraieur de la Nonne. Girard la conduit au Temple de la Moinerie.

 

 

Le jour déja faisait place aux étoiles.

Déja la nuit, sous ses ténebreux voiles,

Allait cacher les sotises du jour,

Et les prêter aux erreurs de l’amour.

Quand vers le nord, du haut de l’hémisphere,

On vit descendre un moine que la terre

A vu cent fois, non sans émotion,

Servir l’amour, & faner, dans Toulon,

D’un jeune objet le jupon & la gorge.

Sur un Balai monté, comme un saint George,

Le moine noir, d’un air tendre & malin,

Riait encore au sexe féminin.

Muse, peins nous la modeste figure

Le négligé, la galante parure,

Du beau Girard, ce vieillard Adonis,

Cher à Cadiere, agréable à Cypris.

Un jupon court de coton ou de laine,

Qui dans Sion servant à Magdelaine, (*)

Fut chiffonné, tant de fois à l’envi,

Par les tributs [sic] d’Isacar & Lévi,

Du Révérend ornait la taille heureuse.

Sur sa poitrine une respectueuse

La défendait des mains de l’indiscret.

Sur ses cheveux un beau cabriolet

Lui tenait lieu d’une sainte auréole.

Un mantelet flottant sur son épaule

Eût sans la nuit fait voir, aux yeux du jour,

D’un Loyola l’ordinaire séjour.

Ainsi Girard parcourait les espaces,

Les champs des cieux, environné des graces,

Du Pere Ignace, & d’un sexe enchanteur ;

Ainsi paré le galant voyageur

Arrive à Sin & monte à la cellule,

Où dans ses draps la redoutable Ursule,

Le front couvert de lis & de lauriers,

Rêvait tout haut à ses exploits guerriers.

Au bruit du moine Ursule se réveille.

Son cœur frappé de l’étrange merveille

De voir Girard paré d’un vieux jupon,

Tremble soudain & croyant qu’un démon

Venait tenter sa fragile innocence :

O toi, dit-elle, à qui j’ai dès l’enfance

Voué mon cœur & mes premiers soupirs,

Mon pucelage avec mes repentirs,

Saint Nicolas, mets sous ta main puissante

La chasteté de ton humble servante.

Ainsi jadis, sur les bords du Jourdain,

Antoine en guerre avec l’esprit malin,

Accompagnait de ses Jérémiades,

Du tentateur les sauts & les gambades.

A l’oraison de la timide sœur,

Le beau Girard voiant que la terreur

Avait troublé sa douce contenance,

Lui dit : Laissés votre sotte innocence,

Pourquoi, ma sœur, par vos timides cris,

Casser la tête aux gens du Paradis.

Je ne viens point, dans ce saint monastere,

Vous enlever un bijou que la terre

Estime tant & ne trouve jamais.

Hélas ! mon Dieu, le plus sot des projets

Peut-il entrer dans l’esprit d’un Jesuite ?

Là j’en suis un, jugés de mon mérite.

Je fus jadis Directeur à Toulon,

Sorcier à Aix, & Girard est mon nom.

L’amour longtems me couvrit de sa gloire.

Le Jansénisme, en faisant mon histoire,

A raconté celle du genre humain.

Un moine chaste, une pucelle, un saint

Sont des objets inconnus sur la terre.

ô Vierge aimable, adorable Cadiere,

Je dois ma gloire à tes divins appas.

Combien de fois serras-tu dans tes bras,

Le saint objet qui noircissait ton ame ?

Combien de fois dans ma brûlante flamme,

Ai-je rougi la blancheur de ton sein ?

Combien de fois ma pétulante main

Sous tes... que dis-je... ô momens trop rapides,

Tems qui coulés comme des eaux fluides,

Que n’avés vous, en faveur des amans,

Des jours moins courts ou de plus longs momens ?

A ces propos tout noircis d’indécence,

La jeune sœur sentant que l’innocence

Etait un rien qui pouvait s’échaper,

Et qu’un Jésuite en tout tems sait tromper,

Dit à Girard, les yeux mouillés de larmes :

N’animés point ma jeunesse & mes charmes.

Mon cœur ne peut tenir à vos propos,

Je me sens bien, si vous disiés deux mots

Là... je ne sais... voiés vous, ma faiblesse...

Hélas ! comment soutenir la sagesse ?

C’est un fardeau qui fatigue les cœurs.

Vierge, arrêtés le torrent de vos pleurs,

Répond Girard en embrassant Ursule,

Votre terreur me paraît ridicule.

Je suis défunt : jamais les révénans

N’ont fait ici de cocus ni d’enfans.

Un autre objet occupe ma colere.

Depuis dix ans dans votre monastere,

Malgré la bulle, un bigot Directeur,

Fier Janséniste, orgueilleux novateur,

Est de ces lieux le conseil & l’arbitre.

C’est lui qui fit jadis dans la [sic] chapitre

Changer aux yeux de toute la maison,

Effrontément le manche du Ramon.

De sa rondeur la grosseur indécente

Pouvait, dit-il, dans une ame innocente

Porter le trouble, éveiller les desirs,

Et peindre en gros l’image des plaisirs.

Dans les transports de son humeur chagrine

Voulant couper le mal dans sa racine,

Sevrer le tact, son esprit créateur

Du manche rond fit châtrer la rondeur.

O Dieux, ma sœur, quel barbare caprice !

Le Directeur est-il né dans la Suisse ?

Dans ce pays les manches sont quarrés,

Les ronds pourtant sont plus considérés.

Venés, ma sœur, couronner votre ouvrage :

Le Ciel a vu votre immortel courage

Se signaler, malgré le cri des chats.

Hier la victoire accompagnait vos pas ;

Demain le sort peut devenir contraire.

Le Directeur a dans ce monastere

Un fort parti, je connais son courroux :

Allons nous mettre à l’abri de ses coups.

La moinerie est notre auguste reine

Courons aux pieds de notre souveraine,

Toucher son ame, implorer son secours.

Déja la nuit a commencé son cours :

Ce vieux Balai servira de voiture.

Il fut, ma sœur, fameux dans l’écriture ;

Quand certains jours dans le siecle des eaux

Deucalion avec les animeaux,

Les chiens, les chats, ses trois fils & leurs femmes,

Ne voiant plus briller les douces flammes

De l’astre heureux qui dissipe la nuit,

De ce Ramon on dit qu’il se servit

Pour enlever les toiles d’araignées

Que le déluge à l’entour des nuées,

Avait laissé, comme signes certains

Que Jupiter noya tous les humains.

De ce Balai le manche secourable

Devint après d’un usage admirable

Au bon Isaac, le dévot ornement

Des premiers jours d’un ancien Testament.

Il s’en servit, en place de Baguette,

Adroitement pour nouer l’éguillette

A certain Roi qui brûla dans son ame

D’un feu profane à l’aspect de sa femme.

Que l’homme saint, qui n’était point menteur,

Faisait passer pour pucelle & pour sœur

Dans un païs le berceau de l’Eglise,

Par sa vertu, le célebre Moyse

Du sein des Cieux fit descendre jadis

Des champignons, des oiseaux tous rotis,

Et pour flatter les filles & les femmes

Du boudin blanc & le plaisir des Dames.

Après sortant de la terre promise,

Il décora dans la cité d’assise

Les sales mains des fils de Saint François :

Car, par leur regle, en voyage, je crois,

Hors les deux pieds, le bâton, les coëffures,

Les Capucins n’ont point d’autres montures.

Du tems des sots il servit aux sorciers :

Tels autrefois les Merlins, les Grandiers,

Dit Bergerac, chevauchaient vers la lune

Païs charmant où l’on voit la fortune,

Tout comme ici, couvrir de son éclat

Un cordon bleu, un évêque, un pied plat ;

Tandis qu’on voit tout couvert de la boüe

Le sage assis au plus bas de sa roüe.

Mais finissons : c’est longtems babiller.

Vîte, ma sœur, il faut vous habiller

Le tems nous presse & long est le voyage. [abs. : (*)]

La jeune sœur à ce pressant langage,

Saute du lit, prend ses accoûtremens ;

Et sans penser, mettant ses vêtemens,

Par-ci par-là faisait voir au Jésuite

Des agrémens, des genoux, un mérite,

Et des encors... Girard à ses appas

Disait au Ciel : Pourquoi l’affreux trépas

M’a-t-il ôté la force & la puissance ?

Dieu, quel objet ! quelle jeune innocence !

Que n’ai-je encor le talent d’autre fois ?

De désespoir faut il succer [sic] mes doigts ?

Mais je pourrai... non, aimable Cadiere

Je t’aime trop, tu seras la derniere

A qui mon ame offrira son encens.

La Nonne est jeune, & souvent ces enfans

Pour un bobo font des cris effroyables,

N’éveillons point les censeurs implacables.

De tout côté les Jésuites font mal,

Chés l’Espagnol ainsi qu’en Portugal ;

Bientôt Jesus sera sans compagnie.

Hélas ! grand Dieux la justice & l’envie

Sont contre nous : envain frere Berthier, (*)

De nos erreurs imprudent gazetier,

Pour nous louer a beau souiller ses pages ;

Tous les savans ont siflé ses ouvrages.

Nous, ses écrits, tout est mis au billon.

La jeune sœur sous un saint guénillon

Avait caché sa gorge ravissante :

Un voile épais sur sa face charmante

N’offrait plus rien à la tentation ;

Et de l’amour la douce émotion

N’agitait plus le cœur noir du Jésuite.

Girard pressé de partir au plus vîte,

Trousse sa sœur & sous son blanc jupon

D’une mains ferme il passe le Ramon,

Et tôt, en croupe, il saute derriere elle.

Déja le moine & l’aimable pucelle

Sont accolés & planent dans les cieux ;

Déja Douai disparaît à leurs yeux.

 

 

(*) C’était un jupon qui lui avait servi dans ses premiers dérangemens. St. Marie Magdelaine n’a pas toujours été dans le Ciel.

(*) Un savant Capucin préchant à Troies devant quatre cent moutons assura que les cailles qui tomberent dans le désert venaient de la table de Dieu le pere, que la manne était de [sic] melons d’Angers qu’on avait envoyés à la S. Vierge par l’occasion de la poste restante. Les Capucins disent souvent de parellies [sic] bétises en chaire.

(*) Panégyriste Périodique du Busensbaum, du P. de la Croix, du fanatisme & de la St Barthelemi.

 

 

 

CHANT HUITIEME.

 

 

Le P. Girard monté sur un Balai va trouver Ursule ; frayeur de la Nonne. Girard la conduit au Temple de la Moinerie.

 

 

LE jour déjà faisait place aux étoiles.

Déjà la nuit, sous ses ténébreux voiles,

Allait cacher les sottises du jour,

Et les prêter aux erreurs de l’amour.

Quand vers le nord, du haut de l’hémisphere,

On vit descendre un moine que la terre

A vu cent fois, non sans émotion,

Servir l’amour, & fanner, dans Toulon,

D’un jeune objet le jupon & la gorge.

Sur un Balai, monté comme un saint George,

Le moine noir, d’un air tendre & malin,

Riait encore au sexe féminin.

Muse, peins-nous la modeste figure,

Le négligé, la galante parure,

Du beau Girard, ce vieillard Adonis,

Cher à Cadiere, agréable à Cypris.

Un jupon court de coton ou de laine,

Qui dans Sion servant à Magdelaine, (*)

Fut chiffonné tant de fois à l’envi,

Par les tribus d’Issacar & Lévi,

Du Révérend ornait la taille heureuse.

Sur sa poitrine une respectueuse

La défendait des mains de l’indiscret.

Sur ses cheveux un beau cabriolet

Lui tenait lieu d’une sainte auréole.

Un mantelet flottant sur son épaule

Eût sans la nuit fait voir, aux yeux du jour,

D’un Loyola l’ordinaire séjour.

Ainsi Girard parcourait les espaces ;

Les champs des cieux, environné des graces

Du Pere Ignace, & d’un sexe enchanteur ;

Ainsi paré, le galant voyageur

Arrive à Sin, & monte à la cellule,

Où dans ses draps la redoutable Ursule,

Le front couvert de lys & de lauriers,

Rêvait tout haut à ses exploits guerriers.

Au bruit du moine Ursule se réveille.

Son cœur frappé de l’étrange merveille

De voir Girard paré d’un vieux jupon,

Tremble soudain, & croyant qu’un démon

Venait tenter sa fragile innocence :

O toi, dit-elle, à qui j’ai dès l’enfance

Voué mon cœur & mes premiers soupirs,

Mon pucelage avec mes repentirs,

Saint Nicolas, mets sous ta main puissante

La chasteté de ton humble servante.

Ainsi jadis, sur les bords du Jourdain,

Antoine en guerre avec l’esprit malin,

Accompagnait de ses Jérémiades,

Du tentateur les sauts & les gambades.

A l’oraison de la timide sœur,

Le beau Girard, voyant que la terreur

Avait troublé sa douce contenance,

Lui dit : Laissez votre sotte innocence ?

Pourquoi, ma sœur, par vos timides cris,

Casser la tête aux gens du Paradis ?

Je ne viens point dans ce saint monastere,

Vous enlever un bijou que la terre

Estime tant & ne trouve jamais.

Hélas ! mon Dieu, le plus sot des projets

Peut-il entrer dans l’esprit d’un jésuite ?

Là, j’en suis un, jugez de mon mérite.

Je fus jadis Directeur à Toulon,

Sorcier à Aix, & Girard est mon nom.

L’amour longtemps me couvrit de sa gloire.

Le Jansénisme, en faisant mon histoire,

A raconté celle du genre-humain

Un moine chaste, une pucelle, un saint

Sont des objets inconnus sur la terre.

O Vierge aimable ! adorable Cadiere,

Je dois ma gloire à tes divins appas.

Combien de fois serras-tu dans tes bras,

Le saint objet qui noircissait ton ame ?

Combien de fois, dans ma brûlante flamme,

Ai-je rougi la blancheur de ton sein ?

Combien de fois ma pétulante main

Sous tes... que dis-je... ô moments trop rapides,

Temps qui coulez comme des eaux fluides,

Que n’avez-vous, en faveur des amants,

Des jours moins courts ou de plus longs moments ?

A ces propos tout noircis d’indécence,

La jeune sœur sentant que l’innocence

Etait un rien qui pouvait s’échapper,

Et qu’un Jésuite en tout temps sait tromper,

Dit à Girard, les yeux mouillés de larmes :

N’animez point ma jeunesse & mes charmes.

Mon cœur ne peut tenir à vos propos :

Je me sens bien ; si vous disiez deux mots,

Là... je ne sais... voyez-vous, ma faiblesse...

Hélas ! comment soutenir la sagesse ?

C’est un fardeau qui fatigue les cœurs.

Vierge, arrêtez le torrent de vos pleurs,

Répond Girard en embrassant Ursule,

Votre terreur me paraît ridicule.

Je suis défunt : jamais les revenants

N’ont fait ici de cocus ni d’enfants.

Un autre objet occupe ma colere.

Depuis dix ans dans votre monastere,

Malgré la bulle, un bigot Directeur,

Fier Janséniste, orgueilleux novateur,

Est de ces lieux le conseil & l’arbitre.

C’est lui qui fit jadis dans la [sic] Chapitre

Changer aux yeux de toute la maison,

Effrontément le manche du Ramon.

De sa rondeur la grosseur indécente,

Pouvait, dit-il, dans une ame innocente

Porter le trouble, éveiller les desirs,

Et peindre en gros l’image des plaisirs.

Dans les transports de son humeur chagrine

Voulant couper le mal dans sa racine,

Sevrer le tact, son esprit créateur

Du manche rond fit châtrer la rondeur.

O dieux, ma sœur, quel barbare caprice !

Le Directeur est-il né dans la Suisse ?

Dans ce pays les manches sont quarrés,

Les ronds pourtant sont plus considérés.

Venez, ma sœur, couronner votre ouvrage :

Le Ciel a vu votre immortel courage

Se signaler, malgré le cri des chats.

Hier la victoire accompagnait vos pas ;

Demain le sort peut devenir contraire.

Le Directeur a dans ce monastere

Un fort parti, je connais son courroux :

Allons nous mettre à l’abri de ses coups.

La moinerie est notre auguste reine ;

Courons aux pieds de notre souveraine !

Toucher son ame, implorer son secours.

Déjà la nuit a commencé son cours :

Ce vieux Balai servira de voiture.

Il fut, ma sœur, fameux dans l’écriture ;

Quand certains jours, dans le siecle des eaux,

Deucalion avec les animaux,

Les chiens, les chats, ses trois fils & leurs femmes,

Ne voyant plus briller les douces flammes

De l’astre heureux qui dissipe la nuit,

De ce Ramon on dit qu’il se servit,

Pour enlever les toiles d’araignées

Que le déluge à l’entour des nuées,

Avait laissé, comme signes certains

Que Jupiter noya tous les humains.

De ce Balai le manche secourable

Devint après d’un usage admirable

Au bon Isaac, le dévôt ornement

Des premiers jours d’un ancien Testament.

Il s’en servit, en place de baguette,

Adroitement pour nouer l’éguillette

A certain roi qui brûla dans son ame

D’un feu profane à l’aspect de sa femme,

Que l’homme saint, qui n’était point menteur,

Faisait passer pour pucelle & pour sœur.

Dans un pays le berceau de l’église,

Par sa vertu, le célebre Moyse

Du sein des Cieux fit descendre jadis

Des champignons, des oiseaux tous rôtis,

Et, pour flatter les filles & les femmes,

Du boudin blanc & le plaisir des Dames.

Après sortant de la terre promise,

Il décora dans la cité d’Assise

Les sales mains des fils de saint François :

Car, par leur regle, en voyage, je crois,

Hors les deux pieds, le bâton, les coëffures,

Les Capucins n’ont point d’autres montures.

Du temps des sots il servit aux sorciers :

Tels autrefois les Merlins, les Grandiers,

Dit Bergerac, chevauchaient vers la lune,

Pays charmant où l’on voit la fortune,

Tout comme ici, couvrir de son éclat

Un cordon bleu, un évêque, un pied plat,

Tandis qu’on voit tout couvert de la boue

Le sage assis au plus bas de sa roue.

Mais finissons : c’est long-temps babiller.

Vîte, ma sœur, il faut vous habiller ;

Le temps nous presse, & long est le voyage. (*)

La jeune sœur à ce pressant langage,

Saute du lit, prend ses accoûtrements :

Et sans penser, mettant ses vêtements,

Par-ci par-là faisait voir au Jésuite,

Des agréments, des genoux, un mérite,

Et des encors... Girard à ces appas,

Disait au Ciel : pourquoi l’affreux trépas

M’a-t-il ôté la force & la puissance ?

Dieu, quel objet ! quelle jeune innocence !

Que n’ai-je encor le talent d’autre fois ?

De désespoir faut-il succer [sic] mes doigts ?

Mais je pourrai... non, aimable Cadiere

Je t’aime trop, tu seras la derniere

A qui mon ame offrira son encens.

La nonne est jeune, & souvent ces enfants

Pour un bobo font des cris effroyables ;

N’éveillons point les censeurs implacables.

De tout côté les Jésuites font mal,

Chez l’Espagnol ainsi qu’en Portugal ;

Bientôt Jesus sera sans compagnie.

Hélas ! grand Dieu ! la justice & l’envie

Sont contre nous : en vain frere Berthier, (*)

De nos erreurs imprudent gazetier,

Pour nous louer à beau souiller ses pages ;

Tous les savans ont sifflé ses ouvrages.

Nous, ses écrits, tout est mis au billon.

La jeune sœur sous un saint guenillon

Avait caché sa gorge ravissante :

Un voile épais sur sa face charmante

N’offrait plus rien à la tentation,

Et de l’amour la douce émotion

N’agitait plus le cœur noir du Jésuite.

Girard pressé de partir au plus vîte,

Trousse sa sœur & sous son blanc jupon

D’une mains ferme il passe le Ramon,

Et tôt, en croupe, il saute derriere elle.

Déjà le moine & l’animal [sic] pucelle

Sont accolés & planent dans les cieux ;

Déja Douai disparaît à leurs yeux.

 

 

(*) C’était un jupon qui lui avait servi dans ses premiers dérangements. Ste. Marie Magdelaine n’a pas toujours été dans le Ciel.

(*) Un savant Capucin prêchant à Troyes devant quatre cent moutons, assura que les cailles qui tomberent dans le désert venaient de la table de Dieu le Pere, que la manne était des melons d’Angers qu’on avait envoyés à la S. Vierge par l’occasion de la poste restante. Les Capucins disent souvent des pareilles bêtises en chaire.

(*) Panégyriste Périodique du Busensbaum, du P. de la Croix, du fanatisme & de la Saint Barthelemi.

 

 

 

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CHANT NEUVIÈME

 

 

CHANT NEUVIEME.

 

 

Girard & Ursule s’arrêtent à Paris. Spectacle du Boulevard. Leur passage à Rome. Ils arrivent au Temple de la Moinerie.

 

 

Sur le Balai Girard & sa compagne

Ont traversé cette riche campagne,

Où la franchise anime les Picards ;

Déja Paris dévoile à leurs regards

Son ridicule & son circuit immense ;

Déja le Louvre avec magnificence

Etale au loin le chef-œuvre de l’art ;

Plus près de là le fameux Boulevard,

Nouveau séjour de la mode inconstante,

Vient leur montrer cette foire ambulante

De papillons & d’insectes titrés :

Là mille Iris dans des chars azurés

Vont respirer le vice ou la poussiere :

Là tour à tour on voit dans la carriere

Le char d’un sot, le carosse d’un fat,

Et l’équipage élégant d’un prélat.

Là Jean Fréron (*) & Trublet () le diacre,

Pour quinze sols dans le même fiacre,

De leur portiere annonçaient aux passans,

L’un son génie, & l’autre ses talens :

L’Abbé criait : Je compile à merveille.

Fréron disait : J’ai dans plus d’une veille,

Avec succès fait d’un stile ennuiant,

A mon compere un sonnet innocent ;

Dans mes chiffons j’ai décrié Voltaire,...

Le fier Chaumeix () en rampant terre à terre,

Disait : Ma foi, j’ai vaincu Diderot.

A son côté le rimeur Palisot (*),

Esprit orné d’enflure & de stigmates,

D’un air vainqueur marchant à quatre pates,

Criait : Je suis un excellent auteur :

Sur l’Hélicon Pégase en ma faveur,

A déployé son noble caractere :

Là chaque jour nous partageons en frere,

Le picotin l’herbe & le foin nouveau.

Loin de ces sots un spectacle plus beau,

Aux voiageurs montrait nos agréables,

Nos grands esprits, nos gens inimitables.

Le front orné d’un laurier immortel,

On admirait le divin Marmontel :

Il conte bien, & très bien quand il veut ;

Mais pour des vers il en fait comme il peut.

J’ai, disait-il, servi longtems la France.

Ah ! qu’on est dur à la reconnoissance !

Quand le Mercure était entre mes mains,

Que j’ai rendu de service aux humains !

Ouvrés, lisés, calculés chaque page,

J’ai pour ma part, dans ce méchant ouvrage,

Pendant quatre ans enterré mille auteurs.

Ah ! qu’on a mal reconnu mes faveurs !

Monsieur Arnaud, (*) non point celui qui rime,

Mais cet Abbé, cet esprit si sublime,

Disait tout bas d’un ton froid & leger :

Dans mon journal le bon sens étranger,

Brille par-tout : je n’ai point de pratique

Trois fois le jour je vais dans la boutique

De mon Libraire, en compter les montans,

C’est un cadeau que j’aurai bien longtems.

Pourtant Suard () pousse fort à la roue ;

Il écrit bien, il faut que je l’avoue,

Car Jean Freron ne l’avouera jamais.

Plus loin étoit ce Cardinal Français,

Qui fait rimer de beaux vers à Glicere,

Chanter l’Amour, Vénus & la fougere,

De l’horison nuancer les couleurs,

Placer par tout des aurores, des fleurs,

Peindre la neige, & mettre en poësie

Tous les tableaux de la savonnerie.

Rimés encor, ô Cardinal charmant,

Tous nos lauriers sur votre front brillant,

Vous iront mieux que le chapeau de Rome.

Que l’amitié, ce vrai bonheur de l’homme,

Dans votre exil vous dise chaque jour :

Vous futes bien autrefois à la cour ;

Reine des cœurs des arts & du génie,

Pour vos talens, l’adorable Uranie,

Vous mit jadis le pain blanc à la main.

Ah ! vous deviés, rendant grace au destin,

Marquer un peu votre reconnoissance,

De sa bonté bénir la bienfaisance.

Mais nous changeons en changeant nos états ;

Comme les grands, les abbés sont ingrats !

Certain Seigneur, l’agrément de la France,

Qui parle bien, qui fait avec aisance,

Des vers heureux à Priape, à l’Amour,

Sur ces remparts étalait au grand jour,

Son air brillant & son humeur volage.

Maître Arouet était auprès du sage,

Et lui disait : Seigneur, ne pensés plus,

De faire encor ici bas des cocus.

Le tems vous parle ; hélas ! votre visage,

Ne porte plus ce brillant appanage

De la beauté qui fit tant de jaloux.

Vous n’êtes plus la terreur des époux,

Et le desir pour vous est inutile.

Consolés vous, lisés mon Evangile,

Ouvrés, Seigneur, à l’article Chandos :

Ce grand guerrier au beau jeu des deux dos,

Etoit expert comme Votre Excellence,

Il chevauchait l’Angleterre & la France.

Mais certain jour auprès d’un vieux château,

Devant Charlot, la Trimouille, & Bonneau,

Oncques ne put picquer son haridelle.

Saint Grisbourdon protégeait la pucelle.

Que dis-je, hélas ! c’était Monsieur Denis,

Qui plein d’humeur souflait du Paradis,

Sur le champion un vent plus froid que glace.

Comme le tems le plaisir fuit & passe,

Et nos beaux jours ne sont qu’un beau matin.

Monsieur Gresset (*), un rosaire à la main,

Criait : Pardon, je rougis de ma vie.

J’ai fait pour vous certaine Comédie,

Où l’ordonnance a fait rire Arouet.

Ah ! si le Ciel pardonne ce forfait,

Jusqu’à la mort j’en ferai pénitence,

Le tombeau seul assure l’innocence.

Sur ce rampart à côté d’un Baron,

Tout en riant Melpomene Clairon ()

Offroit son cas à certain Moliniste.

Il est véreux, lui dit le Casuiste :

Car l’Ecriture exprès défend aux siens,

Chés les Français l’art des Comédiens ;

Mais pour à Rome à cause du Saint Pere,

Pour quinze sols on peut voir du parterre,

Blâmer le vice & louer les vertus.

Pour vous instruire il vous faut là-dessus,

Vous adresser à l’Abbé de Griselle (*) ;

C’est un bon homme, il a beaucoup de zele,

Confidamment montrés lui votre cas.

Ne craignés rien, il est comme Pontas,

Expert, habile & secret comme un ange.

Le front orné d’une belle fontange,

Venait Bastienne avec son air charmant :

L’amour montrait cet objet séduisant ;

Et la finesse en voiant ce visage,

Court aussi-tôt embraser [sic] son image.

Près d’un verger le sauvage Rousseau (),

Disait : Hélas ! je compose du beau,

Mon Héloïse est un ardent ouvrage,

O ma Julie ! ô Dieux, qu’elle était sage !

Elle en fit un, je ne fus point heureux :

J’avais dressé l’intention pour deux.

Mais sa vertu ménagea trop l’étoffe.

Que voulés vous, je suis un Philosophe

Qui d’un œil froid vois les ris & les yeux : [sic]

J’aime à penser & cela vaut bien mieux,

Que de marcher à deux pieds sur la terre.

L’homme a perdu son premier caractere,

Il a laissé la vertu dans les bois :

Car né méchant, il a fallu des loix,

Pour le contraindre à respecter ses freres.

Je suis divin pour chanter les contraires,

J’en veux aux arts & point du tout aux cœurs.

Ah ! les beaux vers ont bien gâté les mœurs !

Jettant par fois des éclairs de génie,

L’Auteur malin de la Métromanie,

Disait : Ma foi ne lisés point Cortès ;

Mes fils ingrats n’ont point eu de succès ;

Voiés Gustave, & laissés Calistene.

Pour vous flater on a bien de la peine :

Votre bon goût désespere un auteur.

Du tems jadis un méchant rimailleur,

Brillait en France & charmait nos grands peres :

Car nos ayeux, gens de courtes lumieres,

Aimaient les vers & sur tout les sonnets.

Ah ! Jean Fréron dans ces siecles parfaits,

Eut vu les sots pâmer sur ses ouvrages,

Avec Lambert (*) prodiguer leurs suffrages.

Un Saint Abbé, le pieux Lattaignant ()

Disait : Messieurs, mon stile est ennuiant :

Mes vers sont durs, ma muse est sans génie.

Je serais bon auprès de quelque mie,

Pour endormir son tendre nourrisson :

Car sans esprit je fais une chanson ;

Mais l’air heureux donne un ton à l’ouvrage ;

Et dans ma bouche il a tout l’avantage

Des méchans vers mis en chant par Rameau.

Un conseiller, chantre de Ramponeau,

Criait : Paix là, c’est Phébus qui m’inspire :

Ma main pesante a raclé sur la lire,

Du peuple Hébreu les lamentations.

Un grand Pontife à mes productions,

Vient d’accorder deux mille ans d’indulgence (*) :

Le nom d’Arnaud célebre dans la France,

Sera fêté désormais en tous lieux :

Car les Français sont des gens fort pieux

Dévots sur-tout aux Nimphes de Cithere.

Maudit du goût & béni du saint Pere,

Quel rimailleur oserait m’égaler ?

C’est moi, Monsieur, qui prétens m’étaler

Auprès de vous, au Marais du Parnasse,

Disait Laurès (), mes vers ont déja place

Dans la Boutique où le pere Berthier

Voit débiter ce précieux caier,

Où le bon sens frémit à chaque page,

Où l’ancre noire & l’impuissante rage,

Veulent flétrir les palmes d’Apollon,

Et les lauriers du chantre de Bourbon.

L’enfant gâté du Dieu de la marote, [abs. : (*)]

Tenant en main une large culote,

Criait : Venés, j’ai des prédictions,

Vous porterés dans peu des cotillons,

De grands fichus, peut être d’autres choses :

Car le beau sexe orné de haut-de-chausses

Redeviendra du genre masculin.

Déja chez vous tout est au féminin.

Vos lâches cas, en changeant de nature,

A Despautere ont fait plus d’une injure.

Usé, flétri, votre Nominatif,

Plus ne s’accorde avec le Génitif ;

Et dès trente ans votre chetive espece,

De vos ayeux n’a plus la politesse.

D’un air content le fils de Crébillon ()

Disait : J’ai lu la belle Magdelon,

Richard sans peur, & Pierre de Provence.

J’ai de l’esprit, du plus ferme de France :

J’ai vu tourner plus d’un moulin à vent.

Sur un Sopha je place adroitement,

Près d’Actéon, le Dieu de l’Himenée.

Je sais filer la toile d’araignée,

Conter des riens, assortir des rubans,

Sur trois cheveux composer dix romans,

Peindre l’amour sur le sein de sa mere,

Monter à nu les plaisirs de Cithere.

L’auteur (*) charmant du livre de l’esprit,

Disait : Messieurs si dans certain écrit,

J’ai pensé mal de l’humaine nature ;

Là je pouvais sans vous faire une injure,

Douter un peu de votre probité.

Car entre nous dans ce siecle gâté,

On ne pourrait vous confier sa femme ;

Et lorsqu’on a, dans le fond de son ame,

Tant de penchant à tromper son prochain,

On peut crier contre le genre humain.

Le front orné d’un grand feutre à l’antique

Les yeux ternis d’un jaune famélique,

Toujours rêvant, n’ayant ni feu ni lieu,

Ma foi, disait mon bon ami B..... ()

Un écritoire est un meuble inutile :

J’ai beau lecher & donner à mon stile,

Le ton qui flatte un protecteur puissant,

Je frappe l’air, il ne vient point d’argent.

Je suis toujours réduit au pot à bierre,

Toujours sans bas, & le bon exemplaire

Du Pauvre Diable : ô quelle affliction !

Là l’on voiait l’inconstant tourbillon

Des semillans, des femmes adorables.

De la Dupui les Nimphes favorables,

Les suffisans, le crême de Paris :

Là tour-à-tour nos doucereux Marquis,

Se pavanant, & riant près d’Annette,

Offraient leurs cœurs peints à la Silhoüette.

Damon prêchait sur le goût d’un ruban :

Licas parlait de l’ami Pompignan,

Et de Didon qui n’est point tant vilaine :

Cléon à faux sur le ton d’une antienne,

Psalmodiait le plein-chant de Lulli :

L’un admiroit son Caraccioli :

L’autre disait : Cet Auteur est bien mince,

Ce Capucin brillerait en Province.

Ursule ici dit à son conducteur :

De ce côté, loin de ce peuple autheur,

Admirés vous ces brillantes figures,

Ces merveilleux, ces femmes, ces peintures :

Mon Révérend, qu’ont-ils donc dans les mains ?

Le beau Girard dit : Ce sont des Pantins.

On devient fou, quand on le veut en France ;

Peuple charmant, votre éternelle enfance

Vous rend petit, mais semblable à l’amour.

Les Bilboquet autrefois à la cour,

Ont diverti vos Seigneurs & vos Dames ;

Et chaque jour par les soins de vos femmes

Tout se remue & tout change à Paris,

Hors la coëffure ou le front des maris.

Nos voiageurs ont traversé la France,

L’Etat de Parme & celui de plaisance.

Rome déjà frappe leurs yeux surpris :

Ce fier Théatre où tant de rois jadis,

Ont illustré les fers de la victoire,

Ce Capitole où des mains de la gloire,

On couronnait de durables lauriers,

Les vers d’Horace & les travaux guerriers.

Ici Girard dit, arrêtant Ursule,

Voici, ma sœur, où soupirait Tibulle ;

Où Julien, le précepteur des Rois,

Servait les arts & la gloire à la fois.

Ici Caton l’horreur du fanatisme,

Le vieux Trajan, l’honneur du Paganisme ;

Ici César, si semblable à ses Dieux,

De leurs vertus ont étonné les cieux.

Des Rois ici Titus fut le modele :

Et là régna le divin Marc-Aurele.

A ces héros, à ces hommes de bien,

A succédé le fidele chrétien.

Sur un vieux trône autrefois infaillible,

La vérité, cette vierge invisible,

Qui parle au cœur, sans éclairer les yeux,

Dictait alors les Oracles des cieux.

Quelle était belle en sa naissante aurore !

Charmes divins, que n’êtes vous encore !

Son cœur brûlait des feux du saint esprit.

Son innocence était son seul habit,

L’ame des saints, son temple & son empire,

Son sceptre heureux, la palme du martire,

Et son trésor le sein des malheureux.

Vous n’êtes plus, siecles bénis des cieux.

Le vaste orgueil de ses mains criminelles,

A renversé ces portes éternelles,

Que les enfers ne pouvaient ébranler.

Pontife heureux, qui devez ressembler

A l’Etre saint dont vous êtes l’organe,

Au tour [sic] de vous quelle pompe profane,

En m’effrayant, me présente à la fois,

L’ambition & le faste des Rois !

Disant ces mots, le discoureur Jésuite

Picque des deux, passe Rome au plus vite.

Et bien lui prit : car l’Inquisition

Eût séquestré le critique en prison.

Enfin bientôt la triste Thébaïde

Offre à Girard cette campagne aride,

Où loin des yeux du monde & de l’amour,

La Moinerie a fixé son séjour.

 

 

(*) La haute & puissante maison de l’âne littéraire est très ancienne. Jean Blaise Catherine Fréron n’est point Originaire de Quimper-corentin comme on l’avoit annoncé. Le sublime Historiographe de France semble nous dire que cette maison est sortie de l’Orléanais. Les gens qui savent lire les plaisanteries auront fait sans doute attention au dernier chant de la Pucelle & surtout à l’accouplement amoureux de cette vierge de Cabaret avec l’animal mistérieux de S. Denis. Dans ce congrès dur & tendre Jeanne conçut deux jumeaux qui vinrent assés à bon terme. Ce fut à Cléri, chés un chanoine qui protégeait les filles enceintes, qu’elle accoucha de ces heureux males. L’un fut nommé Gilles Chaumeix & l’autre Martin Fréron. L’ainé resta dans sa patrie, & l’an 1713. un de ses descendans accabla ce globe du pesant fardeau d’Abraham Chaumeix dont il est terriblement question depuis quelque tems. Son cadet Martin Fréron vint s’établir à Paris dans la ruë du Sabot au bout de la petite rue Taranne où il fit avec distinction le commerce de porteur d’eau, il gagna quelque argent avec ce metier, & s’adonna tellement au vin que tous ses descendans furent tachés de cette liqueur. La misere le fit sortir de Paris, il alla à Quimper crier de la moutarde & ses descendans ont fait descendre jusqu’à nous le Cartouche qui fait l’année Litteraire.

()  L’Abbé Trublet, grand homme qui a la fureur d’être à l’Académie un petit personnage. Voiés Voltaire, article des épingles & des égratignures.

()  Abraham Chaumeix le plus grand homme de la Littérature naquit à Orleans le jour de St. Mathurin l’an 1713 : il vint au monde avec un esprit noué & des poumons qui n’étaient point de paille. Il fit des progrès rapides dans la Littérature : à 17. ans il connoissait sa croix de Dieu comme ses deux mains ; à 27. il signait son nom avec l’élégance d’un greffier de paroisse ; à 40. il raisonnait comme on ne raisonne pas. Ce fut à cet âge qu’il écrivit contre l’Encyclopédie & M. de Voltaire.

(*) Palisot auteur hué, siflé & berné de toute la terre.

(*) M. l’Abbé Arnaud Auteur du Journal étranger. Ce Journal est un mauvais sujet : il y a comme çà, des enfans malheureux qui ne répondent pas aux soins de leurs peres. L’ane littéraire le faisait fort mal & n’avait pas plus de débit : je conseille à M. l’Abbé d’envoyer son Journal prendre son air natal ; il réussira chez l’étranger, il est bien écrit. A Paris nous ne voulons que de jolis tabatieres : les pommes de terre ne sont point jolies, & depuis quelques années nous les trouvons très indigestes.

()  Compagnon de M. l’Abbé Arnaud pour le Journal étranger, Auteur de la Gazette Anglaise & de plusieurs ouvrages parfaitement écrits. Freron qui ne connait point les vrais talens & les belles ames, se facha à propos de bottes contre Suard. Ce dernier fit en 1761. un Discours Académique au Roi. L’ane littéraire ignorant que l’ouvrage fut de Suard, en fit un éloge magnifique : un mois après l’épouse du corsaire apprit que Suard en était l’Auteur, & dit à son mari ; Ecoute Jean, tu es un sot, tu as fait une terrible anerie dans ta méchante feuille du mois dernier, Suard est l’Auteur du Discours que tu as loué. Freron ne se possédant point à cette nouvelle, se mit à crier contre sa femme & se coucha ce jour-là sans se griser : ce fut le premier de sa vie. Ce qu’il y eut de plus terrible dans cette avanture, c’est que la compagne de sa couche fut privée pendant huit jours de la nourriture de S. Sacrement de Mariage.

(*) M. Gresset a fait une jolie amende honorable à la Ste. Vierge, a juré entre les mains de M. l’Evêque d’Amiens de ne plus faire parler de lui près de la rue des fossés de M. le Prince.

()  Mademoiselle Clairon a consulté les Avocats de Paris & les Casuistes de notre Dame, pour savoir si elle pouvait en conscience monter sur des planches : les Avocats ont dit qu’oui, les Casuiste ont dit qu’elle ne pouvait y monter sans renouveller les misteres de la passion, c’est-à-dire sans flageller et crucifier de nouveau Notre Seigneur à cause que les planches avaient beaucoup de relation avec l’arbre de la Croix, qui était de bois, que Pontas à l’article des échelles qui sont de bois, a dit qu’on ne pouvait tenir l’échelle sans y participer. Ce cas fort nettement expliqué, n’a point heureusement empêché Mlle. Clairon de mettre les pieds sur les planches où nous l’admirerons toujours.

(*) Grand Pénitencier de notre Dame.

()  M. Rousseau qui s’avise d’avoir des mœurs en France a paru singulier à l’ame de Freron qui est très laide : ses ouvrages sont respectables.

(*) Je fus adressé à M. Lambert marchand libraire, rue & à côté de la Comédie. Je me présentai cinq à six fois à la porte de son Hôtel. Madame Lambert qui fait les fonctions de Suisse le jour, & la nuit probablement celles de femme, me fit espérer à la sixieme fois de jouir de l’apparition de M. Lambert. J’entendis un petit tumulte qui venait d’un quatrieme : c’était la descente misterieuse d’un courtaut de boutique en linge sale, qui me fit entrer dans un entresol. Je fus trois quarts d’heure à soupirer après la face lumineuse de M. Lambert. Il vint à la fin, je m’annoncai [sic] avec une profonde révérence : c’est la seule que je fis bien dans la vie, car je ne me picque point de bien filer une révérence, je me contente de savoir marcher. Bref, j’exposai laconiquement le sujet de ma visite. M. Lambert qui ne voulait point me prodiguer longtems la lumiere de sa face, me dit aussi laconiquement : M. vous m’êtes annoncé par un homme d’esprit, je n’aime point la recommandation des gens d’esprit : picqué du compliment, j’oubliai les égards que je devais aux Lamberts présens & futurs : Sans doute M. qu’il vous faut la récommandation d’un sot, ou celle de Madame Lambert. Vous êtes un impertinent, me répondit le Libraire, savés vous à qui vous parlés : tel que vous me voiés M. je suis le fils naturel de M. de Voltaire. Cela peut être, oui ou non. M. de Voltaire a tous les talens, mais il n’a peut-être point celui de l’âne de sa merveilleuse Jeanne. Je crois que toute réflexion faite, Madame votre mere se sera trompée ; si elle a été jolie, on aura pu être amoureux d’elle. L’éclat du genie qui venait dans ses bras l’aura étonnée comme Sémelé, & dans ce moment elle aura concu [sic] de la nuë d’Ixion : une erreur, une faute d’ortographe ne peuvent faire, comme vous le sentés, un gros garçon comme vous : vous êtes probablement le fils de votre propre pere. Croyés moi ne renoncés point à la légitimité. Depuis cette conversation je n’ai plus vu la face de M. Lambert que sur une Medaille de l’ancienne Rome, où j’ai appercu [sic] dans la gravité d’un Sénateur romain qui mangeait sa bouillie, les traits lumineux de Mons. Lambert.

(*) M. Piron a fait d’excellens ouvrages. Il aura une place fort honorable sur notre parnasse. Sa Métromanie est un chef d’œuvre : ses fautes mêmes sont celles du genie.

(*) Le Pape a envoié une caisse d’Agnus Dei & une rame d’indulgences plenieres à Mr. le Conseiller aulique pour avoir commencé Jérémie.

()  Le Chev. de Laurès a été couronné deux fois par les Appollons de l’Académie. Les quarante sont de bonnes gens, demandés-le à M. Saurin.

(*) M. l’Abbé Coyer écrit avec beaucoup de peine : il lui faut une semaine pour lecher une période & deux mois pour l’enfanter ; il auroit besoin de deux ou trois accoucheuses pour le faciliter dans ses travaux : si les prédictions de l’année merveilleuse se fussent accomplies dans la personne difficile de M. L’Abbé, M. l’Abbé n’aurait jamais été mere. Cet auteur aura une place dans le temple du gout à côté de nos tableaux à la Silhouette : il a fait dans le siecle des jolies tabatieres, les plus gentilles babioles du monde : il a plu furieusement aux femmes parce qu’il leur promettait des haut-de-chausses : ce sceptre de l’empire masculin leur fait plaisir ; il a déplu aux hommes qui se plaignent déjà d’avoir des maris, des pere, des mere & encor des H... C’est trop d’embaras.

()  Crebillon le fils, le colifichet le plus spirituel de Paris, écrit bien quoiqu’en dise le noir Waspe. Crebillon après sa mort sera placé dans le Ciel à côté de la chevelure de Bérénice : cela ferait là-haut une jolie tête à Perruque.

(*) M. Helvetius n’a point jugé les hommes sur la beauté de son cœur. Voilà son crime.

()  M. B..... écrit très bien : il est estimé des Littérateurs de Paris pour ses talens & les belles qualités de son cœur : il est facheux que personne ne le jette dans la piscine, il a besoin d’être humecté : car il est bien sec.

 

 

 

CHANT NEUVIEME.

 

 

Girard & Ursule s’arrêtent à Paris. Spectacle du Boulevard. Leur passage à Rome. Ils arrivent au Temple de la Moinerie.

 

 

SUR le Balai, Girard & sa compagne

Ont traversé cette riche campagne,

Où la franchise anime les Picards ;

Déjà Paris dévoile à leurs regards

Son ridicule & son circuit immense ;

Déjà le Louvre avec magnificence

Etale au loin le chef-œuvre de l’art ;

Plus près de là le fameux Boulevard,

Nouveau séjour de la mode inconstante,

Vient leur montrer cette foire ambulante

De papillons & d’insectes titrés :

Là mille Iris dans des chars azurés

Vont respirer le vice ou la poussiere :

Là tour à tour on voit dans la carriere

Le char d’un sot, le carrosse d’un fat,

Et l’équipage élégant d’un prélat.

Là Jean Fréron (*) & Trublet (†) le diacre,

Pour quinze sols dans le même fiacre,

De leur portiere annonçaient aux passants

L’un son génie, & l’autre ses talents :

L’abbé criait : je compile à merveille.

Fréron disait : j’ai dans plus d’une veille,

Avec succès fait d’un stile ennuyant,

A mon compere un sonnet innocent ;

Dans mes chiffons j’ai décrié Voltaire....

Le fier Chaumeix [*] en rampant terre à terre,

Disait : ma foi, j’ai vaincu Diderot.

A son côté le rimeur Palissot, (§)

Esprit orné d’enflure & de stygmates,

D’un air vainqueur marchant à quatre pattes,

Criait : je suis un excellent Auteur :

Sur l’Hélicon Pégase en ma faveur,

A déployé son noble caractere :

Là chaque jour nous partageons en frere,

Le picotin, l’herbe, & le foin nouveau.

Loin de ces sots, un spectacle plus beau

Aux voyageurs montrait nos agréables,

Nos grands esprits, nos gens inimitables.

Le front orné d’un laurier immortel,

On admirait le divin Marmontel :

Il conte bien, & très-bien quand il veut ;

Mais pour des vers il en fait comme il peut.

J’ai, disait-il, servi long-temps la France.

Ah ! qu’on est dur à la reconnoissance !

Quand le Mercure était entre mes mains,

Que j’ai rendu de service aux humains !

Ouvrez, lisez, calculez chaque page ;

J’ai pour ma part, dans ce méchant ouvrage,

Pendant quatre ans enterré mille auteurs.

Ah ! qu’on a mal reconnu mes faveurs !

Monsieur Arnaud, [I] non point celui qui rime,

Mais cet Abbé, cet esprit si sublime,

Disait tout bas d’un ton froid & léger :

Dans mon journal le bon sens étranger

Brille par-tout : je n’ai point de pratique ;

Trois fois le jour je vais dans la boutique

De mon Libraire, en compter les montants,

C’est un cadeau que j’aurai bien long-temps.

Pourtant Suard [2] pousse fort à la roue ;

Il écrit bien, il faut que je l’avoue,

Car Jean Fréron ne l’avouera jamais.

Plus loin étoit ce Cardinal Français,

Qui fait rimer de beaux vers à Glycere,

Chanter l’amour, Vénus & la fougere,

De l’horison nuancer les couleurs,

Placer par-tout des aurores, des fleurs,

Peindre la neige, & mettre en poésie

Tous les tableaux de la savonnerie.

Rimez encor, ô Cardinal charmant ;

Tous nos lauriers, sur votre front brillant,

Vous iront mieux que le chapeau de Rome.

Que l’amitié, ce vrai bonheur de l’homme,

Dans votre exil vous dise chaque jour :

Vous fûtes bien autrefois à la cour ;

Reine des cœurs, des arts & du génie,

Pour vos talents, l’adorable Uranie,

Vous mit jadis le pain blanc à la main.

Ah ! vous deviez, rendant grace au destin,

Marquer un peu votre reconnaissance,

De sa bonté bénir la bienfaisance.

Mais nous changeons en changeant nos états ;

Comme les grands, les Abbés sont ingrats.

Certain Seigneur, l’agrément de la France,

Qui parle bien, qui fait avec aisance,

Des vers heureux à Priape, à l’amour,

Sur ces remparts étalait au grand jour,

Son air brillant & son humeur volage.

Maître Arouet était auprès du sage,

Et lui disait : Seigneur, ne pensez plus

De faire encor ici bas des cocus.

Le temps vous parle ; hélas ! votre visage

Ne porte plus ce brillant appanage

De la beauté qui fit tant de jaloux.

Vous n’êtes plus la terreur des époux,

Et le desir pour vous est inutile.

Consolez-vous, lisez mon Evangile,

Ouvrez, Seigneur, à l’article Chandos :

Ce grand guerrier au beau jeu des deux dos,

Etait expert comme Votre Excellence,

Il chevauchait l’Angleterre & la France.

Mais certain jour auprès d’un vieux châtea  , [sic]

Devant Charlot, la Trimouille, & Bonneau,

Oncques ne put piquer son haridelle.

Saint Grisbourdon protégeait la pucelle.

Que dis-je, hélas ! c’était Monsieur Denis

Qui plein d’humeur soufflait du Paradis,

Sur le champion un vent plus froid que glace.

Comme le temps le plaisir fuit & passe,

Et nos beaux jours ne sont qu’un beau matin.

Monsieur Gresset, (§) un rosaire à la main,

Criait : Pardon, je rougis de ma vie.

J’ai fait pour vous certaine comédie,

Où l’ordonnance a fait rire Arouet...

Ah ! si le Ciel pardonne ce forfait,

Jusqu’à la mort j’en ferai pénitence,

Le tombeau seul assure l’innocence.

Sur ce rempart, à côté d’un Baron,

Tout en riant Melpomene Clairon (I)

Offrait son cas à certain Moliniste.

Il est verreux, lui dit le Casuiste :

Car l’Ecriture exprès défend aux siens,

Chez les Français, l’art des comédiens.

Mais pour à Rome, à cause du Saint Pere,

Pour quinze sols on peut voir du parterre,

Blâmer le vice & louer les vertus.

Pour vous instruire il vous faut là-dessus,

Vous adresser à l’Abbé de Griselle ; (2)

C’est un bon homme, il a beaucoup de zele :

Confidemment montrez lui votre cas.

Ne craignez rien, il est comme Pontas,

Expert, habile, & secret comme un ange.

Le front orné d’une belle fontange,

Venait Bastienne avec son air charmant :

L’amour montrait cet objet séduisant ;

Et la finesse, en voyant ce visage,

Court aussi-tôt embrasser son image.

Près d’un verger le sauvage Rousseau, (*)

Disait, hélas ! je compose du beau ;

Mon Héloïse est un ardent ouvrage.

O ma Julie ! ô Dieu, qu’elle était sage !

Elle en fit un, je ne fus point heureux :

J’avais dressé l’intention pour deux.

Mais sa vertu ménagea trop l’étoffe.

Que voulez-vous, je suis un Philosophe,

Qui d’un œil froid vois les ris & les jeux :

J’aime à penser, & cela vaut bien mieux

Que de marcher à deux pieds sur la terre.

L’homme a perdu son premier caractere ;

Il a laissé la vertu dans les bois :

Car né méchant, il a fallu des loix

Pour le contraindre à respecter ses freres.

Je suis divin pour chanter les contraires,

J’en veux aux arts & point du tout aux cœurs.

Ah ! les beaux vers ont bien gâté les mœurs !

Jettant par fois des éclairs de génie,

L’Auteur malin de la Métromanie,

Disait : ma foi ne lisez point Cortès ;

Mes fils ingrats n’ont point eu de succès

Voyez Gustave, & laissez Callistene.

Pour vous flatter on a bien de la peine :

Votre bon goût désespere un Auteur.

Du temps jadis un méchant rimailleur,

Brillait en France & charmait nos grands-peres :

Car nos ayeux, gens de courtes lumieres,

Aimaient les vers & sur tout les sonnets.

Ah ! Jean Fréron, dans ces siécles parfaits,

Eût vu les sots, pâmés sur ses ouvrages,

Avec Lambert (I) prodiguer leurs suffrages.

Un Saint Abbé, le pieux Lattaignant (*)

Disait : Messieurs, mon style est ennuyant :

Mes vers sont durs, ma muse est sans génie.

Je serais bon auprès de quelque mie,

Pour endormir son tendre nourrisson :

Car sans esprit je fais une chanson.

Mais l’air heureux donne un ton à l’ouvrage ;

Et dans ma bouche il a tout l’avantage

Des méchants vers mis en chant par Rameau.

Un conseiller, chantre de Ramponeau,

Criait : paix-là, c’est Phébus qui m’inspire :

Ma main pesante a raclé sur la lyre,

Du peuple Hébreu les lamentations.

Un grand Pontife à mes productions,

Vient d’accorder deux mille ans d’indulgence : (I)

Le nom d’Arnaud célebre dans la France,

Sera Fêté désormais en tous lieux :

Car les Français sont des gens fort pieux,

Dévôts sur-tout aux Nymphes de Cythere.

Maudi du goût & béni du saint Pere,

Quel rimailleur oserait m’égaler ?

C’est moi, Monsieur, qui prétends m’étaler

Auprès de vous, au Marais du Parnasse,

Disait Laurès, (2) mes vers ont déjà place

Dans la boutique où le pere Berthier

Voit débiter ce précieux cayer,

Où le bon sens frémit à chaque page,

Où l’encre noire & l’impuissante rage,

Veulent flétrir les palmes d’Apollon,

Et les lauriers du chantre de Bourbon.

L’enfant gâté du Dieu de la marotte, (3)

Tenant en main une large culotte,

Criait : Venez, j’ai des prédictions ;

Vous porterez dans peu des cotillons,

De grands fichus, peut être d’autres choses :

Car le beau sexe orné de haut-de-chausses

Redeviendra du genre masculin.

Déjà chez vous tout est au féminin.

Vos lâches cas, en changeant de nature,

A Despautere ont fait plus d’une injure.

Usé, flétri, votre nominatif,

Plus ne s’accorde avec le génitif ;

Et dès trente ans votre chétive espece,

De vos ayeux n’a plus la politesse.

D’un air content le fils de Crébillon (§)

Disait : J’ai lu la belle Magdelon,

Richard sans peur, & Pierre de Provence.

J’ai de l’esprit, du plus ferme de France :

J’ai vu tourner plus d’un moulin à vent.

Sur un Sopha je place adroitement,

Près d’Actéon, le Dieu de l’Hymenée.

Je sais filer la toile d’araignée,

Conter des riens, assortir des rubans,

Sur trois cheveux composer dix romans,

Peindre l’amour sur le sein de sa mere,

Monter à nud les plaisirs de Cythere.

L’Auteur (I) charmant du livre de l’esprit,

Disait : Messieurs, si dans certain écrit,

J’ai pensé mal de l’humaine nature ;

Là, je pouvais, sans vous faire une injure,

Douter un peu de votre probité.

Car entre nous dans ce siecle gâté,

On ne pourrait vous confier sa femme ;

Et lorsqu’on a, dans le fond de son ame,

Tant de penchant à tromper son prochain,

On peut crier contre le genre-humain.

Le front orné d’un grand feutre à l’antique,

Les yeux ternis d’un jaune famélique,

Toujours rêvant, n’ayant ni feu ni lieu,

Ma foi, disoit mon bon ami B.... (2)

Un écritoire est un meuble inutile :

J’ai beau lécher, & donner à mon style

Le ton qui flatte un protecteur puissant,

Je frappe l’air, il ne vient point d’argent.

Je suis toujours réduit au pot à bierre,

Toujours sans bas, & le bon exemplaire

Du pauvre Diable : ô quelle affliction !

Là l’on voyait l’inconstant tourbillon

Des sémillants, des femmes adorables.

De la Dupui les Nymphes favorables,

Les suffisants, le crême de Paris ;

Là tour-à-tour nos doucereux Marquis,

Se pavanant, & riant près d’Annette,

Offraient leurs cœurs peints à la Silhouette.

Damon prêchait sur le goût d’un ruban :

Licas parlait de l’ami Pompignan,

Et de Didon qui n’est point tant vilaine :

Cléon à faux sur le ton d’une ancienne,

Psalmodiait le plain-chant de Lulli :

L’un admirait son Caraccioli :

L’autre disait : cet Auteur est bien mince,

Ce Capucin brillerait en Province.

Ursule ici dit à son conducteur :

De ce côté, loin de ce peuple auteur,

Admirez-vous ces brillantes figures,

Ces merveilleux, ces femmes, ces peintures ?

Mon Révérend, qu’ont-ils donc dans les mains ?

Le beau Girard dit : ce sont des Pantins.

On devient fou, quand on le veut en France ;

Peuple charmant, votre éternelle enfance

Vous rend petit, mais semblable à l’amour.

Les Bilboquet autrefois à la cour,

Ont diverti vos Seigneurs & vos Dames ;

Et chaque jour par les soins de vos femmes,

Tout se remue & tout change à Paris,

Hors la coeffure ou le front des maris.

Nos voyageurs ont traversé la France,

L’Etat de Parme & celui de Plaisance.

Rome déjà frappe leurs yeux surpris :

Ce fier théâtre où tant de rois jadis,

Ont illustré les fers de la victoire ;

Ce Capitole, où des mains de la gloire,

On couronnait de durables lauriers,

Les vers d’Horace & les travaux guerriers.

Ici Girard dit, arrêtant Ursule,

Voici, ma sœur, où soupirait Tibulle ;

Où Julien, le précepteur des Rois,

Servait les arts & la gloire à la fois.

Ici Caton, l’horreur du fanatisme,

Le vieux Trajan, l’honneur du Paganisme ;

Ici César, si semblable à ses Dieux,

De leurs vertus ont étonné les cieux.

Des Rois ici Titus fut le modele :

Et là régna le divin Marc-Aurele.

A ces héros, à ces hommes de bien,

A succédé le fidele chrétien.

Sur un vieux trône autrefois infaillible,

La vérité, cette vierge invisible,

Qui parle au cœur, sans éclairer les yeux,

Dictait alors les oracles des cieux.

Quelle était belle en sa naissante aurore !

Charmes divins, que n’êtes-vous encore !

Son cœur brûlait des feux du saint esprit.

Son innocence était son seul habit,

L’ame des saints, son temple & son empire,

Son sceptre heureux, la palme du martyre,

Et son trésor le sein des malheureux.

Vous n’êtes plus, siecles bénits des cieux.

Le vaste orgueil de ses mains criminelles,

A renversé ces portes éternelles,

Que les enfers ne pouvaient ébranler.

Pontife heureux, qui devez ressembler

A l’Etre saint, dont vous êtes l’organe,

Autour de vous quelle pompe profane,

En m’effrayant, me présente à la fois,

L’ambition & le faste des Rois !

Disant ces mots, le discoureur Jésuite

Picque des deux, passe Rome au plus vîte.

Et bien lui prit : car l’inquisition

Eût séquestré le critique en prison.

Enfin bientôt la triste Thébaïde

Offre à Girard cette campagne aride,

Où, loin des yeux du monde & de l’amour,

La Moinerie a fixé son séjour.

 

 

(*) La haute & puissante maison de l’âne littéraire est très-ancienne. Jean Blaise Catherine Fréron n’est point originaire de Quimper-corentin, comme on l’avait annoncé. Le sublime Historiographe de France semble nous dire que cette maison est sortie de l’Orléanais. Les gens qui savent lire les plaisanteries, auront fait sans doute attention au dernier chant de la Pucelle, & surtout à l’accouplement amoureux de cette vierge de cabaret avec l’animal mystérieux de S. Denis. Dans ce congrès dur & tendre, Jeanne conçut deux jumeaux qui vinrent assez à bon terme. Ce fut à Cléri, chez un chanoine qui protégeait les filles enceintes, qu’elle accoucha de ces heureux mâles. L’un fut nommé Gilles Chaumeix, & l’autre Martin Fréron. L’aîné resta dans sa patrie ; & l’an 1713, un de ses descendans accabla ce globe du pésant fardeau d’Abraham Chaumeix dont il est terriblement question depuis quelque temps. Son cadet Martin Fréron vint s’établir à Paris dans la rue du Sabot au bout de la petite rue Taranne, où il fit avec distinction le commerce de porteur d’eau ; il gagna quelque argent avec ce métier, & s’adonna tellement au vin que tous ses descendants furent tachés de cette liqueur. La misere le fit sortir de Paris, il alla à Quimper crier de la Moutarde, & ses descendants ont fait descendre jusqu’à nous le Cartouche qui fait l’année Littéraire.

() L’Abbé Trublet, grand homme qui a la fureur d’être à l’Académie un petit personnage. Voyez Voltaire, article des épingles & des égratignures.

(*) Abraham Chaumeix, le plus grand homme de la Littérature, nâquit à Orléans le jour de St. Mathurin l’an 1713 : il vint au monde avec un esprit noué & des poumons qui n’étaient point de paille. Il fit des progrès rapides dans la Littérature : à 17 ans il connoissait sa croix de Dieu comme ses deux mains ; à 27 il signait son nom avec l’élégance d’un greffier de paroisse ; à 40 il raisonnait comme on ne raisonne pas. Ce fut à cet âge qu’il écrivit contre l’Encyclopédie & M. de Voltaire.

(§)  Palissot, Auteur hué, sifflé & berné de toute la terre.

(I)  M. l’Abbé Arnaud, Auteur du Journal étranger. Ce Journal est un mauvais sujet : il y a comme ça, des enfants malheureux qui ne répondent pas aux soins de leurs peres. L’âne littéraire le faisait fort mal, & n’avait pas plus de débit : je conseille à Mr. l’Abbé, d’envoyer son Journal prendre son air natal ; il réussira chez l’étranger, il est bien écrit. A Paris nous ne voulons que de jolies tabatieres : les pommes de terre ne sont point jolies, & depuis quelques années nous les trouvons très-indigestes.

(2) Compagnon de M. l’Abbé Arnaud, pour le Journal étranger, Auteur de la Gazette Anglaise & de plusieurs ouvrages parfaitement écrits. Fréron qui ne connaît point les vrais talens & les belles ames, se fâcha à propos de bottes, contre Suard. Ce dernier fit en 1761 un Discours Académique au Roi. L’âne littéraire, ignorant que l’ouvrage fût de Suard, en fit un éloge magnifique : un mois après l’épouse du corsaire apprit que Suard en était l’Auteur, & dit à son mari : écoute, Jean, tu es un sot, tu as fait une terrible ânerie dans ta méchante feuille du mois dernier ; Suard est l’Auteur du Discours que tu as loué. Fréron ne se possédant point à cette nouvelle, se mit à crier contre sa femme, & se coucha ce jour-là sans se griser : ce fut le premier de sa vie. Ce qu’il y eut de plus terrible dans cette avanture, c’est que la compagne de sa couche fut privée pendant huit jours de la nourriture de S. Sacrement de Mariage.

(§)  M. Gresset a fait une jolie amende honorable à la Sainte Vierge, a juré entre les mains de M. l’Evêque d’Amiens de ne plus faire parler de lui près de la rue des fossés de M. le Prince.

(I)  Mademoiselle Clairon a consulté les Avocats de Paris & les Casuistes de notre Dame, pour savoir si elle pouvait en conscience monter sur des planches : les Avocats ont dit qu’ouï, les Casuiste ont dit qu’elle ne pouvait y monter sans renouveller les mysteres de la passion, c’est-à-dire, sans flageller et crucifier de nouveau Notre Seigneur, à cause que les planches avaient beaucoup de relation avec l’arbre de la Croix, qui était de bois ; que Pontas à l’article des échelles qui sont de bois, a dit qu’on ne pouvait tenir l’échelle sans y participer. Ce cas fort nettement expliqué, n’a point heureusement empêché Mlle. Clairon de mettre les pieds sur les planches où nous l’admirerons toujours.

(2) Grand Pénitencier de Notre-Dame.

(*) M. Rousseau qui s’avise d’avoir des mœurs en France, a paru singulier à l’ame de Fréron qui est très-laide : ses ouvrages sont respectables.

(I)  Je fus adressé à M. Lambert marchand Libraire ; rue & [à] côté de la comédie. Je me présentai cinq à six fois à la porte de son hôtel. Madame Lambert qui fait les fonctions de Suisse le jour, & la nuit probablement celles de femme, me fit espérer à la sixieme fois de jouir de l’apparition de M. Lambert. J’entendis un petit tumulte qui venait d’un quatrieme : c’était la descente mystérieuse d’un courtaut de boutique en linge sale, qui me fit entrer dans un entresol. Je fus trois quarts-d’heure à soupirer après la face lumineuse de M. Lambert. Il vint à la fin : je m’annonçai avec une profonde révérence : c’est la seule que je fis bien dans la vie ; car je ne me pique point de bien filer une révérence, je me contente de savoir marcher. Bref, j’exposai laconiquement le sujet de ma visite. M. Lambert qui ne voulait point me prodiguer long-temps la lumiere de sa face, me dit aussi laconiquement : M. vous m’êtes annoncé par un homme d’esprit, je n’aime point la recommandation des gens d’esprit : piqué du compliment, j’oubliai les égards que je devais aux Lamberts présents & futurs : Sans doute M. qu’il vous fait la recommandation d’un sot, ou celle de Madame Lambert. Vous êtes un impertinent, me répondit le Libraire, savez-vous à qui vous parlez : tel que vous me voyez M. je suis le fils naturel de M. de Voltaire. Cela peut être, oui ou non. M. de Voltaire a tous les talents, mais il n’a peut-être point celui de l’âne de sa merveilleuse Jeanne. Je crois que toute réflexion faite, Madame votre mere se sera trompée ; si elle a été jolie, on aura pu être amoureux d’elle. L’éclat du génie qui venait dans ses bras, l’aura étonnée comme Sémelé, & dans ce moment elle aura conçu de la nue d’Ixion : une erreur, une faute d’orthographe ne peuvent faire, comme vous le sentez, un gros garçon comme vous : vous êtes probablement le fils de votre propre pere. Croyez-moi, ne renoncez point à la légitimité. Depuis cette conversation je n’ai plus vu la face de M. Lambert que sur une médaille de l’ancienne Rome, où j’ai apperçu dans la gravité d’un Sénateur romain qui mangeait sa bouillie, les traits lumineux de M. Lambert.

(*) M. Piron a fait d’excellents ouvrages. Il aura une place fort honorable sur notre Parnasse. Sa métromanie est un chef d’œuvre : ses fautes mêmes sont celles du génie.

(I)  Le Pape a envoyé une caisse d’Agnus Dei & une rame d’indulgences plénieres à M. le Conseiller aulique pour avoir commencé Jérémie.

(2) Le Chevalier de Laurès a été couronné deux fois par les Appollons de l’Académie. Les quarante sont de bonnes gens ; demandez-le à M. Saurin.

(3) M. l’Abbé Coyer écrit avec beaucoup de peine : il lui faut une semaine pour lécher une période, & deux mois pour l’enfanter, il aurait besoin de deux ou trois accoucheuses pour le faciliter dans ses travaux : si les prédictions de l’année merveilleuse se fussent accomplies dans la personne difficile de M. L’Abbé ; M. l’Abbé n’aurait jamais été mere. Cet Auteur aura une place dans le temple du goût à côté de nos tableaux à la Silhouette : il a fait dans le siecle des jolies tabatieres, les plus gentilles babioles du monde : il a plu furieusement aux femmes, parce qu’il leur promettait des haut-de-chausses : ce sceptre de l’empire masculin leur fait plaisir : il a déplu aux hommes qui se plaignent déjà d’avoir des maris, des pere, des mere, & encor des H.... C’est trop d’embarras.

(§)  Crébillon le fils, le colifichet le plus spirituel de Paris, écrit bien, quoiqu’en dise le noir Waspe. Crébillon après sa mort sera placé dans le Ciel à côté de la chevelure de Berenice : cela ferait là-haut une jolie tête à perruque.

(I)  M. Helvétius n’a point jugé les hommes sur la bonté de son cœur. Voilà son crime.

(2) M. B.... écrit très bien : il est estimé des Littérateurs de Paris, pour ses talents & les belles qualités de son cœur : il est fâcheux que personne ne le jette dans la piscine, il a besoin d’être humecté : car il est bien sec.

 

 

 

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CHANT DIXIÈME

 

 

CHANT DIXIEME.

 

 

Description du Temple de la Moinerie. Histoire des Fondateurs d’ordre. Départ de Girard & d’Ursule.

 

 

Loin de la paix, de l’heureuse harmonie,

Est un Palais habité par l’envie.

L’oisiveté, ce vice du néant,

En mit jadis le premier fondement.

Le noir chagrin, la vive inquiétude,

Monstres jaloux, nés de la solitude,

Vinrent en foule offrir à ses desseins

Leurs lents secours & leurs pesantes mains.

La pauvreté, qu’on prêche & qu’on méprise,

Que Rome sainte a chassé de l’Eglise,

Vit leur travail & détourna les yeux.

Le répentir d’un craion ténébreux

En gémissant leur dessina l’ouvrage.

Le préjugé, ce tiran que l’usage

Adore encor, grimpé sur l’échaffaut

A leur besogne applaudissait tout haut.

L’aimable Himen, ce Dieu tendre & facile,

Dont les doux nœuds, tissus par l’Evangile,

Sont quelquefois rompus par les amours,

Vit en pleurant enfouïr sous ces tours

Mille agrémens respectés à Cythere,

Que le ciel fit pour embellir la Terre,

Charmer nos cœurs, consoler nos destins,

Et quelquefois augmenter nos chagrins.

Tyran des cœurs, la Moinerie affreuse

Est de ces lieux la Souveraine heureuse.

Son diadême est la crédulité,

Son triste sceptre est l’inhumanité.

Le fier devoir, vieillard inéxorable,

Tel qu’un enfant à sa voix redoutable

Toujours soumis, baise & porte ses fers

A mille sots épars dans l’univers.

Du temple enfin Girard frappe à la porte.

L’hipocrisie & sa lâche cohorte

L’ouvrent soudain à nos deux voyageurs :

La gravité, ce vieux singe des mœurs,

Que le sang froid & la rate immobile,

Rendent si sage aux yeux de l’imbécille,

Reçoit Ursule, & lui dit lentement :

Aimable Nonne, attendés un moment.

De soins fâcheux notre Reine immortelle

Est entourée : on décide chez elle,

Le long débat des manches des Feuillans ;

Les Augustins ces moines pétulans

Sur mille riens font des procès insignes ;

Les Capucins ces révérens indignes

Sur leurs Tibis (*) ont des difficultés ;

Les Cordeliers, ces gens souvent cités,

Ont sur leur soupe () une dispute affreuse ;

Le Célestin avec sa mine heureuse

Se plaint encor qu’il n’a point d’appétit ;

Le Mathurin oisif & sans esprit,

Vient chaque jour étourdir notre Reine.

En attendant que sa voix souveraine

Ait décidé ces faits litigieux,

Amusés-vous à contempler ces lieux ;

L’étonnement vous servira du guide,

Son faible esprit & son regard stupide

Admire tout, sans connaître comment ;

Allés, voiés dans chaque appartement,

Vous trouverés de ces hauts personnages,

Que l’ignorance a mis au rang des sages

Pour avoir fait dans leur siecle autrefois

Des songes creux & des signes de croix.

Nos pélérins escortés de leur guide,

Les yeux levés, marchent d’un pas rapide

Vers un bosquet planté de chênes verts,

Théatre affreux du nord & des hivers.

Là, dans un coin, un vieillard honnête homme,

Moine pourtant, car c’était saint Pacome,

Faisait pour Dieu d’un air fort empressé

Pour le défaire un grand pannier percé : (*)

C’est moi, dit-il, en saluant Ursule,

Qui le premier endossai la cuculle.

Je fis des Saints dans le commencement ;

Mais hors le Ciel, personne assurément

Ne doit jamais s’en mêler sur la terre.

Un Saint est beau, mais il est dur à faire.

Je fis d’abord des efforts impuissans :

Les Oremus ne calmaient point mes sens.

L’esprit n’est rien, & la concupiscence

Est si terrible ! ô ! bon Dieu, quand j’y pense !

Que de tourmens ! que d’ennuieux travaux...

Ma sœur, le cloître est le tombeau des sots.

Si de l’Himen suivant les douces flammes,

Au-lieu d’un froc j’avais pris une femme,

Le Paradis m’aurait coûté moins cher.

Les Chérubins ne sont point faits de chair,

L’Homme n’est point organisé pour l’être.

Dans un taudis, Ursule vit paraître

Certain Frocard, dont l’air lui parut sot ;

Monsieur le Saint, peut-on vous dire un mot,

Lui dit la sœur, faisant la révérence ;

Très volontiers, j’ai de la complaisance

Répond François poliment à la sœur,

Des Capucins je suis le fondateur.

L’an onze cent je nacquis dans Assise :

Un certain jour, je vendis ma chemise,

Et pour cela tancé par mes parens

A mon Evêque, à ses regards décens,

A nud j’osai découvrir mon derriere.

Cette action qui parut singuliere

Aux gens sensés, me fit mépriser d’eux ;

Pour décorer les oisifs & les gueux,

Mon bel esprit animé par la Grace

Imagina la corde & la besace ;

Un quart de toile a depuis huit cens ans

Alimenté nombre de fainéans.

L’enfer jaloux de mes succès rapides,

Vint sur mes pas tendre ses lacs perfides :

Pour triompher de moi plus aisément,

Un jour d’hiver l’impudique Satan

Des sales feux de la concupiscence

Voulut souiller ma crasseuse innocence,

Perdre mon ame & vaincre ma pudeur ;

Du noir péché je sentis la chaleur,

Pour désarmer ma chair récalcitrante

Je fis de neige une femme charmante (*)

Entre ses bras collé sur son giron,

Les yeux au Ciel, l’esprit en oraison,

Je fis, aidé d’une force majeure,

A ce tendron trois enfans dans une heure.

Près de François sous des arbres touffus,

Un Bernardin avec Nostradamus

S’entretenait de l’Almanach de Liege.

J’ai, dit Bernard, pour flatter le saint Siege

Contre les Turcs armé les potentats,

Fait dans mon tems des méchans almanachs ;

J’avais promis le plus beau tems du monde :

Sur le hazard malheureux qui se fonde !

Le mauvais tems se mit de mon côté,

J’en accusai l’amour & la beauté,

Que les Croisés menaient en Terre Sainte :

Car entre nous, plus d’une fille enceinte

Alla porter près de Jérusalem,

A Nazareth, & même à Bethéléem [sic],

Le germe heureux de son incontinence.

Après avoir tout dévasté la France,

Je m’avisai d’intimider les sots :

Je tins par-tout de terribles propos

Sur l’Antechrit [sic] & sur la fin du monde.

Les bonnes gens, les Seigneurs à la ronde

M’offraient leur bien, leur or & leur argent,

De leurs déniers je dotais richement

Des abreuvoirs en l’honneur de Marie,

Défunt Mandrin eut-il mon industrie ?

J’eus beau fonder des loges pour les sots,

Aucun succès n’illustra mes travaux.

Bachus, Vénus, ont partagé ma gloire,

L’un à Clairvaux triomphe au refectoire,

L’autre à Citeaux (*) soupire dans les bois.

Pour terminer mes glorieux exploits

Aux œufs divers () je consacrai ma plume,

Sur les œufs durs je fis un gros volume,

Et condamnant les moines débauchés,

J’ai savament traité des œufs pochés.

Le corps orné d’une blanche tunique,

Dans un fauteuil brillait Saint Dominique :

La cruauté veillait sur ses genoux,

Dans son œil fier l’implacable courroux

Ne respirait que l’horreur du carnage :

Je suis, dit-il, un dévot personnage

Fort inhumain & mauvais orateur

Mon beau génie & mon goût créateur

Ont inventé le célébre Rosaire, (*)

En me chantant, le sublime Voltaire,

Pour arranger la rime dans ses vers,

Sans hiatus m’a mis dans les enfers.

Je n’y suis plus, car je fis pénitence,

Et si jadis ma barbare éloquence

Fit égorger trente mille Albigeois,

C’était pour Dieu, car Moïse en ses loix,

Dit joliment : “Si ton frere, ou ta femme,

”Ton bon ami, l’objet cher de ton ame,

”Disent : Servons les Dieux de l’étranger ;

”Tire ton glaive, & va les égorger.

En jupon court, en robbe bigarée,

Endimanché comme une mariée,

Le Fondateur des sœurs de Fontevrault (*)

Dit, à Girard, en parlant un peu haut ;

Ainsi que vous, pere, j’aimais les filles,

Dans un couvent avec les plus gentilles

Je me couchais jadis sous le canon

Et sous les feux de la tentation :

Dans ces essais je domptais la nature,

Jamais ma chair na reçu de blessure,

Entre mes bras en serrant un tendron

J’avais toujours l’esprit en oraison.

Ma chair soumise à mon intelligence

Du noir démon défiait la puissance.

Dieu des tetons ! Dieu brillant de Girard !

Quoi sous tes yeux affrontant le hazard

Saint d’Arbrissel restait sans contenance ?

Quoi ! l’ennemi de la faible innocence,

Le pere heureux de la chrétienneté

Fut dans tes mains sans élasticité.

Filles du Monde ! ô vierges favorables !

Qui nous prêtés vos charmes secourables

Ah ! gardés vous de trouver au.....

La froide chair de Robert d’Abrissel.

Le vieux la Mathe & Monsieur son confrere

Arlequinés des bribes d’un Mistere,

Dit à la sœur : Certain-jour près de Meaux

Avec Felix je plantais des poireaux :

Là, nous parlions de l’éternelle gloire :

Il faisait chaud, nous n’avions rien à boire,

Pour satisfaire à ce besoin pressant,

Chargé d’un pot & de fort peu d’argent

Mon Camarade alla chercher chopine ;

Au cabaret un morceau de lustrine

Blanc, rouge & bleu, reste d’un vieux jupon,

Servait pour lors d’enseigne ou de bouchon.

L’œil étonné mon benêt de confrere

Sur ce chiffon crut voir un grand Mistere.

Il vint à moi tout transporté d’ardeur,

Jean, me dit-il, bénissons le Seigneur,

Sur un bouchon sa grandeur vient d’éclore,

Sa main a peint des couleurs de l’Aurore

Sur un jupon la croix du Rédempteur (*) ;

A ce miracle ouvre ton chaste cœur ;

Dieu nous appelle au barbare rivage,

Allons tirer des fers de l’esclavage

Le matelot, le captif malheureux,

Hélas ! lui dis-je, ami tu pense [sic] creux.

Pourquoi chercher la mer & les naufrages

Sans exposer ta figure aux orages,

Et sans courir à Maroc, à Tunis,

Allons plutôt racheter les maris

Qui sont par-tout fatigués de leurs femmes ;

Va, Paris seul peut donner à nos ames

De quoi bien faire ; & notre charité

Ne restera dans son oisiveté.

Que ce projet était beau pour la terre !

Mais par malheur, j’avais un sot confrere

Qui desirait voir les païs lointains ;

Je fondai donc l’ordre des Mathurins,

Où les prieurs vivent dans l’abondance,

Tandis qu’on voit ramper dans le silence

Leurs moines sots, comme on voit à Tunis,

Sous leurs patrons les esclaves soumis.

De loin Girard, apperçut saint Ignace

O mon patron ! ô mon patron de la grace !

S’écria-t-il embrassant ses genoux,

Je suis Girard, me reconnaissés vous ?

D’un maintien grave & d’un aspect sévere

Dom Inigo (*) regardant son confrere,

Lui dit : Mon fils, vous fûtes trop humain,

Et comme moi le sexe feminin

Troubla vos sens, noircit longtems votre ame.

Que voulés vous ? l’homme est fait pour la Femme,

Et le plaisir est l’enfant du bonheur.

Dans mon printems j’en connu la douceur.

Certain matin lisant Michel Cervantes,

Mon cœur épris des prouesses galantes

De son Héros que la Manche autrefois

Vantait plus haut que ces fainéans Rois,

A Monferrat j’allai porter un cierge,

Là, prosterné sous les yeux de la vierge,

D’un air galand, je lui tins ces propos

Qu’interrompaient mes amoureux sanglots.

Fille des Rois, immortelle pucelle,

Qui seule avés sans tache originelle

Porté neuf mois dans vos flancs précieux,

Le Dieu du Monde & le maitre des cieux ;

A vos genoux voiés le tendre Ignace,

Sur lui jettés un regard efficace,

Il vous adore & son cœur pénétré,

De vos appas, vient dans ce lieu sacré

Vous présenter son amoureuse flamme.

Vierge, soiés ma maitresse & ma Dame,

Et dans le Ciel écrivés mon serment,

Je sens couler les pleurs du sentiment.

Disant ces mots, je coupai ma moustache,

A son autel j’attachai ma rondache,

Et puis courant comme un fou par les champs

En son honneur j’insultai les passans.

Un jour d’automne en battant la campagne,

Les Bourgs oisifs d’Italie & d’Espagne,

Je m’endormis au pied du Mont Cassin. (*)

Là, dans un rêve un fantôme divin

S’offrit à moi, resplendissant de gloire :

Dans sa main gauche il tenait un grimoire,

De l’autre main un énorme ciseau :

O toi ! dit-il, dont le pesant cerveau,

Suit constamment les phases de la Lune,

Ciclope heureux qu’aux murs de Pampelune (*)

Le Ciel choisit pour être l’artisan

D’un Institut plus beau que l’Alcoran ;

Apprens la gloire où le Ciel te destine,

Tes fils heureux régneront dans la Chine :

Le Paraguai maudira leur destin,

Et sur leur front la pâleur de Caïn

Fera trembler le Palais de Lisbonne ;

Peut-être un jour cette triple couronne

Dont un Pontife orne ses cheveux blancs

Décorera le front de tes enfans :

A leurs desirs tout rira sur la terre,

() Damiens sous eux saura l’art de la guerre.

Pour accomplir ces oracles certains,

De ses Trésors Dieu veut remplir tes mains.

A Dominique il donna le rosaire,

A Simon Stok le plan du scapulaire,

A sœur Brigite un pacquet d’oraisons,

A Jean de Dieu les petites maisons,

A Saint Bernard les biens de la campagne,

A Saint Bruno les châteaux en Espagne,

A Jean de Paul le pouvoir en entier

De conjurer le Diable & le sorcier,

A saint Benoit la richesse & la grace,

A saint François la vermine & la crasse ;

Ah ! si le Ciel sur ces sots fondateurs (*)

A pleines mains épancha ses faveurs,

Ne doit-il pas à l’ardeur de ton zele

De ses bontés une marque nouvelle ?

Reçois de Dieu ce ciseau prétieux [sic],

Utilement à tes enfans heureux

Il servira d’éternelle ressource.

Avec son aide ils couperont la bourse

Aux sots dévots enchainnés dans leurs fers.

Disant ces mots dans la plaine des airs,

Quelque momens le Fantôme balance,

Puis dans le Ciel subitement s’élance :

Tel, dit Grecour, on vit dans Saint Mathieu

Le Diable un jour emporter le bon Dieu.

En ce moment la tendre hipocrisie,

Vint avertir que chés la Moinerie,

Nos voyageurs allaient être écoutés :

Tout doucement marchant à ses cotés

Prenant son ton, son froid & son exemple,

D’un air dévot ils entrent dans le Temple.

Là sous un dais couvert d’un poêle noir,

Les yeux bandés d’un crêpe ou d’un mouchoir

Sur les genoux de la brutale Envie,

Pompeusement siegait [sic] la Moinerie.

Un Capuchon couvrait ses blancs cheveux.

Sur sa poitrine attachée à deux nœuds,

Pendait en bois la tête de Méduse.

Un long manteau sur sa taille percluse,

A ses cotés tombant négligemment,

Cachait son corps & l’ornait richement

Du poil usé de ses vieilles hermines :

Un grand bâton semé de nœuds d’epines,

Servait de sceptre à ce monstre cruel :

Près de son trône on voiait un autel.

Torticolis sa sœur & sa prêtresse,

D’une main sale offrait à la Déesse,

Le soufre impur de ses poisons épais ;

Le cœur moins faux, l’esprit aussi mauvais

La Médisance à côté de ses freres,

Les faux rapports, les discours téméraires,

Brûlait le fiel que ses profanes mains,

Avaient filtré des discours les plus saints ;

A leurs genoux toujours sans connaissance,

Toujours agnès, la sainte obéissance,

Les yeux baissés & dévorant ses pleurs,

A leur poison mêlait ses douces fleurs.

Près de l’autel on voiait des rosaires,

De blancs, de noirs, de rouges scapulaires,

De gros cordons, des manches d’Augustins,

Des chapeaux gris, des croix de Mathurins,

Des Capuchons sur cent différens moules,

Des guenillons, des béguins, & des coules. (*)

Le cœur ému, le visage glacé,

Baissant les yeux, d’un air embarassé,

Ursule avance aux pieds de la Déesse.

Reine, dit-elle, à qui dès ma jeunesse,

J’ai chaque jour offert un pur encens,

Un noble hommage & mes vœux renaissans ;

J’implore ici votre auguste puissance.

Vingt lâches cœurs calcinés de vangeance,

Doivent porter au chapitre demain

Le bruit, l’horreur & la rage dans Sin ;

Sur un Ramon un statut méprisable,

Depuis trois mois est l’objet déplorable

Qui désunit nos cœurs récalcitrans :

Nos vieilles sœurs ces cerveaux révérens,

Yvres des droits que leur donnent les âges,

Ont contre nous convoqué les orages.

Notre gaieté, la douceur de nos ans,

Nos fronts couverts des palmes du printems,

Nos doux plaisirs, notre raison riante,

Forment les traits que leur haine constante,

A chaque instant décoche contre nous.

A ce narré, la Déesse en courroux,

Lui dit : Ma fille, il faut que la jeunesse,

Aveuglément respecte la vieillesse.

Les jours passés sont des jours précieux,

Le poids des ans annonce à tous les yeux

Les grands égards que l’on doit à l’enfance :

C’est dans ce tems que notre intelligence,

Semblable en tout au flambeau qui s’éteint,

Tombe, s’éleve & s’éclipse soudain.

Dans ce moment, la Déesse effroyable

Fit apporter un livre inexplicable,

Où de tout tems la Haine de ses mains,

De chaque cloître a marqué les destins.

La Médisance ouvre ce livre antique,

Et lit tout haut d’un ton cabalistique,

Ces mots obscurs d’un oracle trompeur,

”L’Ignatien est un grand Directeur,

”Si vous suivés sa morale ambulante,

”Du vieux Balai vous serés triomphante ;

”Craignés pourtant de trouver en chemin,

”Deux chevaux noirs, une donzelle, un Saint.

A cet oracle incertain & terrible,

Nos voiageurs à la Déesse horrible,

Font leurs adieux, grimpent sur le Balai,

Et par les airs retournent à Douai.

 

 

(*) Le Tibi est une cheville de bois qui sert d’aggraffe aux monteaux [sic] des Capucins : un Tibi d’yvoire annonce un grand Commandeur de l’ordre : un Tibi de bois un moinichon, un fiacre de la vermine séraphique.

()  Les Cordeliers assurent que leur soupe appartient au Pape lorsqu’ils l’ont digérée.

Les Manches des Augustins & des Feuillans ont fait beaucoup de bruit dans l’Eglise ; mais cette guerre n’a point égalé celle des Cordeliers sur leurs Capuchons. L’ordre fut divisé en deux Factions qu’on nommait les Freres spirituels & les Freres de la communauté. Les uns voulaient le Capuchon étroit, les autres le voulaient large. La dispute dura plus d’un siecle, & fut à peine terminée par les bulles de quatre Papes Nicolas IV, Clement V, Jean XXII, & Benoit XII. Voilà de plaisantes ordures pour occuper tant dé [sic] souverains pontifes.

(*) Les solitaires faisaient des panniers de jonc & les défaisaient pour plaire à Dieu & tuer le tems ; ils auraient mieux fait de labourer la terre & de défricher la Thébaïde. Cela vallait mieux que des panniers percés.

(*) S. François se dépouilla devant son Evêque. Il fit une femme de neige & trois enfans de la même étoffe, qu’il caraissait pour dompter l’amour naturel.

(*) Les moines vont entre chien & loup dans les bois avec une clochette pendue au col. Les villageoises allant sur le soir ramasser leur troupeau, croiant entendre la cloche de leur vache, vont vers l’endroit où elles entendent le bruit, au-lieu de ce qu’elles cherchent elle [sic] trouvent un gros moine & un gros phénomene ; çà fait toujours plaisir.

()  Dans les œuvres de S. Bernard on trouve un morceau inimitable sur les œufs mollets, les œufs en trippes, & sur les omelettes au beurre frais.

(*) S. Dominique fut le premier qui enchaîna dans la ficelle l’Oraison dominicale à la suite de dix ave Maria. Il faut que S. Dominique ait bien travaillé pour avoir perfectionné le Mistere du Rosaire, tel que nous l’avons aujourd’hui. Avant la sainte invention du chapelet les Fideles, dit Baronnius, avaient deux goussets à leurs culottes, où ils mettaient un certain nombre de petites pierres, de façon que lorsqu’ils avaient dit un Pater ou un ave Maria, ils tiraient une pierre du gousset gauche qu’il [sic] mettaient dans la poche droite, & lorsque toutes les pierres étaient dans la poche du gousset droit, le chapelet était fini. Pour mieux entendre la manœuvre de ces pierres & l’arrangement des poches de la brayette, voici ce que nous en dit Louis Guion Dolois Seigneur de la Noche, dans son livre intitulé Extraits de deverses [sic] Leçons,

”Les chausses hautes estoyent si jointes qu’il n’y avait moyen d’y faire des pochettes : mais au-lieu ils portoient une ample & grosse brayette, & entre la grande espace, entre l’ouverture de la brayette, contre la chemise on y mettoit, une pomme, une Orange ou autres fruits, & n’étoit point incivil étant à table de présenter aux Dames les Oranges, les pommes & les fruits conservés quelque tems en icelle brayette ; & les Dames récevoient le présent tout chaud & comme cuit & pocheté, & dans icelle brayette étoient les pierres du chapelets [sic].”

Il était plaisant de voir dans I’Eglise nos vieux Seigneurs tirer lentement & d’un air dévot de leur brayette l’Ave Maria & le Pater & toutes les pieces du chapelet.

(*) Malgré les apologies du P. de la Mainferme les savans sont assurés que Robert d’Arbrissel couchait avec ses Nonnes. Le P. Sirmond fit courrir une Lettre de Géofroy Abbé de Vandôme qui a fleuri au commencement du 12. siecle, où ce reproche est vivement marqué. On a une lettre imprimée à Rennes en 1524 parmi les opuscules de Marbodus, Evêque de cette ville, qui dépose contre Robert. Pierre de Saumur moine de S. Florent, dont l’écrit était entre les mains du P. Vignier de l’oratoire est une preuve incontertable de l’incontinence du fondateur de Fontevrault. Ce monument est d’autant plus vrai qu’il est appuié d’un manuscrit du Mans & de deux Mss. Italiens cités par le P. Mabillon. Au Concile d’Alby, les Albigeois blamés de ce qu’ils menaient des femmes avec eux, s’autoriserent de l’exemple de Robert. Ce grand faiseur d’expériences charnelles couché à côté de deux jolies nonnes était bien dur ou bien malade : les bonnes sœurs pouvaient lui dire, comme Lison dans les amours grivois.

          Vous êtes donc là Colas

          Eh ! je le vois bien, vous ne m’aimés guerre,

          Car tout cela ne vous touche pas,

          Hélas ! vous ne m’aimés pas. ? [sic]

D’Arbrissel a trouvé des imitateurs en 1537. Une duchesse de Guastala par le consei1 d’un Jacobin nommé Baptiste de Creme fonda la Confrairie de la Victoire sur soi-même & sur la chair.... pour gagner cette Victoire on mettait dans le même lit un jeune homme & une jeune fillc, & un crucifix au milieu, afin qu’ils ne se donassent point des coups de pied. Voiés Bayle. Dict.

(*) Jean de la Mathe & Felix paysans du Valois virenet [sic] près d’une Fontaine, dit la Fable, un cerf qui portait entr-deux [sic] cornes la croix bleue & rouge des Mathurins ; c’etait un rayon de l’arc en Ciel qui tombait sur la Fontaine.

(*) Le vrai nom Espagnol du P. Ignace de Loiola.

(*) Ce fut un ancien Bénédictin du Mont-Cassin qui donna les constitutions des Jésuites au P. Ignace. Ce fondateur était trop ignorant pour imaginer le Systême de l’empire des Solipses.

(*) Ignace Capitaine dans un régiment Espagnol étoit au siege de Pampelune : nos troupes attaquaient cette ville. Ce fut notre canon Français qui eut l’honneur de lui casser une jambe.

()  Mon cœur est encor ému en citant ce monstre. Quoi le meilleur de nos Rois, quoi le cœur de Louis si semblable à celui d’Henri IV, allait être percé par un monstre élevé à la brochette chés les Jésuites   O Français qui adorés vos rois de quel œil pouvez vous voir cette société.

(*) Un commis, un cheval de poste & un moine sont regardés aujourd’hui à peu près du même œil : les Fondateurs d’ordre ne sont gueres plus respectés que leurs enfans. Si je plaisante des hommes que les devots ont placés au Ciel, c’est que je ne suis point obligé de croire à leur apothéose. La canonisation n’est point un article de l’Evangile, ni un objet de notre foi. Le Pape qui ne pourrait diminuer, ni augmenter la queue d’une comete, ni ajouter une étoile au Ciel, aurait-il la puissance d’y mettre les hommes ?

(*) Scapulaires des Bernardins.

 

 

 

CHANT DIXIEME.

 

 

Description du Temple de la Moinerie. Histoire des Fondateurs d’Ordre. Départ de Girard & d’Ursule.

 

 

Loin de la paix, de l’heureuse harmonie,

Est un Palais habité par l’envie.

L’oisiveté, ce vice du néant,

En mit jadis le premier fondement.

Le noir chagrin, la vive inquiétude,

Monstres jaloux, nés de la solitude,

Vinrent en foule offrir à ses desseins

Leurs lents secours & leurs pesantes mains.

La pauvreté, qu’on prêche & qu’on méprise,

Que Rome sainte a chassé de l’Eglise,

Vit leur travail & détourna les yeux.

Le répentir, d’un crayon ténébreux,

En gémissant leur dessina l’ouvrage.

Le préjugé, ce tyran que l’usage

Adore encor, grimpé sur l’échaffaut,

A leur besogne applaudissait tout haut.

L’aimable Hymen, ce Dieu tendre & facile,

Dont les doux nœuds, tissus par l’Evangile,

Sont quelquefois rompus par les amours,

Vit en pleurant enfouir sous ces tours

Mille agréments respectés à Cythere,

Que le ciel fit pour embellir la terre,

Charmer nos cœurs, consoler nos destins,

Et quelquefois augmenter nos chagrins.

Tyran des cœurs, la Moinerie affreuse

Est de ces lieux la Souveraine heureuse.

Son diadême est la crédulité,

Son triste sceptre est l’inhumanité.

Le fier devoir, vieillard inexorable,

Tel qu’un enfant à sa voix redoutable

Toujours soumis, baise & porte ses fers

A mille sots épars dans l’univers.

Du temple enfin Girard frappe à la porte.

L’hypocrisie & sa lâche cohorte

L’ouvrent soudain à nos deux voyageurs :

La gravité, ce vieux singe des mœurs,

Que le sang froid & la rate immobile,

Rendent si sage aux yeux de l’imbécille,

Reçoit Ursule, & lui dit lentement :

Aimable Nonne, attendez un moment.

De soins fâcheux notre Reine immortelle

Est entourée : on décide chez elle,

Le long débat des manches des Feuillants ;

Les Augustins, ces moines pétulants,

Sur mille riens font des procès insignes ;

Les Capucins, ces Révérends indignes,

Sur leurs Tibis (1) ont des difficultés,

Les Cordeliers, ces gens souvent cités,

Ont sur leur soupe (2) une dispute affreuse ;

Le Célestin, avec sa mine heureuse,

Se plaint encor qu’il n’a point d’appétit ;

Le Mathurin oisif & sans esprit,

Vient chaque jour étourdir notre Reine.

En attendant que sa voix souveraine

Ait décidé ces faits litigieux,

Amusez-vous à contempler ces lieux.

L’étonnement vous servira de guide :

Son faible esprit & son regard stupide

Admire tout sans connaître comment ;

Allez, voyez dans chaque appartement,

Vous trouverez de ces hauts personnages,

Que l’ignorance a mis au rang des sages,

Pour avoir fait dans leur siecle autrefois

Des songes creux & des signes de croix.

Nos pélerins escortés de leur guide,

Les yeux levés, marchent d’un pas rapide

Vers un bosquet planté de chênes verts,

Théâtre affreux du nord & des hivers.

Là, dans un coin, un vieillard honnête homme,

Moine pourtant, car c’était saint Pacôme,

Faisait pour Dieu d’un air fort empressé,

Pour le défaire, un grand pannier percé : (§)

C’est moi, dit-il, en saluant Ursule,

Qui le premier endossai la cuculle.

Je fis des Saints dans le commencement ;

Mais hors le Ciel, personne assurément

Ne doit jamais s’en mêler sur la terre.

Un Saint est beau, mais il est dur à faire.

Je fis d’abord des efforts impuissants :

Les Oremus ne calmaient point mes sens.

L’esprit n’est rien, & la concupiscence

Est si terrible ! ô ! bon Dieu, quand j’y pense !

Que de tourmens ! que d’ennuyeux travaux...

Ma sœur, le cloître est le tombeau des sots.

Si de l’Hymen suivant la douce flamme,

Au lieu d’un froc j’avais pris une femme,

Le Paradis m’aurait coûté moins cher.

Les Chérubins ne sont point faits de chair,

L’Homme n’est point organisé pour l’être.

Dans un taudis, Ursule vit paraître

Certain Frocard, dont l’air lui parut sot ;

Monsieur le Saint, peut-on vous dire un mot,

Lui dit la sœur, faisant la révérence ?

Très-volontiers, j’ai de la complaisance

Répond François poliment à la sœur,

Des Capucins je suis le fondateur.

L’an onze cent je nâquis dans Assise :

Un certain jour, je vendis ma chemise,

Et pour cela tancé par mes parents,

A mon Evêque, à ses regards décents,

A nud j’osai découvrir mon derriere.

Cette action qui parut singuliere

Aux gens sensés, me fit mépriser d’eux ;

Pour décorer les oisifs & les gueux,

Mon bel esprit animé par la grace,

Imagina la corde & la besace ;

Un quart de toile à depuis huit cent ans

Alimenté nombre de fainéants.

L’enfer jaloux de mes succès rapides,

Vint sur mes pas tendre ses lacs perfides :

Pour triompher de moi plus aisément,

Un jour d’hiver, l’impudique Satan

Des sales feux de la concupiscence

Voulut souiller ma crasseuse innocence,

Perdre mon ame & vaincre ma pudeur ;

Du noir péché je sentis la chaleur.

Pour désarmer ma chair récalcitrante,

Je fis de neige une femme charmante, (*)

Entre ses bras collé sur son giron,

Les yeux au Ciel, l’esprit en oraison,

Je fis, aidé d’une force majeure,

A ce tendron trois enfants dans une heure.

Près de François sous des arbres touffus

Un Bernardin avec Nostradamus

S’entretenaient de l’almanach de Liége.

J’ai, dit Bernard, pour flatter le saint Siége,

Contre les Turcs armé les potentats,

Fait dans mon temps des méchants almanachs ;

J’avais promis le plus beau temps du monde :

Sur le hazard malheureux qui se fonde !

Le mauvais temps se mit de mon côté,

J’en accusai l’amour & la beauté,

Que les Croisés menaient en terre Sainte :

Car entre nous, plus d’une fille enceinte

Alla porter près de Jérusalem,

A Nazareth, & même à Bethléem,

Le germe heureux de son incontinence.

Après avoir tout dévasté la France,

Je m’avisai d’intimider les sots ;

Je tins par tout de terribles propos

Sur l’Antéchrist & sur la fin du monde.

Les bonnes gens, les Seigneurs à la ronde

M’offraient leur bien, leur or & leur argent ;

De leurs deniers je dotais richement

Des abreuvoirs en l’honneur de Marie :

Défunt Mandrin eut-il mon industrie ?

J’eus beau fonder des loges pour les sots,

Aucun succès n’illustra mes travaux.

Bacchus, Venus, ont partagé ma gloire :

L’un à Clairvaux triomphe au réfectoire,

L’autre à Citeaux (*) soupire dans les bois.

Pour terminer mes glorieux exploits,

Aux œufs divers (§) je consacrai ma plume,

Sur les œufs durs je fis un gros volume,

Et condamnant les moines débauchés,

J’ai savamment traité des œufs pochés.

Le corps orné d’une blanche tunique,

Dans un fauteuil brillait Saint Dominique :

La cruauté veilla sur ses genoux,

Dans son œil fier l’implacable courroux

Ne respirait que l’horreur du carnage :

Je suis, dit-il, un dévôt personnage,

Fort inhumain, & mauvais orateur.

Mon beau génie & mon goût créateur

Ont inventé le célebre Rosaire : (§)

En me chantant, le sublime Voltaire,

Pour arranger la rime dans ses vers,

Sans hiatus m’a mis dans les enfers.

Je n’y suis plus, car je fis pénitence,

Et si jadis ma barbare éloquence

Fit égorger trente mille Albigeois,

C’était pour Dieu ; car Moïse en ses loix,

Dit joliment : “Si ton frere, ou ta femme,

”Ton bon ami, l’objet cher de ton ame,

”Disent : servons les Dieux de l’étranger ;

”Tire ton glaive, & va les égorger.

En jupon court, en robe bigarrée,

Endimanché comme une mariée,

Le Fondateur des sœurs de Fontevrault (*)

Dit à Girard, en parlant un peu haut :

Ainsi que vous, pere, j’aimais les filles,

Dans un couvent avec les plus gentilles

Je me couchais jadis sous le canon

Et sous les feux de la tentation :

Dans ces essais je domptais la nature,

Jamais ma chair na reçu de blessure,

Entre mes bras en serrant un tendron

J’avais toujours l’esprit en oraison.

Ma chair soumise à mon intelligence

Du noir démon défiait la puissance.

Dieu des tetons ! Dieu brillant de Girard !

Quoi sous tes yeux affrontant le hazard

Saint d’Arbrisse : [sic] restait sans contenance ?

Quoi ! l’ennemi de la faible innocence,

Le pere heureux de la chrétienneté

Fut dans tes mains sans élasticité ?

Filles du Monde ! ô vierges favorables !

Qui nous prêtez vos charmes secourables,

Ah ! gardez-vous de trouver au....

La froide chair de Robert d’Abrissel.

Le vieux la Mathe & Monsieur son confrere

Arlequinés des bribes d’un mystere,

Dit à la sœur : certain jour près de Meaux

Avec Felix je plantais des poireaux :

nous parlions de l’éternelle gloire :

Il faisait chaud, nous n’avions rien à boire.

Pour satisfaire à ce besoin pressant,

Chargé d’un pot & de fort peu d’argent

Mon camarade alla chercher chopine ;

Au cabaret un morceau de lustrine

Blanc, rouge & bleu, reste d’un vieux jupon,

Servait pour lors d’enseigne ou de bouchon.

L’œil étonné mon benêt de confrere

Sur ce chiffon crut voir un grand mystere.

Il vint à moi tout transporté d’ardeur,

Jean, me dit-il, bénissons le Seigneur,

Sur un bouchon sa grandeur vient d’éclore,

Sa main a peint des couleurs de l’Aurore

Sur un jupon la croix du Rédempteur ; (§)

A ce miracle ouvre ton chaste cœur ;

Dieu nous appelle au barbare rivage,

Allons tirer des fers de l’esclavage

Le matelot, le captif malheureux.

Hélas ! lui dis-je, ami, tu penses creux.

Pourquoi chercher la mer & les naufrages ?

Sans exposer ta figure aux orages,

Et sans courir à Maroc, à Tunis,

Allons plutôt racheter les maris

Qui sont par-tout fatigués de leurs femmes ;

Va, Paris seul peut donner à nos ames

De quoi bien faire ; & notre charité

Ne restera dans son oisiveté.

Que ce projet était beau pour la terre !

Mais par malheur, j’avais un sot confrere

Qui desirait voir les pays lointains ;

Je fondai donc l’ordre des Mathurins,

Où les Prieurs vivent dans l’abondance,

Tandis qu’on voit remper [sic] dans le silence

Leurs moines sots, comme on voit à Tunis,

Sous leurs patrons les esclaves soumis.

De loin Girard apperçut saint Ignace.

O mon patron ! ô mon patron de la grace !

S’écria t-il, embrassant ses genoux,

Je suis Girard, me reconnoissez-vous ?

D’un maintien grave & d’un aspect sévere

Dom Inigo (I) regardant son confrere

Lui dit : mon fils, vous fûtes trop humain,

Et comme moi le sexe feminin

Troubla vos sens, noircit long-temps votre ame.

Que voulez-vous ? l’homme est fait pour la Femme,

Et le plaisir est l’enfant du bonheur.

Dans mon printemps j’en connu la douceur.

Certain matin lisant Michel Cervantes,

Mon cœur épris des prouesses galantes

De son héros, que la Manche autrefois

Vantait plus haut que ces fainéants Rois,

A Monferrat j’allai porter un cierge ;

Là, prosterné sous les yeux de la vierge,

D’un air galant, je lui tins ces propos

Qu’interrompaient mes amoureux sanglots.

Fille des Rois, immortelle pucelle,

Qui seule avez sans tache originelle

Porté neuf mois dans vos flancs précieux,

Le Dieu du Monde & le maître des cieux ;

A vos genoux voyez le tendre Ignace,

Sur lui jettez un regard efficace ;

Il vous adore, & son cœur pénétré

De vos appas, vient dans ce lieu sacré

Vous présenter son amoureuse flamme.

Vierge, soyez ma maîtresse & ma Dame,

Et dans le Ciel écrivez mon serment,

Je sens couler les pleurs du sentiment.

Disant ces mots, je coupai ma moustache,

A son autel j’attachai ma rondache,

Et puis courant comme un fou par les champs

En son honneur j’insultai les passants.

Un jour d’automne, en battant la campagne,

        [omission d’un vers]

Je m’endormis au pied du Mont-Cassin. [*]

Là, dans un rêve un fantôme divin

S’offrit à moi, resplendissant de gloire ;

Dans sa main gauche il tenait un grimoire,

De l’autre main un énorme ciseau :

O toi ! dit-il, dont le pesant cerveau,

Suit constamment les phases de la Lune,

Cyclope heureux qu’aux murs de Pampelune (I)

Le Ciel choisit pour être l’artisan

D’un Institut plus beau que l’Alcoran ;

Apprens la gloire où le Ciel te destine,

Tes fils heureux régneront dans la Chine :

Le Paraguai maudira leur destin,

Et sur leur front la pâleur de Caën

Fera trembler le Palais de Lisbonne ;

Peut-être un jour cette triple couronne

Dont un Pontife orne ses cheveux blancs,

Décorera le front de tes enfants :

A leurs desirs tout rira sur la terre,

(2) Damiens sous eux saura l’art de la guerre.

Pour accomplir ces oracles certains,

De ses trésors Dieu veut remplir tes mains.

A Dominique il donna le rosaire,

A Simon Stok le plan du scapulaire,

A sœur Brigitte un paquet d’oraisons,

A Jean de Dieu les petites maisons,

A Saint Bernard les biens de la campagne,

A Saint Bruno les châteaux en Espagne,

A Jean de Paul le pouvoir en entier

De conjurer le Diable & le sorcier,

A saint Benoit la richesse & la grace,

A saint François la vermine & la crasse ;

Ah ! si le Ciel sur ces sots fondateurs (I)

A pleines mains épancha ses faveurs,

Ne doit-il pas à l’ardeur de ton zele

De ses bontés une marque nouvelle ?

Reçois de Dieu ce ciseau précieux,

Utilement à tes enfants heureux

Il servira d’éternelle ressource.

Avec son aide, ils couperont la bourse

Aux sots dévôts enchaînés dans leurs fers.

Disant ces mots, dans la plaine des airs

Quelques moments le fantôme balance,

Puis dans le Ciel subitement s’élance :

Tel, dit Grécourt, on vit dans Saint Mathieu

Le Diable un jour emporter le bon Dieu.

En ce moment la tendre hypocrisie,

Vint avertir que chez la moinerie,

Nos voyageurs allaient être écoutés :

Tout doucement marchant à ses côtés,

Prenant son ton, son froid & son exemple,

D’un air dévôt ils entrent dans le Temple.

Là sous un dais couvert d’un poële noir,

Les yeux bandés d’un crêpe ou d’un mouchoir,

Sur les genoux de la brutale envie ;

Pompeusement siégait [sic] la Moinerie.

Un capuchon couvrait ses blancs cheveux.

Sur sa poitrine attachée à deux nœuds,

Pendait en bois la tête de Méduse.

Un long manteau sur sa taille percluse,

A ses cotés tombant négligemment,

Cachait son corps, & l’ornait richement

Du poil usé de ses vieilles hermines :

Un grand bâton semé de nœuds d’épines,

Servait de sceptre à ce monstre cruel :

Près de son trône on voyait un autel.

Torticolis, sa sœur & sa prêtresse,

D’une main sale offrait à la Déesse ;

Le soufre impur de ses poisons épais ;

Le cœur moins faux, l’esprit aussi mauvais,

La médisance à côté de ses freres,

Les faux rapports, les discours téméraires,

Brûlait le fiel que ses profanes mains

Avait filtré des discours les plus saints ;

A leurs genoux toujours sans connoissance,

Toujours agnès, la sainte obéissance,

Les yeux baissés & dévorant ses pleurs,

A leur poison mêlait ses douces fleurs.

Près de l’autel on voyait des rosaires,

De blancs, de noirs, de rouges scapulaires,

De gros cordons, des manches d’Augustins,

Des chapeaux gris, des croix de Mathurins,

Des capuchons sur cent différents moules,

Des guenillons, des béguins, & des coules. (*)

Le cœur ému, le visage glacé,

Baissant les yeux d’un air embarrassé,

Ursule avance aux pieds de la Déesse.

Reine, dit-elle, à qui dès ma jeunesse,

J’ai chaque jour offert un pur encens,

Un noble hommage & mes vœux renaissants ;

J’implore ici votre auguste puissance.

Vingt lâches cœurs calcinés de vengeance,

Doivent porter au chapitre demain

Le bruit, l’horreur & la rage dans Sin ;

Sur un Ramon un statut méprisable,

Depuis trois mois est l’objet déplorable

Qui désunit nos cœurs récalcitrants :

Nos vieilles sœurs, ces cerveaux révérends,

Yvres des droits que leur donnent les âges,

Ont contre nous convoqué les orages.

Notre gaîté, la douceur de nos ans,

Nos fronts couverts des palmes du printemps,

Nos doux plaisirs, notre raison riante,

Forment les traits que leur haine constante,

A chaque instant décoche contre nous.

A ce narré, la Déesse en courroux,

Lui dit : ma fille, il faut que la jeunesse,

Aveuglément respecte la vieillesse.

Les jours passés sont des jours précieux,

Le poids des ans annonce à tous les yeux

Les grands égards que l’on doit à l’enfance :

C’est dans ce temps que notre intelligence,

Semblable en tout au flambeau qui s’éteint,

Tombe, s’éleve & s’éclipse soudain.

Dans ce moment, la Déesse effroyable

Fit apporter un livre inexplicable,

Où de tout temps la haine de ses mains,

De chaque cloître a marqué les destins.

La médisance ouvre ce livre antique,

Et lit tout haut d’un ton cabalistique,

Ces mots obscurs d’un oracle trompeur :

”L’Ignatien est un grand directeur ;

”Si vous suivez sa morale ambulante,

”Du vieux Balai vous serez triomphante ;

Craignez pourtant de trouver en chemin,

”Deux chevaux noirs : une donzelle, un Saint.

A cet oracle incertain & terrible,

Nos voyageurs à la Déesse horrible,

Font leurs adieux, grimpent sur le Balai,

Et par les airs retournent à Douai.

 

 

(1) Le Tibi est une cheville de bois qui sert d’agraffe aux manteaux des Capucins : un Tibi d’ivoire annonce un grand commandeur de l’ordre : un Tibi de bois un moinichon, un fiacre de la vermine séraphique.

(2) Les Cordeliers assurent que leur soupe appartient au Pape lorsqu’ils l’ont digérée.

Les Manches des Augustins & des Feuillants ont fait beaucoup de bruit dans l’Eglise ; mais cette guerre n’a point égalé celle des Cordeliers sur leurs capuchons. L’ordre fut divisé en deux factions qu’on nommait les freres spirituels & les freres de la communauté. Les uns voulaient le capuchon étroit, les autres le voulaient large. La dispute dura plus d’un siecle, & fut à peine terminée par les bulles de quatre Papes, Nicolas IV, Clément V, Jean XXII & Benoît XII. Voilà de plaisantes ordures pour occuper tant de souverains pontifes.

(§)  Les solitaires faisaient des paniers de jonc & les défaisaient pour plaire à Dieu & tuer le temps ; ils auraient mieux fait de labourer la terre & de défricher la Thébaïde. Cela valait mieux que des paniers percés.

(*) S. François se dépouilla devant son Evêque. Il fit une femme de neige & trois enfans de la même étoffe, qu’il caressait pour dompter l’amour naturel.

(*) Les Moines vont entre chien & loup dans les bois avec une clochette pendue au col. Les villageoises allant sur le soir ramasser leur troupeau, croyant entendre la cloche de leur vache, vont vers l’endroit où elles entendent le bruit ; au lieu de ce qu’elles cherchent elle [sic] trouvent un gros moine & un gros phénomene ; ça fait toujours plaisir.

(§)  Dans les œuvres de S. Bernard on trouve un morceau inimitable sur les œufs mollets, les œufs en trippes, & sur les omelettes au beurre frais.

(§)  S. Dominique fut le premier qui enchaîna dans la ficelle l’Oraison Dominicale à la suite de dix Ave Maria. Il faut que S. Dominique ait bien travaillé pour avoir perfectionné le mystere du Rosaire, tel que nous l’avons aujourd’hui. Avant la sainte invention du chapelet, les fideles, dit Baronnius, avaient deux goussets à leurs culottes, où ils mettaient un certain nombre de petites pierres, de façon que lorsqu’ils avaient dit un Pater ou un Ave Maria, ils tiraient une pierre du gousset gauche qu’ils mettaient dans la poche droite, & lorsque toutes les pierres étaient dans la poche du gousset droit, le chapelet était fini. Pour mieux entendre la manœuvre de ces pierres & l’arrangement des poches de la brayette, voici ce que nous en dit Louis Guion Dolois, Seigneur de la Noche, dans son livre intitulé Extraits de diverses Leçons :

”Les chausses hautes estoyent si jointes qu’il n’y avait moyen d’y faire des pochettes : mais au lieu, ils portaient une ample & grosse brayette ; & entre la grande espace, entre l’ouverture de la brayette, contre la chemise, on y mettait une pomme, une orange ou autres fruits, & n’était point incivil étant à table de présenter aux Dames les oranges, les pommes & les fruits conservés quelque temps en icelle brayette ; & les Dames recevaient le présent tout chaud & comme cuit & pocheté, & dans icelle brayette étaient les pierres du chapelet.”

Il était plaisant de voir dans I’Eglise nos vieux Seigneurs tirer lentement & d’un air dévôt de leur brayette l’Ave Maria & le Pater & toutes les pieces du chapelet.

(*) Malgré les apologies du P. de la Mainferme, les savants sont assurés que Robert d’Abrissel couchait avec ses nonnes. Le P. Sirmond fit courir une Lettre de Géofroy Abbé de Vendôme qui a fleuri au commencement du 12 siecle, où ce reproche est vivement marqué. On a une lettre imprimée à Rennes en 1524 parmi les opuscules de Marbodus, Evêque de cette ville, qui dépose contre Robert. Pierre de Saumur, moine de St. Florent, dont l’écrit était entre les mains du P. Vignier de l’Oratoire, est une preuve incontestable de l’incontinence du fondateur de Fontevrault. Ce monument est d’autant plus vrai qu’il est appuyé d’un manuscrit du Mans & de deux Mss. Italiens cités par le P. Mabillon. Au Concile d’Alby, les Albigeois blâmés de ce qu’ils menaient des femmes avec eux, s’autoriserent de l’exemple de Robert. Ce grand faiseur d’expériences charnelles, couché à côté de deux jolies nonnes, était bien dur ou bien malade : les bonnes sœurs pouvaient lui dire, comme Lison dans les amours grivois.

          Vous êtes donc las, Colas,

          Eh ! je le vois bien, vous ne m’aimez guère,

          Car tout cela ne vous touche pas,

          Hélas ! vous ne m’aimez pas ?

D’Arbrissel a trouvé des imitateurs en 1537. Une duchesse de Guastala, par le consei1 d’un Jacobin nommé Baptiste de Creme, fonda la Confrairie de la Victoire sur soi-même & sur la chair.... pour gagner cette Victoire on mettoit dans le même lit un jeune homme & une jeune fille, & un crucifix au milieu, afin qu’ils ne se donnassent point des coups de pied. Voyez Bayle. Dict.

(§)  Jean de la Mathe & Felix paysans du Valois virent près d’une Fontaine, dit la Fable, un cerf qui portait entre deux cornes la croix bleue & rouge des Mathurins ; c’était un rayon de l’Arc-en-ciel qui tombait sur la Fontaine.

(I)  Le vrai nom Espagnol du Pere Ignace de Loyola.

(*) Ce fut un ancien bénédictin du Mont-Cassin qui donna les constitutions des Jésuites au P. Ignace. Ce fondateur était trop ignorant pour imaginer le systême de l’empire des Solipses.

(I)  Ignace, Capitaine dans un régiment Espagnol, était au siege de Pampelune : nos troupes attaquaient cette ville. Ce fut notre canon Français qui eut l’honneur de lui casser une jambe.

(2) Mon cœur est encor ému en citant ce monstre. Quoi le meilleur de nos Rois, quoi le cœur de Louis si semblable à celui d’Henri IV, allait être percé par un monstre élevé à la brochette chez les Jésuites ! O Français, qui adoriez vos Rois, de quel œil pouviez-vous voir cette société ?

(I)  Un commis, un cheval de poste & un moine sont regardés aujourd’hui à peu près du même œil : les Fondateurs d’ordre ne sont guères plus respectés que leurs enfants. Si je plaisante des hommes que les dévôts ont placés au Ciel, c’est que je ne suis point obligé de croire à leur apothéose. La canonisation n’est point un article de l’Evangile, ni un objet de notre foi. Le Pape qui ne pourrait diminuer ni augmenter la queue d’une comete, ni ajouter une étoile au Ciel, aurait-il la puissance d’y mettre les hommes ?

(*) Scapulaires des Bernardins.

 

 

 

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CHANT ONZIÈME

 

 

CHANT ONZIEME.

 

 

Les Jésuites saisissent la guerre du Balai, pour Chasser le Directeur. Un ange descend à St. Médard. Discours de l’ange à St. Paris. Le Diacre va trouver Jeanne Porte-latin, servante du Directeur.

 

 

 

Du vieux serpent la malice infinie,

Pour augmenter les maux de cette vie,

Mit près de nous deux êtres remuans,

De notre France éternels habitans ;

L’un sombre & dur, est le fier Jansénisme ;

L’autre plus doux est le sot Molinisme.

L’un sert Quênel, Pascal, la vérité :

L’autre se rit de leur autorité.

A nos défauts l’un fait toujours la guerre :

L’autre indulgent, & plus propre à la terre,

Avec des fleurs étouffe nos remords.

Tous deux pourtant, par de communs efforts

S’entre-choquant, veulent regner en France.

Envain le Roi, la paix, l’obéissance

Leur ont parlé ; mais ces êtres divins

N’ont encor pu contenir les mutins.

Sin éprouva ces deux partis contraires.

Depuis un an certains révérends peres,

Gens fort courtois, qu’on voit de toute part

Hors dans le Ciel & près de Saint Médard,

Venaient dans Sin confesser les novices.

Ces révérends, bénins pour certains vices,

Applanissaient d’un stile doucereux,

Du vieux salut le chemin raboteux.

Le Directeur était rude & sévere.

Il n’avait point ce pliant caractere,

Qui simpatise aux sentimens du cœur.

On le craignait & jamais une sœur,

N’osait deux fois répéter à confesse,

La même faute, ou la même faiblesse.

Fort ennemi des séjours au parloir,

Il leur disait : Mes sœurs, qu’allés vous voir,

Dans cet endroit, des objets adorables,

Des bruns, des blonds, des garçons charitables,

Dont les propos vous font rêver la nuit.

On croit les voir... Que fait-on dans son lit ?

On se tourmente, on tourne, on se retourne ;

Sans le savoir très souvent l’on s’enfourne

Dans de gros cas réservés ou fâcheux :

Fuiez, mes sœurs, ce lieu pernicieux.

L’occasion qui fait naître le crime,

Et le malin qui cherche sa victime

Font échouer les plus grandes vertus.

Pour un coup d’œil combien de gens perdus !

Cette morale & ce ton efficace,

Ne plaisait point au fils de saint Ignace.

Son lâche orgueil, fiérement affligé,

Ne put longtems d’un sceptre partagé

Souffrir en paix le variable empire.

Rempli des feux que son ordre respire,

Feu que l’envie attise doucement,

Depuis trois mois il faisait sourdement,

Rouler dans Sin & murmurer sous terre,

De ses complots le dangereux tonnere.

Du faux Arnauld le confrere malin,

Deux fois le jour venait prêcher à Sin ;

Et chaque fois il tirait sur le pere :

Aux jeunes sœurs il disait que la terre

L’avait formé du froid du grand hiver ;

Aux vieilles sœurs, que le sang & la chair

Le nourissait pour gâter la jeunesse,

Et que le Ciel, fidele à sa promesse,

Le destinait pour former l’Antechrit. [sic]

Vous le savés, l’Evangile le dit :

Certaine nuit un dévot Patriarche,

Non point celui que Dieu sauva dans l’arche,

Mais Monsieur Loth, un de ses petits fils,

Du feu du vin & de Vénus épris,

Fit dans trois coups trois enfans à ses filles.

Si le docteur s’avisait dans vos grilles,

De l’imiter, hélas ! avant cinq ans,

Votre maison serait pleine d’enfans.

Le Directeur n’est point du tout ivrogne

Plus modéré, présent à la besogne,

Il en ferait au moins quatre par jour :

Tout est aisé, dit-on, avec l’amour.

L’Ignatien changeant de ridicule,

Leur racontait les succès de la Bulle,

Il assurait que ce chétif Ecrit,

Composé loin des yeux du saint Esprit,

Etait du Ciel un ouvrage visible,

Clément trompé, cependant infaillible,

Pleurait, mes sœurs, en signant ce decret.

Au fond de l’ame un sentiment secret

L’avertissait que sa bulle éclipsée,

Au plus profond de la chaise percée,

Tel qu’un jet d’eau rejaillirait sur nous,

Hélas ! notre ordre en essuia les coups.

Monsieur B...., l’oracle de la France,

Dont Patouillet guidait la tendre enfance ;

N’a plus pour nous les mêmes sentimens.

Il refusait si bien les sacremens,

Quand il suivait nos avis salutaires,

Et de Berthier les confuses lumieres !

Du bon Jesus le mauvais compagnon,

Allait bientôt chasser de la maison,

Le Directeur & le Christianisme,

Quand tout à coup l’ange du Jansénisme,

Resplendissant des feux du Paradis

Parut dans l’air & vola vers Paris.

Or dans Lutece est un charnier antique,

Où dans un coin le saint corps pulmonique

D’un bienheureux, y fait sans violon,

Danser le froc, lever le cotillon.

Là, tour-à-tour les foux & les malades,

A ce tombeau, vont paier en gambades,

Comme le singe un hommage au patron :

Du trépassé saint Paris est le nom.

La pauvreté composa sa richesse,

L’humilité couronna sa sagesse ;

Il fut toujours Janséniste & chrétien,

Et malgré Rome il fut homme de bien.

L’ange touché des malheur de l’Eglise,

Sur cette tombe où le tems pulvérise,

Le fier Héros du parti d’Augustin,

S’agenouilla, puis se levant soudain,

D’un ton fort rude, animé par la grace,

Tint à Paris ce discours efficace.

Saint, qui dormés au milieu des défunts,

Eveillés vous, éteignés ces parfums

Que la folie allume à votre cendre,

Vers vous le Ciel exprès me fait descendre.

Pour le venger des fiers Ignatiens.

Ces hommes doux, indulgens aux chrétiens,

Du Paradis ont applani la route :

Pour la trouver à présent il n’en coûte :

Qu’un peu d’amour sur-tout pour le prochain.

Dans leur morale, hélas ! tout est serein.

Le Ciel n’est plus le séjour des orages,

De mille fleurs ils ont peint ses nuages,

Filtré la grace, & chargé d’ornemens

Les deux Larrons & les deux Testamens.

De la Morale allés venger l’injure,

Prêchés Saint Paul, allarmés la nature.

Peignés à l’homme un Dieu toujours fâché,

Montrés son bras levé sur le péché,

Avec éclat nuancés sa colere :

Dieu comme un feu qui dévore la pierre,

Anéantit les œuvres des humains.

C’est un malheur de tomber dans ses mains.

Sa voix puissante est semblable au tonnere.

Comme la paille éparses sur la terre,

Au gré des vents sa main fait à la fois,

Tomber les monts, les cedres & les Rois.

Jusqu’au tartare il poursuit la mollesse.

A ses yeux purs notre infirme sagesse

N’est que néant, erreur ou vanité,

Dans les enfers il plonge la beauté.

C’est un [en?] Dieu fort qu’il punit la faiblesse :

Un seul desir, un doux mot de tendresse,

Peut allumer son terrible courroux.

Des cœurs de chairs, c’est un rival jaloux.

Aux grands du siecle il fait toujours la guerre,

Et pour punir l’aieul & le grand-pere,

Jusqu’à leurs fils il poursuit leurs forfaits (*).

Vous qui craignés ses rigoureux décrets,

Sortés, Paris, de votre indifférence.

Des Loyola Dieu veut tirer vangeance :

Le cri du juste est monté jusqu’à lui :

Allés, marchés, son nom est votre appui.

Le vieux Clément trop lâche & trop timide,

Depuis dix ans à [sic] dans sa main humide,

Laissé rouiller les clés des Paradis.

Les Loyola, ses dangereux amis,

De Simon Pierre ébranlent la nacelle ;

Leur doux systême & leur grace nouvelle,

De mille erreurs infectent le troupeau,

Le loup est-il le pasteur de l’agneau :

Un Directeur grondeur & Janséniste,

Honni, flétri du parti Moliniste,

Doit d’une grille être chassé demain,

Dans ce couvent un Jésuite mutin,

A contre lui brigué trente suffrages ;

Demain dans Sin, objet de mille outrages,

Un vil Ramon, ce Docteur & vingt sœurs,

Du Molinisme essuieront les rigueurs.

Allés, François, combattre en cette guerre.

Du Directeur gagnés la chambriere.

De ses appas étaiés le parti :

Que son beau cœur à Quênel converti,

Du Jansénisme établisse la gloire,

Le ciel puissant vous promet la victoire.

Déja pour vous vingt prodiges brillants,

Ont illustré la foi de vos croians.

Dieu vous rendit fameux par les gambades,

Et sa bonté sur les cerveaux malades,

Marqua ce Tau signe heureux des élus,

Dont un apôtre a marqué les tribus.

Disant ces mots sur les aîles d’éole,

Subitement l’ange Uriel s’envole.

Paris charmé d’obéir au Seigneur,

Sentant la grace animer dans son cœur,

Le feu sacré du parti Jansénisme,

Sûr d’abîmer l’insolent Molinisme,

Quitte à l’instant les murs de saint Médard,

Et d’un pas grave il monte au Boulevard.

Sur ce théatre où la fiere indécence,

Le vuide affreux, la mode & l’inconstance,

Font raionner aux yeux de la cité,

Le gros bonheur de la frivolité ;

Un char brillant, un cocher en lunettes,

Et deux chevaux qui lisaient les gazettes,

Depuis minuit attendaient le retour

D’un jeune Abbé, qu’un éternel amour,

Tenait collé sur la bouche lubrique,

Ou sur le sein, ou sur l’œil impudique

D’une Vénus du Ciel de l’opera.

Paris du char aussitôt s’empara.

Pour l’empêcher envain le cocher jure ;

Sans l’écouter le Saint dans la voiture,

Parle, commande aux coursiers vigoureux :

Le char s’éleve, & plane dans les cieux.

Déja Paris, apperçoit cette ville,

Où le rival du vieux chantre d’Achille,

Par ses talens éclairait autrefois

Rome & Cambray, les beaux arts & les Rois.

Sur son tombeau les trois graces d’Homere,

Le Dieu du goût, & celui de Cythere,

Pleuraient encor l’aimable Fénelon,

A leurs cotés, l’ombre de la Guion,

Folle autrefois, quiétiste & dévote,

Tenait en main une énorme calotte,

Tout vis-à-vis l’éloquent Bossuet,

Voiait son crime & son front rougissait.

O manes saints ! ô sagesse ! ô grand homme !

Si ton beau cœur n’eut point plié sous Rome,

Notre parti de lauriers immortels,

Aurait orné tes durables autels,

Et Port-Royal t’eut consacré ses veilles.

Disant ces mots, la ville aux sept merveilles,

Le vieux Douai (*) découvre à ses regards,

Un long désert entourré de remparts.

Là dans le centre il voit le mont Pagnote,

Le mauvais goût, le temple d’Aristote,

Des Liégeois chamarés de latin,

D’épais docteurs savans en parchemin,

Le grand Gayant (), le Recteur Magnifique (),

Magnificence à peine que l’optique,

Pourrait saisir, qui contient en grandeur,

Bon an, mal an, quatre pieds de hauteur.

Plus loin il voit ce pompeux édifice,

Où sous un dais, que soutient la justice,

Les fieres loix ont placé de leurs mains,

Trente mortels, la terreur des humains.

Né dans Athêne un fils du despotisme,

Un dur enfant, le sévére Ostracisme

Tient leur balance, exile, met aux fers (§)

Les fils du Ciel, les talens & les vers.

De ce sénat cruel & respectable,

Depuis cinq ans le Chef inexorable,

Le front orné des lauriers de l’esprit,

Chéri du grand, redoutable au petit,

Glace d’effroi, Therpsicore & Talie.

O sage Ariste ! ô foudre du génie,

Du Dieu des vers respecte les travaux,

Sois plus humain, & deviens mon Héros.

Paris saisi d’une douleur secrette,

Voit en passant le tombeau de Rivette (*),

Son œil se mouille il sent couler ses pleurs,

O Prêtre chaste ! ô triomphe des mœurs !

S’écria-t-il, ah ! vive ta mémoire :

Ce lieu profane est orné par ta gloire ;

Ton nom écrit dans les cieux immortels,

Durera plus que ces affreux autels,

Que l’ennemi du Ciel & de la grace,

Fit élever au cadavre d’Ignace.

Le bienheureux arrivé près de Sin,

S’en va trouver Jeanne Porte-latin.

Dans une alcove où régnait le silence,

Un lit jumeau, dressé par l’indécence,

Contenait Jeanne & le saint Directeur.

Deux grands rideaux, en tout bien tout honneur,

Sans séparer ce couple respectable,

Le défendaient des attaques du Diable,

Et des travaux de la tentation.

Jeanne pour lors en grande émotion,

Le désespoir répandu sur ses charmes,

Le front ridé, les yeux mouillés de larmes,

L’ame effrayée, en ce moment rêvait,

Que le Démon aux enfers l’emportait.

Ce songe est beau, surtout quand on s’éveille.

Paris bientôt vers le lit où someille

La chaste Jeanne, arrive en frémissant :

Mais pour ses yeux quel spectacle indécent !

Un sein plus beau que le sein de Céphise,

Que la noirceur d’une sale chemise,

Faisait sortir avec plus de saillant,

Cause au béat un dévot tremblement.

Le cœur ému, cependant il approche,

Détournant l’œil, il tire de la poche,

Un grand mouchoir, & d’une main tremblante,

Cache en fuyant cette gorge charmante.

Tel autrefois en tournant les talons,

Et lentement marchant à reculons,

Du bon Noë certain enfant fort sage,

Pour conserver l’honneur de son lignage,

Aux yeux du jour étalé mincement,

Alla, dit-on, cacher fort décemment,

Sous un monteau [sic] l’espoir de notre espece ;

Où telle on vit l’excessive sagesse

D’un Bernardin célébre dans Rousseau,

Cacher en grand sous l’ombre d’un chapeau,

Ce qu’en petit sa main aurait pu faire.

Mais attendant que pour parler d’affaire

Jeanne s’éveille & se frote les yeux,

Et que Paris leve les siens aux cieux ;

Muse, dis nous qu’elle [sic] était cette Jeanne :

Viens ranimer, ma voix faible & profane,

Je vais chanter ses agrémens divers,

Son innocence, & la feuille à l’envers.

 

 

(*) Dieu dit dans l’écriture qu’il punira la faute des peres sur leurs fils jusqu’à la cinquieme génération. Les Théologiens ont pris ce passage à la lettre & ont fait la sottise de rendre Dieu injuste. C’est une expression dont un pere tendre se sert pour intimider ses enfans. Cham fut maudit par Noë ; cependant il fut le pere des Medes, des Perses & de tous les peuples fameux du monde dans le tems que les enfans de ses freres n’ont eu que le petit pays de la judée & l’appanage de crier les vieux chapeaux dans toutes les villes du monde.

(*) Ville en friche, flétrie par son université la plus petite des universités, borne du Royaume, & célébre par un Parlement aussi grand & aussi respectable que la petite Académie est ignorante & ignoble. Douai qu’on appelle dans la Province la ville aux sept merveilles montre aux étrangers comme quelque chose de curieux, une fontaine où il y a de l’eau. Les autres merveilles sont l’Académie des clers Baladins, la Candouille, la Ruelle pinte, le grand Géant, la Cafouillage & le Recteur magnifique.

()  Carnaval ambulant où l’on mene en procession les chasses des Saintes, un grand Géant, des arlequins & les docteurs de l’université.

()  Sobriquet qu’on donne au petit Recteur de la petite université.

(§) Ce Parlement qui fait de si belle prose n’aime point les vers : il a pris les Poëtes en aversion comme nos belles Dames de Paris les araignées & les vieilles croix de St. Louis.

(*) Chanoine respectable, l’édification de toute la ville mourut dans son appel : la justice le fit porter dans un lieu profane : les écoliers des Jésuites suivaient le cadavre en chantant cette abominable parodie du Te Deum que leur régent leur avait dictée.

Te Rivette damnemus, te diabolum confitemur &c.

 

 

 

CHANT ONZIEME.

 

 

Les Jésuites saisissent la guerre du Balai, pour chasser le Directeur. Un ange descend à St. Médard. Discours de l’ange à Saint Paris. Le Diacre va trouver Jeanne Porte-latin, servante du Directeur.

 

 

Du vieux serpent la malice infinie,

Pour augmenter les maux de cette vie,

Mit près de nous deux êtres remuants,

De notre France éternels habitants ;

L’un sombre & dur, est le fier Jansénisme,

L’autre plus doux est le sot molinisme.

L’un sert Quênel, Pascal, la vérité :

L’autre se rit de leur autorité.

A nos défauts l’un fait toujours la guerre :

L’autre indulgent, & plus propre à la terre,

Avec des fleurs étouffe nos remords.

Tous deux pourtant, par de communs efforts

S’entre-choquant, veulent régner en France.

En vain le Roi, la paix, l’obéissance

Leur ont parlé ; mais ces êtres divins

N’ont encor pu contenir les mutins.

Sin éprouva ces deux partis contraires.

Depuis un an, certains révérends peres,

Gens fort courtois, qu’on voit de toute part

Hors dans le ciel, & près de Saint Médard,

Venait dans Sin confesser les novices.

Ces révérends, bénins pour certains vices,

Applanissaient d’un style doucereux,

Du vieux salut le chemin raboteux.

Le directeur était rude & sévere.

Il n’avait point ce pliant caractere,

Qui sympathise aux sentiments du cœur.

On le craignait, & jamais une sœur

N’osait deux fois répéter à confesse,

La même faute, ou la même faiblesse.

Fort ennemis des séjours au parloir,

Il leur disait : mes sœurs, qu’allez-vous voir

Dans cet endroit ? des objets adorables,

Des bruns, des blonds, des garçons charitables,

Dont les propos vous font rêver la nuit ?

On croit les voir... Que fait-on dans son lit ?

On se tourmente, on tourne, on se retourne ;

Sans le savoir très-souvent l’on s’enfourne

Dans de gros cas réservés ou fâcheux :

Fuyez, mes sœurs, ce lieu pernicieux.

L’occasion qui fait naître le crime,

Et le malin qui cherche sa victime

Font échouer les plus grandes vertus.

Pour un coup d’œil combien de gens perdus !

Cette morale & ce ton efficace,

Ne plaisait point au fils de saint Ignace.

Son lâche orgueil, fiérement affligé,

Ne put long-temps d’un sceptre partagé

Souffrir en paix le variable empire.

Rempli des feux que son ordre respire,

Feu que l’envie attise doucement,

Depuis trois mois il faisait sourdement,

Rouler dans Sin & murmurer sous terre,

De ses complots le dangereux tonnere.

Du faux Arnauld le confrere malin,

Deux fois le jour venait prêcher à Sin ;

Et chaque fois il tirait sur le pere :

Aux jeunes sœurs il disait que la terre

L’avait formé du froid du grand hiver ;

Aux vieilles sœurs, que le sang & la chair

Le nourissait pour gâter la jeunesse,

Et que le Ciel, fidele à sa promesse,

Le destinait pour former l’Antechrist.

Vous le savez, l’évangile le dit :

Certaine nuit un dévôt Patriarche,

Non point celui que Dieu sauva dans l’arche,

Mais Monsieur Loth, un de ses petits fils,

Du feu du vin & de Vénus épris,

Fit dans trois coups trois enfants à ses filles,

Si le docteur s’avisait dans vos grilles,

De l’imiter ! hélas ! avant cinq ans,

Votre maison serait pleine d’enfants.

Le directeur n’est point du tout ivrogne ;

Plus modéré, présent à la bésogne,

Il en ferait au moins quatre par jour :

Tout est aisé, dit-on, avec l’amour.

L’Ignatien changeant de ridicule,

Leur racontait les succès de la bulle,

Il assurait que ce chétif écrit,

Composé loin des yeux du Saint-Esprit,

Etait du Ciel un ouvrage visible,

Clément trompé, cependant infaillible,

Pleurait, mes sœurs, en signant ce décret.

Au fond de l’ame un sentiment secret

L’avertissait que sa bulle éclipsée,

Au plus profond de la chaise percée,

Tel qu’un jet d’eau rejailliroit sur nous :

Hélas ! notre ordre en essuya les coups.

Monsieur B...., l’oracle de la France,

Dont Patouillet guidait la tendre enfance,

N’a plus pour nous les mêmes sentiments.

Il refusait si bien les sacrements,

Quand il suivait nos avis salutaires,

Et de Berthier les confuses lumieres !

Du bon Jesus le mauvais compagnon ;

Allait bientôt chasser de la maison,

Le directeur & le Christianisme,

Quand tout à coup l’ange du Jansénisme,

Resplendissant des feux du Paradis

Parut dans l’air & vola vers Paris.

Or, dans Lutece est un charnier antique,

Où dans un coin le saint corps pulmonique

D’un bienheureux, y fait sans violon,

Danser le froc, lever le cotillon.

Là, tour-à-tour, les foux & les malades,

A ce tombeau, vont payer en gambades,

Comme le singe, un hommage au patron :

Du trépassé, saint Paris est le nom.

La pauvreté composa sa richesse,

L’humilité couronna sa sagesse ;

Il fut toujours Janséniste & chrétien,

Et malgré Rome il fut homme de bien.

L’ange touché des malheur de l’église,

Sur cette tombe où le temps pulvérise

Le fier Héros du parti d’Augustin,

S’agenouilla, puis se levant soudain,

D’un ton fort rude, animé par la grace,

Tint à Paris ce discours efficace :

Saint, qui dormez au milieu des défunts,

Eveillez-vous, éteignez ces parfums

Que la folie allume à votre cendre ;

Vers vous le Ciel exprès me fait descendre,

Pour le venger des fiers Ignatiens.

Ces hommes doux, indulgens aux chrétiens,

Du Paradis ont applani le [sic] route :

Pour la trouver, à présent il n’en coûte

Qu’un peu d’amour sur-tout pour le prochain.

Dans leur morale, hélas ! tout est serein.

Le Ciel n’est plus le séjour des orages,

De mille fleurs ils ont peint ses nuages,

Filtré la grace, & chargé d’ornements

Les deux Larrons & les deux Testaments.

De la morale allez venger l’injure,

Prêchez saint Paul, allarmez la nature.

Peignez à l’homme un Dieu toujours fâché,

Montrez son bras levé sur le péché,

Avec éclat nuancez sa colere :

Dieu comme un feu qui dévore la pierre,

Anéantit les œuvres des humains ;

C’est un malheur de tomber dans ses mains.

Sa voix puissante est semblable au tonnere.

Comme la paille éparses sur la terre,

Au gré des vents sa main fait à la fois,

Tomber les monts, les cedres & les Rois.

Jusqu’au tartare il poursuit la mollesse.

A ses yeux purs notre infirme sagesse

N’est que néant, erreur ou vanité :

Dans les enfers il plonge la beauté.

C’est un Dieu fort qui punit la faiblesse !

Un seul desir, un doux mot de tendresse,

Peut allumer son terrible courroux.

Des cœurs de chairs, c’est un rival jaloux.

Aux grands du siecle il fait toujours la guerre,

Et pour punir l’aïeul & le grand-pere,

Jusqu’à leurs fils il poursuit leur forfait. (*)

Vous qui craignez ses rigoureux décrets,

Sortez, Paris, de votre indifférence.

Des Loyola Dieu veut tirer vengeance :

Le cri du juste est monté jusqu’à lui :

Allez, marchez, son nom est votre appui.

Le vieux Clément, trop lâche & trop timide,

Depuis dix ans a dans sa main humide,

Laissé rouiller les clefs des Paradis.

Les Loyola, ses dangereux amis,

De Simon Pierre ébranlent la nacelle ;

Leur doux systeme & leur grace nouvelle,

De mille erreurs infectent le troupeau ;

Le loup est-il le pasteur de l’agneau :

Un directeur grondeur & Janséniste,

Honni, flétri du parti Moliniste,

Doit d’une grille être chassé demain ;

Dans ce couvent un Jésuite mutin,

A contre lui brigué trente suffrages ;

Demain dans Sin, objet de mille outrages,

Un vil Ramon, ce docteur & vingt sœurs,

Du Molinisme essuieront les rigueurs.

Allez, François, combattre en cette guerre.

Du directeur gagnez la chambriere.

De ses appas étayez le parti :

Que son beau cœur à Quênel converti,

Du Jansénisme établisse la gloire,

Le ciel puissant vous promet la victoire.

Déjà pour vous vingt prodiges brillants,

Ont illustré la foi de vos croyants.

Dieu vous rendit fameux par les gambades,

Et sa bonté sur les cerveaux malades,

Marqua ce Tau signe heureux des élus,

Dont un apôtre a marqué les tribus.

Disant ces mots, sur les aîles d’Eole,

Subitement l’ange Uriel s’envole.

Paris charmé d’obéir au Seigneur,

Sentant la grace animer dans son cœur,

Le feu sacré du parti Jansénisme,

Sûr d’abymer l’insolent Molinisme,

Quitte à l’instant les murs de saint Médard,

Et d’un pas grave il monte au Boulevard.

Sur ce théâtre où la fiere indécence,

Le vuide affreux, la mode & l’inconstance,

Font rayonner aux yeux de la cité,

Le gros bonheur de la frivolité ;

Un char brillant, un cocher en lunettes,

Et deux chevaux qui lisaient les gazettes,

Depuis minuit attendaient le retour

D’un jeune Abbé, qu’un éternel amour,

Tenait collé sur la bouche lubrique,

Ou sur le sein, ou sur l’œil impudique

D’une Vénus du Ciel de l’opéra.

Paris du char aussi-tôt s’empara.

Pour l’empêcher envain le cocher jure ;

Sans l’écouter le Saint dans la voiture,

Parle, commande aux coursiers vigoureux :

Le char s’éleve, & plane dans les cieux.

Déjà Paris apperçoit cette ville,

Où le rival du vieux chantre d’Achille,

Par ses talens éclairait autrefois

Rome & Cambray, les beaux arts & les Rois.

Sur son tombeau les trois graces d’Homere,

Le Dieu du goût, & celui de Cythere,

Pleuraient encor l’aimable Fénelon ;

A leurs côtés, l’ombre de la Guyon,

Folle autrefois, quiétiste & dévôte,

Tenait en main une énorme calotte ;

Tout vis-à-vis l’éloquent Bossuet,

Voyait son crime & son front rougissait.

O manes saints ! ô sagesse ! ô grand homme !

Si ton beau cœur n’eût point plié sous Rome,

Notre parti de lauriers immortels

Aurait orné tes durables autels,

Et Port-Royal t’eût consacré ses veilles.

Disant ces mots, la ville aux sept merveilles,

Le vieux Douai (*) découvre à ses regards,

Un long désert entourré de remparts.

Là dans le centre il voit le mont-Pagnote,

Le mauvais goût, le temple d’Aristote,

Des Liegeois chamarrés de Latin,

D’épais docteurs savants en parchemin,

Le grand Gayant [1] le Recteur magnifique, (2)

Magnificence à peine que l’optique

Pourroit saisir, qui contient en grandeur,

Bon an, mal an, quatre pieds de hauteur.

Plus loin il voit ce pompeux édifice,

Où sous un dais, que soutient la justice,

Les fieres loix ont placé de leurs mains,

Trente mortels, la terreur des humains.

Né dans Athène un fils du despotisme,

Un dur enfant, le sévere Ostracisme,

Tient leur balance, exile, met aux fers (3)

Les fils du Ciel, les talents & les vers.

De ce sénat cruel & respectable,

Depuis cinq ans le chef inexorable,

Le front orné des lauriers de l’esprit,

Chéri du grand, redoutable au petit,

Glace d’effroi, Therpsicore & Talie.

O sage Ariste ! ô foudre du génie,

Du Dieu des vers respecte les travaux,

Sois plus humain, & deviens mon Héros.

Paris saisi d’une douleur secrette,

Voit en passant le tombeau de Rivette ; (§)

Son œil se mouille, il sent couler ses pleurs,

O Prêtre chaste ! ô triomphe des mœurs !

S’écria-t-il, ah ! vive ta mémoire :

Ce lieu profane est orné par ta gloire ;

Ton nom écrit dans les cieux immortels,

Durera plus que ces affreux autels,

Que l’ennemi du Ciel & de la grace

Fit élever au cadavre d’Ignace.

Le bienheureux arrivé près de Sin,

S’en va trouver Jeanne Porte-latin.

Dans une alcôve, où régnait le silence,            

Un lit jumeau, dressé par l’indécence,

Contenait Jeanne & le saint directeur.

Deux grands rideaux, en tout bien tout honneur,

Sans séparer ce couple respectable,

Le défendaient des attaques du diable,

Et des travaux de la tentation.

Jeanne pour lors en grande émotion,

Le désespoir répandu sur ses charmes,

Le front ridé, les yeux mouillés de larmes,

L’ame effrayée, en ce moment rêvait

Que le démon aux enfers l’emportait.

Ce songe est beau, sur-tout quand on s’éveille.

Paris bientôt vers le lit où sommeille

La chaste Jeanne, arrive en frémissant :

Mais pour ses yeux quel spectacle indécent !

Un sein plus beau que le sein de Céphise,

Que la noirceur d’une sale chemise,

Faisait sortir avec plus de saillant,

Cause au béat un dévôt tremblement.

Le cœur ému, cependant il approche ;

Détournant l’œil, il tire de la poche,

Un grand mouchoir, & d’une main tremblante,

Cache en fuyant cette gorge charmante.

Tel autrefois en tournant les talons,

Et lentement marchant à reculons,

Du bon Noé certain enfant fort sage,

Pour conserver l’honneur de son lignage,

Aux yeux du jour étalé mincement,

Alla, dit-on, cacher fort décemment,

Sous un manteau l’espoir de notre espece ;

Où telle on vit l’excessive sagesse

D’un Bernardin célebre dans Rousseau,

Cacher en grand sous l’ombre d’un chapeau,

Ce qu’en petit sa main aurait pu faire.

Mais attendant que, pour parler d’affaire,

Jeanne s’éveille & se frotte les yeux,

Et que Paris leve les siens aux cieux ;

Muse, dis-nous qu’elle [sic] était cette Jeanne ?

Viens ranimer ma voix faible & profane,

Je vais chanter ses agréments divers,

Son innocence, & la feuille à l’envers.

 

 

(*) Dieu dit dans l’écriture qu’il punira la faute des peres sur leurs fils jusqu’à la cinquieme génération. Les Théologiens ont pris ce passage à la lettre, & ont fait la sottise de rendre Dieu injuste. C’est une expression dont un pere tendre se sert pour intimider ses enfants. Cam fut maudit par Noë ; cependant il fut le pere des Medes, des Perses & de tous les peuples fameux du monde, dans le temps que les enfants de ses freres n’ont eu que le petit pays de la Judée & l’appanage de crier les vieux chapeaux dans toutes les villes du monde.

(*) Ville en friche, flétrie par son université la plus petite des universités, borne du Royaume, & célebre par un Parlement aussi grand & aussi respectable que la petite Académie est ignorante & ignoble. Douai qu’on appelle dans la Province la ville aux sept merveilles, montre aux étrangers comme quelque chose de curieux, une fontaine où il y a de l’eau. Les autres merveilles sont l’Académie des clers Baladins, la Candouille, la Ruelle pinte, le grand Géant, la Cafouillage & le recteur magnifique.

(1) Carnaval ambulant où l’on mene en procession les chasses des Saintes, un grand Géant, des arlequins & les docteurs de l’université.

(2) Sobriquet qu’on donne au petit recteur de la petite université.

(3) Ce parlement qui fait de si belle prose n’aime point les vers : Il a pris les poëtes en aversion, comme nos belles Dames de Paris les araignées & les vieilles croix de St. Louis.

(§)  Chanoine respectable, l’édification de toute la ville, mourut dans son appel : la justice le fit porter dans un lieu profane : les écoliers des Jésuites suivaient le cadavre en chantant cette abominable parodie du Te Deum que leur régent leur avait dictée.

Te, Rivette, damnemus, te diabolum confitemur, &c.

 

 

 

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CHANT DOUZIÈME

 

 

CHANT DOUZIEME.

 

 

Les saints amours de Jeanne Porte-latin, ses combats. La Victoire de frere Elie.

 

 

L’an trente deux Jeanne naquit pucelle ;

Jusqu’à treize ans, si l’histoire est fidele,

Jeanne avec soin conserva tout entier

Ce triste honneur que l’on perd volontier.

La sainte Eglise éleva son enfance ;

Certain pasteur, homme à concupiscence,

Le pere à Jeanne & le pere à trétours,

Forma son ame & cultiva ses goûts.

Pour égayer les chagrins du ménage,

L’homme d’Eglise avait à son usage,

Certain objet, coéffé si joliment !

O quelle fille ! ô Dieux, quel maniement !

Sa main adroite aurait tiré des larmes

Des plus vieux cœurs ; ô puissance des charmes !

Mieux que les Dieux vous touchés les mortels.

Enfin Suson, à l’ombre des autels,

Devint enceinte, & trois mois avant terme,

Avec l’honneur, mit au monde le germe,

De vingt curés, que l’amour & le tems,

Et des tendrons à l’usage des sens,

Eussent donné de suite au diocese.

Ah ! qu’un curé (*) saisit bien à son aise,

Dans son ménage, avec objet charmant,

Le beau côté d’un joieux sacrement.

Ce Diurnal, la tante de Jeannette,

Avait du goût ; l’esprit sous sa cornette,

En linge sale assés bien enchassé,

Et le bon sens quelquefois déplacé

Dans une fille, allaient bien à Susanne.

Aussi du prêtre elle était le guide-âne ;

Car le curé, le meilleur des humains,

Abandonnait à ses savantes mains,

Le maniement de toutes ses affaires.

Heureux qui peut, en suivant les lumieres

D’une fillette, arriver à son but,

Et la fêtant couronner son salut !

Jeanne bientôt profita sous son pere :

En moins de rien son naissant caractere,

Porta des fruits, & son rosier des fleurs :

L’exemple est chaud, il échauffe les cœurs,

Ce clair miroir dans le sein des familles,

Fait entrevoir aux recherches des filles,

Certain objet vraiment original :

Ah ! que jeunesse apprend bientôt le mal,

Dit un auteur, en parlant des Nonettes !

La jeune enfant, exposée aux fleurettes,

Aux doux propos, à son cœur, à l’Amour,

Embellissait & croisait [sic] chaque jour.

Son teint brillait des couleurs du bel âge,

Deux yeux Chinois (*) décoraient son visage.

Ces yeux alors, fort courus à Paris,

Faisaient tomber la mode des yeux gris.

Deux globes ronds qu’Amour sur sa poitrine,

Avait tourné de sa main libertine,

Offraient à l’œil, au cœur, à la raison,

Les agrémens de la tentation.

A tant d’attraits les friants accoururent ;

On sent le beau. Sur la scene parurent

Trente Messieurs amoureux de sa fleur :

Un papillon beau, leger, comme un cœur,

Un officier vint assiéger la place.

Ce ver luisant comptait rompre la glace,

Ou tout au moins sa lance, un des premiers.

En garnison Messieurs les Officiers,

N’ont point toujours les meilleures fortunes ;

Leurs soins galans, chés les vierges communes,

Sont couronnés d’un mal assés commun.

Un froid Milord, animal importun,

A l’officier donna martel en tête,

L’argent en main le vieillard deshonnête,

Parlait d’amour en langage sterlin.

Langage fort, passe-par-tout divin,

Qui sait ouvrir les cœurs & les pucelles.

Jamais Crésus ne trouva de cruelles.

Jeanne le fut au Seigneur d’Albion :

Son œil serein ne fit attention

A ce métal offert par l’avarice.

Son cœur galant & penché vers le vice,

Aimait la joie, & non point les écus.

De leur projet les deux amans déchus,

Quitterent Jeanne & bientôt, à leur place,

Un bel esprit, un roquet du Parnasse,

Se laissa prendre, & voulut l’attaquer.

Le merveilleux d’un visage à croquer,

(Car tout compté Jeanne avait cent merveilles)

Devint bientôt le sujet de ses veilles.

Il fit pour elle, (ah ! que ne peut l’amour !)

De méchans vers, qui dans le même jour,

Enfans morts nés, eurent pour cimetiere,

Le magazin de Bernard l’épiciere. (*)

Aux pieds de Jeanne un vise-au-trou fameux,

Vint séringuer ses soupirs amoureux :

Monsieur Sené n’eut point l’art de lui plaire.

L’aimable enfant dans les flots du clistere,

Ne voulut point noier son jeune cœur,

Ni submerger son innocente fleur.

Envain Sené veut dorer la pilulle,

Légitimer les feux de sa canulle,

Jeanne est de marbre, & Jeanne ne veut pas

Sitôt encor enterrer ses appas.

Trente amoureux à ceux-ci succéderent :

Pour la tromper envain ils assurerent

Qu’un sage amour allumait leurs beaux feux,

Qu’aussi constans qu’ils étaient amoureux,

L’éternité suffirait seule à peine

Pour garantir leur constance & leur chaîne.

Mais en amour, ainsi qu’en amitiés,

Un cœur survit à vingt éternités :

Ce haut jargon, où le stile étincelle,

Où l’homme ment pour tromper une belle,

Frappe l’oreille & glisse sur un cœur ;

Et Jeanne enfin conservait son honneur ;

Quand certain jour un carme fait à peindre,

Le frere Elie, eut la force d’atteindre

Au centre heureux du cercle feminin :

Vif, enjoué, discoureur & badin,

Le jeune carme intéressait Jeannette :

Un air ouvert, une longue jaquette,

Avaient frappé par un côté touchant,

L’endroit du cœur le plus retentissant.

Jeanne l’aimait, & le moine aimait Jeanne,

Tous deux brûlaient de ce beau feu profane,

Qu’on peut bénir avec trois mots latins :

Mais frere Elie avait parmi les saints,

Promis à Dieu ce qu’on ne peut tenir.

Son cœur navré d’un mortel répentir,

Aurait voulu, las de son monastere,

Contre un tendron troquer le scapulaire.

C’en était fait, tout était dit pour lui,

Le désespoir, la brûlure & l’ennui,

Pour son salut devoient troubler son ame ;

Si quelquefois pour soulager sa flamme,

L’électriser, sa regle permettait

Certain rémede, il fallait du secret :

Car le scandale est fort grand chés les carmes.

Le jeune moine épris des tendres charmes

Qu’offrait Jeannette à ses yeux enchantés,

Sentit bientôt, dans ses sens transportés,

Le feu divin que vola Prométhée.

L’aimable Dieu, le Dieu vainqueur d’Althée,

D’un trait perçant avait blessé son cœur.

Dans les transports de sa féconde ardeur,

Le moine ainsi s’exprimait à Jeannette.

Objet charmant, toi qu’un anacorete,

Du coin de l’œil convoite de cent pas,

Je viens, ma fille, offrir à tes appas,

L’encens qu’on brûle aux genoux d’une fille ;

Tes yeux, ton tein, ta figure gentille,

M’ont captivé sous leurs appas puissans.

Ouvre, ma chere, aux besoins de mes sens,

Ces bras divins & reçois mes caresses,

Que nos vertus soient autant de faiblesses ;

Laisse cueillir à ma pressante main,

Ces lis charmans répandus sur ton sein ;

Par cent baisers écartons la sagesse,

Couvrons nos fronts des fleurs de la tendresse.

L’indifférence est le dernier malheur,

Le tendre amour est le premier bonheur.

Depuis longtems vis-à-vis de toi-même,

La chasteté, ce triste diadême

De la chartreuse & du pâle béguin,

En soupirant dans ton pudique sein,

A tristement gardé ton pucelage ;

Quoi ; tu le tiens ! ô meurtre ! ô quel dommage,

Jeanne, à treize ans, qu’il n’ait point vu le jour !

De quel affront as-tu couvert l’amour !

Ce jeune Dieu t’a comblé de richesses :

Ton sein naissant orné de ses largesses,

A chaque instant s’élevant sous tes yeux,

T’avertissait du moment précieux,

D’abandonner ce Trésor au pillage :

Songe ma chere, ah ! songe qu’à ton âge,

Un pucelage est toujours indécent.

A ce discours, dans son air innocent,

Jeanne marqua son trouble & sa faiblesse.

Un vif remord de honte & de sagesse,

Quelques momens troubla son jeune cœur.

Ce sot enfant du Ciel ou de la peur,

Nacquit jadis dans l’esprit d’une femme :

Un Directeur l’entretint dans son ame :

Les préjugés, les stupides propos,

Dans l’univers en nourissent les sots.

Dans les plaisirs il retient la jeunesse ;

Sur l’avenir il glace la vieillesse ;

A quarante ans il parle quelquefois ;

Heureux le sage ! Il n’entend point sa voix.

Jeanne était jeune, en sortant de l’enfance,

Ce cri dévot avec plus d’éloquence,

Effraie une ame, & trouble ses desirs.

Jeanne allarmée après quelques soupirs,

Se rassura : sa blanche conscience

Ne craignait rien, & sa neuve innocence,

Pouvait encor résister un moment :

O vous, dit-elle, en lorgnant son amant,

Qui possedés les talens de l’Eglise,

Ménagés moi, ma sagesse s’épuisse [sic].

Le doux plaisir souvent nous étourdit,

Et puis, la chair se jette... sur l’esprit.

Vos saints discours convertiront mon ame :

Je sens déja ce que peut une femme,

Aux doux propos d’un amant séduisant ;

Que l’éloquence est un charme puissant !

Le frere Elie, à ce divin langage,

Dans son esprit peignait la douce image

D’un jeune honneur, de mille autres appas,

Entrelacés tendrement dans ses bras ;

Quand tout-à-coup sa maîtresse troublée,

Et du remord vivement accablée,

Où suis-je ici, dit-elle, en voulant fuir ?

Dans ce péril, Jesus, viens m’affermir :

Ton serviteur veut tromper ta servante,

Ses yeux sont vifs, sa voix est éloquente,

Et sous sa robe il porte assurément

Du deshonneur le terrible instrument.

Puis tendrement se tournant vers Elie,

Allons, mon frere, ici point de saillie,

Je ne pourrai résister un instant,

Vous êtes beau, vous êtes pétillant.

Sur votre front, je ne sais par quel charme,

Le Ciel a mis à la candeur du carme,

L’air dangereux d’un pere cordelier ;

N’auriés vous point aussi d’un muletier,

Certain talent, plus fort que ma faiblesse.

Si.... ça.... mais quoi... conservons la sagesse

C’est un trésor ; qui le perd n’a plus rien.

Oui, dit le moine, ô l’admirable bien !

Que la sagesse est un nom respectable !

Pour nous tromper sa chimere est aimable.

On la célébre, on la prêche partout ;

Oh ! qu’elle est belle ! on n’y croit point du tout.

Laissons les mots, Jeanne voions les choses ;

A mes regards ne cache plus ces roses.

Que les plaisirs répandirent sur toi ;

Du tendre amour subis la douce loi ;

Laisse ma main préluder sur tes charmes,

Et viens goûter l’eau divine des carmes.

Viens, d’un seul coup je veux te faire un Saint.

Ne croise point un si noble dessein,

Laisse crier ta folle conscience, ()

Jeanne, aguerris ta timide innocence,

Du doux plaisir éprouve la douceur.

Viens dans mes bras broier le ver rongeur,

Du beaume humain sav ourer [sic] l’ambroisie :

La [sic] crime est laid, mais la femme est jolie.

A ces propos, dangereux pour un cœur,

Et chatouilleux pour le fragile honneur,

Jeanne, répond par des monosyllables :

Arrêtés donc... mais... quoi, ces mains coupables,

Quel embarras :... Dame, je vais crier...

Je tousserai,... n’allés point oublier,

Le saint respect qu’un moine a pour lui-même,

Oui.... mais enfin.... finissés, je vous aime...

Je suis trop jeune... & puis oubliés vous...

Si vous allés...... comment l’ôterés vous....

Songés un peu... pour moi, je n’ai que faire...

Jeanne, malgré ce beau dictionnaire,

Restait en place, & le moine en chaleur,

Poussait sa pointe & redoubloit d’ardeur.

Dans ce moment l’heure sonne à Cythere,

L’amour parait & d’une main légere,

Leve la toile, & le moine est vainqueur :

La toile tombe, & Jeanne est sans honneur :

Ainsi Cadiere a vu faner la rose.

L’honneur de Jeanne était fort peu de chose,

Comme celui dont on fait tant de bruit ;

Pour l’honorer le moine chaque nuit

Sept fois, dit-on, lui faisait politesse.

O Dieux ! quel gars ! pouvait il à confesse

Se rappeller quant & combien de fois....

Et pour l’absoudre un prêtre sur ses doigts

Devait souvent calculer ses rosaires ;

Pour tant de fois, dans les capilutaires [sic],

Rien n’est écrit : ô Ciel ! quel embarras,

Pour un docteur quand il est dans le cas.

 

 

(*) Qu’on examine toutes les félicités de ce monde ; qu’on analyse les différens bien-êtres de la Cour, de Paris & de la Province, rien n’égale le bonheur d’un Curé de campagne qui a douze ou huit cent livres de revenu & une servante honnête.

(*) En 1750, les yeux noirs qu’on appellait les yeux chinois étaient sur le bon ton à Paris. En 1760, on donna dans les dents de Savoyard.

(*) Fameuse épicière de la ruë St. Jacques, où l’on vendait les ouvrages du P. le Fevre & en dernier lieu ceux du P. Corette Jésuite, auteur très incorrect ; qui dans son beau livre, s’exprime ainsi : En arriere, pensées vagabondes & libertines... Je suis à prier mon Jesus : il va descendre tout-à-coup sur l’autel, entouré d’un Escadron d’anges.

Le P. Corette s’imagine que les troupes du pere céleste sont composées d’Infanterie & de Cavalerie, & qu’il y a sans doute en Paradis des Compagnies de Grénadiers à pied à cheval. Des docteurs, & des chevaux en Paradis doivent bien meubler le séjour divin.

(*) C’est un moine qui parle : lorsque le Diable & les moines tentent les filles, ils n’ont qu’un même dictionnaire.

 

 

 

CHANT DOUZIEME.

 

 

Les saints amours de Jeanne Porte-latin, ses combats. La victoire de frere Elie.

 

 

Lan trente-deux Jeanne nâquit pucelle ;

Jusqu’à treize ans, si l’histoire est fidelle,

Jeanne avec soin conserva tout entier

Ce triste honneur que l’on perd volontier.

La sainte Eglise éleva son enfance ;

Certain pasteur, homme à concupiscence,

Le pere à Jeanne & le pere à Trétouts,

Forma son ame & cultiva ses goûts.

Pour égayer les chagrins du ménage,

L’homme d’Eglise avait à son usage,

Certain objet, coëffé si joliment !

O quelle fille ! ô Dieux, quel maniement !

Sa main adroite aurait tiré des larmes

Des plus vieux cœurs ; ô puissance des charmes !

Mieux que les Dieux vous touchez les mortels.

Enfin Suson, à l’ombre des autels,

Devint enceinte, & trois mois avant terme,

Avec l’honneur, mit au monde le germe

De vingt curés, que l’amour & le temps,

Et des tendrons à l’usage des sens,

Eussent donné de suite au diocese.

Ah ! qu’un curé (§) saisit bien à son aise,

Dans son ménage, avec objet charmant,

Le beau côté d’un joyeux sacrement !

Ce Diurnal, la tante de Jeannette,

Avait du goût ; l’esprit sous sa cornette,

En linge sale assez bien enchassé,

Et le bon sens quelquefois déplacé

Dans une fille, allaient bien à Susanne.

Aussi du prêtre elle était le guide-âne ;

Car le curé, le meilleur des humains,

Abandonnait à ses savantes mains,

Le maniement de toutes ses affaires.

Heureux qui peut, en suivant les lumieres

D’une fillette, arriver à son but,

Et la fêtant couronner son salut !

Jeanne bientôt profita sous son pere :

En moins de rien son naissant caractere,

Porta des fruits, & son rosier, des fleurs :

L’exemple est chaud, il échauffe les cœurs,

Ce clair miroir dans le sein des familles,

Fait entrevoir aux recherches des filles

Certain objet vraiment original :

Ah ! que jeunesse apprend bientôt le mal,

Dit un auteur, en parlant des Nonnettes !

La jeune enfant, exposée aux fleurettes,

Aux doux propos, à son cœur, à l’amour,

Embellissait & croissait chaque jour.

Son teint brillait des couleurs du bel âge,

Deux yeux Chinois (§) décoraient son visage.

Ces yeux alors, fort courus à Paris,

Faisaient tomber la mode des yeux gris.

Deux globes ronds qu’Amour sur sa poitrine,

Avait tourné de sa main libertine,

Offraient à l’œil, au cœur, à la raison,

Les agréments de la tentation.

A tant d’attraits les friands accoururent ;

On sent le beau. Sur la scene parurent

Trente Messieurs amoureux de sa fleur :

Un papillon beau, leger, comme un cœur,

Un officier vint assiéger la place.

Ce ver luisant comptait rompre la glace,

Ou tout au moins sa lance, un des premiers.

En garnison Messieurs les Officiers,

N’ont point toujours les meilleures fortunes ;

Leurs soins galants, chez les vierges communes,

Sont couronnés d’un mal assez commun.

Un froid Milord, animal importun,

A l’Officier donna martel en tête ;

L’argent en main le vieillard deshonnête,

Parlait d’amour en langage sterlin,

Langage fort, passe-par-tout divin,

Qui sait ouvrir les cœurs & les pucelles.

Jamais Crésus ne trouva de cruelles.

Jeanne le fut au Seigneur d’Albion :

Son œil serein ne fit attention

A ce métal offert par l’avarice.

Son cœur galant & penché vers le vice,

Aimait la joie, & non point les écus.

De leur projet les deux amants déchus,

Quitterent Jeanne & bientôt, à leur place,

Un bel esprit, un roquet du Parnasse,

Se laissa prendre, & voulut l’attaquer.

Le merveilleux d’un visage à croquer,

[Car tout compté Jeanne avait cent merveilles]

Devint bientôt le sujet de ses veilles.

Il fit pour elle, [ah ! que ne peut l’amour !]

De méchants vers, qui dans le même jour,

Enfants morts nés, eurent pour cimetiere,

Le magasin de Bernard l’épiciere. [*]

Aux pieds de Jeanne un vise-au-trou fameux,

Vint seringuer ses soupirs amoureux :

Monsieur Sené n’eût point l’art de lui plaire.

L’aimable enfant dans les flots du clystere,

Ne voulut point noyer son jeune cœur,

Ni submerger son innocente fleur.

En vain Sené veut dorer la pilule,

Légitimer les feux de sa canule,

Jeanne est de marbre, & Jeanne ne veut pas

Sitôt encor enterrer ses appas.

Trente amoureux à ceux-ci succéderent :

Pour la tromper en vain ils assurerent

Qu’un sage amour allumait leurs beaux feux,

Qu’aussi constants qu’ils étaient amoureux,

L’éternité suffirait seule à peine

Pour garantir leur constance & leur chaîne,

Mais en amour, ainsi qu’en amitiés,

Un cœur survit à vingt éternités :

Ce haut jargon, où le style étincelle,

Où l’homme ment pour tromper une belle,

Frappe l’oreille & glisse sur un cœur ;

Et Jeanne enfin conservait son honneur ;

Quand certain jour un carme, fait à peindre,

Le frere Elie, eut la force d’atteindre

Au centre heureux du cercle féminin :

Vif, enjoué, discoureur & badin,

Le jeune carme intéressait Jeannette :

Un air ouvert, une longue jaquette,

Avaient frappé par un côté touchant,

L’endroit du cœur le plus retentissant.

Jeanne l’aimait, & le moine aimait Jeanne,

Tous deux brûlaient de ce beau feu profane,

Qu’on peut bénir avec trois mots latins :

Mais frere Elie avait parmi les saints,

Promis à Dieu ce qu’on ne peut tenir.

Son cœur navré d’un mortel repentir,

Aurait voulu, las de son monastere,

Contre un tendron troquer le scapulaire.

C’en était fait, tout était dit pour lui,

Le désespoir, la brûlure & l’ennui,

Pour son salut devaient troubler son ame.

Si quelquefois pour soulager sa flamme,

L’électriser, sa regle permettait

Certain remede, il fallait du secret :

Car le scandale est fort grand chez les carmes.

Le jeune moine épris des tendres charmes

Qu’offrait Jeannette à ses yeux enchantés,

Sentit bientôt, dans ses sens transportés,

Le feu divin que vola Prométhée.

L’aimable Dieu, le Dieu vainqueur d’Althée,

D’un trait perçant avait blessé son cœur ;

Dans les transports de sa féconde ardeur,

Le moine ainsi s’exprimait à Jeannette ;

Objet charmant, toi qu’un anacorete,

Du coin de l’œil convoîte de cent pas,

Je viens, ma fille, offrir à tes appas,

L’encens qu’on brûle aux genoux d’une fille ;

Tes yeux, ton tein, ta figure gentille,

M’ont captivé sous leurs appas puissants.

Ouvre, ma chere, aux besoins de mes sens,

Ces bras divins & reçois mes caresses ;

Que nos vertus soient autant de faiblesses ;

Laisse cueillir à ma pressante main,

Ces lys charmants répandus sur ton sein ;

Par cent baisers écartons la sagesse,

Couvrons nos fronts des fleurs de la tendresse.

L’indifférence est le dernier malheur,

Le tendre amour est le premier bonheur.

Depuis long-temps vis-à-vis de toi-même,

La chasteté, ce triste diadême

De la chartreuse & du pâle béguin,

En soupirant dans ton pudique sein,

A tristement gardé ton pucelage ;

Quoi, tu le tiens ! ô meurtre ! ô quel dommage,

Jeanne, à treize ans, qu’il n’ait point vu le jour !

De quel affront as-tu couvert l’amour !

Ce jeune Dieu t’a comblé de richesses :

Ton sein naissant orné de ses largesses,

A chaque instant s’élevant sous tes yeux,

T’avertissait du moment précieux,

D’abandonner ce trésor au pillage :

Songe ma chere, ah ! songe qu’à ton âge,

Un pucelage est toujours indécent.

A ce discours, dans son air innocent,

Jeanne marqua son trouble & sa faiblesse.

Un vif remord de honte & de sagesse,

Quelques moments troubla son jeune cœur.

Ce sot enfant du Ciel ou de la peur,

Nâquit jadis dans l’esprit d’une femme ;

Un Directeur l’entretint dans son ame :

Les préjugés, les stupides propos,

Dans l’univers en nourissent les sots.

Dans les plaisirs il retient la jeunesse ;

Sur l’avenir il glace la vieillesse ;

A quarante ans il parle quelquefois ;

Heureux le sage ! Il n’entend point sa voix.

Jeanne était jeune ; en sortant de l’enfance,

Ce cri dévôt avec plus d’éloquence,

Effraye une ame, & trouble ses desirs.

Jeanne allarmée après quelques soupirs,

Se rassura : sa blanche conscience

Ne craignait rien, & sa neuve innocence,

Pouvait encor résister un moment :

O vous, dit-elle, en lorgnant son amant,

Qui possédez les talents de l’Eglise,

Ménagez-moi, ma sagesse s’épuise.

Le doux plaisir souvent nous étourdit,

Et puis la chair se jette... sur l’esprit.

Vos saints discours convertiront mon ame :

Je sens déjà ce que peut une femme,

Aux doux propos d’un amant séduisant ;

Que l’éloquence est un charme puissant !

Le frere Elie, à ce divin langage,

Dans son esprit peignait la douce image

D’un jeune honneur, de mille autres appas,

Entrelacés tendrement dans ses bras,

Quand tout à coup sa maîtresse troublée,

Et du remord vivement accablée,

Où suis-je ici, dit-elle, en voulant fuir ?

Dans ce péril, Jesus, viens m’affermir !

Ton serviteur veut tromper ta servante,

Ses yeux sont vifs, sa voix est éloquente,

Et sous sa robe il porte assurément

Du déshonneur le terrible instrument.

Puis tendrement se tournant vers Elie :

Allons, mon frere, ici point de saillie,

Je ne pourrais résister un instant,

Vous êtes beau, vous êtes pétillant :

Sur votre front, je ne sais par quel charme :

Le Ciel a mis à la candeur du carme,

L’air dangereux d’un pere cordelier ;

N’auriez-vous point aussi d’un muletier,

Certain talent, plus fort que ma faiblesse ?

Si.... ça, mais quoi... conservons la sagesse,

C’est un trésor ; qui le perd n’a plus rien.

Oui, dit le moine, ô l’admirable bien !

Que la sagesse est un nom respectable !

Pour nous tromper sa chimere est aimable :

On la célebre, on la prêche par-tout ;

Oh ! qu’elle est belle ! on n’y croit point du tout.

Laissons les mots, Jeanne, voyons les choses ;

A mes regards ne cache plus ces roses,

Que les plaisirs répandirent sur toi ;

Du tendre amour subis la douce loi ;

Laisse ma main préluder sur tes charmes,

Et viens goûter l’eau divine des carmes.

Viens : d’un seul coup, je veux te faire un Saint.

Ne croise point un si noble dessein,

Laisse crier ta folle conscience, (§)

Jeanne, aguerris ta timide innocence,

Du doux plaisir éprouve la douceur.

Viens dans mes bras broyer le ver rongeur,

Du baume humain savourer l’ambroisie :

Le crime est laid, mais la femme est jolie.

A ces propos, dangereux pour un cœur,

Et chatouilleux pour le fragile honneur,

Jeanne, répond par des monosyllables :

Arrêtez donc... mais... quoi, ces mains coupables,

Quel embarras... Dame, je vais crier...

Je tousserai... n’allez point oublier,

Le saint respect qu’un moine a pour lui-même,

Oui... mais enfin... finissez, je vous aime...

Je suis trop jeune... & puis oubliez-vous...

Si vous allez... comment l’ôterez-vous...

Songez un peu... pour moi, je n’ai que faire...

Jeanne, malgré ce beau dictionnaire,

Restait en place, & le moine en chaleur,

Poussait sa pointe & redoublait d’ardeur.

Dans ce moment l’heure sonne à Cythere,

L’amour paraît, & d’une main légere,

Leve la toile, & le moine est vainqueur :

La toile tombe, & Jeanne est sans honneur :

Ainsi Cadiere a vu fanner sa rose.

L’honneur de Jeanne était fort peu de chose,

Comme celui dont on fait tant de bruit ;

Pour l’honorer le moine chaque nuit

Sept fois, dit-on, lui faisait politesse.

O Dieux ! quel gars ! pouvait il à confesse

Se rappeller quant & combien de fois...

Et pour l’absoudre un prêtre sur ses doigts

Devait souvent calculer ses rosaires ;

Pour tant de fois, dans les capitulaires,

Rien n’est écrit : ô ciel quel embarras,

Pour un docteur, quand il est dans le cas !

 

 

(§)  Qu’on examine toutes les félicités de ce monde ; qu’on analyse les différents bien-êtres de la Cour, de Paris & de la Province, rien n’égale le bonheur d’un curé de campagne qui a douze ou huit cent livres de revenu & une servante honnête.

(§)  En 1750, les yeux noirs qu’on appellait les yeux Chinois ; étaient sur le bon ton à Paris. En 1760, on donna dans les dents de Savoyards.

(*) Fameuse épicière de la rue S. Jacques, où l’on vendait les ouvrages du P. le Fevre & en dernier lieu ceux du P. Corette, Jésuite, Auteur très incorrect, qui dans son beau livre, s’exprime ainsi : En arriere, pensées vagabondes & libertines.... Je suis à prier mon Jesus : il va descendre tout à coup sur l’autel, entouré d’un Escadron d’anges.

Le P. Corette s’imagine que les troupes du pere céleste sont composées d’infanterie & de cavalerie, & qu’il y a sans doute en Paradis des compagnies de grenadiers à pied & à cheval. Des docteurs & des chevaux en Paradis doivent bien meubler le séjour divin.

(§)  C’est un moine qui parle : lorsque le Diable & les moines tentent les filles, ils n’ont qu’un même dictionnaire.

 

 

 

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LE BALAI

 

CHANT TREIZIÈME

 

 

CHANT TREIZIEME.

 

 

Suite des amours de Jeanne Porte-latin.

La honte de Carmel.

 

 

Loin des regards de l’austere sagesse,

Nos deux amans livrés à leur faiblesse,

Dans les plaisirs consummaient leurs beaux jours.

Depuis cinq ans ces durables amours

N’avaient d’un Saint produit ni cul, ni tête ;

Jeanne pourtant l’avait assés honnête ;

Mais son esprit ne pouvait concevoir.

Le frere Elie avait beau la mouvoir,

Différemment parcourir son Bréviaire,

Rien ne venait, un Saint est dur à faire.

La chair d’un Saint est l’ouvrage du tems :

Pour la former il faut plus de cinq ans.

Jeanne prenait & ne rendait point compte :

Cette conduite allait couvrir de honte,

Tout le carmel & présent & futur.

Pour un couvent cet affront est bien dur.

Un gros Prieur, fâché qu’un jeune frere

Risquât ainsi l’honneur du monastere, ()

Alla trouver la suivante Suson,

Et lui prouva par plus d’une raison,

Que sa filleule avait, par son desordre,

Terni la gloire & le nom de son ordre,

Et qu’il fallait, même dès ce moment

Pour réparer le crédit du couvent,

Des amoureux rompre les douces chaînes,

Que les plaisirs sont escortés de peines !

A tout mortel par un destin fatal,

Dieu vend le bien toujours au prix du mal.

Dès son printems Suson aimait les carmes.

Le souvenir de ses premieres armes,

Faites sous eux, flatait encor son cœur :

Son ame altiere & sensible à l’honneur,

Ne pouvait voir son innocente niece,

A peine encor en sa tendre jeunesse,

Perdre ses fleurs sans en tirer du fruit ;

Pour mettre mieux ses talens à profit,

La garantir du soufle chaud des moines,

Suson la mit chés deux jeunes chanoines.

Jeanne avec eux fit l’office divin :

Mieux qu’eux, dit-on, Jeanne gagnait son pain.

Certain Doyen surveillant du chapitre,

D’un vieux canon rajeunissant le titre,

Bien s’en servit pour troubler les Acteurs.

Malgré les cris, le murmure & les pleurs,

Du jeune enfant on fit un sacrifice.

On craignait fort que son air de jaunisse,

N’eût infecté le troupeau du Seigneur ;

Déja le mal gangrenait le haut chœur.

On se plaignait, on invoquait saint Côme :

Que le plaisir est bien funeste à l’homme !

Sur le pavé sans jupon & sans pain,

Jeanne exposée aux propos du mondain,

Se lamentait & regretait l’Eglise :

Ces champs féconds, cette terre promise,

Venaient sans cesse offrir à son esprit,

Les tems heureux où, le jour & la nuit,

Tout un chapitre avait fêté ses charmes,

O ! disait-elle en répandant des larmes,

Là sans éclat on servait mes desirs :

Enfans du siecle, usés par les plaisirs,

Vous n’avés point l’air mitonné du moine,

Ni les talens reposés du chanoine.

Le vain orgueil est l’astre qui vous luit :

Vous n’aimés rien que le faste & le bruit :

Du premier coup votre arme se dérange :

Vive un chanoine il fait ça comme Ange.

O chaste Eglise ! ô chés vous qu’on est bien !

Gens engraissés & gens qui ne font rien

Ont bien, ma foi, plus de concupiscence !

Dans sa douleur un rayon d’espérance

Vint quelques jours amuser son esprit,

Certain robin, Seigneur de Cibavit,

A ses genoux vint déposer son ame ;

Le reste impur d’une impudique flamme,

Etincelait dans ses lubriques ses [sic] yeux :

Il fêta Jeanne, & chomma de son mieux,

Mais ce mieux là, ce n’étoit rien qui vaille.

Jeanne quitta ce vieux champ de bataille,

Dans un village alla chés un Curé,

Refugier son honneur délabré.

Le frais pasteur en voiant la soubrette,

Fut enchanté. Quelle gentille amplette !

Jeanne n’aimait ni parure, ni bien,

Recevait tout, & ne retenait rien :

Pour un Curé, pareille gouvernante

Est un trésor. Souvent une innocente,

En concevant, embarrasse un pasteur.

Le triste ennui qui desseche le cœur,

A son aspect quitta le presbitere :

Un air ouvert, une taille légere,

Deux yeux fripons précurseurs du coït

De l’églisier reveillait l’apétit.

Jeanne en faisant la couche de son maître,

Du premier jour ne manqua pas de mettre

Très proprement deux amples Oreilliers.

En les voiant, quels pensers singuliers,

Lui dit le prêtre... ah ! Jeanne, je suis sage,

J’ai quarante ans, quelque peu d’avantage.

Irai-je encor me livrer aux plaisirs,

Il n’est plus tems d’écouter ses desirs.

Bon, répond Jeanne, allons, point de grimace,

Un jour ou l’autre il faut bien que j’y passe,

Autant, Monsieur, aujourd’hui que demain.

A ce discours, on dit que l’homme saint

Embrassa Jeanne & loua son génie,

O chasteté, trésor de l’autre vie !

Fille du Ciel, sceptre du vieux cahos [sic],

Dont la couronne est l’ornement des sots !

Belle vertu, qui dépeuplés la terre,

Habités vous souvent un presbitere ?

Un jeune objet, un pasteur & l’amour,

N’ont-il jamais souillé dans ce séjour,

Le bel éclat dont vous parés les ames ?

L’occasion où succombent les femmes,

Et le serpent tentateur du chrétien,

Leur fait-il peur, ou ne leur fait-il rien ?

Souvent l’hiver, tapis dans leur ménage,

Une servante, un curé de vi1lage,

Durant les soirs sont à causer entre eux :

Rien ne distrait leur entretien heureux.

Près du foyer sous la même lumiere,

L’un d’un côté récite son Bréviaire,

Tout vis-à-vis Margot file son lin. (*)

Sous son fichu souvent un jeune sein

Qu’un sot usage a caché sous ce voile,

S’impatiente, & souleve la toile,

Ou bien Margot assise près du feu,

D’un air distrait souleve un tant soit peu,

Son jupon court, montre au regard du prêtre

Un genoux blanc, ô ! que l’amour est traitre !

Qu’on a de mal pour imiter les Saints ?

Près des autels & bien loin des mondains,

Depuis trois mois Jeanne dans cet azile,

Se repaissait du pain de l’Evangile.

Tous les plaisirs animaient ses appas.

Deux fois la nuit le Curé dans ses bras,

Dévotement récitait son Bréviaire ;

Et chaque mois chommant l’anniversaire

Du jour que Jeanne avait porté des fleurs,

Le homme [sic] de Dieu redoublait ses ardeurs.

Dans leurs plaisirs la mort inexorable

Vint déranger ce couple respectable.

Le bon Curé mourut subitement,

Et dans le Ciel il alla saintement

Du bon larron partager la couronne.

Sage pasteur, que votre ame était bonne !

Vous fêtiés Jeanne, & votre cœur mortel

Ne fit jamais un péché veniel.

La veuve Jeanne à cette mort horrible,

Fut consternée : une crainte terrible,

Présage heureux de sa conversion,

Sur tous ses sens fit grande impression,

Dans ce moment de trouble & de tristesse,

Jeanne fit vœu de courrir à confesse ;

Le lendemain Jeanne n’y pensa plus ;

Deux jours après son cœur prit le dessus.

Le doux plaisir vint essuier ses larmes,

Et la dévote allait livrer ses charmes,

Au moine, au clerc, au chanoine, au mondain.

Dans ce péril le Directeur de Sin,

Alla trouver la penitente Jeanne.

Le zele ardent, sur un objet profane,

Peut quelquefois exercer son amour ;

Vous, lui dit-il, qui devés être un jour

Du Créateur un vase de colere,

Vous qui brûlés des feux de l’adultere,

Et que l’enfer brûlera, pour un bien,

Si l’éternel n’y met beaucoup du sien ;

Quittés, ma fille, un desordre où la grace

Ne peut porter sa lumiere efficace.

Trop de plaisirs abregent trop nos ans :

Trop de plaisirs énervent trop nos sens.

Ménagés vous, allés moins à l’offrande :

La volupté qui guide & qui commande

Un tendre cœur, présente à vos desirs,

Un feu plus chaste & de plus saints plaisirs.

Par un beau choix fixés votre tendresse,

Parés l’amour des fleurs de la sagesse.

Et n’offrés plus aux yeux de vos amans,

Un cœur noirci par des feux inconstans.

Goutés, goutés un destin plus tranquille.

Venés chez moi, je vous offre un azile

Où loin du bruit, du fourbe & du mondain,

Tranquillement nous forgerons un Saint.

Ne craignés point ma pesante vieillesse,

Je sens encor un regain de jeunesse.

Jeanne craignant le venin des dévots,

La providence (*) & les discours des sots,

Se laissa prendre aux propos du bon homme.

Son cœur flatté de voir un jour à Rome

Son fruit heureux niché parmi les Saints,

Et son honneur chanté sur les lutrins,

Du chaste prêtre accepta la demeure.

Dans ce réduit la paix intérieure

Que le mondain cherche & ne trouve pas,

Vint de Jeannette embellir les appas.

Pendant trois ans ce couple infatigable,

Epoux au lit, indifférent à table,

Sua beaucoup, & le tout fut envain :

Le Directeur ne put pas faire un Saint.

 

 

()  Les Carmes sont fort sensibles sur le point d’honneur. Ces religieux sont respectables dans l’antiquité, ils assurent que leur ordre est aussi ancien que les fondements de la montagne du Carmel.

()  Un curé qui se chauffe, ou qui mange avec sa servante, couche avec elle. Cet Axiome est aussi vrai que le tout est plus grand que sa partie : [sic pour “:”]

(*) Retraite où l’on met les filles qui ont des faiblesses, ou des caprices. La Police leur fait dire le chapelet trois fois le jour. Les bons Flamands s’imaginent que le S. Rosaire corrige la nature & les tempéramens. Ce pays credule est toujours le théatre de la guerre & de la superstition : un homme d’esprit y passe pour un sorcier, & on le punit de même : un peuple gouverné par des moines, ne sera jamais un grand peuple.

 

 

 

CHANT TREIZIEME.

 

 

Suite des amours de Jeanne Porte-latin.

La honte de Carmel.

 

 

Loin des regards de l’austere sagesse,

Nos deux amants livrés à leur faiblesse,

Dans les plaisirs consumaient leurs beaux jours.

Depuis cinq ans ces durables amours

N’avaient d’un Saint produit ni cul, ni tête ;

Jeanne pourtant l’avait assez honnête ;

Mais son esprit ne pouvait concevoir.

Le frere Elie avait beau la mouvoir,

Différemment parcourir son Bréviaire,

Rien ne venait, un Saint est dur à faire.

La chair d’un Saint est l’ouvrage du temps :

Pour la former il faut plus de cinq ans.

Jeanne prenait & ne rendait point compte.

Cette conduite allait couvrir de honte,

Tout le carmel & présent & futur.

Pour un couvent cet affront est bien dur.

Un gros prieur, fâché qu’un jeune frere

Risquât ainsi l’honneur du monastere, (*)

Alla trouver la suivante Suson,

Et lui prouva par plus d’une raison,

Que sa filleule avait par son désordre,

Terni la gloire & le nom de son ordre,

Et qu’il fallait, même dès ce moment,

Pour réparer le crédit du couvent,

Des amoureux rompre les douces chaînes,

Que les plaisirs sont escortés de peines !

A tout mortel par un destin fatal,

Dieu vend le bien toujours au prix du mal.

Dès son printemps Suson aimait les carmes.

Le souvenir de ses premieres armes,

Faites sous eux, flattait encor son cœur :

Son ame altiere & sensible à l’honneur,

Ne pouvait voir son innocente niece,

A peine encor en sa tendre jeunesse,

Perdre ses fleurs sans en tirer du fruit.

Pour mettre mieux ses talents à profit,

La garantir du souffle chaud des moines,

Suson la mit chez deux jeunes chanoines.

Jeanne avec eux fit l’office divin :

Mieux qu’eux, dit-on, Jeanne gagnait son pain.

Certain Doyen surveillant du Chapitre,

D’un vieux canon rajeunissant le titre,

Bien s’en servit pour troubler les acteurs.

Malgré les cris, le murmure & les pleurs,

Du jeune enfant on fit un sacrifice.

On craignait fort que son air de jaunisse,

N’eût infecté le troupeau du Seigneur ;

Déja le mal gangrenait le haut chœur.

On se plaignait, on invoquait saint Côme :

Que le plaisir est bien funeste à l’homme !

Sur le pavé, sans jupon & sans pain,

Jeanne exposée aux propos du mondain,

Se lamentait & regrettait l’Eglise :

Ces champs féconds, cette terre promise,

Venaient sans cesse offrir à son esprit,

Les temps heureux, où, le jour & la nuit,

Tout un Chapitre avait fêté ses charmes,

O ! disait-elle en répandant des larmes,

Là sans éclat on servait mes desirs :

Enfans du siecle, usés par les plaisirs,

Vous n’avez point l’air mitonné du moine,

Ni les talents reposés du chanoine.

Le vain orgueil est l’astre qui vous luit,

Vous n’aimez rien que le faste & le bruit :

Du premier coup votre ame se dérange :

Vive un chanoine ! il fait ça comme ange.

O chaste Eglise ! ô chez vous qu’on est bien !

Gens engraissés, & gens qui ne font rien,

Ont bien, ma foi, plus de concupiscence !

Dans sa douleur un rayon d’espérance

Vint quelques jours amuser son esprit.

Certain robin, Seigneur de Cibarit,

A ses genoux vint déposer son ame ;

Le reste impur d’une impudique flamme

Etincelait dans ses lubriques yeux :

Il fêta Jeanne, & chomma de son mieux ;

Mais ce mieux-là, ce n’était rien qui vaille.

Jeanne quitta ce vieux champ de bataille,

Dans un village alla, chez un curé,

Réfugier son honneur délabré.

Le frais pasteur en voyant la soubrette,

Fut enchanté. Quelle gentille emplette !

Jeanne n’aimait ni parure, ni bien,

Recevait tout, & ne retenait rien :

Pour un curé, pareille gouvernante

Est un trésor. Souvent une innocente,

En concevant, embarrasse un pasteur.

Le triste ennui qui desseche le cœur,

A son aspect quitta le presbytere :

Un air ouvert, une taille légere,

Deux yeux fripons précurseurs du coït,

De l’églisier reveillait l’appétit.

Jeanne en faisant la couche de son maître,

Du premier jour ne manqua pas de mettre

Très-proprement deux amples Oreillers.

En les voyant, quels pensers singuliers,

Lui dit le prêtre... ah ! Jeanne, je suis sage,

J’ai quarante ans, quelque peu davantage.

Irai-je encor me livrer aux plaisirs ?

Il n’est plus temps d’écouter ses desirs.

Bon, répond Jeanne, allons, point de grimace,

Un jour ou l’autre il faut bien que j’y passe,

Autant, Monsieur, aujourd’hui que demain.

A ce discours, on dit que l’homme saint

Embrassa Jeanne & loua son génie,

O chasteté, trésor de l’autre vie !

Fille du Ciel, sceptre du vieux chaos,

Dont la couronne est l’ornement des sots !

Belle vertu, qui dépeuplez la terre,

Habitez-vous souvent un presbytere ?

Un jeune objet, un pasteur & l’amour,

N’ont-il jamais souillé dans ce séjour,

Le bel éclat dont vous parez les ames ?

L’occasion où succombent les femmes,

Et le serpent tentateur du chrétien,

Leur fait-il peur, ou ne leur fait-il rien ?

Souvent l’hiver, tapis dans leur ménage,

Une servante, un curé de vi1lage,

Durant les soirs sont à causer entr’eux :

Rien ne distrait leur entretien heureux.

Près du foyer sous la même lumiere,

L’un d’un côté récite son Bréviaire,

Tout vis-à-vis Margot file son lin. (*)

Sous son fichu souvent un jeune sein,

Qu’un sot usage a caché sous ce voile,

S’impatiente, & souleve la toile,

Ou bien Margot assise près du feu,

D’un air distrait souleve un tant soit peu,

Son jupon court, montre au regard du prêtre

Un genoux blanc, oh ! que l’amour est traître !

Qu’on a de mal pour imiter les Saints ?

Près des autels & bien loin des mondains,

Depuis trois mois Jeanne dans cet asile ;

Se repaissait du pain de l’Evangile.

Tous les plaisirs animaient ses appas.

Deux fois la nuit le curé, dans ses bras,

Dévôtement récitait son Bréviaire,

Et chaque mois chommant l’anniversaire

Du jour que Jeanne avait porté des fleurs,

L’homme de Dieu redoublait ses ardeurs.

Dans leurs plaisirs la mort inexorable

Vint déranger ce couple respectable.

Le bon curé mourut subitement,

Et dans le Ciel il alla saintement

Du bon larron partager la courronne.

Sage pasteur, que votre ame était bonne !

Vous fêtiez Jeanne, & votre cœur mortel

Ne fit jamais un péché veniel.

La veuve Jeanne, à cette mort horrible,

Fut consternée : une crainte terrible,

Présage heureux de sa conversion,

Sur tous ses sens fit grande impression.

Dans ce moment de trouble & de tristesse,

Jeanne fit vœu de courir à confesse ;

Le lendemain Jeanne n’y pensa plus ;

Deux jours après son cœur prit le dessus.

Le doux plaisir vint essuyer ses larmes,

Et la dévôte allait livrer ses charmes,

Au moine, au clerc, au chanoine, au mondain.

Dans ce péril le Directeur de Sin,

Alla trouver la pénitente Jeanne.

Le zele ardent, sur un objet profane,

Peut quelquefois exercer son amour ;

Vous, lui dit-il, qui devez être un jour

Du Créateur un vase de colere,

Vous qui brûlez des feux de l’adultere,

Et que l’enfer brûlera, pour un bien,

Si l’éternel n’y met beaucoup du sien :

Quittez, ma fille, un désordre où la grace

Ne peut porter sa lumiere efficace.

Trop de plaisirs abrégent trop nos ans :

Trop de plaisirs énervent trop nos sens.

Ménagez-vous, allez moins à l’offrande :

La volupté qui guide & qui commande

Un tendre cœur, présente à vos desirs

Un feu plus chaste & de plus saints plaisirs.

Par un beau choix fixez votre tendresse,

Parez l’amour des fleurs de la sagesse,

Et n’offrez plus aux yeux de vos amants,

Un cœur noirci par des feux inconstants.

Goutez, goutez un destin plus tranquille.

Venez chez moi, je vous offre un asile,

Où loin du bruit, du fourbe & du mondain,

Tranquillement nous forgerons un Saint.

Ne craignez point ma pesante vieillesse,

Je sens encor un regain de jeunesse.

Jeanne craignant le venin des dévôts,

La providence (§) & les discours des sots,

Se laissa prendre aux propos du bon homme.

Son cœur flatté de voir un jour à Rome

Son fruit heureux, niché parmi les Saints,

Et son honneur chanté sur les lutrins,

Du chaste prêtre accepta la demeure.

Dans ce réduit la paix intérieure

Que le mondain cherche & ne trouve pas,

Vint de Jeannette embellir les appas.

Pendant trois ans ce couple infatigable,

Epoux au lit, indifférent à table,

Sua beaucoup, & le tout fut envain :

Le directeur ne put pas faire un Saint.

 

 

(*) Les Carmes sont fort sensibles sur le point d’honneur. Ces religieux sont respectables dans l’antiquité, ils assurent que leur ordre est aussi ancien que les fondements de la montagne du Carmel.

(§)  Un curé qui se chauffe, ou qui mange avec sa servante, couche avec elle. Cet axiome est aussi vrai que le tout est plus grand que sa partie.

(§)  Retraite où l’on met les filles qui ont des faiblesses ou des caprices. La Police leur fait dire le chapelet trois fois le jour. Les bons Flamands s’imaginent que le S. Rosaire corrige la nature & les tempéraments. Ce pays crédule est toujours le théâtre de la guerre & de la superstition : un homme d’esprit y passe pour un sorcier, & on le punit de même : un peuple gouverné par des moines, ne sera jamais un grand peuple.

 

 

 

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CHANT QUATORZIÈME

 

 

CHANT QUATORZIEME.

 

 

Paris éveille Jeanne. Venus & l’Amour viennent la parer. Combat de la Chambriere & du P. Girard. Chute d’Ursule.

 

 

François Paris avait éveillé Jeanne.

Son œil dévot sur la face profane

De la soubrete, imprimait ces couleurs

Qu’on voit saillir sur le front des pécheurs, (*)

Comme l’on voit le soleil à minuit.

Jeanne timide était encore au lit :

Paris de loin lui tenait ce langage :

O vierge folle ! ô coupable assemblage

D’attraits brillans & de péchés mortels !

Minois trompeur, que les Démons cruels

Ont embelli pour tenter l’innocence,

Charmer le vice & rompre l’abstinence,

Sous un cilice enveloppés ce sein,

D’où l’œil du moine, & sa coupable main,

Ont enlevé le vernis du baptême.

Laissés le froc à son triste anathême,

Et pour gouter des plaisirs plus divins,

Ne baisés plus que les chasses des Saints.

Ces doux baisers rafraichissent les femmes.

Que vos appas, que ces yeux pleins des flammes,

Servent ici de triomphe au Seigneur.

Faites parler leur langage enchanteur.

Le front couvert des chardons de la Bule,

Sur un Balai monté derriere Ursule,

L’affreux Girard va descendre dans Sin.

Son fier parti doit chasser ce matin,

De ce couvent un docteur vénérable,

Un Directeur dont la foi respectable

Tint toujours ferme aux erreurs de nos jours.

Ce prêtre enfin, l’objet de vos amours,

Attend de vous son salut & sa gloire.

Du Jansénisme allés grossir l’histoire.

Tentés Girard, triomphés de ses sens,

Qu’il soit vaincu sous vos coups séduisans.

Telle Judith (*) par la grace embellie,

Risqua l’honneur pour venger Bétulie.

Son froid visage, & ses flasques tetons,

Faits pour tenter un moine, ou les Démons

Firent périr une armée invincible :

Sur ses genoux Holopherne sensible,

Trouva, dit-on, le plaisir & la mort.

Que le Jésuite éprouve un même sort !

Jeanne aussitôt se mit à sa toilette,

Paris voulait arranger sa cornette,

D’un linge uni parer sa nudité,

Lui donner l’air, la modeste beauté,

Dont la dévote orne sa douce mine.

Souvent, hélas ! sous la simple étamine,

Sous l’air picquant de la dévotion,

Gissent la chair & la tentation,

Les doigts du Saint aussi froids que la glace

N’avaient point l’art, le talent, ni le [sic] grace

D’accommoder les choses comme il faut.

Près d’un corset un Saint n’est qu’un lourdaut.

Dans ce moment la Reine de Cithere,

Du haut des cieux regardant sur la terre,

Vit l’embarras où se trouvait Paris.

Pour l’assister soudain avec son fils,

Elle descend, dans ce char où la gloire

La vit cent fois après une victoire,

Voler à terre & courir dans les bras

Du Dieu vainqueur qui préside aux combats.

Telle on la voit aussi du haut des nues,

Au son ronflant des basses continues

A l’opéra descendre avec l’amour,

Pour gambader, danser en jupon court,

Un Cotillon notté par Mondonville ;

Ou telle aussi pour arrêter Achille,

Faire en chantant les grands airs de Rameau,

Mugir encor la vache de Rousseau.

Bientôt Venus est auprès de Jéannette [sic],

L’aimable amour, témoin de sa toilette

Donne ses soins pour orner ses appas,

Des douces fleurs qui naissent sous ses pas.

L’enfant adroit a paré sa coëffure,

De mille nœuds noué sa chevelure,

Et déchiré de sa légere main,

Le voile épais étendu sur son sein.

De ce beau sein la blancheur éclatante

Offre à l’amour celui de son amante.

Le jeune Dieu soupire en l’admirant,

Bientôt Vénus donne à ce sein brillant

L’air agréable & la figure ronde,

Le charme enfin de celui que dans l’onde

Impunément ne vit point Actéon.

Gorge charmante, ô toi qu’Anacréon,

Aurait chanté sur sa galante lire,

En soupirant que ne puis-je décrire

De tes deux monts le contour gracieux !

Globes formés pour éblouir les Dieux,

Que n’êtes-vous entre mes mains ardentes,

Que mes baisers, & mes levres brûlantes

Feraient de vous un éloge flatteur !

Le feu charmant, qui nuit à la pudeur

Etincelait dans les yeux de Jeannette.

Ce feu subtil, dans l’œil d’une grisette,

Eleve l’ame, embellit les plaisirs,

Et d’un amant augmente les desirs.

Un jupon clair, usé par les services,

Où trente plis formaient autant d’indices

Qu’à certain jeu Jeanne avait mainte fois,

Perdu l’honneur, l’équilibre ou la voix,

Intéressait, donnait à sa figure

Ce goût picquant que l’or & la parure,

Ne donnent point aux Dames de la cour.

L’air chiffonné plait bien mieux à l’amour.

En contemplant son ravissant ouvrage,

Vénus à Jeanne adressa ce langage :

O fille aimable, honneur de mes autels,

Allés, partés, subjugués les mortels.

Dans vos liens enchaînés la jeunesse,

De vos ardeurs échauffés la vieillesse.

Sans distinguer les noms & les honneurs,

A tous les rangs prodigués vos faveurs.

Le doux plaisir ne répousse personne ;

Egalement sa puissance couronne

Les Dieux des cours & les Dieux des forêts.

Que le héros en voiant vos attraits,

Ainsi que Mars à l’aspect de mes charmes,

Mette à vos pieds ces effrayantes armes

Dont la fureur arma sa cruauté

Que vos regards, sur son front indomté [sic],

Fassent sécher les lauriers de la gloire ;

Que le plaisir plus doux que la victoire,

Aille porter dans son cœur agité,

Le jour heureux de la félicité,

Entre vos bras qu’il augmente son être,

Qu’avec transport séduit du plaisir d’être

Il reconnaisse & redise cent fois :

Un seul baiser vaut mieux que cent exploits.

Depuis trois ans, près d’une grille obscure,

Vous enterrés ces dons que la nature

A répandus sur vous à pleine [sic] mains :

Borner ses vœux c’est fixer ses destins.

Du tems qui fuit faites un noble usage.

Laissés, laissés la fureur d’être sage,

Aux partisans des songes de l’erreur.

Si pour vous plaire un jeune adorateur

Vous racontait son douloureux martire,

Pour détourner la flamme qui l’inspire

Ne faites point un effort superflu.

Abandonnés ces momens de vertu

Que l’amour propre a pris pour la sagesse.

L’homme est créé pour sentir la faiblesse,

Et sa raison pour sourire aux plaisirs.

De vos amans remplissés les desirs :

Foulés aux pieds les froides bienséances ;

Faites, s’il faut, les premieres avances.

Songés toujours que couchés ou debout,

Le Ciel nous fit pour consentir à tout.

L’Amour, Vénus à l’instant disparaissent,

L’air s’obscurcit, les nuages s’abaissent,

Et pour servir Jeannette & les amours,

La Lune encor s’arrête dans son cours.

Monsieur François durant cette parade,

Comme l’ami du jeune Alcibiade,

En grimaçant maudisait [sic] les catins.

Ces airs bourus sont très permis aux Saints.

Le zele ardent a fait briller Moyse :

Le fanatisme est l’enfant de l’Eglise.

Jeanne & Paris sont déja dans les airs,

Le doux Zephirs, qui chassent les hivers,

Qui font voler les fichus des bergeres,

Portaient le char sur leurs ailes légeres,

Et l’éloignaient des portes de Douai ;

Quant tout-à coup [sic] grimpé sur son Balai,

Girard de loin paraît avec Ursule.

En les voyant la saint Diacre recule

Saisi d’effroi, trente ou quarante pas,

Et dit à Jeanne, en lui parlant tout bas,

Car son propos n’était pas trop honnête :

L’ennemi vient, ma fille êtes vous prête ?

De la vigueur sentés vous l’éguillon ?

Le fier Girard, Docteur en cotillon,

Est en amour aussi vaillant qu’Achille :

De deux côtés il attaque une ville.

Jeanne veillés sur vos chemins couverts,

Sur les dangers aiés les yeux ouverts.

Vous connoissés votre infirme faiblesse,

L’état mauvais de votre forteresse.

Votre cuirasse est bien percée à jour.

Sans y tâter je pense que l’amour,

A ce harnois a fait plus d’une épreuve.

Mais cependant votre chemise est neuve,

Pour la percer il faudrait cent combats,

Et puis en Flandre & dans les Païs-bas

Le sexe est faible & la toile est très-forte.

Votre Discours, grand Saint, me reconforte,

Répondit Jeanne, en ouvrant deux grands yeux.

Votre secours, ma chemise & les Dieux

Soutiendront bien les devans de la place ;

Mais si Girard dans sa brutale audace,

Venait par fois attaquer en poltron,

Vers cet endroit un leste & court jupon

Ne tiendra point, je n’ai point de chemise :

L’argent est rare & chés les gens d’Eglise

On est fêté, mais paié mincement.

La toile coûte, & par ménagement,

J’en ai devant, point du tout par derriere.

Ne craignés, rien aimable chambriere,

Je hais la bulle & je suis tout-puissant.

Un Janséniste est l’effroi du méchant.

Rien ici bas ne résiste à sa grace.

De cent côtés qu’on attaque la place,

Que Girard ose un peu vous houspiller,

Il trouvera, ma fille, à qui parler,

Et, sur Quênel, vous n’en serés point dupe.

Levés-vous, Jeanne, & troussés votre jupe,

Bien saintement je vais passer dessous :

Là, sans branler, écartés vos genoux.

Ne montrés point pourtant le côté chauve.

D’un air dévot, le saint diacre se sauve

Sous le jupon de la Porte-latin :

O fanatisme, où logés vous un saint !

Quoi, le patron du systême efficace,

Près de l’autel des vieux enfans d’Ignace,

Est retranché : quel champ a-t-il donc pris !

Bulle & Quênel vous vous [sic] troublés les esprits.

Girard de loin a vu la chambriere :

A son aspect il croit de la Cadiere

Revoir encore les précieux appas.

Bientôt pressé de courrir dans ses bras,

Subitement il s’élance sur Jeanne.

Déja trois fois sa main sale & profane,

Pour la saisir a fait de vains efforts ;

Il lutte, il veut dans ses lascifs transports,

Lever la toille & culbuter Jeannette,

Mais c’est envain l’invincible soubrette

Comme César au bord du Rubicon,

Avec ardeur défendait son jupon ;

Et par devant Jeanne était imprenable.

L’adroit Girard, guerrier infatigable,

De tant d’efforts ne se rebutait pas.

Quand l’amour l’aide un cœur n’est jamais las.

Il vit bientôt que malgré son audace,

Jeanne tiendroit encor longtems la place,

Que le terrain paraissait défendu,

Que l’attaquer c’était du tems perdu,

Qu’un autre endroit présentait à sa gloire,

Un chemin sûr, une égale victoire,

Et qu’un devant offrait trop de hazards.

L’œi1 d’un héros est le flambeau de mars.

Le fier Girard assaillit par derriere :

De ce côté la faible chambriere,

Etait à plaindre & sans Monsieur Paris,

Jeanne tombait dans les bras ennemis,

Son pucelage était encor déflandre ;

Mais le béat armé pour la défendre,

Sous son jupon modestement niché,

Très bien gardait le chemin du péché.

Philotanus donne l’assaut à Jeanne ;

D’un air vainqueur vers la brêche profane,

Il a braqué son énorme canon ;

Il vient, il lutte, il saisit le jupon,

Chante victoire & croit la ville prise.

Mais, Dieux puissans, quelle fut sa surprise,

Quand soulevant le jupon feminin,

Au-lieu d’un cul il apperçut un saint !

Girard de peur & recule & se signe.

Tremble aujourd’hui, tremble, mortel indigne,

Lui dit Paris en sortant du jupon ;

Le sort affreux des enfans du Démon,

Sera le tien. Dieu veut que sa vangeance,

Contre ton ordre éclate dans la France ;

Pour préluder l’ange exterminateur

Vient d’accabler sous son glaive vengeur,

Malagrida, Damiens & tes confreres.

Tes noirs forfaits & tes vertus légeres,

Dans la balance où l’on pese le bien,

Ont été mis, & tu ne peses rien.

Malgré Clement, la bulle & son sot titre,

Le vieux Balai remis dans le chapitre,

Conservera son antique cloison,

Et le Docteur, flambeau de la maison,

Du saint parti prêchera le systême.

Dieu par ma voix te l’annonce lui-même,

Cours aux enfers apprendre à Suarès,

A Lessius, tes malheureux succès.

A ce discours, à ce ferme langage,

Comme un éclair, ou comme un pucelage

Le vieux Girard disparut à leurs yeux.

Jeanne & Paris sur leur char radieux,

Tranquillement achevent leur carriere,

Et vers Douai l’heureuse chambriere,

Près du Raqué (*), du char est descendu.

Du haut des airs Dame Ursule avait vu

Des combattans les premieres querelles.

Les doux Zephirs de leurs humides aîles,

La soutenaient encor sur le Ramon,

Quand les enfans du fier septentrion,

Le froid nord-d’est & la glaçante bise,

Subitement soufflans sous sa chemise,

Pendant une heure agiterent la sœur,

Allant, venant au gré de leur fureur,

La jeune Ursule au fort de la tempête,

Perdit bientôt l’équilibre & la tête.

De ses genoux le Balai s’échapa,

De ses jupons le cordon se coupa,

Et cent appas dans les airs apparurent.

Tels deux auteurs en rimes nous assurent,

Qu’à Montpellier le bienheureux saint Roch,

Dru comme quatre & ferme comme un roc,

Un jour d’hiver courant nud en chemise,

Brava pour Dieu les fureurs de la bise.

O grand saint Roch ! Mortel chéri des cieux !

Plus d’une fille aux regards curieux,

En admirant votre dure innocence,

D’un air ému loua la providence.

Toujours Ursule allait au gré du vent

Quand tout-à-coup auprès de son couvent,

L’air se calma, la sœur fit la culbute.

O tendre Amour, tu permis cette chute.

C’est toi qui fis tomber la jeune sœur,

Au beau milieu du lit du Directeur.

Ainsi Neptune a, sur un bord aride,

Vu dans ses bras courir la Danaïde.

Heureux qui peut voir tomber à minuit,

Ou plus matin, un tendron dans son lit !

Cela, dit-on, vaut mieux que le tonnere.

O volupté déesse de la terre,

Viens sur mes chants répandre ta clarté.

Le feu sacré de la virginité

N’éclaire plus l’ame de sœur Ursule.

Un autre feu dans ses veines circule.

Le tendre amour triomphe de son cœur,

Et les plaisirs vont moissonner sa fleur.

 

 

(*) Les Légendes disent que les saints voiaient les péchés mortels sur le front des pecheurs & sentaient d’un quart de lieue l’odeur d’une faute veniele. Voilà pourquoi nos poupées tonsurées ont les poches remplies d’odeurs & de chansons nouvelles.

(*) Dom Calmet assure que Judith avait soixante & dix ans lorsqu’elle rendit Holopherne sensible. Une tête comme la sienne pouvait-elle déranger celle du Général des Assyriens. Holopherne devait laisser la veuve de Betulie en paix : on ne doit baiser les vieilles Dames que comme les reliques des saints, au travers d’un cristal.

(*) Fourches patibulaires fameuses par l’anecdote triomphante de l’entrée solemnelle de l’Empereur Charles V. pour faire honneur à Sa Majesté qui devoit passer vis-à-vis de ce Monfaucon, les bons Flamans mirent une chemise blanche à un pendu attaché depuis six semaines. Cinquante ans auparavant on y avait acroché un cochon, qui fut pendu publiqeument [sic] pour avoir dévoré un enfant au berceau. L’arrêt fut exécuté sur la grande place de Douai. Il fallait que les preuves du délit fussent bien complettes, car i1 ne fut point fait mention au procès qu’on eut fait subir d’interrogatoire au criminel, ni qu’on l’eut préalablement appliqué à la question ordinaire & extraordinaire : tant y a que cette pendaison tira des larmes des yeux de tous les assistans, tant l’humanité est grande chés les Flamans lorsqu’ils [sic] s’agit de leurs semblables. Cette avanture est vraie & personne n’oserai la contester. Voiés l’histoire des Pongos Wallons ou les sauvage [sic] des Pays-Bas Français.

 

 

 

CHANT QUATORZIEME.

 

 

Paris éveille Jeanne. Vénus & l’Amour viennent la parer. Combat de la Chambriere & du P. Girard. Chûte d’Ursule.

 

 

François Paris avait éveillé Jeanne.

Son œil dévôt, sur la face profane

De la soubrette, imprimait ces couleurs,

Qu’on voit saillir sur le front des pécheurs, (*)

Comme l’on voit le soleil à minuit.

Jeanne timide était encore au lit :

Paris de loin lui tenait ce langage :

O vierge folle ! ô coupable assemblage

D’attraits brillants & de péchés mortels !

Minois trompeur, que les Démons cruels

Ont embelli pour tenter l’innocence,

Charmer le vice & rompre l’abstinence,

Sous un cilice enveloppez ce sein,

D’où l’œil du moine, & sa coupable main,

Ont enlevé le vernis du baptême.

Laissez le froc à son triste anathême ;

Et pour goûter des plaisirs plus divins,

Ne baisez plus que les châsses des Saints.

Ces doux baisers rafraîchissent les femmes.

Que vos appas, que ces yeux pleins des flammes,

Servent ici de triomphe au Seigneur.

Faites parler leur langage enchanteur.

Le front couvert des chardons de la Bulle,

Sur un Balai monté derriere Ursule,

L’affreux Girard va descendre dans Sin.

Son fier parti doit chasser ce matin,

De ce couvent un docteur vénérable,

Un directeur dont la foi respectable

Tint toujours ferme aux erreurs de nos jours.

Ce prêtre enfin, l’objet de vos amours,

Attend de vous son salut & sa gloire.

Du Jansénisme allez grossir l’histoire.

Tentez Girard, triomphez de ses sens,

Qu’il soit vaincu sous vos coups séduisants.

Telle Judith (§) par la grace embellie,

Risqua l’honneur pour venger Bétulie.

Son froid visage, & ses flasques tetons,

Faits pour tenter un moine, ou les démons,

Firent périr une armée invincible :

Sur ses genoux Holopherne sensible,

Trouva, dit-on, le plaisir & la mort.

Que le Jésuite éprouve un même sort.

Jeanne aussi-tôt se mit à sa toilette,

Paris voulait arranger sa cornette

D’un linge uni parer sa nudité,

Lui donner l’air, la modeste beauté,

Dont la dévôte orne sa douce mine.

Souvent, hélas ! sous la simple étamine,

Sous l’air piquant de la dévotion,

Gissent la chair & la tentation.

Les doigts du Saint aussi froids que la glace

N’avaient point l’art, le talent, ni la grace

D’accommoder les choses comme il faut.

Près d’un corset un Saint n’est qu’un lourdaut.

Dans ce moment la reine de Cythere,

Du haut des cieux regardant sur la terre,

Vit l’embarras où se trouvait Paris.

Pour l’assister soudain avec son fils :

Elle descend, dans ce char où la gloire

La vit cent fois, après une victoire,

Voler à terre & courir dans les bras

Du Dieu vainqueur qui préside aux combats.

Telle on la voit aussi du haut des nues,

Au son ronflant des basses continues,

A l’opéra descendre avec l’amour,

Pour gambader, danser en jupon court,

Un Cotillon noté par Mondonville ;

Ou telle aussi pour arrêter Achille,

Faire, en chantant les grands airs de Rameau,

Mugir encor la vache de Rousseau.

Bientôt Vénus est auprès de Jeannette ;

L’aimable amour, témoin de sa toilette,

Donne ses soins pour orner ses appas,

Des douces fleurs qui naissent sous ses pas.

L’enfant adroit a paré sa coëffure,

De mille nœuds noué sa chevelure,

Et déchiré de sa légere main,

Le voile épais étendu sur son sein.

De ce beau sein la blancheur éclatante

Offre à l’amour celui de son amante.

Le jeune Dieu soupire en l’admirant,

Bientôt Vénus donne à ce sein brillant

L’air agréable & la figure ronde,

Le charme enfin, de celui que dans l’onde

Impunément ne vit point Actéon.

Gorge charmante, ô toi qu’Anacréon,

Aurait chanté sur sa galante lyre,

En soupirant, que ne puis-je décrire

De tes deux monts le contour gracieux !

Globes formés pour éblouir les Dieux,

Que n’êtes-vous entre mes mains ardentes !

Que mes baisers, & mes levres brûlantes,

Feraient de vous un éloge flatteur !

Le feu charmant qui nuit à la pudeur,

Etincelait dans les yeux de Jeannette.

Ce feu subtil, dans l’œil d’une grisette,

Eleve l’ame, embellit les plaisirs,

Et d’un amant augmente les desirs.

Un jupon clair, usé par les services,

Où trente plis formaient autant d’indices

Qu’à certain jeu Jeanne avait mainte fois

Perdu l’honneur, l’équilibre ou la voix,

Intéressait, donnait à sa figure

Ce goût piquant que l’or & la parure

Ne donnent point aux Dames de la cour.

L’air chiffonné plait bien mieux à l’amour.

En contemplant son ravissant ouvrage,

Vénus à Jeanne adressa ce langage :

O fille aimable, honneur de mes autels,

Allez, partez, subjuguez les mortels.

Dans vos liens enchaînez la jeunesse,

De vos ardeurs échauffez la vieillesse.

Sans distinguer les noms & les honneurs,

A tous les rangs prodiguez vos faveurs.

Le doux plaisir ne repousse personne ;

Egalement sa puissance couronne

Les Dieux des cours & les Dieux des forets.

Que le héros en voyant vos attraits,

Ainsi que Mars à l’aspect de mes charmes,

Mette à vos pieds ces effrayantes armes

Dont la fureur arma sa cruauté ;

Que vos regards, sur son front indompté,

Fassent sécher les lauriers de la gloire ;

Que le plaisir plus doux que la victoire,

Aille porter dans son cœur agité,

Le jour heureux de la félicité ;

Entre vos bras qu’il augmente son être,

Qu’avec transport, séduit du plaisir d’être,

Il reconnaisse & redise cent fois :

Un seul baiser vaut mieux que cent exploits.

Depuis trois ans, près d’une grille obscure,

Vous enterrez ces dons que la nature

A répandus sur vous à pleine [sic] mains :

Borner ses vœux, c’est fixer ses destins.

Du temps qui fuit faites un noble usage.

Laissez, laissez la fureur d’être sage,

Aux partisans des songes de l’erreur.

Si, pour vous plaire, un jeune adorateur

Vous racontait son douloureux martyre,

Pour détourner la flamme qui l’inspire

Ne faites point un effort superflu.

Abandonnez ces moments de vertu

Que l’amour propre a pris pour la sagesse :

L’homme est créé pour sentir la faiblesse,

Et sa raison pour sourire aux plaisirs.

De vos amans remplissez les desirs :

Foulez aux pieds les froides bienséances :

Faites, s’il faut, les premieres avances.

Songez toujours que couchés ou debout,

Le Ciel nous fit pour consentir à tout.

L’Amour, Vénus à l’instant disparaissent,

L’air s’obscurcit, les nuages s’abaissent,

Et pour servir Jeannette & les amours,

La Lune encor s’arrête dans son cours.

Monsieur François durant cette parade,

Comme l’ami du jeune Alcibiade,

En grimaçant maudissait les catins.

Ces airs bourus sont très-permis aux saints.

Le zele ardent a fait briller Moïse :

Le fanatisme est l’enfant de l’Eglise.

Jeanne & Paris sont déja dans les airs,

Le doux zéphirs, qui chassent les hivers,

Qui font voler les fichus des bergeres,

Portaient le char sur leurs ailes légeres,

Et l’éloignaient des portes de Douai ;

Quant tout à coup grimpé sur son Balai,

Girard de loin parait avec Ursule.

En les voyant la saint Diacre recule,

Saisi d’effroi, trente ou quarante pas,

Et dit à Jeanne, en lui parlant tout bas,

Car son propos n’était pas trop honnête :

L’ennemi vient, ma fille êtes-vous prête ?

De la vigueur sentez-vous l’aiguillon ?

Le fier Girard, docteur en cotillon,

Est en amour aussi vaillant qu’Achille :

De deux côtés il attaque une ville.

Jeanne, veillez sur vos chemins couverts,

Sur les dangers ayez les yeux ouverts.

Vous connoissez votre infirme faiblesse,

L’état mauvais de votre forteresse.

Votre cuirasse est bien percée à jour.

Sans y tâter je pense que l’amour,

A ce harnois a fait plus d’une épreuve.

Mais cependant votre chemise est neuve,

Pour la percer il faudrait cent combats ;

Et puis en Flandre & dans les pays-bas

Le sexe est faible & la toile est très-forte.

Votre discours, grand saint, me reconforte,

Répondit Jeanne, en ouvrant deux grands yeux.

Votre secours, ma chemise & les Dieux

Soutiendront bien les devants de la place ;

Mais si Girard dans sa brutale audace,

Venait par fois m’attaquer en poltron,

Vers cet endroit. Un leste & court jupon

Ne tiendra point, je n’ai point de chemise :

L’argent est rare ; & chez les gens d’Eglise

On est fêté, mais payé mincement.

La toile coûte, & par ménagement,

J’en ai devant, point du tout par derriere.

Ne craignez, rien aimable chambriere,

Je hais la bulle & je suis tout-puissant.

Un Janséniste est l’effroi du méchant.

Rien ici-bas ne résiste à sa grace.

De cent côtés qu’on attaque la place,

Que Girard ose un peu vous houspiller,

Il trouvera, ma fille, à qui parler ;

Et, sur Quênel, vous n’en serez point dupe.

Levez-vous, Jeanne, & troussez votre jupe,

Bien saintement je vais passer dessous :

Là, sans branler, écartez vos genoux.

Ne montrez point pourtant le côté chauve.

D’un air dévôt, le saint diacre se sauve

Sous le jupon de la Porte-latin :

O fanatisme, où logez-vous un saint !

Quoi, le pardon du systême efficace,

Près de l’autel des vieux enfants d’Ignace

Est retranché ; quel champ a-t-il donc pris !

Bulle & Quênel vous troublez les esprits.

Girard de loin a vu la chambriere :

A son aspect il croit de la Cadiere

Revoir encore les précieux appas.

Bientôt pressé de courir dans ses bras,

Subitement il s’élance sur Jeanne.

Déjà trois fois sa main sale & profane,

Pour la saisir a fait de vains efforts :

Il lutte, il veut dans ses lascifs transports,

Lever la toile & culbuter Jeannette :

Mais c’est en vain ; l’invincible soubrette

Comme César au bord du Rubicon,

Avec ardeur défendait son jupon ;

Et par-devant Jeanne était imprenable.

L’adroit Girard, guerrier infatigable,

De tant d’efforts ne se rebutait pas.

Quand l’amour l’aide, un cœur n’est jamais las.

Il vit bientôt que malgré son audace,

Jeanne tiendrait encor long-temps la place,

Que le terrein [sic] paraissait défendu,

Que l’attaquer c’était du temps perdu,

Qu’un autre endroit présentait à sa gloire

Un chemin sûr, une égale victoire,                     

Et qu’un devant offrait trop de hazards.

L’œi1 d’un héros est le flambeau de mars.

Le fier Girard assaillit par derriere,

De ce côté la faible chambriere

Etait à plaindre, &, sans Monsieur Paris,

Jeanne tombait dans les bras ennemis,

Son pucelage était encor deflandre ;

Mais le béat armé pour la défendre,

Sous son jupon modestement niché,

Très-bien gardait le chemin du péché.

Philotanus donne l’assaut à Jeanne ;

D’un air vainqueur, vers la brêche profane

Il a braqué son énorme canon ;

Il vient, il lutte, il saisit le jupon,

Chante la [sic] victoire & croit la ville prise.

Mais, Dieux puissants ! quelle fut sa surprise,

Quand soulevant le jupon féminin,

Au-lieu d’un cul il apperçut un saint !

Girard de peur & recule & se signe.

Tremble aujourd’hui, tremble, mortel indigne,

Lui dit Paris en sortant du jupon ;

Le sort affreux des enfants du démon

Sera le tien. Dieu veut que sa vengeance

Contre ton ordre éclate dans la France ;

Pour préluder, l’ange exterminateur

Vient d’accabler sous son glaive vengeur,

Malagrida, Damiens & tes confreres.

Tes noirs forfaits & tes vertus légeres,

Dans la balance où l’on pese le bien,

Ont été mis, & tu ne peses rien.

Malgré Clément, la bulle & son sot titre,

Le vieux Balai, remis dans le chapitre,

Conservera son antique cloison ;

Et le docteur, flambeau de la maison,

Du saint parti prêchera le systême.

Dieu par ma voix te l’annonce lui-même ;

Cours aux enfers apprendre à Suarès,

A Lessius, tes malheureux succès.

A ce discours, à ce ferme langage,

Comme un éclair, ou comme un pucellage,

Le vieux Girard disparut à leurs yeux.

Jeanne & Paris sur leur char radieux,

Tranquillement achevent leur carriere,

Et vers Douai l’heureuse chambriere,

Près du Raqué, [*] du char est descendu.

Du haut des airs Dame Ursule avait vu

Des combattants les premieres querelles.

Les doux zéphyrs de leurs humides aîles,

La soutenaient encor sur le Ramon,

Quand les enfants du fier septentrion,

Le froid Nord-d’Est & la glaçante bise,

Subitement soufflants sous sa chemise,

Pendant une heure agiterent la sœur.

Allant, venant au gré de leur fureur,

La jeune Ursule, au fort de la tempête,

Perdit bientôt l’équilibre & la tête.

De ses genoux le Balai s’échappa,

De ses jupons le cordon se coupa,

Et cent appas dans les airs apparurent.

Tels deux auteurs en rimes nous assurent

Qu’à Montpellier le bienheureux saint Roch,

Dru comme quatre & ferme comme un roc,

Un jour d’hiver courant nud en chemise,

Brava pour Dieu les fureurs de la bise.

O grand saint Roch ! Mortel chéri des cieux !

Plus d’une fille aux regards curieux,

En admirant votre dure innocence,

D’un air ému loua la providence.

Toujours Ursule allait au gré du vent,

Quand tout à coup auprès de son couvent,

L’air se calma, la sœur fit la culbute.

O tendre Amour, tu permis cette chûte.

C’est toi qui fis tomber la jeune sœur,

Au beau milieu du lit du directeur.

Ainsi Neptune a, sur un bord aride,

Vu dans ses bras courir la Danaïde.

Heureux qui peut voir tomber à minuit,

Ou plus matin, un tendron dans son lit !

Cela, dit-on, vaut mieux que le tonnere.

O volupté, déesse de la terre,

Viens sur mes chants répandre ta clarté !

Le feu sacré de la virginité

N’éclaire plus l’ame de sœur Ursule.

Un autre feu dans ses veines circule.

Le tendre amour triomphe de son cœur,

Et les plaisirs vont moissonner sa fleur.

 

 

(§)  Les Légendes disent que les saints voyaient les péchés mortels sur le front des pécheurs, & sentaient d’un quart de lieue l’odeur d’une faute veniele. Voilà pourquoi nos poupées tonsurées ont les poches remplies d’odeurs & de chansons nouvelles.

(§)  Dom Calmet assure que Judith avait soixante & dix ans, lorsqu’elle rendit Holopherne sensible. Une tête comme la sienne pouvait-elle déranger celle du Général des Assyriens ? Holopherne devait laisser la veuve de Betulie en paix : on ne doit baiser les vieilles Dames que comme les reliques des saints, au travers d’un cristal.

(*) Fourches patibulaires, fameuses par l’anecdote triomphante de l’entrée solemnelle de l’Empereur Charles V : pour faire honneur à Sa Majesté qui devait passer vis-à-vis de ce Montfaucon, les bons Flamands mirent une chemise blanche à un pendu attaché depuis six semaines. Cinquante ans auparavant on y avait accroché un cochon, qui fut pendu publiquement pour avoir dévoré un enfant au berceau. L’arrêt fut exécuté sur la grande place de Douai. Il fallait que les preuves du délit fussent bien complettes ; car i1 ne fut point fait mention au procès qu’on eût fait subir d’interrogatoire au criminel, ni qu’on l’eût préalablement appliqué à la question ordinaire & extraordinaire : tant y a que cette pendaison tira des larmes des yeux de tous les assistants, tant l’humanité est grande chez les Flamands lorsqu’il s’agit de leurs semblables. Cette aventure est vraie, & personne n’oserait la contester. Voyez l’Histoire des Pongos Wallons, ou les Sauvages des Pays-Bas François.

 

 

 

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CHANT QUINZIÈME

 

 

CHANT QUINZIEME.

 

 

Ursule pert [sic] sa fleur. Arrivée de Jeanne ; la rage de cette fille. Apparition de Marie A la Coque.

 

 

En Romancie une héroïne sage,

Ne peut tomber (c’est un constant usage)

Que sur la queue, ou la fin du roman ;

Son pucelage est pour le dénouement.

Si trop épris des charmes d’un bel homme,

Son cœur osait, avant le dernier tome,

Ouvrir la porte aux plaisirs amoureux,

Le fier honneur, ce Dieu si rigoureux

Crierait tout haut contre cette licence.

Malgré le vice, on veut que la décence

Serve toujours de vernis à l’honneur.

Le sexe en France est un chaste lecteur,

Un voile clair doit lui couvrir les choses :

Quand le serpent est caché sous les roses,

Il peut picquer, mais cela n’y fait rien,

Si la pudeur conserve son maintien.

O cher enfant, pere de l’Eneïde,

O Dieu vainqueur de Neptune & d’Alcide,

Viens à ma voix prêter, volage Amour,

Le ton riant du saint Abbé Grécourt ;

Voile mes traits, ombrage sous tes ailes,

De tes plaisirs les images fideles

Entre les bras de son vieux Directeur,

Le cœur saisi d’une douce langueur,

La jeune Ursule envain veut se défendre.

En combattant son cœur devient plus tendre,

Son œil rougit, & l’aspect des plaisirs

Change bientôt ses craintes en desirs.

Le pain des forts, la divine sagesse

Ne soutient plus ses bras, ni sa faiblesse,

Trois fois sa voix veut nommer la vertu :

Dans ses soupirs ce mot est confondu.

Trois fois son ame, à l’aspect du naufrage,

Veut résister : hélas ! quand on est sage,

D’un vain espoir doit-on flatter l’orgueil ?

Se defend-on sur le bord de l’écueil ?

Le Directeur aussi brûlant qu’Hercule,

Déja deux fois sous la guimpe d’Ursule

A comprimé les roses & les lis ;

Déja l’amour à ses yeux éblouis,

Paraît sans voile, & brille sans décence ;

Déja la crainte, & la faible innocence

A leur vainqueur ont souri tour-à-tour ;

Ursule enfin dans les bras de l’amour

Tombe, palpite, & son ame étonnée

Cherche sa rose, & sa rose est fanée.

O Pucelage ! ô trésor précieux,

Fait pour tromper les mortels & les Dieux !

Dans quel instant le Ciel vous fait-il naître ?

Combien de jours conservés vous votre être ?

L’époux vous cherche, un amant vous poursuit,

Le préjugé vous forme & vous détruit.

Le front couvert des myrthes d’Amathonte,

Le Directeur sans remords & sans honte,

Pendant la nuit, avait plus d’une fois,

De son amour signalé les exploits.

Ce jeu charmant avait couvert Ursule

D’un rouge heureux, que l’éclat ridicule

De la pudeur peint sans vivacité.

Son jeune sein vivement agité,

Son œil brûlant, & sa main caressante,

Plus d’une fois d’une façon touchante

Avaient du pere excité la vigueur ;

Tout était dit, le pauvre Directeur

Ne pouvait plus giboier la fillette :

Envain tout bas la pudique Nonnette

Disait au pere : Il faut recommencer ;

Que faites vous ?.. Elle eut beau l’agacer

L’objet vivant qu’on desire à la grille,

L’herbe qui croit dans la main d’une fille,

N’avançait plus, & reculait toujours :

Ainsi souvent sous les yeux des amours

Un grand seigneur au fond d’une coulisse,

D’un air brillant va rater une actrice,

Le bien suffit pour n’être bon à rien.

Le saint rival du fier Ignatien

Chez le vieux prêtre avait ramené Jeanne.

Son soufle saint d’une fille profane

En avait fait un vase de pudeur.

La grace est forte, & sur un tendre cœur,

Sa pointe ardente agit toujours sans peine :

Ainsi changea celui de Magdelaine

Pour le plaisir seulement de changer.

Dans ses amours le beau sexe est léger.

Il ne croit plus au roman d’Arthemise.

Diversité fut toujours sa divise [sic].

Jeanne arrivée au logis du Docteur

Va droit au lit où reposait la sœur

Qui surement n’attendant point visite,

Se lamentait que le tems allait vite,

Qu’il emportait les plaisirs de l’amour.

Déja dans l’air la compagne du jour

Aurore ouvrait, avec ses mains dorées,

De l’Orient les portes diaprées.

Toi, qui peignis Mars pris avec Vénus,

Toi, qui chantas le premier des cocus,

Le fier Achille, & le Dieu du tonnere,

Echauffe moi, jette, divin Homere,

Sur mes écrits la flamme de tes chants ;

Peins avec moi, non ces Rois conquérans

Qu’on vit jadis sur les bord du Scamandre,

Traîner Priam, & mettre Troie en cendre,

Mais une fille, un cœur faible & constant,

L’amour trahi par un volage amant.

L’œil étonné, l’œil brûlant de colere

Jeanne voyait entre les bras du pere,

Un sein rougi qui palpitait d’amour,

Deux bras charmans, deux genoux faits au tour,

Un pied mignon, des couleurs & des roses

Des agrémens... peut-être d’autres choses...

Car on voit tout quand on regarde bien :

A l’œil jaloux n’échappe jamais rien.

A ce spectacle, offensant pour ses charmes,

Jeanne s’écrie en répandant des larmes :

Amant perfide, à qui mon ferme amour

A prodigué, la nuit comme le jour,

Ces doux plaisirs qui charmaient ta faiblesse,

Et pour te plaire, à l’age où la tendresse

M’offrait l’amour, paré de mille fleurs,

Entre tes bras j’ai fixé mes faveurs.

Le grand hiver peint sur ton vieux visage

N’a point glacé la chaleur de mon âge

Et j’ai pour toi dans l’abyme des tems

De mon aurore englouti les instans.

Tant de bienfaits n’ont pu toucher ton ame ?

Un autre objet a détourné ta flamme ?

Ingrat, noirci d’un parjure odieux,

As-tu pensé te cacher à mes yeux ?

Quoi, tu m’aimais & ta feinte constance

Pour m’oublier n’attendait que l’absence ?

Le noble instinct qui serrait nos deux nœuds,

Le souvenir de mes baisers heureux,

Mes doux assauts, ce lit, mon attitude

Et plus encor nos péchés d’habitude,

D’un crime affreux n’ont pu garder ton cœur ?

O scélérat ! ô parjure ! ô noirceur.

Ton plus beau feu n’est plus qu’un feu de paille :

Depuis six mois tu ne fais rien qui vaille.

Le jour entier à peine suffisait,

Pour t’amener au point qu’on desirait.

Ah ! juste Ciel ! une chétive Nonne

Charme tes sens, & dans l’instant moissonne

Les fruits heureux des travaux de six mois.

O tendre amour ! si soumise à tes loix

Jeanne a toujours étendu ton empire.

Si quelquefois d’un gracieux sourire

Tu triomphas des feux de sa pudeur,

Viens la venger. Un perfide, un trompeur,

Brûle à ses yeux d’une flamme nouvelle :

Descends, amour, qu’une vive étincelle

De ce flambeau qui consume les Dieux,

Rallume encor dans son cœur amoureux

Le feu charmant que célébra Tibulle.

Jeannette après se tournant vers Ursule

Lui dit : Ma sœur vous avez le nez fin.

Vous aimés donc le sexe masculin

L’air du couvent, le froid de la sagesse

Ne vallent point la main qui vous caresse.

La chastété, ce mot qui ne dit rien,

N’est-il pas vrai, ne vous irait pas bien ?

Le naturel va bien mieux à votre ame :

Le naturel met à l’aise une femme.

Ma jeune sœur, votre goût est friant :

L’instinct chés vous raisonne joliment.

Comme une fleur qui commence d’éclore

Tend son calice aux larmes de l’Aurore,

Au jeu d’amour vous ouvrès les deux bras

Vous combattés, mais vous usés mes draps.

Le révérend a-t-il bien fait la guerre ?

Un invalide aux combats de Cithere

A bien du mal ! Comment peut-il saisir

Ce vrai, ce ton qui fait toujours plaisir ?

Le Directeur honteux que sa servante

Ainsi traitât sa jeune pénitente,

De son chevet criait comme un perdu :

Jeanne, finis. Jeanne, te tairas-tu ?

Tes sots propos allument ma colere,

Tiens, jerni Dieu ! sans mon saint caractere

Chienne, j’irais te casser les deux bras,

Finis.. attends.. f... n’avance pas....

Ce mot nerveux blesse un peu la décence ;

Mais Suarès nous dit qu’en conscience,

L’esprit au Ciel, un mystique, un dévot

Peut sans pécher prononcer ce gros mot.

Tel un berger dans l’amoureux mystere,

Tardant longtems aux vœux de sa bergere,

En le lâchant souvent fort à propos,

De ses efforts sent finir les travaux.

Jeannette outrée aux discours du bon pere,

Ne pouvant plus contenir sa colere,

Le cœur gonflé de rage & de dépit,

Comme un éclair s’élance sur le lit

Prend les rideaux, les tire, les arrache :

Le Ciel du lit sous ses coups se detaché [sic]

Tombe avec bruit amene par morceaux

Verges, dossier, tentures & rideaux.

Tel un torrent d’une chûte subite,

Du haut d’un mont soudain se précipite,

Roule sur l’herbe, & d’un cours furieux

Détruit par-tout l’espoir qu’offraient aux yeux

Les dons de Flore & les fruits de Pomone.

Sous ces débris le saint pere & la Nonne

Poussaient envain de lamentables cris.

Jeanne était sourde & ses yeux étourdis

Sous ce chaos ne voiant plus le pere,

Troublaient son ame, allumaient sa colere ;

Quand tout à-coup son œil fier découvrit

Deux coins du drap pendant au pied du lit.

Soudain la joie éclate dans son ame,

Soudain l’espoir la réveille & l’enflamme.

Jeanne aussitôt saisit les coins des draps,

Tire avec force, & ses robustes bras

Dans le moment entraînerent à terre,

La sœur Ursule & le révérend pere.

Chaste pudeur, détournés vos regards :

Au pied du lit, sur ces débris épars,

Le Révérend est tombé sans décence,

Les lieux honteux où germe l’innocence,

Où le plaisir voit renaître ses jeux,

Sont découverts : un crochet malheureux

Retient en l’air la chemise du pere.

Mais que vous dis-je ? hélas ! pudeur austere,

Venés, voyés, & ne rougissés pas ;

Le vif objet qui tente vos appas

N’est plus celui de vos justes allarmes

Ce rien honteux, ne peut ternir vos charmes.

Faible, panché, retiré, sans ressort

Chouar vivait, le pauvre diable est mort.

La volupté vient de ternir sa gloire.

Et le plaisir, remportant la victoire,

Vient d’émousser, dans le sein des amours,

Le trait vainqueur qui trouble vos beaux jours.

Jeanne d’un front, où brille & se déploie

L’air insultant d’une maligne joie,

Au pied du lit, contemplait ses succés.

Son œil content & fier de ses excés [sic]

Bravait encor Ursule & le vieux prêtre ;

Quand dans la chambre on vit soudain paraître

Un noir phantôme, un cadavre ambulant,

Portrait caduc, modele ressemblant

De ces mortels, que la Trappe cruelle

Tient dans les fers de sa chaine éternelle :

Hommes obscurs, qui pour faire le bien

Servent le Ciel dans un néant chrétien.

 

 

 

CHANT QUINZIEME.

 

 

Ursule perd sa fleur. Arrivée de Jeanne ; la rage de cette fille. Apparition de Marie à la Coque.

 

 

En romancie, une héroïne sage

Ne peut tomber [c’est un constant usage]

Que sur la queue, ou la fin du roman ;

Son pucelage est pour le dénouement.

Si trop épris des charmes d’un bel homme,

Son cœur osait, avant le dernier tome,

Ouvrir la porte aux plaisirs amoureux ;

Le fier honneur, ce Dieu si rigoureux,

Crierait tout haut contre cette licence.

Malgré le vice, on veut que la décence

Serve toujours de vernis à l’honneur.

Le sexe en France est un chaste lecteur,

Un voile clair doit lui couvrir les choses :

Quand le serpent est caché sous les roses,

Il peut piquer, mais cela n’y fait rien,

Si la pudeur conserve son maintien.

O cher enfant, pere de l’Eneïde,

O Dieu vainqueur de Neptune & d’Alcide,

Viens à ma voix prêter, volage Amour,

Le ton riant du saint Abbé Grécourt ;

Voile mes traits, ombrage sous tes aîles,

De tes plaisirs les images fidelles.

Entre les bras de son vieux directeur,

Le cœur saisi d’une douce langueur,

La jeune Ursule envain veut se défendre.

En combattant son cœur devient plus tendre,

Son œil rougit, & l’aspect des plaisirs

Change bientôt ses craintes en desirs.

Le pain des forts, la divine sagesse

Ne soutient plus ses bras, ni sa faiblesse ;

Trois fois sa voix veut nommer la vertu :

Dans ses soupirs ce mot est confondu.

Trois fois son ame, à l’aspect du naufrage,

Veut résister : hélas ! quand on est sage,

D’un vain espoir doit-on flatter l’orgueil ?

Se défend-on sur le bord de l’écueil ?

Le Directeur aussi brûlant qu’Hercule,

Déjà deux fois sous la guimpe d’Ursule,

A comprimé les roses & les lys ;

Déjà l’amour à ses yeux éblouis,

Paraît sans voile, & brille sans décence ;

Déjà la crainte, & la faible innocence,

A leur vainqueur ont souri tour-à-tour ;

Ursule enfin, dans les bras de l’amour

Tombe, palpite, & son ame étonnée

Cherche sa rose, & sa rose est fannée.

O pucelage ! ô trésor précieux,

Fait pour tromper les mortels & les Dieux !

Dans quel instant le Ciel vous fait-il naître ?

Combien de jours conservez-vous votre être ?

L’époux vous cherche, un amant vous poursuit,

Le préjugé vous forme & vous détruit.

Le front couvert des myrthes d’Amathonte,

Le Directeur sans remords & sans honte,

Pendant la nuit, avait plus d’une fois,

De son amour signalé les exploits.

Ce jeu charmant avait couvert Ursule

D’un rouge heureux, que l’éclat ridicule

De la pudeur peint sans vivacité.

Son jeune sein vivement agité,

Son œil brûlant, & sa main caressante,

Plus d’une fois d’une façon touchante

Avaient du pere excité la vigueur ;

Tout était dit, le pauvre directeur

Ne pouvait plus giboyer la fillette :

En vain tout bas la pudique nonnette

Disait au pere : Il faut recommencer ;

Que faites-vous ?... Elle eut beau l’agacer ;

L’objet vivant qu’on desire à la grille,

L’herbe qui croît dans la main d’une fille,

N’avançait plus, & reculait toujours :

Ainsi souvent, sous les yeux des amours,

Un grand Seigneur, au fond d’une coulisse,

D’un air brillant va rater une actrice,

Le bien suffit pour n’être bon à rien.

Le saint rival du fier Ignatien,

Chez le vieux prêtre avait ramené Jeanne.

Son souffle saint, d’une fille profane,

En avait fait un vase de pudeur.

La grace est forte, & sur un tendre cœur

Sa pointe ardente agit toujours sans peine :

Ainsi changea celui de Magdelaine,

Pour le plaisir seulement de changer.

Dans ses amours le beau sexe est léger.

Il ne croit plus au roman d’Athémise,

Diversité fut toujours sa devise.

Jeanne arrivée au logis du docteur,

Va droit au lit où reposait la sœur,

Qui sûrement n’attendant point visite,

Se lamentoit que le temps allait vîte,

Qu’il emportait les plaisirs de l’amour.

Déjà dans l’air, la compagne du jour,

Aurore ouvrait, avec ses mains dorées,

De l’Orient les portes diaprées.

Toi, qui peignis Mars pris avec Vénus,

Toi, qui chantas le premier des cocus,

Le fier Achille, & le Dieu du tonnere,

Echauffe-moi, jette, divin Homere,

Sur mes écrits la flamme de tes chants ;

Peins avec moi, non ces Rois conquérants

Qu’on vit jadis, sur les bord du Scamandre,

Traîner Priam, & mettre Troye en cendre ;

Mais une fille, un cœur tendre & constant,

L’amour trahi par un volage amant.

L’œil étonné, l’œil brûlant de colere,

Jeanne voyait entre les bras du pere,

Un sein rougi qui palpitait d’amour,

Deux bras charmants, deux genoux faits au tour,

Un pied mignon, des couleurs & des roses,

Des agréments... peut-être d’autres choses...

Car on voit tout quand on regarde bien :

A l’œil jaloux n’échappe jamais rien.

A ce spectacle, offensant pour ses charmes,

Jeanne s’écrie en répandant des larmes :

Amant perfide, à qui mon ferme amour

A prodigué, la nuit comme le jour,

Ces doux plaisirs qui charmaient ta faiblesse,

Et pour te plaire, à l’âge où la tendresse

M’offrait l’amour paré de mille fleurs,

Entre tes bras j’ai fixé mes faveurs.

Le grand hiver peint sur ton vieux visage,

N’a point glacé la chaleur de mon âge,

Et j’ai, pour toi, dans l’abyme des temps

De mon aurore engloutti les instants.

Tant de bienfaits n’ont pu toucher ton ame ?

Un autre objet a détourné ta flamme ?

Ingrat, noirci d’un parjure odieux,

As-tu pensé te cacher à mes yeux ?

Quoi, tu m’aimais, & ta feinte constance,

Pour m’oublier n’attendait que l’absence ?

Le noble instinct qui serrait nos deux nœuds,

Le souvenir de mes baisers heureux,

Mes doux assauts, ce lit, mon attitude,

Et plus encor nos péchés d’habitude,

D’un crime affreux n’ont pu garder ton cœur ?

O scélérat ! ô parjure ! ô noirceur.

Ton plus beau feu n’est plus qu’un feu de paille :

Depuis six mois tu ne fais rien qui vaille.

Le jour entier à peine suffisait,

Pour t’amener au point qu’on desirait.

Ah ! juste Ciel ! une chétive Nonne,

Charme tes sens, & dans l’instant moissonne

Les fruits heureux des travaux de six mois.

O tendre amour ! si, soumise à tes loix,

Jeanne a toujours étendu ton empire ;

Si quelquefois d’un gracieux sourire,

Tu triomphas des feux de sa pudeur,

Viens la venger. Un perfide, un trompeur,

Brûle à ses yeux d’une flamme nouvelle :

Descends, amour, qu’une vive étincelle

De ce flambeau qui consume les Dieux,

Rallume encor dans son cœur amoureux

Le feux [sic] charmant qui célébra Tibulle.

Jeannette après se tournant vers Ursule,

Lui dit : Ma sœur, vous avez le nez fin.

Vous aimez donc le sexe masculin ?

L’air du couvent, le froid de la sagesse

Ne valent point la main qui vous caresse.

La chasteté, ce mot qui ne dit rien,

N’est-il pas vrai, ne vous irait pas bien ?

Le naturel va bien mieux à votre ame :

Le naturel met à l’aise une femme.

Ma jeune sœur, votre goût est friand :

L’instinct chez vous raisonne joliment.

Comme une fleur, qui commence d’éclore,

Tend son calice aux larmes de l’Aurore,

Au jeu d’amour vous ouvrez les deux bras,

Vous combattez, mais vous usez mes draps.

Le révérend a-t-il bien fait la guerre ?

Un invalide aux combats de Cythere

A bien du mal ! Comment peut-il saisir

Ce vrai, ce ton qui fait toujours plaisir ?

Le Directeur honteux que sa servante

Ainsi traitât sa jeune pénitente,

De son chevet criait comme un perdu :

Jeanne, finis. Jeanne, te tairas-tu ?

Tes sots propos allument ma colere,

Tiens, jerni Dieu ! sans mon saint caractere

Chienne, j’irais te casser les deux bras,

Finis... attends... f... n’avance pas...

Ce mot nerveux blesse un peu la décence ;

Mais Suarès nous dit qu’en conscience,

L’esprit au Ciel, un mystique, un dévôt

Peut sans pécher prononcer ce gros mot.

Tel un berger dans l’amoureux mystere,

Tardant long-temps aux vœux de sa bergere,

En le lâchant souvent fort à propos,

De ses efforts sent finir les travaux.

Jeannette outrée aux discours du bon pere,

Ne pouvant plus contenir sa colere,

Le cœur gonflé de rage & de dépit,

Comme un éclair s’élance sur le lit,

Prend les rideaux, les tire, les arrache :

Le ciel du lit sous ses coups se détache,

Tombe avec bruit, amene par morceaux

Verges, dossier, tentures & rideaux.

Tel un torrent d’une chûte subite,

Du haut d’un mont soudain se précipite,

Roule sur l’herbe, & d’un cours furieux

Détruit par-tout l’espoir qu’offraient aux yeux

Les dons de Flore & les fruits de Pomone.

Sous ces débris le saint pere & la nonne

Poussaient en vain de lamentables cris.

Jeanne était sourde, & ses yeux étourdis

Sous ce chaos ne voyant plus le pere,

Troublaient son ame, allumaient sa colere ;

Quand tout-à-coup son œil fier découvrit

Deux coins du drap pendant au pied du lit.

Soudain la joye éclate dans son ame,

Soudain l’espoir la réveille & l’enflamme.

Jeanne aussitôt saisit les coins des draps,

Tire avec force, & ses robustes bras

Dans le moment entraînerent à terre,

La sœur Ursule & le révérend pere.

Chaste pudeur, détournez vos regards :

Au pied du lit, sur ces débris épars,

Le révérend est tombé sans décence :

Les lieux honteux où germe l’innocence,

Où le plaisir voit renaître ses jeux,

Sont découverts : un crochet malheureux

Retient en l’air la chemise du pere.

Mais que vous dis-je ? hélas ! pudeur austere,

Venez, voyez, & ne rougissez pas ;

Le vif objet qui tente vos appas,

N’est plus celui de vos justes alarmes :

Ce rien honteux ne peut ternir vos charmes.

Faible, penché, retiré, sans ressort,

Chouard vivait, le pauvre diable est mort.

La volupté vient de ternir sa gloire ;

Et le plaisir, remportant la victoire,

Vient d’émousser, dans le sein des amours,

Le trait vainqueur qui trouble vos beaux jours.

Jeanne d’un front, où brille & se déploye

L’air insultant d’une maligne joye,

Au pied du lit, contemplait ses succès.

Son œil content & fier de ses excès,

Bravait encor Ursule & le vieux prêtre ;

Quand dans la chambre on vit soudain paraître

Un noir phantôme, un cadavre ambulant,

Portrait caduc, modele ressemblant

De ces mortels, que la Trappe cruelle

Tient dans les fers de sa chaîne éternelle :

Hommes obscurs, qui pour faire le bien

Servent le Ciel dans un néant chrétien.

 

 

 

Top▲

 

 

CHANT SEIZIÈME

 

 

CHANT SEIZIEME.

 

 

La Paix des Amans. Discours merveilleux de Sœur Marie A la Coque. Ursule rentre dans son couvent.

 

 

Le noir phantôme était sœur A la Coque, (*)

Que feu Languet, dans un Livre baroque,

Met dans le Ciel auprès de la Guion, ()

De Mondonville & de la Bourignon.

Un cœur brodé brillait sur sa chemise,

Au bas Momus avait mis pour devise :

”Je fus percé des traits du pur amour,

”Et mes états sont blancs comme le jour.

Un voile obscur dérobait ses gros charmes.

Son long visage humecté de ses larmes,

Ses froids regards interdis & confus,

Semblaient encor s’égarer pour Jesus.

Ainsi Marie, avança vers le pere.

Son œil dévot quelque tems considere

Le triste état, où le plaisir honteux

Réduit la chair d’un mortel amoureux.

Que vois-je, ô Ciel ! dit Marie A la Coque ?

Beaux jours d’Adam ! tems heureux ! chere époque !

Où la nature encor en son printems

Etait robuste, & faisait des géans ;

Vous n’êtes plus ! Quoi donc sans espérance,

Sont ils passés, ces beaux jours d’innocence,

Où l’homme juste, aidé du tendre amour

Pouvait au moins pécher sept fois le jour ?

Tout dégénere en ce siecle profane.

Disant ces mots, Marie apperçoit Jeanne :

Quoi, lui dit-elle, en ridant son dur front,

Au doux plaisir Jeanne tu fais affront ?

De mille biens si sa bonté constante

A couronné ta jeunesse galante ;

A tes genoux, s’il fit voler jadis

Le jeune abbé, le moine & le marquis,

Pourquoi veux-tu que sa main libérale

Prive le cœur de ta jeune rivale,

De ces bienfaits qui font perdre aux humains

Le souvenir de leurs nombreux chagrins ?

Laisse aux dévots la fureur & la rage ;

Le doux plaisir, ce Dieu tendre & volage

Comme l’amour, est le Dieu des bienfaits.

Jamais ses feux n’éclairent les forfaits

Jamais ces traits ne servent la vengeance ;

Ouvre ton cœur Jeanne à sa bienfaisance,

Pardonne au pere ou plutôt à l’amour,

Ces feux légers, les caprices d’un jour.

Sans inconstance un cœur a des faiblesses.

L’aveugle Dieu peut tromper nos caresses ;

Un jeune enfant est un guide incertain,

De son carquois, échappé sans dessein,

Un trait errant peut tomber sur une ame,

Ce trait subtil, léger comme la flamme,

Brille, s’éteint, & le cœur d’un amant

S’ouvre & se ferme à ce feu d’un moment.

Il faut du tems pour faire un infidele...

Ursule était naïve, jeune & belle ;

Ton amant vit ses sensibles appas ;

Son cœur trompé te cherchait dans ses bras,

Il croit l’aimer, & c’est toi qu’il adore.

Pardonne lui, ouvre lui, Jeanne, encore

Ton sein fécond, l’azile des plaisirs.

Dans tes baisers étouffe ses soupirs,

Rends lui l’espoir, ta tendresse & la joie.

Sur ton beau front déja l’amour déploie

Ces feux vainqueurs des Dieux & des hivers.

Ton œil sourit : je vois les cieux ouverts.

Qu’il est aisé d’appaiser une amante !

Avec transport la jeune gouvernante

Vole à son maître, & d’un air transporté

Le comprimant sur son cœur agité,

Lui dit ces mots que son bel œil anime :

Non, cher ami, tu n’as point fait un crime.

L’illusion est reine des amans.

Son faible sceptre est l’ouvrage des vents,

Ses songes vains trompent les cœurs fideles.

Du tendre amour cette reine a les aîles

Et sa couronne est la légéreté ;

Mais tu m’aimais : la douce volupté,

Qui mouille encor tes yeux d’aimables larmes,

T’offre à ma vue avec les mêmes charmes.

Mon jeune sein s’ouvre à tes repentirs

Viens, que la joie & les constans plaisirs

Soient de l’amour les infaillibles marques :

Ainsi, l’on vit le plus grand des Monarques

Rendre l’espoir par un touchant regard,

Au cœur d’Apelle, à l’ame de Campart.

Sœur A la Coque à cette paix charmante

Bénit le Ciel, & d’une voix touchante

Aux deux amans adresse ce discours :

Soiés heureux autant que les amours,

Sensibles cœurs, couple tendre & fidele.

Fasse le Ciel qu’un [sic] chaine si belle

Puisse échapper au ciseau du trépas !

Puisse la paix serrée entre vos bras

Dans Sin bientôt ramener l’alégresse !

Le desespoir, le deuil & la tristesse,

De ce séjour ont déparé l’éclat ;

D’un vil Balai l’insipide débat

Dans le mépris plonge ce monastere :

Faites cesser cette honteuse guerre

De la discorde étouffant les serpens

Que les plaisirs renaissent plus charmans.

Je fus fameuse autrefois sur la terre :

Du sens commun méprisant la lumiere,

Chés les dévots je voulus m’éclairer.

J’eus de l’orgueil ; & l’ardeur d’attirer

L’œil des mondains sur ma face pucelle,

Me fit tourner quarante ans la cerveille [sic].

Je composai, malgré le blond Phebus,

De méchans vers au bon enfant Jesus. (*)

Monsieur Languet, pour célébrer ma gloire

D’un gros volume honora mon histoire ;

Vingt contes bleus & plus d’un vertigo

Sont reliés dans ce gros in-quarto.

Mais grace à toi, Raison forte & puissante

Aux doux accens de ta voix triomphante

La vérité vint dessiller mes yeux.

Son vif éclat parait celui des cieux.

La vérité n’est point pour le vulgaire,

Son jour serein est le ciel de Voltaire,

A son flambeau Bayle ornait ses écrits :

Collins, Charon, Montaigne, Maupertuis,

Et Montesquieu par leurs écrits célebres

Ont dissipé les épaises [sic] ténebres,

Qui la cachaient aux souhaits des mortels :

Amans heureux, allés à ses autels

Remplir vos cœurs de sa flamme éclatante ;

L’être absolu que sa voix éloquente

Prêche à la terre, est le Dieu des bienfaits.

Du cœur sensible il remplit les souhaits,

Jamais sa main ne détruit ses ouvrages.

L’erreur du simple, & les songes des sages

Sont à ses yeux comme s’ils n’étaient pas.

D’un œil tranquille il voit tous les climats

A ses genoux défigurer son être.

L’Egyptien qui pense le connaître,

L’adore encor dans l’erreur de ses Dieux.

Le Musulman trompé par ses ayeux,

Brûle au Seigneur l’encens qu’il brûle aux femmes.

L’heureux Persan dans ce globe de flammes

Qu’on voit briller sur la plaine des airs,

Croit adorer le Dieu de l’univers.

O toi qui dois connaître son image

Culte chrétien, loi si dure & si sage,

As tu longtems encensé son autel ?

Ton fanatisme armé d’un fer cruel

Sous l’étendart de la croix bienfaisante

A trop servi ta chaleur militante.

Du sang des tiens l’histoire fume encore

Les Albigeois, les peuples où nait l’or,

Le jour affreux, si funeste à la France

Où Medicis, (*) Valois & ta vangeance

Du sang Français inonderent nos champs,

De tes fureurs sont les coups triomphans.

Le Ciel, dit-tu, t’explique ses oracles,

Dieu sous tes pas fait naître les miracles,

Son esprit saint t’éclaire de ses feux,

Dans un conclave, où trente ambitieux

Veulent regner, il dicte leurs suffrages.

Quoi sur ce trône où brillerent les sages

A-t-il placé pour guider les humains,

Ce pâtre affreux, rebut des Françiscains ?

Aurait-t-il mis sur cette auguste chaire,

Ce Léon Dix, pécheur comme saint Pierre,

Le lâche Jean, ce Boniface affreux,

L’horrible Paul, pontife incestueux ?

Quoi, dans la nuit de la triste ignorance

L’éclat des cieux, la pure intelligence

Ne pouvait point éclairer tes decrets ?

Tes riens sacrés, tes tristes préjugés

Ombragaient-ils [sic] sa suprême lumiere ?

Colomb découvre un nouvel hémisphere,

Le Vatican, sur ce nouveau Jason,

Lance la foudre, étonne la raison (*).

Les fils du Ciel, les Arts doux & tanquilles [sic]

A qui Mécene accordait des aziles,

Chargés de fers, dans la flamme étouffés,

Vont expirer dans tes Auto-da-fés.

Frapaolo, foudroïé par ta rage,

Fuit loin de Rome, & dans une autre plage,

Brave les fers du concile Romain.

Sur un bucher les os de Palingin,

Sont consumés par ta brûlante haine.

Là le bons sens, accablé sous ta chaine,

Voit Galilée & ses doctes travaux

Jugés à Rome & flétris par des sots.

Laisse aux beaux Arts leur liberté premiere.

Assés longtems la Raison prisonniere

Sous tes tirans porta de rudes fers.

Ne voile point ses feux à l’univers.

Née avant toi sa lumiere féconde

Du sein des cieux doit éclairer le monde.

Dieu la créa pour publier ses loix.

Ouvre l’oreille aux accens de sa voix

Cours étouffer les buchers de Lisbonne.

Foule à tes pieds cette triple couronne

Que l’orgueil seul a posé sur ton front.

Rédeviens humble & de marbre à l’affront.

Laisse à César le glaive & le tonnerre.

Par des vertus viens combattre la terre ;

Sois son exemple, elle veut t’imiter,

C’est à ce prix que Dieu doit t’assister :

Mais c’est envain, ton ame est indocile,

Tu n’entends plus les cris de l’Evangile ;

L’orgueil & l’or ont détourné tes pas,

Tu crois un Dieu que tu n’imite [sic] pas.

La verité poignardait sœur Marie,

Son stile chaud, son ton sans flatterie,

Sentaient l’odeur des vieux buchers romains.

Le saint Index, les peres Jacobins

Eussent jadis, pour punir sa franchise,

Dans vingt fagots arrangés par l’Eglise,

Brulé la sœur avec son noir jupon :

La foire alors se tenait sur le pont.

Les Constantins se cachaient sous la poudre,

Les Rois tremblaient à l’aspect de son foudre ;

Mais dans ce siecle où regne la raison

Ce foudre obscur n’est plus qu’un vieux tison

Qui fume encor dans les mains du saint pere.

Déja sorti du sein de l’onde amere,

Le char de feu qui roule sur les jours

Brillait sur Sin & commençait son cours.

Le tems pressait de faire entrer Ursule,

Des médisans la langue ridicule

De sa vertu pouvait blesser l’honneur,

D’un blâme affreux couvrir le Directeur.

Par un detour qui menait chés l’Abbesse,

Où le docteur, dans sa belle jeunesse,

Avait marché mainte fois sourdement

On fit rentrer la sœur dans son couvent.

 

 

(*) Marie à la Coque reçut des faveurs signalées du Ciel. Jesus venait la visiter toutes les nuits. Un beau soir, il prit le cœur de Marie, dit M. Languet, le mit dans le sien ; après l’avoir brûlé une heure dans ce brasier d’amour, il le remit dans le cadavre d’A la Coque en lui disant : Marie, en memoire de la grace que je viens de vous accorder vous aurés chaque lune nouvelle des douleurs, des coliques, des gonflemens : pour detourner ces accidens vous vous ferés seigner. Le P. J. Galiflet Jésuite dans son livre de la dévotion au sacré cœur imprimé à Nanci, assure que Dieu dit à Marie : Ma fille vous préféreres [sic]  toujours la volonté de vos supérieures à la mienne, sur-tout lorsqu’elles vous commanderont de faire ce que je vous ordonnerai. Peut-on sans une indecence horrible faire parler ainsi l’être suprême.

()  Dame célébre qui apporta en France les folies d’Espagne.

(*) Marie A la Coque a composé des vers Français au bon Jesus : ils sont très mal faits, mais ils vont sur l’air de Pierre Bagnolet &c.

(*) Le S. Pape Pie V écrivait à Catherine de Medicis quelques jours après le massacre de la S. Bartlhelemi. Votre Majesté vient d’agir selon le cœur de Dieu en faisant égorger les bonnes gens qui n’ont point de foi à mon purgatoire & qui aiment les vers Français. Que votre main Royale acheve l’ouvrage du Ciel en faisant poignarder le reste de ces hommes infectés qui croient simplement à l’Evangile sans penser que la Romanité est une piece du Christianisme. Quel Ecriturier que Pie V. Quel stile pour le pere commun des fideles, un Pape de ses amis l’a placé au Ciel à cause de son stile.

(*) Les Souverains Papes qui disposent souverainement & très généreusement des petites beatilles de l’excommunication, ont donné à tous les diables, ceux qui croiaient à l’Amérique. Cette conduite était une suite des révelations célestes. Nous autres écrivains tranquiles [sic] qui n’avons ni triple couronne, ni argent, ni ambition, lorsque nous rêvons la nuit nous disons tout naturellement que nous avous [sic] fait des rêves ; mais pour les saints personnages & les grands à cause de leurs dignités on appelle leurs rêves des révélations.

 

 

 

CHANT SEIZIEME.

 

 

La paix des Amants. Discours merveilleux de Sœur Marie A la Coque. Ursule rentre dans son couvent.

 

 

Le noir phantôme était sœur A la Coque, [*]

Que feu Languet, dans un Livre baroque,

Met dans le Ciel auprès de la Guion, []

De Mondonville & de la Bourignon.

Un cœur brodé brillait sur sa chemise,

Au bas, Momus avait mis pour devise :

”Je fus percé des traits du pur amour,

”Et mes états sont blancs comme le jour.

Un voile obscur dérobait ses gros charmes.

Son long visage humecté de ses larmes,

Ses froids regards interdis & confus,

Semblaient encor s’égarer pour Jesus.

Ainsi Marie avança vers le pere.

Son œil dévôt quelque temps considere

Le triste état, où le plaisir honteux

Réduit la chair d’un mortel amoureux.

Que vois-je, ô Ciel ! dit Marie A la Coque ?

Beaux jours d’Adam ! temps heureux ! chere époque !

Où la nature encor en son printemps

Etait robuste, & faisait des géants ;

Vous n’êtes plus ! Quoi donc sans espérance,

Sont ils passés, ces beaux jours d’innocence,

Où l’homme juste, aidé du tendre amour,

Pouvait au moins pécher sept fois le jour ?

Tout dégénere en ce siecle profane.

Disant ces mots, Marie apperçoit Jeanne :

Quoi, lui dit-elle, en ridant son dur front,

Au doux plaisir, Jeanne, tu fais affront ?

De mille biens si sa bonté constante

A couronné ta jeunesse galante ;

A tes genoux, s’il fit voler jadis

Le jeune abbé, le moine & le marquis,

Pourquoi veux-tu que sa main libérale

Prive le cœur de ta jeune rivale,

De ces bienfaits qui font perdre aux humains

Le souvenir de leurs nombreux chagrins ?

Laisse aux dévôts la fureur & la rage ;

Le doux plaisir, ce Dieu tendre & volage

Comme l’amour, est le Dieu des bienfaits.

Jamais ses feux n’éclairent les forfaits,

Jamais ces traits ne servent la vengeance ;

Ouvre ton cœur, Jeanne, à sa bienfaisance,

Pardonne au pere, ou plutôt à l’amour,

Ces feux légers, les caprices d’un jour.

Sans inconstance un cœur a des faiblesses.

L’aveugle Dieu peut tromper nos caresses ;

Un jeune enfant est un guide incertain :

De son carquois, échappé sans dessein,

Un trait errant peut tomber sur une ame ;

Ce trait subtil, léger comme la flamme,

Brille, s’éteint, & le cœur d’un amant

S’ouvre & se ferme à ce feu d’un moment.

Il faut du temps pour faire un infidèle...

Ursule était naïve, jeune & belle ;

Ton amant vit ses sensibles appas ;

Son cœur trompé te cherchait dans ses bras,

Il croit l’aimer, & c’est toi qu’il adore.

Pardonne-lui, ouvre-lui, Jeanne, encore

Ton sein fécond, l’asyle des plaisirs.

Dans tes baisers étouffe ses soupirs,

Rends-lui l’espoir, ta tendresse & la joye ;

Sur ton beau front déjà l’amour déploye

Ces feux vainqueurs des Dieux & des hivers.

Ton œil sourit : je vois les cieux ouverts.

Qu’il est aisé d’appaiser une amante !

Avec transport la jeune gouvernante

Vole à son maître, & d’un air transporté

Le comprimant sur son cœur agité,

Lui dit ces mots que son bel œil anime :

Non, cher ami, tu n’as point fait un crime.

L’illusion est reine des amants.

Son faible sceptre est l’ouvrage des vents,

Ses songes vains trompent les cœurs fidèles.

Du tendre amour cette reine a les aîles,

Et sa couronne est la légereté ;

Mais tu m’aimais : la douce volupté,

Qui mouille encor tes yeux d’aimables larmes,

T’offre à ma vue avec les mêmes charmes.

Mon jeune sein s’ouvre a [sic] tes repentirs :

Viens, que la joye & les constants plaisirs

Soient de l’amour les infaillibles marques ;

Ainsi, l’on vit le plus grand des Monarques

Rendre l’espoir par un touchant regard,

Au cœur d’Apelle, à l’ame de Campart.

Sœur A la Coque à cette paix charmante

Bénit le Ciel, & d’une voix touchante

Aux deux amants adresse ce discours :

Soyez heureux autant que les amours,

Sensibles cœurs, couple tendre & fidèle.

Fasse le Ciel qu’une chaîne si belle

Puisse échapper au ciseau du trépas !

Puisse la paix serrée entre vos bras,

Dans Sin bientôt ramener l’allégresse !

Le désespoir, le deuil & la tristesse,

De ce séjour ont déparé l’éclat,

D’un vil Balai l’insipide débat

Dans le mépris plonge ce monastere :

Faites cesser cette honteuse guerre ;

De la discorde étouffant les serpents,

Que les plaisirs renaissent plus charmants.

Je fus fameuse autrefois sur la terre :

Du sens commun méprisant la lumiere,

Chez les dévôts je voulus m’éclairer.

J’eus de l’orgueil ; & l’ardeur d’attirer

L’œil des mondains sur ma face pucelle,

Me fit tourner quarante ans la cervelle.

Je composai, malgré le blond Phébus,

De méchants vers au bon enfant Jesus. (*)

Monsieur Languet, pour célébrer ma gloire

D’un gros volume honora mon histoire ;

Vingt contes bleus & plus d’un vertigo

Sont reliés dans ce gros in-quarto.

Mais grace à toi, raison forte & puissante,

Aux doux accents de ta voix triomphante

La vérité vint dessiller mes yeux.

Son vif éclat paraît celui des cieux.

La vérité n’est point pour le vulgaire,

Son jour serein est le ciel de Voltaire,

A son flambeau Bayle ornait ses écrits :

Collins, Charon, Montaigne, Maupertuis,

Et Montesquieu, par leurs écrits célebres,

Ont dissipé les épaisses ténebres

Qui la cachaient aux souhaits des mortels :

Amants heureux, allez à ses autels

Remplir vos cœurs de sa flamme éclatante ;

L’être absolu que sa voix éloquente

Prêche à la terre, est le Dieu des bienfaits.

Du cœur sensible il remplit les souhaits,

Jamais sa main ne détruit ses ouvrages.

L’erreur du simple, & les songes des sages

Sont à ses yeux comme s’ils n’étaient pas.

D’un œil tranquille il voit tous les climats

A ses genoux défigurer son être.

L’Egyptien qui pense le connaître,

L’adore encor dans l’erreur de ses Dieux.

Le Musulman, trompé par ses aïeux,

Brûle au Seigneur l’encens qu’il brule aux femmes.

L’heureux Persan, dans ce globe de flammes

Qu’on voit briller sur la plaine des airs,

Croit adorer le Dieu de l’univers.

O toi qui dois connaître son image,

Culte chrétien, loi si dure & si sage,

As-tu long-temps encensé son autel ?

Ton fanatisme armé d’un fer cruel,

Sous l’étendard de la croix bienfaisante,

A trop servi ta chaleur militante.

Du sang des tiens l’histoire fume encore.

Les Albigeois, les peuples où nait l’or,

Le jour affreux, si funeste à la France,

Où Medicis, [*] Valois & ta vengeance

Du sang Français inonderent nos champs,

De tes fureurs sont les coups triomphants.

Le Ciel, dit-tu, t’explique ses oracles,

Dieu sous tes pas fait naître les miracles,

Son esprit saint t’éclaire de ses feux ;

Dans un conclave, où trente ambitieux

Veulent régner, il dicte leurs suffrages.

Quoi sur ce trône où brillerent les sages

A-t-il placé, pour guider les humains,

Ce pâtre affreux, rebut des Françiscains ?

Aurait-t-il mis sur cette auguste chaire,

Ce Léon Dix, pécheur comme saint Pierre,

Le lâche Jean, ce Boniface affreux,

L’horrible Paul, pontife incestueux ?

Quoi, dans la nuit de la triste ignorance,

L’éclat des cieux, la pure intelligence ;

Ne pouvait point éclairer tes décrets ?

Tes riens sacrés, tes tristes préjugés

Ombrageaient-ils sa suprême lumiere ?

Colomb découvre un nouvel hémisphere :

Le Vatican, sur ce nouveau Jason,

Lance la foudre, étonne la raison. (*)

Les fils du Ciel, les Arts doux & tranquilles

A qui Mécene accordait des asyles,

Chargés de fers, dans la flamme étouffés,

Vont expirer dans tes Auto-da-fés.

Fra-Paolo, foudroyé par ta rage,

Fuit loin de Rome, & dans une autre plage

Brave les fers du concile Romain.

Sur un bucher les os de Palingin,

Sont consumés par ta brûlante haîne.

Là le bons sens, accablé sous ta chaîne,

Voit Galilée & ses doctes travaux

Jugés à Rome & flétris par des sots.

Laisse aux beaux Arts leur liberté premiere.

Assez long-temps la raison prisonniere,

Sous tes tyrans porta de rudes fers.

Ne voile point ses feux à l’univers.

Née avant toi, sa lumiere féconde

Du sein des Cieux doit éclairer le monde.

Dieu la créa pour publier ses loix.

Ouvre l’oreille aux accents de sa voix :

Cours étouffer les bûchers de Lisbonne ;

Foule à tes pieds cette triple couronne

Que l’orgueil seul a posé sur ton front ;

Redeviens humble, & de marbre à l’affront,

Laisse à César le glaive & le tonnerre.

Par des vertus viens combattre la terre ;

Sois son exemple, elle veut t’imiter ;

C’est à ce prix que Dieu doit t’assister :

Mais c’est en vain, ton ame est indocile,

Tu n’entends plus les cris de l’Evangile ;

L’orgueil & l’or ont détourné tes pas,

Tu crois un Dieu que tu n’imites pas.

La vérité poignardait sœur Marie ;

Son style chaud, son ton sans flatterie,

Sentaient l’odeur des vieux bûchers Romains.

Le saint Index, les peres Jacobins

Eussent jadis, pour punir sa franchise,

Dans vingt fagots arrangés par l’Eglise,

Brûlé la sœur avec son noir jupon.

La foire alors se tenait sur le pont :

Les Constantins se cachaient sous la poudre,

Les Rois tremblaient à l’aspect de son foudre,

Mais dans ce siecle où regne la raison,

Ce foudre obscur n’est plus qu’un vieux tison

Qui fume encor dans les mains du saint pere.

Déjà sorti du sein de l’onde amere,

Le char de feu qui roule sur les jours,

Brillait sur Sin & commençait son cours.

Le temps pressait de faire entrer Ursule ;

Des médisants la langue ridicule

De sa vertu pouvait blesser l’honneur,

D’un blâme affreux couvrir le directeur.

Par un détour qui menait chez l’Abbesse,

Où le docteur dans sa belle jeunesse,

Avait marché maintefois sourdement,

On fit rentrer la sœur dans son couvent.

 

 

(*) Marie A la Coque reçut des faveurs signalées du Ciel. Jesus venait la visiter toutes les nuits. Un beau soir, il prit le cœur de Marie, dit M. Languet, le mit dans le sien ; après l’avoir brûlé une heure dans ce brasier d’amour, il le remit dans le cadavre d’A la Coque, en lui disant : Marie, en mémoire de la grace que je viens de vous accorder, vous aurez chaque lune nouvelle des douleurs, des coliques, des gonflements : pour détourner ces accidents, vous vous ferez saigner. Le P. J. Galiffet, Jésuite, dans son livre de la dévotion au sacré cœur imprimé à Nancy, assure que Dieu dit à Marie : Ma fille, vous préférerez toujours la volonté de vos supérieures à la mienne, sur-tout lorsqu’elles vous commanderont de faire ce que je vous ordonnerai. Peut-on sans une indécence horrible faire parler ainsi l’être suprême ?

() Dame célebre qui apporta en France les folies d’Espagne.

(*) Marie A la Coque a composé des vers Français au bon Jesus : ils sont très-mal faits, mais ils vont sur l’air de Pierre Bagnolet, &c.

(*) Le S. Pape Pie V, écrivait à Catherine de Médicis quelques jours après le massacre de la S. Bartlhelemi. Votre Majesté vient d’agir selon le cœur de Dieu en faisant égorger les bonnes gens qui n’ont point de foi à mon purgatoire, & qui aiment les vers Français. Que votre main Royale acheve l’ouvrage du Ciel, en faisant poignarder le reste de ces hommes infectés, qui croyent simplement à l’Evangile, sans penser que la Romanité est une piece du Christianisme. Quel Ecriturier que Pie V. Quel style pour le pere commun des fideles ! Un Pape de ses amis l’a placé au Ciel à cause de son style.

(*) Les Souverains Papes qui disposent souverainement & très-généreusement des petites béatilles de l’excommunication, ont donné à tous les diables, ceux qui croyaient à l’Amérique. Cette conduite était une suite des révélations célestes. Nous autres écrivains tranquilles qui n’avons ni triple couronne, ni argent, ni ambition, lorsque nous rêvons la nuit, nous disons tout naturellement que nous avons fait des rêves ; mais pour les saints personnages & les grands, à cause de leurs dignités, on appelle leurs rêves des révélations.

 

 

 

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CHANT DIX-SEPTIÈME

 

 

CHANT DIXSEPTIEME.

 

 

Grand Chapitre pour le Balai. Bataille des Nonnes. Siege de la Sacristie.

 

 

Dans un couvent où l’ordre regne encore,

L’obéissance est un saint ellébore.

Un coup de cloche y tient lieu du bon sens :

Un supérieur sous ses ordres puissans,

Retient les cœurs engourdis par la crainte,

Maître & tiran dans cette obscure enceinte.

Un peuple enfant dans sa captivité,

Sans jugement, sans goût, sans volonté,

Baise ses fers, le révere & l’encense,

Croit dans ses traits saisir la ressemblance

De l’Etre Saint qui créa l’univers.

Etre immortel ! Dieu des Mondes divers !

Quand sur la bouë imprimant ton image

Ton œil sourit en voiant ton ouvrage,

As-tu pensé dans ce moment heureux

Qu’un moine sot, qu’un Capucin crasseux,

De tes beautés serait la ressemblance.

Pere des temps, sublime intelligence,

C’est par l’esprit qu’on peut te ressembler,

C’est dans Voltaire (*), où tu fus rassembler

De ta grandeur les traits les plus frappans,

De ta bonté les plus doux sentimens.

Dans ce tableau je distingue ton être,

Mais chés les sots rien ne te fait connaître.

La Moinerie & le dépit affreux,

Dans ce couvent, en l’an quarante-deux,

Avaient remis le sceptre monastique

Aux grosses mains d’une fille rustique.

Son louche esprit, son énorme bon sens,

Né dans la fange & nourri dans les champs,

Rendaient aux sœurs son joug insupportable.

Le préjugé, cet hidre impitoïable

Tenait sa crosse, & lui dictait ses loix.

L’entêtement s’expliquait par sa voix :

La charité gémissait à l’entendre.

L’Abbesse enfin n’avait point le cœur tendre.

Qui n’aime rien n’est point loin de haïr.

Aussi Madame aimait-elle à sévir.

Des ris sous voile échappés à la grille,

Un air distrait, un rien, une vétille,

Etaient suivis de la punition :

Ainsi l’on voit, au fond de l’Achéron,

La verge en main, Radamanthe aux traits sombres,

Sans pitié, prononcer sur les ombres

Ces jugemens, suivis de maux cruels,

Que les Dieux bons destinent aux mortels.

Dans le Chapitre avec la Sacristine,

Sœur Bobillon & la Mere Augustine

Avaient rangé les fauteuils & les bancs,

Des vieilles sœurs reglé l’ordre & les rangs,

Et du couvent posé l’affreux regître [sic].

Déja deux fois la cloche du Chapitre

Avait sonné l’allarme & le toxin,

Et la terreur tremblait déja dans Sin.

Dans les dortoirs les Nonnes dispersées,

S’abandonnaient à leurs tristes pensées.

Tecle invoquait la vierge de Saumur :

Suson, crachant du bon-Jesus tout pur,

Ainsi priait le saint patron des Gaules :

Vous qui portiés mon Dieu sur vos épaules,

Christophe, (*) hélas ! qui dans ce lieu de pleurs

Avés couté d’effroïables douleurs

A votre mere en vous Mettant au monde ;

Saint qui marchiés dans le plus creux de l’onde

En ne mouillant que le bout du bâton,

De vos deux mains défendés le Ramon.

Sœur Cornichon pour soulager ses peines,

A tous les Saints promettait des neuvaines.

Mere Françoise invoquait saint Chrétien,

Monsieur Saint Roch, & son frippon de chien.

Sœur Bobichon priait le saint Suaire :

Sœur Madelaine invoquait le Calvaire.

O Ciel ! disait la sœur Réflexion,

Tout est changé dans la Religion.

La main de Dieu sur son peuple s’affaisse,

Du tems passé le bon sens & la graisse

Ne brillent plus dans ce siecle maudit ;

Tout est nouveau, le bon goût & l’esprit.

De sa Raison l’homme fait trop d’usage ;

S’il naissait vieux, il serait bien plus sage ;

Dans l’avenir il mettrait son espoir,

Rien de mortel ne pourrait l’émouv oir [sic].

L’enfant Jesus regnerait sur son ame,

Il haïrait ses parens & sa femme ;

Vuide du monde, occupé de son Dieu,

Les bras croissés [sic] grimpé sur un grand pieu,

Il copierait Saint Simon le stilite ;

Saint du bon tems, dont le rare mérite

Fut très utile au bonheur des humains :

Hélas ! Seigneur, ces exemples des Saints

Sont pour nos cœurs aussi froids que des marbres ;

On ne voit plus les mortels sur les arbres,

Tendre les bras vers le souverain bien.

Ah ! bon Jesus, le monde ne vaut rien.

Le dernier coup rassemble les Nonnettes.

La Mere Abbesse & les quatre discrettes,

Vers le Chapitre avancent gravement,

L’Etat-major & le vieux Parlement

Sur des fanteuils [sic] sont auprès de l’Abbesse.

Les jeunes sœurs, l’œil couvert de tristesse,

Sur les côtés, selon l’âge & les rangs,

Sont loin du centre assisses [sic] sur des bancs.

Dans le milieu Madame sur son trône,

Comme un tilleul sur les bords de la Saône

Ombrage au loin les Taupes, les Barbeaux,

Le Rat qui nage & les faibles Roseaux,

De sa grandeur étonnait le Chapitre.

Le cœur rempli de l’orgueil de son titre,

Les yeux chargés de lugubres couleurs,

D’un ton fluté harangue ainsi les sœurs.

Petits esprits, innocentes Nonnettes,

Et vous sur-tout éternelles discrettes,

Qui soutenés par votre zele ardent

L’austere regle, & l’honneur du couvent.

Venés m’aider de vos courtes lumieres,

A mes soupirs unissés vos prieres :

Depuis trois jours le Ciel est offensé ;

Un vieux Balai, du Chapitre chassé

Par les complots de trente fanatiques,

Honteusement fait rougir nos rubriques.

De nos statuts faisons suivre les loix.

De mon pouvoir vous connaissés les droits ;

De l’Eternel j’ai reçu la puissance ;

A mes genoux votre durable enfance

Doit adorer dans mon fier parchemin

La volonté, les ordres d’un Dieu Saint.

Un supérieur est par son caractere,

Ainsi que lui, son maître sur la terre.

Fût-il un sot, un homme sans honneur,

Il est toujours l’image du Seigneur.

Vangés ma gloire, en vangeant la rubrique.

Venons aux voix : parlés, mere Angélique,

Vous connaissés nos usages constans,

Et sur vos doigts l’histoire du vieux tems ;

D’un siecle entier en ces sombres demeures

Vous avés vu couler les tristes heures,

Ouï cent fois les chagrins médisans,

Les pot-pouris, les discours indécens,

Qu’on tient souvent contre l’obéissance.

Ah ! juste Ciel, que l’homme vous offense !

Mere Angélique, en rechignant un peu,

Toussant, crachant, & citant le bon Dieu,

Dit à l’Abbesse : Oh ! le Démon, Madame,

A dans ce lieu perverti plus d’une ame.

Il connait bien le faible d’un couvent,

Il n’a point peur d’un jupon pénitent.

Cierge béni brûle aussi bien qu’un autre.

Hélas ! mes sœurs, autrefois un apôtre

Fut transporté dans le plus haut des cieux :

Malgré sa gloire, un lardon furieux

Picquait souvent son grave caracterre.

Pour nous, mes sœurs, qui marchons sur la terre.

Sans prendre au Ciel un si rapide vol,

Craignons toujours les mouches de Saint Paul.

En gémissant la mere Jubilaire

Disait : Jesus, mon Jesus, quelle affaire !

Défunt Judas en baisant le Seigneur,

N’a point commis une telle noirceur.

J’ai dans ce lieu passé bien des semaines ;

Mon triste cœur déchiré de ses peines

N’avait point vu ce sacrilege affront :

Voyez, mes sœurs, la honte est sur mon front,

Et la tristesse est au fond de mon ame.

Divin bon Dieu ! venés dire à Madame,

Ce qu’il faut faire en ce grand embarras.

Ah ! le Balai hâtera mon trepas.

A ce jargon petit & ridicule,

D’un air picqué, vive Dieu ! crie Ursule ;

Finirés vous ces stupides propos,

Stile du cloître, éloquence des sots.

Un rien remplit vos étroites cervelles ;

Pour un Balai, quoi pour des bagatelles,

De l’union vous rompés les doux nœuds ?

Dans ce réduit où le néant affreux

Compte en baîllant vos stériles années,

Faut-il encor, faibles infortunées,

Pour des bobos augmenter vos douleurs,

Tremper vos jous de vos lugubres pleurs ?

Et vous, dit-elle, en regardant l’Abbesse,

Que l’air pincé d’une froide sagesse

Rend précieuse à ces minces esprits,

Qui pour un soufle, une vétille, un ris,

Semés ces lieux de chagrins & d’allarmes,

De l’amitié connaissés les doux charmes.

A votre crosse attachés quelques fleurs,

Commandés nous, mais régnés sur nos cœurs.

Par vos bontés faites qu’on vous honore,

Néron est mort, & Titus vit encore.

Néron ? Néron ? dit l’Abbesse, Néron !

Qu’a-t-elle dit ? ô l’effroïable nom !

Ce garnement n’allait point à confesse,

Il se mocquait des Saints & de la messe.

C’est un impie, un vrai Malagrida ;

J’ai lu ses tours dans la sœur d’Agréda (*).

Il était Pape, il gouvernait dans Rome,

Mon bon Jesus ! c’était un méchant homme.

L’œil enflammé, sœur Ursule en courroux,

Dit à ses sœurs : Morbleu ! qu’attendons nous ?

Obéissons aux cris de la victoire.

Allons unir nos raïons à sa gloire.

Du despotisme écrasons les faux Dieux ;

Foulons aux pieds le sceptre de ces lieux.

De nos affronts il faut laver les taches.

La patience est la vertu des lâches.

En terminant ce discours arrogant,

D’une main ferme elle applique à l’instant

A mere Ambroise un bon coup sur la face ;

D’un pied robuste elle étend sur la place

La mere Antoine, & de son autre main

Colle la jouë à la sœur Saint Martin.

A ce signal les jeunes sœurs avancent,

Subitement sur les vieilles s’élancent ;

De vingt souflets le cliquetis roulant

Remplit les airs & l’écho glapissant,

Des cris aigus des meres douairieres ;

Fait retentir des caves aux goutieres,

Des tons mourans qui font trembler les chats.

On vient aux mains : la fureur des combats

Dans tous les yeux ranime le courage.

La vieille cour, malgré le poids de l’âge,

Se demenait, soutenait par ses cris

Violemment l’honneur des cheveux gris ;

Mais force fut de céder à l’orage.

Ainsi qu’un foudre en sortant d’un nuage,

Suivi du bruit, précédé de l’éclair,

Ebranle au loin les colonnes de l’air

Telle est Ursule : & sa voix redoutable,

Portant le feu dans sa troupe implacable

Fait chanceler le corps des vieilles sœurs,

La haine affreuse animait ses fureurs.

Mille serpens cachés sous sa coëffure

Faisaient siffer [sic] sa noire chevelure.

Dans le tumulte on déchire en morceaux

Voiles, Béguins, Cotillons & Bandeaux.

Les coups de point [sic] tombent comme la neige ;

Les jeunes sœurs plus vives au manege

Des pieds, des mains combattaient vaillament.

Ainsi les eaux du liquide élément,

Aux cris d’Eole, aux accens du tonnere,

Flots contre flots lutant avec colere,

D’un choc affreux s’élancent dans les airs,

Et retombant font écumer les mers.

Telles nos sœurs, dans leur bouillant courage

De la tempête offraient l’horrible image.

Ardente au feu la jeune sœur Beauvoir

En combattant fit tomber son chauffoir :

La scene alors parut ensanglantée,

A ce spectacle Aurore épouvantée

Se retira dans les bras de Titon ;

Le Pere ardent du jeune Phaëton

Saisi d’horreur détournant sa lumiere,

Craint d’avancer & suspend sa carriere.

Souvent un rien peut déranger les cieux.

Le beau Paris troubla jadis les Dieux,

En préférant la plus belle Déesse.

Ainsi pour rien on voit dans la Genesse [sic]

Deux innocens chargés de maux affreux.

Ah ! que la pomme est un fruit malheureux !

Les vieilles sœurs reprenant leurs haleines,

Et ranimant l’acre sang de leurs veines,

Font avec ordre un Bataillon quarré.

D’un maintien ferme, & d’un pas assuré,

Ce corps d’airain, cette troupe aguerrie

En combattant gagne la Sacristie.

La brave Ursule à ce prompt mouvement,

Voit la manœuvre, & dans le même instant

Range sa troupe, & marche avec audace

Les harcelant, les bloquer dans la place.

Des vieux soldats les courageux travaux

Ont dans ce lieu soutenu quatre assauts,

Des jeunes sœurs repoussé les attaques :

Tel dans Paris entouré de ses caques,

Le peuple vil de la place Maubert,

Monde enragé digne de Saint Hubert,

Dans sa colere élance avec audace

A coup portant, sur l’étranger qui passe,

Sa boue épaisse, & ses sales discours.

Ainsi nos sœurs en combattant toujours

Dans leur couroux guidé par la vangeance

Ont mis en piece & brisé sans décence,

Six chandeliers, quatre vieux encensoirs,

Trois goupillons, cinq à six éteignoirs.

Ce siege affreux continuait encore

La noble ardeur & le feu qui dévore

Aux champs de Mars l’intrépide Français,

Des vieux soldats soutenait les accès,

Rien n’échappait à leur mains téméraires.

Quand dépourvus d’instrumens militaires,

Rien ne s’offrant à leur courroux ardent,

Bravant le Ciel dans ce cruel moment

On, vit, grand Dieu ! les meres douairieres

D’un air hardi s’armant de reliquaires,

Comme un torrent se jeter sur les sœurs.

Ciel ! que l’on vit de bravoure & d’horreurs !

Muse, dis-nous tous les noms respectables

Des riens sacrés des chiffons vénérables (*)

Qu’on vit fouler dans ce jour malheureux.

Champs de Laufeld, vous fûtes moins affreux ;

D’abord en brise une énorme chopine

Où le Seigneur par sa bonté divine

Voulant trinquer avec l’architriclin

Fit autrefois changer de l’eau en vin.

Saint Guignolet dans ce jour lamentable,

Du haut des cieux vit son outil aimable

Chaste instrument, invoqué du Breton,

Servir de sabre à la sœur Amidon :

Du plat soulier de saint Epiphanie,

Mere Prieure affubla Rosalie.

Sœur d’Agréda terrassa sœur Suson

D’un coup du Coq qui dans la passion,

Chanta trois fois en l’honneur de Saint Pierre,

Quand chés Caïphe avec la chambriere

En plaisantant le dos contre le feu,

Correctement il rénia son Dieu.

La mere Elise, en ce jour effroïable,

D’un chandelier à jamais mémorable

Armant ses mains fit d’horribles exploits.

Ce chandelier si célebre autrefois,

Etait celui du grand S. Dominique :

Un certain soir, si l’on croit la cronique [sic],

Monsieur Satan aussi sot qu’un oison,

Au bienheureux étant en oraison

Prêta ses doigts pour tenir la chandelle (*).

Tout allait bien mais sur la fin d’icelle,

Le feu gagnant, la chaleur fit crier

Très fortement le tendre chandelier :

Satan jurait, mais jurait comme un Diable,

Ah ! que le Saint était peu charitable !

Quel cœur de pierre aux malheurs du prochain !

Car sous son froc il fit un ris malin,

Voiant Satan soufler sur sa brûlure.

Saint Dominique avait l’ame bien dure !

Comme le Diable, on nous dit qu’autrefois

Le Saint traita les pauvres Albigeois.

Quand revenu de sa perfide rage,

Le vieux sénat contemplant son ouvrage

Vit sous ses yeux les chiffons déchirés,

Les encensoirs & tous ces riens sacrés

Foulés, brisés & jonchés sur la place.

Le froid remord vint glacer son audace,

Lui reprocher ses coupables forfaits :

Aux jeunes sœurs on parle de la paix.

Le bras lassé des succès de la gloire,

La fiere Ursule oubliant sa victoire

A cette paix consentit à l’instant.

On fit sonner la cloche au couvent,

Pour annoncer les meres Douairieres.

Deux jeunes sœurs Plenipotentiaires

Dans ce congrès pour la premiere fois

Eurent, dit-on, un suffrage & leurs voix.

Tandis qu’ainsi les jeunes sœurs aimables

En rang d’oignon avec les vénérables

Vont agiter de si grands intérêts,

Dieu des amours, Dieu des cœurs satisfaits,

Viens étouffer les foudres de la guerre,

Laisse ton arc, tes fleches dans Cithere,

Vole à Douai, viens l’olive à la main

Rendre la paix & le calme dans Sin.

 

 

(*) M. de Voltaire a toujours été le fleau du fanatisme & l’oracle de l’humanité.

(*) La trouvaille de S. Christophe est admirable. S. Remi & nos premiers Apôtres avaient du mal à nous convaincre de la Religion. Nos grands peres les vieux Gaulois tenaient furieusement à Hercule : ils en avaient la bravoure & la galanterie ; ces deux points étaient bien capables de les attacher sérieusement au vainqueur de l’Inde. Plusieurs Seigneurs Gaulois qui commençaient à avoir de la Foi sans savoir pourquoi, comme le prosélite du P. Canaie dans St. Evremond, disaient aux Missionnaires : Dame, Messieurs, que nous donnerés vous à la place de notre Hercule, c’est un Héros que nous aimons, nous le portons dans notre cœur. Ne vous mettés point en peine, dit un Missionnaire, plus fin que S. Remi ; nous avons un grand S. Christophe plus étoffé que quatre Hercule : Oh ! si cela est dirent les Seigneurs Gaulois, tope, nous embrassons votre Religion.

(*) La V. M. d’Agrédra dans son livre admiré & prêché par les Capucins qui sont par-tout un peu bêtes, assure que l’enfant Jesus étant un jour dans la boutique de St. Joseph qui travaillait à ses confessionnaux pour mettre douze cens ans après dans l’église quand la confession auriculaire aurait paru admirable au salut ; l’enfant Jesus donc s’avisa de ranger le soir des coupeaux à dessein de faire tomber son pere nourricier. Cette espiéglerie lui réussit. St. Joseph tomba tout de son long. La St Vierge qui n’entendait point la plaisanterie, qui prétendait qu’on respectât le sage gardien de sa virginité donna le fouet au petit enfant Jesus, qui depuis n’osa plus faire de niches. Il est bon, ajoute la mere d’Agréda, de corriger de bonne heure les enfans. Le martinet fait des merveilles à cet âge. Nos grands peres admiraient ces bêtises, & les moines les prêchaient. On met à Biscestre un Poëte pour avoir rimé quelques plaisanteries & on admire les productions monstreuses [sic] de ces prétendus gens inspirés, qui n’ont occasionné que des persecutions aux vrais sages & aux gens d’esprit.

(*) Nos grands Peres au-lieu de chercher Dieu dans ses paroles & dans son Evangile, le cherchaient dans les vêtemens des Saints : de-la sont venues ces guerres pour la chappe de S. Vincent ; ces Croisades pour une terre que Dieu avait maudite ; ces pelerinages pour la clé de S. Hubert, & les neuvaines à S. Guignolet.

(*) S. Dominique, dit l’historien de sa vie, appella un soir Satan & lui ordonna de tenir la chandelle pendant qu’il ferait ses prieres : comme le St. les faisait fort longues, la chandelle qui était au bout, commençait à brûler les doigts du sensible chandelier. Satan qui n’était point ladre faisait des grimaces à faire rire. Las d’endurer il envoia le maudit bout de chandelle & le Saint à ses confreres & s’envola aux enfers où la brulure des damnés, dit l’historien, lui fut moins sensible que celle de la chandelle de St. Dominique. Il faut que nos grands peres fussent de grands sots puisqu’ils [sic] leur fallait de pareils contes pour les édifier.

 

 

 

CHANT DIX-SEPTIEME.

 

 

Grand Chapitre pour le Balai. Bataille des Nonnes. Siege de la Sacristie.

 

 

Dans un couvent où l’ordre regne encore,

L’obéissance est un saint ellébore.

Un coup de cloche y tient lieu du bon sens :

Un supérieur sous ses ordres puissants,

Retient les cœurs engourdis par la crainte.

Maître & tyran dans cette obscure enceinte ;

Un peuple enfant dans sa captivité,

Sans jugement, sans goût, sans volonté,

Baise ses fers, le révere & l’encense,

Croit dans ses traits saisir la ressemblance

De l’être Saint qui créa l’univers.

Etre immortel ! Dieu des mondes divers !

Quand sur la boue imprimant ton image,

Ton œil sourit en voyant ton ouvrage,

As-tu pensé dans ce moment heureux

Qu’un moine sot, qu’un Capucin crasseux,

De tes beautés serait la ressemblance ?

Pere des temps, sublime intelligence,

C’est par l’esprit qu’on peut te ressembler ;

C’est dans Voltaire, (*) où tu fus rassembler

De ta grandeur les traits les plus frappants,

De ta bonté les plus doux sentiments.

Dans ce tableau je distingue ton être,

Mais chez les sots rien ne te fait connaître.

La Moinerie & le dépit affreux,

Dans ce couvent, en l’an quarante-deux,

Avaient remis le sceptre monastique

Aux grosses mains d’une fille rustique.

Son louche esprit, son énorme bon sens,

Nés dans la fange & nourris dans les champs,

Rendaient aux sœurs son joug insupportable.

Le préjugé, cet hydre impitoyable

Tenait sa crosse, & lui dictait ses loix.

L’entêtement s’expliquait par sa voix :

La charité gémissait à l’entendre.

L’Abbesse enfin n’avait point le cœur tendre.

Qui n’aime rien, n’est point loin de haïr.

Aussi Madame aimait-elle à sévir.

Des ris sous voile échappés à la grille,

Un air distrait, un rien, une vétille,

Etaient suivis de la punition :

Ainsi l’on voit, au fond de l’Achéron,

La verge en main, Radamanthe aux traits sombres,

Sans pitié, prononcer sur les ombres

Ces jugements, suivis des maux cruels,

Que les Dieux bons destinent aux mortels.

Dans le Chapitre, avec la Sacristine,

Sœur Bobillon & la Mere Augustine

Avaient rangé les fauteuils & les bancs,

Des vieilles sœurs réglé l’ordre & les rangs,

Et du couvent posé l’affreux régître [sic].

Déjà deux fois la cloche du Chapitre

Avait sonné l’alarme & le tocsin,

Et la terreur tremblait déjà dans Sin.

Dans les dortoirs les nonnes dispersées,

S’abandonnaient à leurs tristes pensées.

Thecle invoquait la vierge de Saumur :

Suson, crachant du bon Jesus tout pur,

Ainsi priait le saint patron des Gaules :

Vous qui portiez mon Dieu sur vos épaules,

Christophe, (*) hélas ! qui dans ce lieu de pleurs

Avez coûté d’effroyables douleurs

A votre mere en vous Mettant au monde ;

Saint qui marchiez dans le plus creux de l’onde

En ne mouillant que le bout du bâton,

De vos deux mains défendez le Ramon.

Sœur Cornichon, pour soulager ses peines,

A tous les Saints promettait des neuvaines.

Mere Françoise invoquait saint Chrétien,

Monsieur saint Roch, & son fripon de chien.

Sœur Bobichon priait le saint suaire :

Sœur Magdelaine invoquait le Calvaire.

O Ciel ! disait la sœur Réflexion,

Tout est changé dans la Religion.

La main de Dieu sur son peuple s’affaisse,

Du temps passé le bon sens & la graisse

Ne brillent plus dans ce siecle maudit ;

Tout est nouveau, le bon goût & l’esprit.

De sa raison l’homme fait trop d’usage ;

S’il naissait vieux, il serait bien plus sage ;

Dans l’avenir il mettrait son espoir,

Rien de mortel ne pourrait l’émouvoir :

L’enfant Jesus régnerait sur son ame,

Il haïrait ses parents & sa femme ;

Vuide du monde, occupé de son Dieu,

Les bras croisés, grimpé sur un grand pieu,

Il copierait saint Simon le stilite ;

Saint du bon temps, dont le rare mérite

Fut très-utile au bonheur des humains.

Hélas ! Seigneur, ces exemples des Saints

Sont pour nos cœurs aussi froids que des marbres

On ne voit plus les mortels sur les arbres,

Tendre les bras vers le souverain bien.

Ah ! bon Jesus, le monde ne vaut rien.

Le dernier coup rassemble les nonnettes.

La mere Abbesse & les quatre discrettes

Vers le Chapitre avancent gravement,

L’Etat major & le vieux Parlement

Sur des fauteuils sont auprès de l’Abbesse.

Les jeunes sœurs, l’œil couvert de tristesse,

Sur les côtés, selon l’âge & les rangs,

Sont loin du centre assises sur des bancs.

Dans le milieu Madame sur son trône,

Comme un tilleul sur les bords de la Saône

Ombrage au loin les Taupes, les Barbeaux,

Le rat qui nage & les faibles roseaux,

De sa grandeur étonnait le Chapitre.

Le cœur rempli de l’orgueil de son titre,

Les yeux chargés de lugubres couleurs,

D’un ton flûté harangue ainsi les sœurs :

Petits esprits, innocentes nonnettes,

Et vous sur-tout éternelles discrettes,

Qui soutenez par votre zele ardent

L’austere regle, & l’honneur du couvent,

Venez m’aider de vos courtes lumieres,

A mes soupirs unissez vos prieres :

Depuis trois jours le Ciel est offensé ;

Un vieux Balai, du Chapitre chassé

Par les complots de trente fanatiques,

Honteusement fait rougir nos rubriques.

De nos statuts faisons suivre les loix.

De mon pouvoir vous connaissez les droits ;

De l’Eternel j’ai reçu la puissance ;

A mes genoux votre durable enfance

Doit adorer dans mon fier parchemin,

La volonté, les ordres d’un Dieu Saint.

Un supérieur est par son caractere,

Ainsi que lui, son maître sur la terre.

Fût-il un sot, un homme sans honneur,

Il est toujours l’image du Seigneur.

Vengez ma gloire, en vengeant ma rubrique.

Venons aux voix : parlez, mere Angélique,

Vous connaissez nos usages constants,

Et sur vos doigts l’histoire du vieux temps ;

D’un siecle entier, en ces sombres demeures,

Vous avez vu couler les tristes heures,

Ouï cent fois les chagrins médisants,

Les pot-pourris, les discours indécents,

Qu’on tient souvent contre l’obéissance.

Ah ! juste Ciel, que l’homme vous offense !

Mere Angélique, en réchignant un peu,

Toussant, crachant, & citant le bon Dieu,

Dit à l’Abbesse : Oh ! le démon, Madame,

A dans ce lieu perverti plus d’une ame,

Il connaît bien le faible d’un couvent,

Il n’a point peur d’un jupon pénitent.

Cierge béni brûle aussi bien qu’un autre.

Hélas ! mes sœurs, autrefois un apôtre

Fut transporté dans le plus haut des cieux :

Malgré sa gloire, un lardon furieux

Piquait souvent son grave caractere.

Pour nous, mes sœurs, qui marchons sur la terre.

Sans prendre au Ciel un si rapide vol,

Craignons toujours les mouches de saint Paul.

En gémissant la Mere Jubilaire

Disait : Jesus, mon Jesus, quelle affaire !

Défunt Judas en baisant le Seigneur,

N’a point commis une telle noirceur.

J’ai dans ce lieu passé bien des semaines ;

Mon triste cœur déchiré de ses peines,

N’avait point vu ce sacrilege affront :

Voyez, mes sœurs, la honte est sur mon front,

Et la tristesse est au fond de mon ame.

Divin bon Dieu ! venez dire à Madame,

Ce qu’il faut faire en ce grand embarras.

Ah ! le Balai hâtera mon trépas.

A ce jargon petit & ridicule,

D’un air piqué, vive Dieu ! crie Ursule ;

Finirez-vous ces stupides propos,

Style du cloître, éloquence des sots ?

Un rien remplit vos étroites cervelles ;

Pour un Balai, quoi, pour des bagatelles,

De l’union vous rompez les doux nœuds ?

Dans ce réduit où le néant affreux

Compte en baillant vos stériles années,

Faut-il encor, faibles infortunées,

Pour des bobos augmenter vos douleurs,

Tremper vos jous de vos lugubres pleurs ?

Et vous, dit-elle, en regardant l’Abbesse,

Que l’air pincé d’une froide sagesse

Rend précieuse à ces minces esprits,

Qui pour un souffle, une vétille, un ris,

Semez ces lieux de chagrins & d’alarmes,

De l’amitié connaissez les doux charmes.

A votre crosse attachez quelques fleurs,

Commandez-nous, mais régnez sur nos cœurs.

Par vos bontés faites qu’on vous honore,

Néron est mort, & Titus vit encore.

Néron ? Néron ? dit l’Abbesse, Néron ?

Qu’a-t-elle dit ? ô l’effroyable nom !

Ce garnement n’allait point à confesse,

Il se moquait des Saints & de la messe.

C’est un impie, un vrai Malagrida ;

J’ai lu ses tours dans la sœur d’Agréda [*]

Il était Pape, il gouvernait dans Rome ;

Mon bon Jesus ! c’était un méchant homme.

L’œil enflammé, sœur Ursule en courroux,

Dit à ses sœurs : Morbleu ! qu’attendons-nous ?

Obéissez aux cris de la victoire.

Allons unir nos rayons à sa gloire.

Du despotisme écrasons les faux Dieux ;

Foulons aux pieds le sceptre de ces lieux.

De nos affronts il faut laver les taches.

La patience est la vertu des lâches.

En terminant ce discours arrogant,

D’une main ferme elle applique à l’instant

A mere Ambroise un bon coup sur la face ;

D’un pied robuste elle étend sur la place

La mere Antoine, & de son autre main

Colle la joue à la sœur saint Martin.

A ce signal les jeunes sœurs avancent,

Subitement sur les vieilles s’élancent ;

De vingt soufflets le cliquetis roulant

Remplit les airs, & l’écho glapissant

Des cris aigus des meres douairieres,

Fait retentir, des caves aux goutieres,

Des tons mourants qui font trembler les chats.

On vient aux mains : la fureur des combats          

Dans tous les yeux ranime le courage.

La vieille cour, malgré le poids de l’âge

Se démenait, soutenait par ses cris

Violemment l’honneur des cheveux gris ;

Mais force fut de céder à l’orage.

Ainsi qu’un foudre en sortant d’un nuage,

Suivi du bruit, précédé de l’éclair,

Ebranle au loin les colonnes de l’air,

Telle est Ursule : & sa voix redoutable,

Portant le feu dans sa troupe implacable,

Fait chanceler le corps des vieilles sœurs.

La haine affreuse animait ses fureurs :

Mille serpents cachés sous sa coëffure,

Faisaient siffler sa noire chevelure.

Dans le tumulte on déchire en morceaux

Voiles, béguins, cotillons & bandeaux.

Les coups de poings tombent comme la neige,

Les jeunes sœurs plus vives au manege,

Des pieds des mains combattaient vaillamment.

Ainsi les eaux du liquide élément,

Aux cris d’Eole, aux accents du tonnere,

Flots contre flots luttant avec colere,

D’un choc affreux s’élancent dans les airs,

Et retombant font écumer les mers.

Telles nos sœurs, dans leur bouillant courage,

De la tempête offraient l’horrible image.

Ardente au feu, la jeune sœur Beauvoir

En combattant fit tomber son chauffoir :

La scene alors parut ensanglantée ;

A ce spectacle Aurore épouvantée,

Se retira dans les bras de Titon ;

Le Pere ardent du jeune Phaéton,

Saisi d’horreur, détournant sa lumiere,

Craint d’avancer & suspend sa carriere.

Souvent un rien peut déranger les cieux.

Le beau Paris troubla jadis les Dieux,

En préférant la plus belle Déesse.

Ainsi pour rien on voit dans la Genese,

Deux innocents chargés de maux affreux.

Ah ! que la pomme est un fruit malheureux

Les vieilles sœurs reprenant leur [sic] haleines,

Et ranimant l’acre sang de leurs veines,

Font avec ordre un Bataillon quarré.

D’un maintien ferme, & d’un pas assuré,

Ce corps d’airain, cette troupe aguerrie

En combattant gagne la Sacristie.

La brave Ursule à ce prompt mouvement,

Voit la manœuvre, & dans le même instant

Range sa troupe, & marche avec audace,

Les harcelant, les bloquer dans la place.

Des vieux soldats les courageux travaux

Ont dans ce lieu soutenu quatre assauts,

Des jeunes sœurs repoussé les attaques :

Tel dans Paris entouré de ses caques,

Le peuple vil de la place Maubert,

Monde enragé, digne de saint Hubert,

Dans sa colere élance avec audace

A coup portant, sur l’étranger qui passe,

Sa boue épaisse, & ses sales discours.

Ainsi nos sœurs en combattant toujours,

Dans leur courroux guidé par la vengeance,

Ont mis en piece & brisé sans décence,

Six chandeliers, quatre vieux encensoirs,

Trois goupillons, cinq à six éteignoirs.

Ce siege affreux continuait encore :

La noble ardeur & le feu qui dévore

Aux champs de Mars l’intrépide Français,

Des vieux soldats soutenait les accès,

Rien n’échappait à leurs mains téméraires ;

Quand dépourvus d’instruments militaires,

Rien ne s’offrant à leur courroux ardent,

Bravant le Ciel dans ce cruel moment,

On vit, grand Dieu ! les meres douairieres

D’un air hardi s’armant de reliquaires,

Comme un torrent se jeter sur les sœurs.

Ciel ! que l’on vit de bravoure & d’horreurs !

Muse, dis-nous tous les noms respectables

Des riens sacrés, des chiffons vénérables [§]

Qu’on vit fouler dans ce jour malheureux ?

Champs de Laufeld, vous fûtes moins affreux !

D’abord on brise une énorme chopine

Où le Seigneur, par sa bonté divine,

Voulant trinquer avec l’architriclin,

Fit autrefois changer de l’eau en vin.

Saint Guignolet dans ce jour lamentable,

Du haut des cieux vit son outil aimable,

Chaste instrument, invoqué du Bréton,

Servir de sabre à la sœur Amidon :

Du plat soulier de saint Epiphanie,

Mere prieure affubla Rosalie.

Sœur d’Agréda terrassa sœur Suson,

D’un coup du Coq, qui dans la passion,

Chanta trois fois en l’honneur de saint Pierre,

Quand chez Caïphe avec la chambriere,

En plaisantant le dos contre le feu,

Correctement il renia son Dieu.

La mere Elise, en ce jour effroyable,

D’un chandelier à jamais mémorable

Armant ses mains, fit d’horribles exploits.

Ce chandelier si célebre autrefois,

Etait celui du grand saint Dominique :

Un certain soir, si l’on croit la chronique,

Monsieur Satan aussi sot qu’un oison,

Au bienheureux étant en oraison

Prêta ses doigts pour tenir la chandelle. [*]

Tout allait bien ; mais sur la fin d’icelle,

Le feu gagnant, la chaleur fit crier

Très-fortement le tendre chandelier :

Satan jurait, mais jurait comme un diable.

Ah ! que le Saint était peu charitable !

Quel cœur de pierre aux malheurs du prochain !

Car sous son froc il fit un ris malin,

Voyant Satan souffler sur sa brulure.

Saint Dominique avoit l’ame bien dure !

Comme le diable, on nous dit qu’autrefois

Le Saint traita les pauvres Albigeois.

Quand revenu de sa perfide rage,

Le vieux sénat, contemplant son ouvrage,

Vit sous ses yeux les chiffons déchirés,

Les encensoirs & tous ces riens sacrés

Foulés, brisés & jonchés sur la place,

Le froid remord vint glacer son audace,

Lui reprocher ses coupables forfaits :

Aux jeunes sœurs on parle de la paix.

Le bras lassé des succès de la gloire,

La fiere Ursule oubliant sa victoire,

A cette paix consentit à l’instant.

On fit sonner la cloche au couvent,

Pour annoncer les meres douairieres.

Deux jeunes sœurs plénipotentiaires

Dans ce congrès pour la premiere fois

Eurent, dit-on, un suffrage & leurs voix.

Tandis qu’ainsi les jeunes sœurs aimables

En rang d’oignon avec les vénérables

Vont agiter de si grands intérêts,

Dieu des amours, Dieu des cœurs satisfaits,

Viens étouffer les foudres de la guerre,

Laisse ton arc, tes flèches dans Cythere,

Vole à Douai, viens, l’olive à la main,

Rendre la paix & le calme dans Sin.

 

 

(*) M. de Voltaire a toujours été le fléau du fanatisme, & l’oracle de l’humanité.

(*) La trouvaille de [S.] Christophe est admirable. S. Remi & nos premiers apôtres avaient du mal à nous convaincre de la Religion. Nos grands-peres les vieux Gaulois tenaient furieusement à Hercule : ils en avaient la bravoure & la galanterie ; ces deux points étaient bien capables de les attacher sérieusement au vainqueur de l’Inde. Plusieurs Seigneurs Gaulois qui commençaient à avoir de la foi sans savoir pourquoi, comme le prosélyte du P. Canaie dans St. Evremond, disaient aux missionnaires : Dame, Messieurs, que nous donnez-vous à la place de notre Hercule ? c’est un héros que nous aimons, nous le portons dans notre cœur. Ne vous mettez point en peine, dit un missionnaire, plus fin que S. Remi ; nous avons un grand S. Christophe plus étoffé que quatre Hercules : Oh ! si cela est, dirent les Seigneurs Gaulois, tope, nous embrassons votre Religion.

(*) La V. M. d’Agréda dans son livre admiré & prêché par les Capucins qui sont par tout un peu bêtes, assure que l’enfant Jesus étant un jour dans la boutique de S. Joseph, qui travaillait à ses confessionnaux pour mettre douze cent ans après dans l’église, quand la confession auriculaire aurait paru admirable au salut ; l’enfant Jesus donc s’avisa de ranger le soir des copeaux à dessein de faire tomber son pere nourricier. Cette espiéglerie lui réussit. S. Joseph tomba tout de son long. La S. Vierge qui n’entendait point la plaisanterie, qui prétendait qu’on respectât le sage gardien de sa virginité, donna le fouet au petit enfant Jesus, qui, depuis, n’osa plus faire de niches. Il est bon, ajoute la mere d’Agréda, de corriger de bonne heure les enfants. Le martinet fait des merveilles à cet âge. Nos grands-peres admiraient ces bêtises, & les moines les prêchaient. On met à Bicêtre un Poëte pour avoir rimé quelques plaisanteries, & on admire les productions monstrueuses de ces prétendues gens inspirés, qui n’ont occasionné que des persécutions aux vrais sages & aux gens d’esprit.

(§)  Nos grands-peres, au-lieu de chercher Dieu dans ses paroles & dans son Evangile, le cherchaient dans les vêtements des Saints ; de- sont venues ces guerres pour la chappe de S. Vincent ; ces croisades pour une terre que Dieu avait maudite ; ces pélérinages pour la clef de S. Hubert, & les neuvaines à S. Guignolet.

(*) S. Dominique, dit l’historien de sa vie, appella un soir Satan, & lui ordonna de tenir la chandelle pendant qu’il ferait ses prieres : comme le Saint les faisait fort longues, la chandelle qui était au bout, commençait à brûler les doigts du sensible chandelier. Satan, qui n’était point ladre, faisait des grimaces à faire rire. Las d’endurer, il envoya le maudit bout de chandelle & le Saint à ses confreres, & s’envola aux enfers, où la brulure des damnés, dit l’historien, lui fut moins sensible que celle de la chandelle de S. Dominique. Il faut que nos grands-peres fussent de grands sots, puisqu’il leur fallait de pareils contes pour les édifier.

 

 

 

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CHANT DIX-HUITIÈME

 

 

CHANT DIX-HUITIEME.

 

 

Les vœux d’un S. Abbé pour la paix. L’Amour & Hebé lui apportent une boëte misterieuse. On l’envoie chés les Nonnes. La Guerre est finie.

 

 

Un Saint Abbé, cher au Dieu de Cithere,

Depuis trois ans, près de ce monastere,

Avait fixé son tranquille séjour ;

Sur un hautbois accordé par l’Amour,

Il célébrait les appas de Glicere,

Les jours sereins, où sa tendre bergere

Ornait son front de mirthes amoureux.

Ces airs touchans, ces sons harmonieux,

Charmaient l’ennui de sa longue vieillesse,

Et pour lui seul les fleurs de la jeunesse

S’entre-mêlaient aux rides de ses ans.

Il avait tout hors l’âge du printems.

Ah ! si les Dieux lui redonnaient encore

Ces jours heureux dont profita l’Aurore,

Sexe fécond, sexe rempli d’appas,

Le tendre Abbé rajeuni dans vos bras,

Avec transport prodiguant les années,

Verrait bientôt borner ses destinées

Aux agrémens d’un moment ou d’un jour.

Cher aux talens, ce docteur de l’Amour

Avait dans Sin signalé ses prouesses.

Dans ce couvent ouvert à ses caresses,

Son noble cœur paitri d’attention

Avait appris à sœur Conception,

Comme l’on fait un enfant par l’oreille.

L’aimable sœur concevant à mervei1le

Avait fort bien retenu la leçon :

Depuis ce tems, ami de la maison

Son cher amant s’intéressait pour elle.

Du vieu Balai l’éternelle querelle

Le désolait, & son cœur tous les jours

Au Ciel sensible adressait ce discours :

De ce couvent où les graces gémissent,

Où les chagrins abondamment fournissent

Aux plus beaux yeux les plus lugubres pleurs,

Puissant Amour, viens banir les horreurs.

Aimable enfant, c’est toi qu’on persécute ;

Du vil Balai l’insipide dispute

De l’amitié brise les tendres nœuds.

Dans ce tombeau, séjour du deuil affreux,

La sourde haine éteint tes belles flammes,

Son fiel mordant fait couler dans les ames

Ce froid venin, le poison des plaisirs.

Entends, Amour, la voix de mes soupirs,

De ton flambeau viens éclairer mon zele,

Et pour vanger ta gloire & ta querelle

Ramene encor tous les cœurs sous ta loi,

Est-il pour eux un autre Dieu que toi ?

La voix des saints, les cris des bonnes ames,

Percent les cieux, & détournent les flammes

Des Dieux vengeurs irrités contre nous ;

Un rien suffit pour détourner leurs coups,

Un rien suffit pour gagner leur tendresse.

Ainsi que nous, les Dieux ont leur faiblesse ;

Leurs bons momens, & leurs momens boudeux.

Sans doute, hélas ! les parfaits sont aux cieux.

Ainsi prioit le chantre de Cythere.

L’amour quitta le séjour du Tonnere,

Et dans ses bras tenant la jeune Hébé,

Il fend les airs, & vient trouver l’Abbé.

Pour mieux servir le saint homme d’Eglise,

La sœur de Flore avoit pris d’Héloïse

L’air séduisant, sa tendresse & son cœur.

Dans ses beaux yeux la touchante douleur

Faisait parler l’éloquence des larmes :

Sur son beau front, où les ris & les charmes

Avaient regné, la mortelle paleur

Peignait encor sa plaintive langueur.

Un béguin blanc couvrait sa chevelure :

Un voile obscur, l’horreur de la nature,

Cachait aux yeux sous mille sombres plis

D’un sein brillant la rondeur & les lis.

Un vêtement tissu par la démence,

Le desespoir, la crédule innocence,

Emblême affreux du deuil & du trépas,

Couvrait sa taille & ses autres appas.

Ainsi parée, Hebé va vers le prêtre.

Le Dieu des cœurs, si charmant & si traître,

Suivait ses pas ; il tenait d’une main

Un fer tranchant, un acier assassin,

Encor mouillé des larmes d’une amante ;

De l’autre main, une boëte brillante,

Où le burin du célebre Picard

Avait gravé les malheurs d’Abaillard,

Et son épouse interdite, éperdue,

Près d’un objet abattu, sous sa vue.

Chantre galant, rival d’Anacréon,

Dieu couronné des plaisirs de Titon,

Qui tour à tour sers Vénus & l’Eglise,

Mortel charmant, dit la fausse Héloïse,

En s’adressant au vieux Porte-collet,

Tes cris aigus ont jusqu’au paraclet

Touché mon ame, & fait couler mes larmes.

Le fort de Sin, ces lieux où tant de charmes

Sont obscurcis par des jours ténébreux,

Sur leurs destins ont attendri les Dieux :

L’amour lassé de la cruelle guerre,

Qu’un vil Balai cause à ce monastere,

Veut aujourd’hui par tes soins généreux

Rendre le calme, & la paix à ces lieux :

Prends cher Abbé, cette boëte brillante,

Où l’amour même a de sa main charmante

Exprès rangé quarante deux outils (*)

Que pour le cloitre imagina Cipris.

Va les porter à cette sombre grille.

A leur aspect, tu verras chaque fille

Sourire encor au plaisir amoureux,

La vive joie écrite dans leurs yeux,

D’un ciel serein sera l’heureux présage.

Cher instrument, industrieuse image

Du tendre objet si cher à nos besoins,

En effigie, on goûte par vos soins,

Les doux plaisirs qui consolent la terre ;

Pendant vingt ans dans un couvent austere

Le jour la nuit vous étiés dans mes mains

Le Dieu puissant qui calmait mes chagrins.

Ainsi l’on vit au fond d’un mausolée,

Fuiant le monde, une ame désolée

Par vos secours soulager ses douleurs ;

Dix fois le jour dans vos jeux enchanteurs

Elle oubliait les cendres de Mausole.

Laissant la boîte, Héloïse s’envole

Avec l’Amour dans un char radieux.

L’Abbé ravi du beau présent des cieux

Avec transport ouvre aussitôt la boëte

Il voit, ô Dieux ! comment d’un air honnête

Décrire ici ces séduisants objets ?

Quel voile heureux peut cacher leurs attraits

A l’œil profane, au spectacle du monde ?

Ornons de fleurs leur nudité profonde,

Et n’allons point d’un crayon indécent

Trahir au jour le secret d’un couvent.

Ces doux outils dont l’erreur fait usage,

Portent un nom qui fait frémir le sage.

Pour le nommer sans commettre un peché,

Ouvrons la bible, à l’article Miché,

Et nous aurons, sans reproche de crime,

La fin du mot, & celle de la rime :

Tableau manqué de la virilité,

Faible portrait de la réalité,

Faute de mieux il sert à chaque Nonne

Et sa douceur séduisante couronne,

Avec transport, quoique sans volupté,

Les feux ardens de leur virginité.

C’est là qu’en proye à son ardeur secrette

L’outil en main la brûlante Nonnette

Croit, mais en vain, par un heureux effet,

Réaliser un bonheur imparfait.

Son feu se perd dans les transports de l’ame,

Elle soupire... & tressaille... & se pame...

Sous les accès d’un plaisir répété

La chair succombe, & l’esprit est dompté.

A ces objets transporté d’alégresse,

Sur le pacquet l’Abbé mit cette adresse

Que le plaisir lui dictait en riant :

”Du tendre amour recevés ce présent,

”La volupté vous en dira l’usage :

”Son caractere est la brillante image

”Du pere heureux, qui forma tous les Saints ;

”Il n’aime pas le séjour des mondains,

”Voilés ses traits aux regards de la terre,

”Dans les recoins de votre monastere

”Servés vous en ; vous verrés à l’essai

”Qu’il est plus doux qu’un manche de Balai ;

”Qu’auprès de lui, l’oiseau du mariage

”N’est qu’un enfant ; un oiseau de passage,

”Et ses destins un beau jour du printems.

On porte à Sin la boëte & les présens.

La mere Abbesse, en fille curieuse

En plein Chapitre, a de sa main pieuse

Ouvert la boëte, étalant à nos sœurs,

Des instrumens les charmes séducteurs.

A leur aspect on pétille de joie,

Sur chaque front la volupté déploye

Ce feu des cœurs, ce feu délicieux,

Qui fait briller la Majesté des Dieux.

Allons, mes sœurs, leur dit la mere Abbesse.

Que le plaisir succede à la tristesse,

De ces outils armons nos chastes mains,

N’envions plus le bonheur des mondains.

Leur fausse gloire est un rien qui s’efface,

L’éclat du monde une rose qui passe,

Et ses faveurs les rêves d’un amant.

Vive, mes sœurs, ce durable instrument,

Le jour, la nuit, sans répit, sans caprice,

Obligeamment il offre son service,

Droit comme un jonc, il se prête à nos vœux.

Charmes mortels, vous n’êtes rien près d’eux.

Des saints bijoux les Nonnettes s’armerent :

Cent cris perçans dans les airs exprimerent

De leur plaisir le doux contentement.

La paix revint habiter le couvent :

Le vieux Ramon est dans l’ignominie.

L’amour triomphe, & la guerre est finie.

Rois conquérans, Héros victorieux,

Présens de fer que font souvent le [sic] Dieux.

De vos débats le Ramon est l’image,

Sur vos états le tonnere & l’orage

Pour rien souvent troublent nos jours sereins :

Jadis Henri, le plus grands des humains,

Servait l’amour, n’allait point à confesse.

Pour un Balai, pour une basse messe,

La Ligue affreuse au meilleur de nos Rois,

Otait Paris & le sceptre à la fois.

Pour un cocu sur les bords du Scamandre

On voiait Mars & 1’Olimpe descendre

Les Dieux unis aux fureurs de vingt Rois

Sur Illion lancer le feu grégois.

Si dans le monde ainsi l’on se dévore :

Dans le couvent c’est cent fois pis encore.

Allés, mes vers, soulevés le dévot,

Plaisés au sage, & cachés vous au sot.

Que le béguin, le froc & Rome même

Fasse sur vous gronder leur anathême,

Laissés leur foudre écrasser [sic] le chardon,

Le Ciel défend les lauriers d’Apollon.

Toi, que j’aimais & que j’adore encore

Astre sérein de ma brûlante aurore,

Toi donc [sic] l’esprit riait de la vertu,

De l’âge d’or, & du fruit défendu,

Charmante Eglé, daigne agréer mes rimes ;

Vois dans mes vers les flatteuses maximes,

Que les plaisirs m’apprirent dans tes bras ;

Puissent ces chants offerts à tes appas,

Faits sous tes yeux, animés par ta lire,

Ainsi que toi, charmer, plaire & séduire.

 

FIN.

 

(*) Il y avoit 40 Nonnes dans le couvent, c’est un à chacune, & 3 pour la Mere Abbesse : dans les monasteres bien reglés les supérieurs ont toujours triple portion.

 

 

 

CHANT DIX-HUITIEME.

 

 

Les vœux d’un Saint Abbé pour la paix. L’Amour & Hebé lui apportent une boîte mystérieuse. On l’envoye chez les Nonnes. La Guerre est finie.

 

 

Un Saint Abbé, cher au Dieu de Cithere,

Depuis trois ans, près de ce monastere,

Avait fixé son tranquille séjour ;

Sur un hautbois accordé par l’amour.

Il célébrait les appas de Glicere,

Les jours sereins, où sa tendre bergere

Ornait son front de myrthes amoureux

Ces airs touchants, ces sons harmonieux,

Charmaient l’ennui de sa longue vieillesse,

Et pour lui seul les fleurs de la jeunesse

S’entre-mêlaient aux rides de ses ans.

Il avait tout, hors l’âge du printemps.

Ah ! si les Dieux lui redonnaient encore

Ces jours heureux dont profita l’Aurore,

Sexe fécond, sexe rempli d’appas,

Le tendre Abbé rajeuni dans vos bras,

Avec transport prodiguant les années,

Verrait bientôt borner ses destinées

Aux agréments d’un moment ou d’un jour.

Cher aux talents, ce docteur de l’Amour

Avait dans Sin signalé ses prouesses.

Dans ce couvent ouvert à ses caresses.

Son noble cœur paîtri d’attention

Avait appris à sœur Conception,

Comme l’on fait un enfant par l’oreille.

L’aimable sœur concevant à mervei1le,

Avoit fort bien retenu la leçon :

Depuis ce temps, ami de la maison,

Son cher amant s’intéressait pour elle.

Du vieux Balai l’éternelle querelle

Le désolait, & son cœur tous les jours

Au Ciel sensible adressait ce discours :

De ce couvent où les graces gémissent,

Où les chagrins abondamment fournissent

Aux plus beaux yeux les plus lugubres pleurs,

Puissant Amour, viens bannir les horreurs.

Aimable enfant, c’est toi qu’on persécute ;

Du vil Balai l’insipide dispute

De l’amitié brise les tendres nœuds.

Dans ce tombeau, séjour du deuil affreux,

La sourde haine éteint tes belles flammes,

Son fiel mordant fait couler dans les ames

Ce froid venin, le poison des plaisirs.

Entends, Amour, la voix de mes soupirs,

De ton flambeau viens éclairer mon zèle ;

Et pour venger ta gloire & ta querelle ;

Ramene encor tous les cœurs sous ta loi :

Est-il pour eux un autre Dieu que toi ?

La voix des saints, les cris des bonnes ames,

Percent les cieux, & détournent les flammes

Des Dieux vengeurs irrités contre nous ;

Un rien suffit pour détourner leurs coups,

Un rien suffit pour gagner leur tendresse.

Ainsi que nous, les Dieux ont leur faiblesse,

Leurs bons moments, & leurs moments boudeux.

Sans doute, hélas ! les parfaits sont aux cieux.

Ainsi prioit le chantre de Cythere.

L’amour quitta le séjour du tonnere,

Et dans ses bras tenant la jeune Hébé,

Il fend les airs, & vient trouver l’Abbé.

Pour mieux servir le saint homme d’Eglise,

La sœur de Flore avoit pris d’Héloïse

L’air séduisant, sa tendresse & son cœur.

Dans ses beaux yeux la touchante douleur

Faisait parler l’éloquence des larmes :

Sur son beau front, où les ris & les charmes

Avaient régné, la mortelle pâleur

Peignait encor sa plaintive langueur.

Un béguin blanc couvrait sa chevelure :

Un voile obscur, l’horreur de la nature,

Cachait aux yeux sous mille sombres plis

D’un sein brillant la rondeur & les lis.

Un vêtement tissu par la démence,

Le désespoir, la crédule innocence,

Emblême affreux du deuil & du trépas,

Couvrait sa taille & ses autres appas.

Ainsi parée, Hebé va vers le prêtre.

Le Dieu des cœurs, si charmant & si traître,

Suivait ses pas ; il tenait d’une main

Un fer tranchant, un acier assassin,

Encor mouillé des larmes d’une amante ;

De l’autre main, une boîte brillante,

Où le burin du célebre Picard

Avait gravé les malheurs d’Abailard,

Et son épouse interdite, éperdue,

Près d’un objet abbattu sous sa vue.

Chantre galant, rival d’Anacréon,

Dieu couronné des plaisirs de Titon,

Qui tour à tour sers Vénus & l’Eglise,

Mortel charmant, dit la fausse Héloïse,

En s’adressant au vieux Porte-collet,

Tes cris aigus ont jusqu’au Paraclet

Touché mon ame, & fait couler mes larmes

Le fort de Sin, ces lieux où tant de charmes

Sont obscurcis par des jours ténébreux,

Sur leurs destins ont attendri les Dieux :

L’amour lassé de la cruelle guerre,

Qu’un vil Balai cause à ce monastere,

Veut aujourd’hui par tes soins généreux

Rendre le calme, & la paix à ces lieux :

Prens, cher Abbé, cette boîte brillante,

Où l’amour même a de sa main charmante

Exprès rangé quarante deux outils, (§)

Que pour le cloître imagina Cypris.

Va les porter à cette sombre grille.

A leur aspect, tu verras chaque fille

Sourire encor au plaisir amoureux ;

La vive joye écrite dans leurs yeux,

D’un ciel serein sera l’heureux présage.

Cher instrument, industrieuse image

Du tendre objet si cher à nos besoins,

En effigie, on goûte par vos soins

Les doux plaisirs qui consolent la terre ;

Pendant vingt ans dans un couvent austere

Le jour, la nuit vous étiez, dans mes mains,

Le Dieu puissant qui calmait mes chagrins.

Ainsi l’on vit au fond d’un mausolée,

Fuyant le monde, une ame désolée

Par vos secours soulager ses douleurs ;

Dix fois le jour dans vos jeux enchanteurs

Elle oubliait les cendres de Mausole.

Laissant la boîte, Héloïse s’envole

Avec l’amour dans un char radieux.

L’Abbé ravi du beau présent des cieux,

Avec transport ouvre aussi-tôt la boîte.

Il voit, ô Dieux ! comment d’un air honnête

Décrire ici ces séduisants objets ?

Quel voile heureux peut cacher leurs attraits

A l’œil profane, au spectacle du monde ?

Ornons de fleurs leur nudité profonde,

Et n’allons point d’un crayon indécent

Trahir au jour le secret d’un couvent.

Ces doux outils dont l’erreur fait usage,

Portent un nom qui fait frémir le sage.

Pour le nommer sans commettre un péché,

Ouvrons la bible, à l’article Miché,

Et nous aurons, sans reproche de crime,

La fin du mot, & celle de la rime.

Tableau manqué de la virilité,

Faible portrait de la réalité,

Faute de mieux il sert à chaque nonne,

Et sa douceur séduisante couronne,

Avec transport, quoique sans volupté,

Les feux ardents de leur virginité.

C’est là qu’en proie à son ardeur secrette,

L’outil en main, la brûlante nonnette

Croit, mais en vain, par un heureux effet,

Réaliser un bonheur imparfait.

Son feu se perd dans les transports de l’ame,

Elle soupire... & tressaille... & se pâme...

Sous les accès d’un plaisir répété

La chair succombe, & l’esprit est dompté.

A ces objets, transporté d’allégresse,

Sur le paquet l’Abbé mit cette adresse

Que le plaisir lui dictait en riant :

”Du tendre amour recevez ce présent,

”La volupté vous en dira l’usage :

”Son caractere est la brillante image

”Du pere heureux, qui forma tous les saints.

”Il n’aime pas le séjour des mondains ;

Voilez ses traits aux regards de la terre,

”Dans les recoins de votre monastere

Servez-vous en ; vous verrez à l’essai,

”Qu’il est plus doux qu’un manche de Balai ;

”Qu’auprès de lui, l’oiseau du mariage

”N’est qu’un enfant, un oiseau de passage,

”Et ses destins un beau jour du printemps.

On porte à Sin la boîte & les présents.

La mere Abbesse, en fille curieuse,

En plein Chapitre, a de sa main pieuse

Ouvert la boîte, étalant à nos sœurs,

Des instruments les charmes séducteurs.

A leur aspect on pétille de joye,

Sur chaque front la volupté déploye

Ce feu des cœurs, ce feu délicieux,

Qui fait briller la Majesté des Dieux.

Allons, mes sœurs, leur dit la mere Abbesse,

Que le plaisir succede à la tristesse,

De ces outils armons nos chastes mains,

N’envions plus le bonheur des mondains.

Leur fausse gloire est un rien qui s’efface,

L’éclat du monde une rose qui passe,

Et ses faveurs les rêves d’un moment.

Vive, mes sœurs, ce durable instrument !

Le jour, la nuit, sans répit, sans caprice,

Obligeamment il offre son service,

Droit comme un jonc, il se prête à nos vœux.

Charmes mortels, vous n’êtes rien près d’eux.

Des saints bijoux les nonnettes s’armerent :

Cent cris perçants dans les airs exprimerent

De leur plaisir le doux contentement.            

La paix revint habiter le couvent :

Le vieux Ramon est dans l’ignominie.

L’amour triomphe, & la guerre est finie.

Rois conquérants, Héros victorieux,

Présents de fer que font souvent les Dieux,

De vos débats le Ramon est l’image ;

Sur vos états le tonnere & l’orage

Pour rien souvent troublent nos jours sereins :

Jadis Henri, le plus grands des humains,

Servait l’amour, n’allait point à confesse.

Pour un Balai, pour une basse messe,

La Ligue affreuse au meilleur de nos Rois,

Otait Paris & le sceptre à la fois.

Pour un cocu, sur les bords du Scamandre,

On voyait Mars & 1’Olympe descendre ;

Les Dieux unis aux fureurs de vingt Rois,

Sur Illion lancer le feu grégeois.

Si dans le monde ainsi l’on se dévore,

Dans le couvent c’est cent fois pis encore.

Allez, mes vers, soulevez le dévôt,

Plaisez au sage, & cachez-vous au sot.

Que le béguin, le froc & Rome même

Fasse sur vous gronder leur anathême,

Laissez leur foudre écraser le chardon,

Le Ciel défend les lauriers d’Apollon.

Toi, que j’aimais & que j’adore encore,

Astre serein de ma brûlante aurore,

Toi dont l’esprit riait de la vertu,

De l’âge d’or, & du fruit défendu,

Charmante Eglé, daigne agréer mes rimes ;

Vois dans mes vers les flatteuses maximes,

Que les plaisirs m’apprirent dans tes bras ;

Puissent ces chants offerts à tes appas,

Faits sous tes yeux, animés par ta lyre,

Ainsi que toi, charmer, plaire & séduire.

 

FIN.

 

(§)  Il y avait 40 nonnes dans le couvent, c’est un à chacune, & 3 pour la Mere Abbesse, dans les monasteres bien reglés les supérieurs ont toujours triple portion.

 

 

 

 

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[Texte original daté de 1761]

Édition de 1761 :

                            LE BALAI. / POËME / HEROÏ-COMIQUE / EN XVIII. CHANTS. / [filet] / Jupiter è Cœlo ridet perjuria vatum. / [filet] / [fleuron : fruits et feuilles avec 1 seule tige en tire-bouchon sur la gauche] / A CONSTANTINOPLE, / De l’Imprimerie du Mouphti. / M. DCC. LXI.

Publication        1761, Constantinople [Amsterdam]

Description       In-12, [XXIV] 216 p.

Note                   Très probablement l’original, imprimé et diffusé par contrebande sous le contrôle de l’auteur. Il existe au moins une contrefaçon in-8° de la même année. (cf. thèse de M. Pascau, à Pau, 2005)

Un exemplaire de cette édition originale figure à la BM de Grenoble

( Cote : E.21782 Rés., CGA )

Un autre exemplaire de cette édition originale figure à la BM (B.S.B.) de Munich

( Rem.IV 1478 ; dok.-typ : m )

 

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[Texte original daté de 1761]

Édition de 1774 :

                            LE BALAI, / POËME / HÉROÏ-COMIQUE / EN XVIII. CHANTS. / [double filet] / Jupiter è Cœlo ridet perjuria Vatum. / [double filet] / [fleuron (“soleil”)] / A CONSTANTINOPLE, / De l’Imprimerie du Mouphti. / [filet] / M. DCC. LXXIV.

Publication        Constantinople [Amsterdam], 1774.

Description       XX-192 p. in-8°.

Un exemplaire de cette édition (1774) figure à la BM d’Angers

( Cote : 1666, BELLES-LETTRES )

 

 

 

 

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