LE BALAI
par
Henri-Joseph
Dulaurens
Comparaison de deux éditions :
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Les
différences sont spécifiées en rouge
dans l’édition de 1774
ÉPÎTRE
EPITRE
A
l’AUTEUR
DE LA
PUCELLE.
Monsieur,
La
sagesse était un manche à Balai qui tomba du Ciel ; en tombant
il fut brisé par la Foudre, en mille pieces minces comme nos
allumettes. Un homme qui n’était pas sot, en ramassa quelques
éclats auprès du Temple d’Iphis, & alla trouver un peuple fort
vilain, à qui il dit : Vous êtes le triomphe de la crasse &
de la ladrerie. Si vous voulés avoir le manche à Balai, faites comme
les chats, commencés par couvrir proprement votre ordure, lorsque
vous ferés ce que les gentils font si décemment sur leurs chaises
percées ; que vos femmes changent tous les mois de
chemise : cela est fort honnête ; & gardés vous
sur-tout de manger des Omelletes au lard, ni de poulet picqué. Ce
peuple stupide ne mangea point de poulet picqué, & crut avoir le
manche à Balai. Quelques centaines d’années après des gens fort
respectables par la droiture de leur cœur & la pureté de leur
morale avaient ramassé tous les morceaux du manche à Balai, dans les
environs de Bethanie. Ils vinrent dans le païs des Paiens bâtir un
édifice, dont la structure parut belle, parce qu’elle était
simple. Leurs successeurs, qui aimaient mieux l’or que les pacquets
d’allumettes, renverserent l’édifice, firent un temple à peu
près semblable au Panthéon d’Adrien : prirent les morceaux du
manche à Balai, les lierent ensemble & se battirent avec. C’est
ce que nous appellons depuis dix-sept cens ans la legion militante. Un frippon adroit vint avec un pacquet d’allumettes d’une main
& une épée de l’autre : Ecoutés, s’écria t il, j’ai
fait mes caravannes dans la lune, j’ai bu dans la chopine de mon
camarade, l’Ange Gabriel. Je tiens le manche du Balai par le bon
bout, vous m’obéirés ou je vous tuerai. Ceux qui ont annoncé les
manches à Balai avant moi, n’ont point fait cette petite
Cérémonie d’abord : mais assommer les gens avant ou après, c’est
une misere qui revient au même. Des gens fourés de poil & d’argumens in
Baroco se sont avisé de prendre le titre du manche à Balai. Les
sages maîtres ont pretendu être sages à cause qu’ils avaient
troublé les consciences, rempli la France de persécuteurs & de
persécutés. Ils soutiennent sur des morceaux de bois, qu’ils
nomment des bancs, que sans les allumettes de Tournelli, du
Grand Colas, de Colin & de Colette, on n’aurait point le manche
à Balai. Une multitude de Sauterelles reste de cette plaïe, qui affligea l’Egipte
sous Pharaon, Vermine oiseuse qui ronge depuis si longtems les épics
de nos bleds & les fleurs de nos vignes, crierent par-tout qu’ils
avaient le manche à Balai, que pour avoir des brimborions de leurs
allumettes, il fallait renoncer à l’utilité publique, que les
filles sur-tout, laissassent infecter dans leur sein par le soufle du
néant les germes créateurs que la main féconde de l’Etre suprême
y avait mis pour éclore. La fureur d’avoir le manche à Balai
peupla des maisons immenses de gens oisifs, où ces voleurs de la
société jouissent des sueurs & du sang de ceux qui travaillent
& qui sont plus sages. Nous serions inconsolables, Monsieur, des malheurs du manche à Balai,
nous douterions presque de son existence, si les Dames ne nous avaient
conservé précieusement ce dépot sacré. Interrogés toutes les
femmes, elles vous diront qu’elles ont le manche à Balai. S’il
faut nécessairement de la bonne foi dans ce monde pour être trompé,
qu’il est galant de croire aux jolies femmes ! J’ai vu des
filles très gentiles qui souflaient tous les jours comme les
Canadiennes sur les allumettes de leurs amoureux, me jurer sur leur
honneur, qu’elles tenaient un beau brin du manche à Balai. Je crois
volontiers à tout cela, je suis comme les Parisiens : ils sont
si persuadés que leur fidele moitié est pourvue de ce rare manche qu’ils
sont les époux les plus complaisans & les plus tranquiles de l’univers.
N’est il pas vrai, Monsieur, que cela n’est point méchant, que
vous aimeriés mieux les maris credules que les bêtes fourées qui
sont plus feroces. Dans la marche des Epitres dedicatoires un Auteur doit toujours parler
de lui. Pour suivre l’usage je vous dirai, Monsieur, que je suis
Chinois, natif de Pekin. Je reside depuis cinq mois à Constantinople
Dès ma jeunesse je fus amené en Flandres par des
Missionnaires Jésuites qui avaient marché sur le Crucifix au Japon
& delà avaient passé à la Chine. Eloigné de mes Penates on me
fit bientôt oublier le culte de Tien, mais non pas les sages Conseils
de Confucius & la loi de nos Lettrés, qui admirent autant vos
ouvrages que les Européans : dans une de leur grande assemblée,
ils ont démontré par des calculs d’Algébre que vous aviés seul
en France tous les morceaux du manche à Balai. En fait de goût, de
calcul & de verité, on doit croire nos Philosophes, ils n’ont
point de bénéfice en nous trompant. Je fus baptisé à Douai à l’âge de seize ans par le fameux Pere Duplessis,
qui a tapissé de Calvaires les grands chemins de France. On me nomma
sur les Saints fonds de Baptême Modeste, Tranquille. J’eus
pour Marainne la Révérende Mere Amidon, premiere Tourriere du
couvent de Sin, qui m’apprit la guerre du Balai & toutes les
medisances de son Cloître ; c’était une bonne fille que ma
marainne, elle est aujourd’hui devant Dieu ; que le Ciel lui
fasse paix : je la recommande à vos saintes prieres. Le lendemain de mon Baptême je fis la connaissance d’une jolie
fille qui me faisait plaisir & qui n’avait rien de caché pour
moi. Ma maîtresse était Poëte, faisait voluptueusement des chansons
tendres ; vous voiés qu’avec des talens, des graces & un cœur
qui disait toujous [sic]
oui, le mien, qui n’était point méchant, ne pouvait dire non. Eh
bien, Monsieur, les Jésuites s’apperçurent que j’aimais plus les
filles, que leur Société. Ces Révérends, qui ne s’attachent
point aux visages, me tracasserent comme ils tracassent tout le
monde : pour échapper à leur ressentiment, je quittai ma
maitresse & ma fortune, je vins à Constantinople, où je porte
depuis deux mois, des pacquets à la messagérie pour la Mecque. Pourquoi tous
les Frérons n’en font ils pas de même. Si vous aviés Monsieur, quelques pacquets à faire passer au Mouphti
ou au grand Penitencier de la grande Mosquée, je me charge de les
porter gratis, à condition que vous agrerés pour tel usage qu’il
vous plaira, le Poëme que j’ai l’honneur de vous dedier. Je suis
avec toute la Chine & l’Europe
MONSIEUR,
A Constantinople,
Votre Admirateur
de la Lune de
Modeste
Tranquile
ma femme, le 3.
XAN-XUNG.
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EPITRE
A l’AUTEUR
DE LA
PUCELLE.
Monsieur,
LA Sagesse est
un manche à Balai qui tomba du Ciel ; en tombant,
il fut brisé par la foudre, en mille pieces minces comme nos allumettes. Un homme qui
n’était pas sot, en ramassa quelques éclats auprès du Temple d’Iphis,
& alla trouver un peuple fort vilain, à qui il dit : Vous
êtes le triomphe de la crasse & de la ladrerie. Si vous voulez
avoir le manche à Balai, faites comme les chats ;
commencez
par couvrir proprement votre ordure, lorsque vous ferez
ce que les gentils font si décemment sur leurs chaises
percées ; que vos femmes changent tous les mois de chemise ;
cela est fort honnête ; & gardez-vous sur-tout de manger des Omelettes
au lard, ni de poulet piqué. Ce peuple stupide ne mangea point de poulet piqué,
& crut avoir le manche à Balai. Quelques centaines d’années après,
des gens fort respectables par la droiture de leur cœur & la
pureté de leur morale,
avaient ramassé tous les morceaux du manche à Balai, dans les
environs de Bethanie. Ils vinrent dans le pays des Païens
bâtir un édifice, dont la structure parut belle, parce qu’elle
était simple. Leurs successeurs, qui aimaient mieux l’or que les paquets
d’allumettes, renverserent l’édifice, firent un temple à peu
près semblable au Panthéon d’Adrien, prirent les morceaux du
manche à Balai, les lierent ensemble,
& se battirent avec. C’est ce que nous appellons depuis dix-sept
cent
ans la légion
militante. Un fripon adroit vint avec un paquet
d’allumettes d’une main & une épée de l’autre : Ecoutez,
s’écria-t-il,
j’ai fait mes caravannes dans la lune, j’ai bu dans la chopine de
mon camarade, l’Ange Gabriel. Je tiens le manche du Balai par le bon
bout, vous m’obéirez
ou je vous tuerai. Ceux qui ont annoncé les manches à Balai avant
moi, n’ont point fait cette petite Cérémonie d’abord ;
mais assommer les gens avant ou après, c’est une misere qui revient
au même. Des gens fourrés
de poils
& d’argumens in Baroco, se sont avisés
de prendre le titre du manche à Balai. Les sages maîtres ont prétendu
être sages à cause qu’ils avaient troublé les consciences, rempli
la France de persécuteurs & de persécutés. Ils soutiennent sur
des morceaux de bois
qu’ils nomment de bancs, que sans les allumettes de Tournelli, du Grand Colas,
de Colin & de Colette, on n’aurait point le manche à Balai. Une multitude de sauterelles,
reste de cette playe qui affligea l’Egypte
sous Pharaon ;
Vermine oiseuse qui ronge depuis si long-temps
les épics de nos bleds & les fleurs de nos vignes, crierent
par-tout qu’ils avoient
le manche à Balai, que pour avoir des brimborions de leurs
allumettes, il fallait renoncer à l’utilité publique, que les
filles, sur-tout, laissassent infecter dans leur sein par le souffle du néant,
les germes créateurs que la main féconde de l’Etre suprême y
avait mis pour éclore. La fureur d’avoir le manche à Balai peupla
des maisons immenses de gens oisifs, où ces voleurs de la société
jouissent des sueurs & du sang de ceux qui travaillent & qui
sont plus sages. Nous serions inconsolables, Monsieur, des malheurs du
manche à Balai, nous douterions presque de son existence, si les
Dames ne nous avaient conservé précieusement ce dépôt
sacré. Interrogez
toutes les femmes, elles vous diront qu’elles ont le manche à
Balai. S’il faut nécessairement de la bonne foi dans ce monde pour
être trompé, qu’il est galant de croire aux jolies femmes ! J’ai
vu des filles très-gentilles
qui soufflaient
tous les jours comme des Canadiennes sur les allumettes de leurs amoureux, me jurer
sur leur honneur, qu’elles tenaient un beau brin du manche à Balai.
Je crois volontiers à tout cela, je suis comme les Parisiens :
ils sont si persuadés que leur fidelle moitié est pourvue de ce rare manche,
qu’ils
sont les époux les plus complaisants & les plus tranquilles
de l’univers. N’est-il pas vrai, Monsieur, que cela n’est point méchant, que
vous aimeriez mieux les maris crédules
que les bêtes fourrées
qui sont plus féroces ? Dans la marche des Epîtres
Dédicatoires
un Auteur doit toujours parler de lui. Pour suivre l’usage,
je vous dirai, Monsieur, que je suis Chinois, natif de Pékin.
Je réside
depuis cinq mois à Constantinople. Dès ma jeunesse je fus amené en
Flandres par des Missionnaires Jésuites qui avaient marché sur le
Crucifix au Japon, & de-là
avaient passé à la Chine. Eloigné de mes Penates,
on me fit bientôt oublier le culte de Tien, mais non pas les sages
Conseils de Confucius & la loi de nos Lettrés, qui admirent
autant vos ouvrages que les Européens : dans une de leurs
grandes assemblées, ils ont démontré par des calculs d’Algebre
que vous aviez
seul en France tous les morceaux du manche à Balai. En fait de goût,
de calcul & de vérité,
on doit croire nos Philosophes, ils n’ont point de bénéfice en
nous trompant. Je fus baptisé à Douai à l’âge de seize ans,
par le fameux pere
Duplessis,
qui a tapissé de calvaires les grands chemins de France. On me
nomma sur les saints fonds de Baptême,
Modeste-Tranquille.
J’eus pour Marraine la Révérende mere
Amidon,
premiere Tourriere du couvent de Sin, qui m’apprit la guerre du Balai,
& toutes les médisances de son Cloître ; c’était une
bonne fille que ma Marraine, elle est aujourd’hui devant
Dieu ; que le Ciel lui fasse paix : je la recommande à vos
saintes prieres. Le lendemain de mon Baptême je fis la connaissance d’une
jolie fille, qui me faisait plaisir & qui n’avait rien de caché
pour moi. Ma maîtresse était Poëte, faisait voluptueusement des
chansons tendres ; vous voyez qu’avec des talens, des graces & un cœur qui disait
toujours
ouï,
le mien, qui n’était point méchant, ne pouvait dire non. Eh bien,
Monsieur, les Jésuites s’apperçurent que j’aimais plus les
filles, que leur Société. Ces Révérends, qui ne s’attachent
point aux visages, me tracasserent comme ils tracassent tout le
monde : pour échapper à leur ressentiment, je quittai ma maîtresse
& ma fortune, je vins à Constantinople, où je porte depuis deux mois
des paquets
à la messagerie
pour la Mecque. Pourquoi
tous les Frérons n’en font-ils pas de même ? Si vous aviez,
Monsieur, quelques paquets à faire passer au Mouphti ou au grand Pénitencier
de la grande Mosquée, je me charge de les porter gratis, à condition
que vous agrérez
pour tel usage qu’il vous plaira, le Poëme que j’ai l’honneur
de vous dédier.
Je suis avec toute la Chine & l’Europe,
MONSIEUR,
Votre Admirateur,
Modeste-Tranquille
XAN-XUNG.
A Constantinople,
de la Lune de
ma femme, le 3.
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PRÉFACE
PREFACE
Crede
mihi, mores distant à carmine nostro : Vita
verecunda, musa jocosa mihi.
Le
Poëte doit être sage : Pour
ses vers, il importe peu ; Il
n’aurait ni grace ni jeu, Sans
un air de libertinage.
A
mon arrivée à Constantinople j’eus le bonheur de voir de mes yeux
profanes le saint Balai, qui avait balaïé en 1761 la sainte chapelle
de la Mecque. Il était porté processionellement sous un dais, par un
grand Penitencier de Mahomet, qui allait dans le Royaume de Golconde
curer la large conscience du grand Arungeberg. Il était suivi de tous
les Bacha [sic] à trois
queues, des Dévotes & des vieilles Dames du serail, qui tenaient
en main des grands chapelets Musulmans de la belle taille des Rosaires
Espagnols. Le P. Pancrace, Capucin indigne, que l’Ambassadeur de
France avait amené à la Porte avec les pacotilles de sa cuisine,
était auprès de moi à voir passer ce cortege. L’habit, la figure
du Capucin, capables de faire reculer une procession romaine, auraient
occasionné quelques lacunes dans celle du S Balai, si les Dervis de
la cour étaient des gens à faire attention à des Capucins. Le P.
Pancrace, en voiant cette cérémonie, disait à chaque instant :
Quel scandale ! les Turcs sont damnés... notre P. Saint
François avait un chapelet : mais, grace à la Ste Vierge, il y
avait au bout une croix, une medaille du Pape, un vrai S. Suaire &
beaucoup d’Agnus Dei. Le Révérend Pere eut arraché les yeux à
quelque Dervis de la fête, tant il paraissait animé du vrai zele :
il n’osa remuer, à cause qu’il y avait ce jour-là, à
Constantinople, plus de circoncis que d’anes-bâtés. Des gens qui ne font rien, qui citent toujours à cause qu’ils n’ont
rien à faire, un vieux livre où est écrit, L’ouvrier est digne
de son salaire, ne manqueront point de tenir sur ce Poëme, les
propos que le P. Pancrace tenait sur la procession du S. Balai. Quel
scandale, diront-ils ! comment se moquer du P. Ignace, plaisanter
le Rosaire, attaquer les gros marchands de chapelets, tirer sans cesse
sur les Moines, ces braves Serviteurs inutiles de l’Evangile !
oh cela est effroïable : on passerait ces miseres à l’Auteur,
s’il n’avait point touché à nos gouvernantes. Quoi, nos filles,
toutes dévouées à notre mere la sainte Eglise, des saintes
créatures remplies de notre onction. Ah ! cela est misérable.
Nous voions bien que l’Auteur est un Chinois qui n’a point de
Bénéfice ni de Gouvernante : il faut que la Justice rotisse le
Balai & le Poëte ; cela est conforme à l’écriture qui
dit expressément au sixieme commandement, tu ne tueras point. Je n’ai point fait ce Poëme en France pour trois raisons ; la
premiere c’est qu’on doit jamais fronder les usages du païs qu’on
habite, la seconde à cause des honnêtes gens, & la troisieme par
égard pour mon grand pere. En France on met Mahomet sur le Théatre, Arlequin lui fait boire
chopine du meilleur vin de la cave du Mouphti à ce qu’il assure au
parterre. Si Arlequin venait représenter cette piece à
Constantinople, il serait empalé : j’en serais fâché pour
lui, car il m’a fait rire. Si les Comédiens de Sa Hautesse allaient
à Rome faire manger un chapon au S. Pere le vendredi saint, ils
seraient brûlés, parce que la sainte Inquisition ne rit point.
Voilà ce qui m’a fait respecter les usages du païs que j’habitai,
car il est aisé de voir que l’on à [sic]
raison à Constantinople, qu’on a encore raison à Rome, & que
toutes ces raisons prouvent fort bien qu’une partie du monde se
mocque de l’autre. Je n’ai point fait ce Poëme en France, dans la crainte d’offenser
les honnêtes gens, à cause que les honnêtes gens se fâchent plus
aisément que ceux qui ne sont point honnêtes. Les honnêtes gens m’auraient
dit : Mr. Modeste, votre ouvrage est rempli d’immodestie :
nous aimons la décence & une preuve que nous la cherissons, c’est
qu’on a fait dix-sept éditions de la Pucelle que nous avons
épuisées dans six semaines. Je n’ai point fait ce Poëme à Paris, à cause de mon grand Pere :
mon grand Pere était un Gentilhomme aussi noble que notre dernier
Empereur, lorsqu’il vendait des verres à tous les bouchons du païs,
& des flacons à toutes les femmes de chambre de Pekin. Il s’avisa
de vendre des galons d’or, qui n’étaient point de verre
il fit tomber son arbre généalogique : bref, ce bon
grand Pere qui était très connaisseur me disait : Xan-Xung, la
tête te conduira loin, si tu voïages en France, avec ton maigre
talent de faire de méchans vers, ne rime jamais que des Salve-Regina,
des petits bouquets à Cloé, que tu feras enterrer dans le Mercure.
Si tu vas en Espagne, chante les onze mille vierges & prends garde
d’en échapper une, car les Jacobins ne te manqueraient pas. Si tu
vas en Turquie trouve la circoncision admirable, assure à tous les
Dervis que cette opération, qui fait du mal & ne produit aucun
bien, est parfaitement imaginée. A Rome ne t’avise point d’y
aller. Le païs est plein de fagots bénis. En Prusse, tu peux y
séjourner hardiment. Un Roi qui fait de si beaux vers, qui éclaire
les arts, instruit son Peuple, est assurément le Souverain d’un
païs où il est permi d’avoir raison. Je fis ce Poëme en vingt-deux jours, parce que je n’aime pas à
pâlir longtems sur un même ouvrage quand je meurs de faim : mes
vers se sentent de cette précipitation : on s’appercevra qu’ils
sont mal nourris. Je n’ai point suivi dans cet ouvrage les conseils
du P. Rappin, la Poëtique d’Aristote, le sublime allongé par
Longin, inutilement encore allongé par Despreaux. Il ne faut point
tant d’ingrédiens pour chanter un morceau de bois ou les chevilles
de Maître Adam. Les préceptes
de l’Art sont ceux de la Nature. Je me flatte que cette piece sera accueillie favorablement du
public : ce qui m’assure un applaudissement général, c’est
que j’ai rencontré à Constantinople un de mes amis de Paris,
garçon boulanger de la rue Jean Pain molet, de la Paroisse de....
de..... Je ne me rappelle plus le nom de la Paroisse, c’est bien
dommage. Mon ami était un garçon un peu froid, mais d’un cœur
aussi bon que le bon pain, il m’aimait si terriblement qu’il eut
ôté les morceaux de sa bouche pour me les donner, si j’avais voulu
les agréer : il ne faut point user ses amis
Un Poëte qui a des chausses honnêtes & du crédit à
Paris chés un boulanger, est un homme en pied qui peut braver ses
confreres. Mon ami était un jeune homme lettré aussi prodigieusement que le
sont ordinairement les garçons boulangers. Il savait des choses fort
curieuses sur sa famille & des anecdotes sur son parain Monsieur
Gilles Claude Blaise Branbrin Pisse-Chouville, un des plus forts
négocians de la rue des deux anges. Ce garçon se nommait Pierre
Bagnolet, il descendait en ligne froide du fameux Pierre Bagnolet qui
avait si peur de la bise, & qui faisait si bien les choses sur le
cul du four lorsqu’il n’avait point froid. Je communiquai ce
Poëme à son petit-fils. Pierre trouva mes vers aussi beaux que tous
ceux qu’on avait faits pour son grand Pere. J’espere que le public
unira ses suffrages à celui du petit-fils du grand Pierre Bagnolet,
qui a chanté si longtems.
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PREFACE
Crede mihi, mores distant à carmine nostro : Vita verecunda, musa jocosa mihi.
Le
Poëte doit être sage : Pour
ses vers, il importe peu ; Il
n’aurait ni grace,
ni jeu, Sans
un air de libertinage.
A
Mon
arrivée à Constantinople, j’eus le bonheur de voir de mes yeux
profanes le Saint
Balai, qui avait balaïé en 1761 la Sainte Chapelle de la Mecque. Il était porté
processionellement sous un dais, par un grand Pénitencier
de Mahomet, qui allait dans le Royaume de Golconde curer la large
conscience du grand Arungeberg. Il était suivi de tous les Bachas à trois queues, des Dévôtes
& de
vieilles Dames du sérail,
qui tenaient en main des grands chapelets Musulmans de la belle taille
des Rosaires Espagnols. Le Pere Pancrace, Capucin indigne, que l’Ambassadeur de France
avait amené à la Porte avec les pacotilles de sa cuisine, était
auprès de moi à voir passer ce cortege. L’habit, la figure du
Capucin, capables de faire reculer une procession Romaine, auraient occasionné quelques lacunes dans celle du Saint
Balai, si les Dervis de la Cour étaient des gens à faire attention à des Capucins. Le Pere
Pancrace
en voyant
cette cérémonie, disait à chaque instant : Quel
scandale ! les Turcs sont damnés... notre Pere Saint François avait un chapelet : mais, graces
à la Sainte
Vierge, il y avait au bout une croix, une médaille du Pape, un vrai Saint
Suaire,
& beaucoup d’Agnus Dei. Le Révérend Pere eût arraché les yeux à quelques
Dervis de la fête, tant il paraissait animé du vrai zele : il n’osa
remuer, à cause qu’il y avait ce jour-là, à Constantinople, plus
de circoncis que d’ânes-bâtés. Des gens qui ne font rien, qui citent toujours,
à cause qu’ils n’ont rien à faire, un vieux livre où est
écrit, L’ouvrier est digne de son salaire, ne manqueront
point de tenir sur ce Poëme
les propos que le Pere
Pancrace tenait sur la procession du Saint Balai. Quel scandale, diront-ils ! comment se moquer
du Pere
Ignace, plaisanter le Rosaire, attaquer les gros marchands de
chapelets, tirer sans cesse sur les Moines, ces braves serviteurs
inutiles de l’Evangile ! oh cela est effroyable :
on passerait ces miseres à l’Auteur, s’il n’avait point touché
à nos gouvernantes. Quoi, nos filles, toutes dévouées à notre mere
la sainte Eglise, des saintes créatures remplies de notre onction !
Ah ! cela est misérable. Nous voyons bien que l’Auteur est un Chinois,
qui n’a point de Bénéfice,
ni de Gouvernante : il faut que la Justice rôtisse
le Balai & le Poëte ; cela est conforme à l’Ecriture
qui dit expressément au sixieme commandement, tu ne tueras point. Je n’ai point fait ce Poëme en France pour trois
raisons ; la premiere, c’est qu’on doit jamais fronder les
usages du Pays qu’on habite ; la seconde à cause des honnêtes gens ;
& la troisieme par égard pour mon grand-pere. En France on met Mahomet sur le Théâtre :
Arlequin lui fait boire chopine du meilleur vin de la cave du Mouphti,
à ce qu’il assure au parterre. Si Arlequin venait représenter
cette piece à Constantinople, il serait empalé ; j’en serais fâché pour lui, car il
m’a fait rire. Si les Comédiens de Sa Hautesse allaient à Rome
faire manger un chapon au Saint Pere le Vendredi Saint, ils seraient brûlés, parce que la Sainte
Inquisition ne rit point. Voilà ce qui m’a fait respecter les
usages du Pays
que j’habitais ;
car il est aisé de voir que l’on a raison à Constantinople, qu’on a encore raison à Rome,
& que toutes ces raisons prouvent fort bien qu’une partie du
monde se moque
de l’autre. Je n’ai point fait ce Poëme en France, dans la crainte d’offenser
les honnêtes gens, à cause que les honnêtes gens se fâchent plus
aisément que ceux qui ne sont point honnêtes. Les honnêtes gens m’auraient
dit : Mr. Modeste, votre ouvrage est rempli d’immodestie :
nous aimons la décence ; & une preuve que nous la chérissons,
c’est qu’on a fait dix-sept éditions de la Pucelle que nous avons
épuisées dans six semaines. Je n’ai point fait ce Poëme à Paris, à cause de mon grand-pere ;
mon grand-pere
était un Gentilhomme aussi noble que notre dernier Empereur, lorsqu’il
vendait des verres à tous les bouchons du Pays, & des flacons à toutes les
femmes de chambre de Pékin. Il s’avisa de vendre des galons d’or, qui n’étaient
point de verre ; il fit tomber son arbre généalogique ; bref,
ce bon grand-pere
qui était très-connaisseur,
me disait ;
Xan-Xung, la tête te conduira loin, si tu voyages en France, avec ton maigre talent de faire de méchants
vers, ne rime jamais que des Salve Regina, des petits bouquets à Chloé,
que tu feras enterrer dans le Mercure. Si tu vas en Espagne, chante
les onze mille Vierges
& prends garde d’en échapper une, car les Jacobins ne te
manqueraient pas. Si tu vas en Turquie,
trouve la circoncision admirable, assure à tous les Dervis que cette
opération, qui fait du mal & ne produit aucun bien, est
parfaitement imaginée. A Rome,
ne t’avise point d’y aller. Le Pays est plein de fagots bénis. En Prusse, tu peux y
séjourner hardiment. Un Roi qui fait de si beaux vers, qui éclaire
les arts, instruit son Peuple, est assurément le Souverain d’un Pays
où il est permis
d’avoir raison. Je fis ce Poëme en vingt-deux jours, parce que je n’aime
pas à pâlir long-temps sur un même ouvrage quand je meurs de faim ;
mes vers se sentent de cette précipitation ; on s’appercevra qu’ils sont mal
nourris. Je n’ai point suivi dans cet ouvrage les conseils du P.
Rappin, la Poëtique d’Aristote, le sublime allongé par Longin,
inutilement encore allongé par Despréaux. Il ne faut point tant d’ingrédients
pour chanter un morceau de bois ou les chevilles de Maître Adam. Les
préceptes de l’Art sont ceux de la Nature. Je me flatte que cette piece sera accueillie favorablement
du public ;
ce qui m’assure un applaudissement général, c’est que j’ai
rencontré à Constantinople un de mes amis de Paris, garçon
boulanger de la rue Jean-Pain-Mollet,
de la Paroisse de..... de..... Je ne me rappelle plus le nom de la Paroisse, c’est
bien dommage. Mon ami était un garçon un peu froid, mais d’un cœur
aussi bon que le bon pain ; il m’aimait si terriblement,
qu’il eût
ôté les morceaux de sa bouche pour me les donner, si j’avais voulu
les agréer ;
il ne faut point user ses amis. Un Poëte qui a des chausses honnêtes & du crédit à
Paris chez un boulanger, est un homme en pied,
qui peut braver ses confreres. Mon ami était un jeune homme lettré,
aussi prodigieusement que le sont ordinairement les garçons
boulangers. Il savait des choses fort curieuses sur sa famille &
des anecdotes sur son Parrain
Monsieur Gilles-Claude-Blaise-Brainbrin-Pisse-Chouville,
un des plus forts négociants de la rue des deux anges. Ce garçon se nommait Pierre Bagnolet ;
il descendait en ligne froide du fameux Pierre Bagnolet ;
qui avait si peur de la bise, & qui faisait si bien les choses sur
le cul du four lorsqu’il n’avait point froid. Je communiquai ce
Poëme à son petit-fils. Pierre trouva mes vers aussi beaux que tous
ceux qu’on avait faits pour son grand-pere.
J’espere que le Public
unira ses suffrages à celui du petit-fils du grand Pierre Bagnolet,
qui a été
chanté si long-temps.
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CHANT PREMIER
CHANT PREMIER. La Moinerie montée sur un Balai, apporte dans la nuit un Reliquaire à
sœur Ursule. Aimable
Eglé, tu veux donc que je chante Ces fiers
débats, cette guerre éclatante, Qu’un vieux
Balai, qu’un dépit insolent, Firent trois
mois régner dans un couvent. Ton cœur
l’ordonne, & ma main va l’écrire. Puisse le Dieu
qui préside à ta lire, Unir sa voix à
mes timides chants, Et me prêter
ta grace & tes accens ! Sur l’un des bords de la Scarpe tranquile, Loin des
mondains, s’élève un saint azile ; Quarante sœurs
jouïssent dans ce lieu Du triste
honneur d’avoir fait à leur Dieu Comme Jepthé,
des sermens téméraires. Le tems perdu
sous ces toits solitaires File est [sic] baillant sur des fuseaux d’airain, Des jours
d’horreurs, de trouble & de chagrin. Jamais la paix
n’habite ce lieu sombre ; Pour compagnon
chaque sœur a son ombre, Pour plaire à
Dieu l’habit de la vertu, Et pour espoir
dans son cœur abattu L’affreux
néant d’un état qu’elle abhorre, Le souvenir
d’un monde qu’elle adore, Et que l’amour
lui peint encor plus beau. Sin (*) est le nom de ce triste
tombeau. Dans ce séjour
de la faible innocence, Du saint
murmure, & de la médisance, Depuis cent
ans un unique Balai Servait, dit-on,
à nos sœurs de Douai, Pour nétoyer
le parloir & la Sale, Les deux
dortoirs, l’ouvroir, l’abbatiale, Et tous les
trous de leur vieille maison. Dans le
chapitre, au coin d’une cloison, Un saint usage
avait marqué sa place ; Dans aucun
tems, la Monastique audace N’osait
toucher à cet emplacement : Car sur ce
point, la regle clairement, Dans un statut
doublement canonique, Expliquait
bien l’usage & la rubrique. Ce point suivi
sans contestation, Faisait
honneur à la Religion ; Quand certain
jour l’aveugle Moinerie, De la Rubrique
implacable ennemie, Bravant la
regle, & Blasphémant ce soin, Vint déranger
le Balai de son coin. Muse, dis nous comment dans cette grille Un monstre
affreux vint tromper une fille, Comment il fit
servir à ses desseins Une ame pure,
& vingt oisives mains. Depuis trois mois cachés aux yeux du monde, Les noirs
chagrins, & la haine profonde, Dévotement
déchiraient dans ce lieu Quarante cœurs
consacrés au bon Dieu. L’entêtement,
ce vice de l’enfance, Parlait tout
haut, & préparait d’avance Une ame
ardente à ces impressions, Et propre
enfin aux grandes actions. Ce cœur coupable, était celui d’Ursule Nonne
intrépide, & ferme comme Hercule, Qui pour
s’instruire avait lu mainte fois Des Paladins
les terribles exploits, Du grand
Sancho la bravoure immortelle, Et les travaux
de la Sainte Pucelle, Qui conserva
sous un vieux jupon court, Le Roi des
Francs, l’Oriflâme & la Cour. Ces sots récits d’un siecle ridicule Avaient
troublé dans le cerveau d’Ursule, Certain
instinct un peu stigmatisé, Et dans ce
lieu fort mal organisé, Ce crâne
étroit, meublé de ces prodiges, Déja fameux
par ses anciens vertiges, Depuis trois
mois combinait sourdement Le grand
projet d’abîmer saintement L’autorité des
meres vénérables ; Quand, dans la
nuit à ces desseins coupables Un monstre
affreux vint souffler à la sœur Son fiel amer
& sa prompte fureur. Pour mieux tromper la jeune cénobite La Moinerie
avait pris d’un Jésuite L’air composé,
le regard tapinois, Et l’ajusté de
Monsieur saint François. Un Capuchon
couvrait sa vieille tête : Un Reliquaire
en sa main déshonnête Brillait des
feux dont rougit la pudeur : Son sang
impur, échauffé par l’ardeur Du saint
Cordon de l’Ordre Séraphique, Faisait monter
dans son œil impudique, Les sales feux
qui consumaient ses reins : Sur son noir
front la haine, de ses mains, Avait tracé
ces mots épouventables : ” Sur
l’innocent lance tes traits coupables ; ” N’épargne
rien, que rien ne te soit cher : ” Le cœur d’un
moine est du siecle de fer. Ainsi le monstre alla trouver Ursule. Dans une
alcove, au fond d’une cellule, La propreté,
cette vertu des Saints, Avait dressé,
de ses modestes mains, Un lit mollet,
une couche brillante ; L’éclat du
lis, celui de l’amaranthe, Du Pavillon
nuancaient [sic] les couleurs ; Les rideaux
teints du feu des autres fleurs, Malgré la
nuit, reproduisaient encore Le jour
naissant de la brillante aurore. Dans ce réduit plus riant que Samos, L’aimable sœur
dans les bras du repos Respirait
l’air qu’on respire à Cythere ; Du noir dépit,
des feux de sa colere Son jeune sein
n’était point agité ; Et la pâleur
de la virginité, Ne voilait
point la beauté de ses charmes. Un jeune
enfant à qui tout rend les armes, Du vif éclat
de son flambeau divin Avait rougi
l’albâtre de son teint. Le doux
sommeil, dans un rêve paisible, Livrait son
ame à l’image sensible Des saints
danger de Robert d’Arbrissel : Souvent un
songe est un bonheur réel. Pour adoucir
nos courtes destinées, L’ennui
constant de nos tristes journées, Les Dieux ont
fait les songes bienfaisans, Et les desirs
trop nombreux pour nos sens. Plein du courroux dont la fievre le brûle, Le noir
fantôme avance vers Ursule. Déja ses yeux,
sans émouvoir son cœur, Ont contemplé
les charmes de la sœur. D’un sein
naissant la blancheur éclatante S’offrait sans
voile à la vue effrayante. Quoi, monstre
affreux ! tu n’en fus point touché, Quoi !
vis-à-vis d’un si joli péché Tu fus de
marbre ?.... Ah ! qu’Ursule était belle ! Non, chez les
Dieux, la Déesse immortelle Qu’Endimion
vit sans témérité, N’égala point
l’éclat de sa beauté. Vous, qui cachés dans cette grille austere Mille agrémens
révérés à Cythere, Voiles épais,
Guimpes & Guénillons, Bénits des
mains des Guis (*) des
Baglions, Hé pourquoi
donc, à ses regards coupables, Ne voiliés
vous ces charmes adorables ? Sur ce beau
sein il fallait demeurer : C’est l’amour
seul qui doit vous déchirer. Le monstre enfin harangue l’héroïne : O vous,
dit-il, qu’une faveur divine Comble
aujourd’hui d’un bonheur pur & vrai, Vous tairés
vous, en voiant un Balai Tenir son coin
constamment au chapitre ? Quoi !
dans ce lieu, sans raison & sans titre, Un sot usage,
la folie & le tems, L’auront fixé
depuis près de cent ans ; Et sous des
loix que l’infirme vieillesse, Dicta jadis
dans ses momens d’yvresse, Où
l’amour-propre ébloüit les esprits, Vos jeunes
cœurs, seront-ils donc soumis ? Non, non,
bravés la vieillesse & l’usage, Rompés ma
sœur, les fers de l’esclavage : L’homme est né
libre, & s’il doit obéir C’est à
l’amour, à son cœur, au plaisir. Si contre
vous, les meres vénérables Veulent armer
leurs rides effroyables, Ne craignés
point ces fronts glacés d’horreur ; Chaque animal
doit porter sa couleur. Vos jeunes ans
qu’accompagnent les graces, Les ris, les
jeux, qui volent sur vos traces, A votre char
attacheront les cœurs ; Et le crédit
de vos antiques sœurs Peut-il tenir
à l’asp[e]ct de vos charmes ? Sans pitié,
voiés couler leurs larmes, C’est à
l’hiver, à répandre des pleurs ; C’est au
printems à nous donner des fleurs. Déja le Ciel sensible à votre gloire, Veut éclairer
des feux de la Victoire Vos grands
combats, vos illustres destins. Pour assurance
acceptés de ses mains Ce gage
heureux, ce sacré Reliquaire, Où, sous les
yeux du Maître de Cythere, Vulcain grava,
de sa main, autrefois Du beau Girard
les amoureux exploits. Jamais mortel
n’égala ce grand homme ; Sa main brisa
les autels de Sodome. Vous le savés,
notre Regle jadis Foulait aux
pieds les mirthes de Cypris ; Et la nature
au niveau de la Grace, Entre nos
mains n’était point efficace. L’heureux
Girard corrigea nos statuts, Et sous les
feux de la tendre Vénus, On vit bientôt
disparaître en Provence, Tous les faux
Dieux de Rome & de Florence, Que
Duchauffour encensait autrefois. De ce Licurgue
imités les exploits : Faites tomber
vos stupides Rubriques, Foullés aux
pieds ces folles loix antiques ; Pour triompher
faites voir à vos sœurs Ce gage
heureux des célestes faveurs. Dans le
contour de ce Saint Reliquaire Voiés, ma
sœur, la dévote Cadiere, Tous les
plaisirs animent ses appas ; Sur son beau
sein, comprimé dans ses bras, Un directeur
instruit son ame tendre ; Sur ses lecons
[sic] l’amour semble répandre Ces feux amis
qui couronnent les Dieux. O couple
uni ! couple béni des Cieux ! Couvrés vos
fronts des roses de Cythere : Dieu fit l’amour
pour embellir la terre, Et le plaisir
pour enchanter vos cœurs. Allés, portés ce saint gage à vos sœurs ; Armés, armés
leurs mains victorieuses ; Et déchirés
les regles odieuses, Qu’un Dieu
tyran vous dicta dans ce lieu. Le fanatisme
est le nom de ce Dieu : Ce monstre est
né des feux du sanctuaire ; Du zele ardent
il prend le caractere ; Le fer, la
croix, l’encensoir dans les mains, Bénissant
Dieu, poignarde les humains. Sous d’autres
traits il paraît à la grille, Là des appas
séduisans d’une fille Il fait
couvrir ses hideuses laideurs, (Tel un
serpent se cache sous les fleurs ?) Dans son œil
fier rien ne paraît farouche, Un miel
flatteur découle de sa bouche, Son triste
front, serein pour un instant, De la bonté
semble être le garant ; Mais la malice
en voyant ce visage, D’un ris
mocqueur sourit à son image. Partés, ma sœur, les dépits indomptés Suivent vos
pas, marchent à vos cotés ; Du haut des
Cieux la Gloire vous appelle, Vous allés
vaincre en combattant pour elle. Du vieux Ramon
allés fronder les droits, Et de sa chûte
illustrés vos exploits. Sur le divan,
sur ces antiques têtes, Faites tomber
la foudre & les tempêtes : Un Dieu
puissant en a porté l’arrêt. La sœur
s’éveille & l’ombre disparaît. (*) Abbaye sous la regle de St. Augustin. (*) Anciens Evêques d’Arras. |
CHANT PREMIER. La Moinerie, montée sur un Balai, apporte dans la
nuit un Reliquaire à sœur Ursule. Aimable Eglé, tu veux
donc que je chante Ces
fiers débats, cette guerre éclatante, Qu’un
vieux Balai, qu’un dépit insolent, Firent
trois mois régner dans un couvent. Ton
cœur l’ordonne, & ma main va l’écrire. Puisse
le Dieu qui préside à ta lyre, Unir
sa voix à mes timides chants, Et
me prêter ta grace & tes accents ! Sur l’un des bords de la scarpe tranquille, Loin
des mondains, s’élève un saint asyle ; Quarante
sœurs jouissent dans ce lieu Du
triste honneur d’avoir fait à leur Dieu, Comme
Jepthé des serments téméraires. Le temps perdu sous ces
toits solitaires, File
en
bâillant, sur des fuseaux d’airain, Des
jours d’horreurs, de trouble & de chagrin. Jamais
la paix n’habite ce lieu sombre. Pour
compagnon, chaque sœur a
son ombre ; Pour
plaire à Dieu, l’habit de la vertu ; Et
pour espoir, dans son cœur abattu, L’affreux
néant d’un état qu’elle abhorre, Le
souvenir d’un monde qu’elle adore, Et
que l’amour lui peint encor plus beau. Sin
(*) est le nom de ce triste tombeau. Dans
ce séjour de la faible innocence, Du
saint murmure, & de la médisance, Depuis
cent ans un unique Balai Servait,
dit-on, à nos sœurs de Douai, Pour
nettoyer le parloir
& la salle, Les
deux dortoirs, l’ouvroir, l’abbatiale, Et
tous les trous de leur vieille maison. Dans
le chapitre, au coin d’une cloison, Un
saint usage avait marqué sa place ; Dans
aucun temps, la monastique audace N’osait
toucher à cet emplacement : Car
sur ce point, la regle clairement, Dans
un statut doublement canonique, Expliquait
bien l’usage & la rubrique. Ce
point suivi sans contestation, Faisait
honneur à la réligion. Quand
certain jour l’aveugle Moinerie, De
la rubrique implacable
ennemie, Bravant
la regle, & blasphêmant ce soin, Vint
déranger le Balai de son coin. Muse, dis-nous, comment dans cette grille Un
monstre affreux vint tromper une fille, Comment
il fit servir à ses desseins Une
ame pure & vingt oisives mains. Depuis trois mois cachés aux yeux du monde, Les
noirs chagrins & la haine profonde, Dévôtement déchiraient
dans ce lieu Quarante
cœurs consacrés au bon Dieu. L’entêtement,
ce vice de l’enfance, Parlait
tout haut & préparait d’avance Une
ame ardente à ces impressions, Et
propre enfin aux grandes actions. Ce cœur coupable, était celui d’Ursule, Nonne
intrépide, & ferme comme Hercule, Qui, pour s’instruire, avait lu
mainte fois Des
Paladins les terribles exploits, Du
grand Sancho la bravoure immortelle, Et
les travaux de la sainte Pucelle, Qui
conserva sous un vieux jupon court, Le
Roi des Francs, l’Oriflâme & la Cour. Ces sots récits d’un siecle ridicule Avaient
troublé dans le cerveau d’Ursule, Certain
instinct un peu stygmatisé, Et
dans ce lieu fort mal organisé, Ce
crâne étroit, meublé de ces prodiges, Déja
fameux par ses anciens vertiges, Depuis
trois mois combinait sourdement Le
grand projet d’abymer saintement L’autorité
des meres vénérables ; Quand,
dans la nuit, à ces desseins coupables, Un
monstre affreux vint souffler à la sœur Son
fiel amer & sa prompte fureur. Pour mieux tromper la jeune Cénobite La
Moinerie avait pris d’un Jésuite L’air
composé, le regard tapinois, Et
l’ajusté de Monsieur saint François. Un
Capuchon couvrait sa vieille tête : Un Réliquaire en sa main
déshonnête Brillait
des feux dont rougit la pudeur : Son
sang impur, échauffé par l’ardeur Du
saint Cordon de l’Ordre Séraphique, Faisait
monter dans son œil impudique, Les
sales feux qui consumaient ses reins. Sur
son noir front, la haine, de ses mains, Avait
tracé ces mots épouvantables : ”
Sur l’innocent lance tes traits coupables : ”
N’épargne rien, que rien ne te soit cher : ”
Le cœur d’un moine est du siecle de fer. Ainsi le monstre alla trouver Ursule. Dans
une alcove, au fond d’une cellule, La
propreté, cette vertu des Saints, Avait
dressé, de ses modestes mains, Un
lit mollet, une couche brillante ; L’éclat
du lis, celui de l’amaranthe, Du
Pavillon nuançaient les couleurs ; Les
rideaux teints du feu des autres fleurs, Malgré
la nuit, réproduisaient encore Le
jour naissant de la brillante aurore. Dans ce réduit plus riant que Samos, L’aimable
sœur dans les bras du repos Respirait
l’air qu’on respire à Cythere ; Du
noir dépit, des feux de sa colere Son
jeune sein n’était point agité ; Et
la pâleur de la virginité Ne
voilait point la beauté de ses charmes. Un
jeune enfant à qui tout rend les armes, Du
vif éclat de son flambeau divin Avait
rougi l’albâtre de son teint. Le
doux sommeil dans un rêve paisible, Livrait
son ame à l’image sensible Des
saints danger de Robert d’Arbrissel : Souvent
un songe est un bonheur réel. Pour
adoucir nos courtes destinées, L’ennui
constant de nos tristes journées, Les
Dieux ont fait les songes bienfaisants, Et
les desirs trop nombreux pour nos sens. Plein du courroux dont la fievre le brule, Le
noir fantôme avance vers Ursule. Déja
ses yeux, sans émouvoir son cœur, Ont
contemplé les charmes de la sœur. D’un
sein naissant la blancheur éclatante S’offrait
sans voile à la vue effrayante. Quoi,
monstre affreux ! tu n’en fus point touché ? Quoi !
vis-à-vis d’un si joli péché Tu
fus de marbre ?... Ah ! qu’Ursule était belle ! Non,
chez les Dieux, la Déesse immortelle Qu’Endymion vit sans
témérité, N’égalat [sic] point l’éclat
de sa beauté. Vous, qui cachez dans cette grille austere Mille
agréments révérés à
Cythere, Voiles
épais, Guimpes & Guénillons, Bénits
des mains des Guis, (*) des Baglions, Hé
pourquoi donc, à ses regards coupables, Ne voiliez-vous ces charmes
adorables ? Sur
ce beau sein il fallait demeurer : C’est
l’amour seul qui doit vous déchirer. Le monstre enfin harangue l’héroïne : O
vous, dit-il, qu’une faveur divine Comble
aujourd’hui d’un bonheur pur & vrai, Vous
tairez-vous, en voyant un Balai Tenir
son coin constamment au chapitre ? Quoi !
dans ce lieu, sans raison & sans titre, Un
sot usage, la folie & le temps, L’auront
fixé depuis près de cent ans ; Et
sous des loix que l’infirme vieillesse, Dicta
jadis dans ses momens d’yvresse, Où
l’amour
propre éblouit les esprits, Vos
jeunes cœurs, seront-ils donc soumis ? Non,
non, bravez la vieillesse & l’usage, Rompez, ma sœur, les
fers & l’esclavage : L’homme
est né libre ; & s’il doit obéir, C’est
à l’amour, à son cœur, au plaisir. Si
contre vous, les meres vénérables Veulent
armer leurs rides effroyables, Ne craignez point ces
fronts glacés d’horreur ; Chaque
animal doit porter sa couleur. Vos
jeunes ans qu’accompagnent les graces, Les
ris, les jeux, qui volent sur vos traces, A
votre char attacheront les cœurs ; Et
le crédit de vos antiques sœurs, Peut-il
tenir à l’aspect de vos charmes ? Sans
pitié, voyez couler leurs larmes, C’est
à l’hyver, à répandre des pleurs, C’est
au printemps à nous donner
des fleurs. Déja le ciel sensible à votre gloire, Veut
éclairer des feux de la victoire Vos
grands combats, vos illustres destins. Pour
assurance acceptez de ses mains Ce
gage heureux, ce sacré reliquaire, Où,
sous les yeux du maître de Cythere, Vulcain
grava, de sa main, autrefois Du
beau Girard les amoureux exploits. Jamais
mortel n’égala ce grand homme ; Sa
main brisa les autels de Sodome. Vous
le savez, notre regle jadis Foulait
aux pieds les myrthes de Cypris ; Et
la nature au niveau de la Grace, Entre
nos mains n’était point efficace. L’heureux
Girard corrigea nos statuts, Et
sous les feux de la tendre Venus, On
vit bientôt disparaître en Provence, Tous
les faux Dieux de Rome & de Florence, Que
Duchauffour encensait autrefois. De
ce Lycurgue
imitez les exploits : Faites
tomber vos stupides Rubriques ; Foulez aux pieds ces
folles loix antiques ; Pour
triompher, faites voir à
vos sœurs Ce
gage heureux des célestes faveurs. Dans
le contour de ce Saint Reliquaire Voyez, ma sœur, la dévôte Cadiere : Tous
les plaisirs animent ses appas ; Sur
son beau sein, comprimé dans ses bras, Un
directeur instruit son ame tendre, Sur
ses leçons l’amour semble répandre Ces
feux amis, qui couronnent les Dieux. O
couple uni ! couple béni des Cieux ! Couvrez vos fronts des
roses de Cythere : Dieu
fit l’amour pour embellir la terre, Et
le plaisir pour enchanter vos cœurs. Allez, portez ce saint gage à vos sœurs ; Armez, armez leurs mains
victorieuses ; Et déchirez les regles
odieuses, Qu’un
Dieu tyran vous dicta dans ce lieu. Le
fanatisme est le nom de ce Dieu : Ce
monstre est né des feux du sanctuaire ; Du
zele ardent il prend le caractere ; Le
fer, la croix, l’encensoir dans les mains ; Bénissant
Dieu, poignarde les humains, Sous
d’autres traits il paraît à la grille ; Là
des appas séduisants d’une fille Il
fait couvrir ses hideuses laideurs, (Tel
un serpent se cache sous les fleurs.) Dans
son œil fier rien ne paraît farouche, Un
miel flatteur découle de sa bouche, Son
triste front, serein pour un instant, De
la bonté semble être le garant ; Mais
la malice en voyant ce visage, D’un
ris moqueur sourit à son image. Partez, ma sœur, les dépits indomptés Suivent
vos pas, marchent à vos côtés ; Du
haut des Cieux la gloire vous appelle, Vous
allez vaincre en
combattant pour elle. Du
vieux Ramon allez fronder les droits, Et
de sa chûte illustrez vos exploits. Sur
le Divan, sur ces
antiques têtes, Faites
tomber la foudre & les tempêtes : Un
Dieu puissant en a porté l’arrêt. La
sœur s’éveille, & l’ombre disparaît. (*) Abbaye sous la regle de S. Augustin. (*) Anciens Evêques d’Arras. |
CHANT SECOND
CHANT SECOND. Réveil d’Ursule. Allarmes des vieilles sœurs sur l’indisposition du
P. Directeur. Histoire de l’homme de Dieu. Complot des jeunes sœurs pour
enlever le Balai. L’astre du jour, en ouvrant
sa carriere, Voyait déja
sœur Ursule en priere, Le cœur ému,
les yeux mouillés de pleurs, Ainsi du Ciel
implorer les faveurs. O vous grand
Saint, (*)
défenseur de nos Grilles, Vous qui jadis
mariâtes trois filles, Qu’un pere
avare, inique & sans pudeur, Voulait livrer
au serpent séducteur ; Hélas !
sans vous & sans votre opulence, Un soû-fermier
eût bien payé d’avance, Ce dont par
fois on n’a que des extraits, Ou pour tout
fruit mille cuisans regrets. Qu’un pucelage
est entouré d’abîmes ! Hélas !
grand Saint sans vos soins magnanimes, On aurait pris
ce trésor mal scellé, Dont tout un
sexe a la fatale clé ; Un seul
instant suffit pour nous le prendre ; Pris une fois,
pourait-on nous le rendre ? Ainsi la sœur priait Dieu dans son lit, Quand tout à
coup on entendit du bruit. A coups
doublés l’on frappait à la porte, Avec le jour,
qui frappe de la sorte Dit sœur
Ecoute, il faut assurément Qu’un feu
subit ait pris au bâtiment. Au mot de feu,
la mere Jubilaire Croyant déja
la flamme à son derriere, D’un vieux
poumon ranimant les efforts ; Et de sa voix
les antiques ressorts, Saute du lit,
crie au feu comme un Diable. Tout le
Dortoir à sa voix effroyable Transi de
peur, se réveille en sursaut, Vîte, à la
hâte, on se sauve aussitôt. L’une en
fuyant, défile un grand Rosaire ; L’autre en
morceaux brise un vieux saint suaire ; Sœur Thècle
court en priant saint Kostka, De conserver
son sucre & son moka. On laisse au feu
dans ce moment terrible Un Bérruyer,
le Scaron de la Bible, Un sot
Mainbourg, le menteur des chrétiens, Un Rodriguès
& des Noëls anciens. On laisse en
proye aux flammes dévorantes De cent
bonbons les douceurs suculentes. Dans ce danger
la sœur Jeanne Luçon Sentit tomber
son large calleçon Antique étui,
qui chez l’Anacorete Garentissait
des feux de sa chausete Les environs,
& tous les Pays-bas. Par un malheur
qui côtoyait ses pas Voulant léver
ses canons incommodes, Son cul à nu
chaussa les Antipodes. Tandis qu’en troupe on fuiait du dortoir, Sœur
Jeudi-Saint de retour au parloir, Leur
dit : Mes sœurs, où courés vous aux armes ? Le feu n’est
point l’objet de nos allarmes, Un deuil
profond va régner dans ces lieux ; Pleurons
d’avance un veuvage ennuieux. L’objet
chrétien de nos oisives flammes, Le grand
Docteur qui dirige de [sic] nos ames, D’un rhume
affreux cette nuit a toussé ; S’il tousse
encor, le bon homme est troussé. Mon bon
Jesus ! notre Dame de joïe ! Dit sœur
Cécile, arrachés cette proïe Des Médecins,
car ils ont d’Atropos Certains
talens, avec certains ciseaux. Avant d’ouir
les sensibles complaintes, Et les
douleurs dont nos sœurs sont atteintes, Muse, dis nous
quel fut ce Directeur, Docte, savant,
& cher à plus d’un cœur. L’homme de Dieu dans ce réduit tranquile Dévotement
faisait de très-bon chile. Sa Ménagere,
un vieux chat, un vieux chien, Tous trois
rivaux composaient tous son bien. Là chaque
jour, des plus antiques filles Il écoutait
les vieilles peccadilles ; A son début il
fit pour coup d’essai Changer,
dit-on, le manche du Balai, Car le bon
pere un peu trop Janséniste, Et du plaisir
sévere Antagoniste, De rond jadis
le fit faire quarré ; Car manche
rond, disait le bon Curé, Des saintes
sœurs eût flétri l’innocence, Et par le tact
dame concupiscence Qui sur un
rien s’éguisse [sic] l’appétit, Eût soulevé la
chair contre l’esprit. L’esprit des sots, l’aveugle Calomnie A répandu
quelques traits sur sa vie, Qui font
penser qu’avec l’amour divin, Son cœur
profane aimait trop le prochain. Certains papiers
disent que le bon homme, Fit tout
exprès certain voyage à Rome, Ville
chrétienne, au désordre propice, Où l’étendart
de la croix & du vice, A réuni,
depuis plus de mille ans, Des
Monsignors, des moines fénéans, Et pour de
l’or les enfans de la Bible. C’est dans ce
lieu qu’un Pontife infaillible Le crâne orné
d’un vieux Solideo, (*) Pour de
l’argent lui vendit l’absolvo. Ce cas véreux touchait un peu sa niece Qui certain
jour (qu’une ame a de faiblesse !) Se laissa
choir lourdement sur un point, Et de la chûte
orna son embonpoint. Que voulés
vous ? jeune fille est fragile, L’esprit est
prompt, & la chair trop docile Se laisse
aller au jeu du tendre amour : Et puis après,
d’un quart où deux trop court Le cotillon
trahissant le mistere, Porte
l’allarme au sein du presbitere, Et le remplit
de l’odeur du péché. L’oncle pourtant n’était point débauché. Il avait fait,
jadis dans sa jeunesse, Ces petits
tours que l’humaine faiblesse Fait sans
trembler tous les jours sous les yeux D’un Dieu
charmant vainqueur des autres Dieux. Aussi parfois
mettait-il sous la presse Certain objet,
moins chaste que Lucrece, Par là, plus
propre à la conception. Enfin pour
Dieu, soit par distraction, On dit qu’il
fit, cela sans eau bénite, Du même coup
un clerc, un acolyte. Ce soin
chrétien était bien dans son lieu : Il faut
pourvoir la maison du bon Dieu Avant la
sienne, & puis quand on est sage, On songe en
paix aux besoins du ménage. Pas n’y
manqua, car l’homme était prudent ; Or faisant
droit à son besoin pressant, D’un
Tourne-broche il meubla sa cuisine. Que voulés
vous ? la servante Claudine Avait tenté le
serviteur de Dieu : Deux yeux
frippons, un minois tout en feu, Sont suffisans
pour éteindre la glace De la sagesse,
& puis d’ailleurs la Grace N’est point
toujours à côtoyer nos pas ; Et dans ce
monde enfin n’avons nous pas Chacun un cœur
& chacun nos foiblesses, Chacun un
Diable ou chacun nos maitresses ? L’âge bientôt, plus puissant que le Ciel, Avait touché
ce pénitent mortel. Les cheveux
blancs, qui font germer la Grace, Ces jours
heureux où sa pointe efficace Sur tous les
cœurs agit avec succès, Et fait meurir
[sic] nos stériles regrets, Avait, dit on,
converti le saint homme, Tout aussi
saint, que bien des Saints à Rome ; Il gemissait,
il lavait de ses pleurs, Des courts
plaisirs les volages faveurs. Son bon
exemple, & sa dévote mine, Avaient
touchés la suivante Claudine Qui loin du
monde, & plus près des amours, A cinquante
ans alla fixer ses jours Près du Verger
d’un hermite profane, Qui sous ses
pas lui découvrit la mane Cachée aux
yeux des profanes mondains : Cet heureux
fruit, de prodiges divins Avait meublé
sa terrestre cervelle. Ce cœur
contrit, cette vierge nouvelle Reçut des
cieux une insigne faveur : Dieu députa
son ange tentateur Pour éprouver
un peu sa continance. Le Ciel
souvent fait cette expérience, Et par le
Diable il éprouve ses saints, Hélas !
pour nous, misérables mondains, Le Ciel est
dur, & sa bonté nous laisse Sans tentateur
nous damner à notre aise. Ainsi sans
Diable, aux graces de Baron, On vit pécher
l’adorable Ninon. Toujours en proïe à la tristesse amere, Nos tendres
sœurs, sur l’accident du pere Poussaient au
Ciel de lamentables cris, Et tour à tour
faisaient ces pot-pourris. (*) Hélas !
dit l’une, ô que la race humaine A de
malheurs ! les soucis & la peine Vont avec
elle, & menent pas à pas Chaque mortel
aux portes du Trépas. O triste
vie ! O songe peu durable ! Vos maux sont
purs & le plaisir aimable Est bien mêlé
d’amertume & de fiel ; O jours trop
courts ! faible présens du Ciel ! Vous n’êtes
beaux qu’au printems de la vie Dans ces
momens où la douce folie Du tendre
amour, enchaîne, avec nos cœurs Nos sens
captifs dans ces liens de fleurs. Hélas !
dit l’autre, on marche sur la terre Tout garroté
de sa triste misere. La faulx du
tems moissonne à nos côtés Les plus beaux
jours, les plus fortes santés. De tous les
maux ce monde est l’assemblage ; Dieu faisant
l’homme, ou plutôt son image, Ne fit au fond
qu’un rien organisé ? Ah ! que
la vie est un tems mal aisé ! S’il est par
fois sujet aux morts subites Dit sœur
Suson, appréhendons les suites ; L’autre
disait : Ah ! son lit fut mal fait, La couverture
ainsi que le chevet, Auront sorti
peut-être de leur place. Le vent
coulis, ce vent plus froid que glace, Aura glissé
sous les draps doucement Et du bon pere
aura subitement Gelé les
pieds, le poumon, ou la bile. Sa Ménagere est donc bien mal habile, Répond sœur
Thécle ; & comment sans horreur, Fait elle
ainsi le lit du Directeur ! Il a, dit
l’autre, une douceur charmante ; Mais sa bonté
gâte sa gouvernante, Elle est chés
lui tout le long d’un saint jour, A toujours
dire & du contre, & du pour, Les bras
croisés, & le bec aux corneilles, Croit faire
ici des monts & des merveilles. Madame à tout
veut mettre son caquet ; Comment un lit
peut-il être bien fait ? Elle a
pourtant demeuré chez des moines, Dès sa
jeunesse a servi trois chanoines. Chez tout ce
monde on doit avoir appris A remuer, à
bien fouler des lits. Grand Saint
Bernard ?.... disait sœur Angélique, Le Révérend à [sic] souvent la Colique : Ce mal affreux
l’incommode très-fort ; S’il n’en
guérit, notre bon pere est mort. Vîte au plutôt
appellons la Tourriere Envoions lui
du jus de capilaire Du Chocalat [sic], des massepins exquis, De la gelée
& des citrons confits. D’album Græcum
donnons lui quelque prise : Ce simple est
bon pour le rhume d’Eglise. Tandis qu’en proïe aux plus justes douleurs, La vieille
cour répandait mille pleurs ; Dans le
dortoir les plus jeunes professes L’esprit
rempli de saintes gentillesses, Sur leurs
regrets éguissaient [sic] leurs bons
mots, Et dans les
jeux de cent rians propos Faisaient
briller avec la médisance, Le zele ardent
d’une prompte vangeance. Ce fut alors, qu’Ursule avec succès Prit le moment
d’annoncer ses secrets, Quoi, donc mes
sœurs, verrons nous en silence, Le vieux Sénat
enflé de sa puissance Nous captiver
sous ses antiques Loix ? Sur la raison
les ans ont-ils des droits ? Est-ce au
couchant à diriger l’Aurore ? L’hiver jamais
l’emporta-t il sur Flore ? Allons, mes
sœurs : que chacune de nous Fasse en ce
jour éclater son courroux ! Livrons la
guerre aux vieilles vénérables ; Courons ôter
de leurs mains méprisables, Le vil objet
de leur indigne soin. Que le ramon,
rélégué dans un coin, Signale ici
notre éclatante gloire. Contre l’usage
appellons la Victoire ; Le Ciel
propice aux charmes de nos ans Couronnera nos
efforts triomphans. Déja pour nous
sa bonté se déclare : Entre mes
mains voiés ce gage rare Qu’un Loyola
m’a remis cette nuit, Ce Réliquaire
où le destin peignit Avec l’amour,
les plaisirs de Cythere. Voiés, mes
sœurs, l’amoureuse Cadiere Entre ses bras
serrer son cher amant : Voiés couler
les pleurs du sentiment. Girard expire
au doux sein de l’yvresse : De cent
baisers il rougit sa maitresse. Le sot remord
n’étouffe point ses feux : Ce ver rongeur
dans ses momens heureux Laisse au
plaisir le triomphe & la gloire. Allons mes
sœurs ; courons à la Victoire. Tout nous
promet les plus heureux destins ; Et les
lauriers n’attendent que nos mains. A ce discours de la Nonne éloquente On vit bientôt
la jeunesse bouillante Brûlant
d’ardeur de courir sur ses pas, Chercher la
gloire & le sort des combats. Allons,
dit-on, que le péril commence. Nos cœurs vaillans
brûlent d’impatience. Non, dit
Ursule, attendons que la nuit Aux yeux du
jour dérobe ce réduit. Son voile
heureux, ses ombres bienfaisantes Nous cacherons
[sic] aux vieilles surveillantes. Sans craindre
alors d’un pas plus affermi Nous
marcherons en troupe à l’ennemi. Jusqu’à tantôt
conservons le silence : Que dans notre
air rien n’annonce d’avance Le grand débat
qui doit troubler ces lieux : Un coup fourré
réussit toujours mieux. Ainsi la sœur, des fleurs de rhétorique Embellissant
son discours politique, Tint jusqu’au
soir leur babil aux arrêts : Miracle grand,
s’il arriva jamais ? (*) Leur Parloir est dédié à St Nicolas & à St Babil. (*) Solideo, nom de la Coëffure du pape, c’est une espéce de Bonnet de nuit à oreilles. Les Italiens dévots disent qu’il n’y a que le Pape & Dieu le Pere qui aient le droit de le porter. (*) Comme les paroles chés les Nonnes se précipient [sic] les unes sur les autres, j’ai tâché de me rapprocher de leur stile. |
CHANT SECOND. Réveil d’Ursule. Alarmes des vieilles Sœurs sur
l’indisposition du P. Directeur. Histoire de l’Homme de Dieu.
Complot des jeunes Sœurs pour enlever le Balai. L’astre du jour, en ouvrant sa carriere, Voyait
déjà sœur Ursule en
priere, Le
cœur ému, les yeux mouillés de pleurs, Ainsi
du ciel implorer les faveurs, O vous, grand Saint,
(*) défenseur de nos grilles, Vous
qui jadis mariâtes trois filles, Qu’un
pere avare inique & sans pudeur, Voulait
livrer au serpent séducteur ; Hélas !
sans vous & sans votre opulence ; Un sous-fermier eût
bien payé d’avance, Ce
dont par fois on n’a que des extraits, Ou
pour tout fruit mille cuisants regrets. Qu’un
pucelage est entouré d’abymes ! Hélas !
grand Saint, sans vos soins magnanimes, On
aurait pris ce trésor mal scellé, Dont
tout un sexe a la fatale clé ; Un
seul instant suffit pour nous le prendre ; Pris
une fois, pourrait-on nous le rendre ? Ainsi la sœur priait Dieu dans son lit, Quand
tout à coup on entendit du bruit. A
coups doublés l’on frappait à la porte. Avec
le jour, qui frappe de la sorte, Dit
sœur Ecoute ? il faut assurément Qu’un
feu subit ait pris au bâtiment. Au
mot de feu, la mere Jubilaire, Croyant
déja la flamme à son derriere, D’un
vieux poumon ranimant les efforts, Et
de sa voix les antiques ressorts, Saute
du lit, crie au feu comme un diable. Tout
le dortoir, à sa voix effroyable, Transi
de peur, se reveille en sursaut, Vîte,
à la hâte, on se sauve aussi-tôt. L’une
en fuyant défile un
grand Rosaire ; L’autre
en morceaux brise un vieux saint Suaire ; Sœur
Thecle court en
priant saint Kostka, De
conserver son sucre & son moka. On
laisse au feu dans ce moment terrible Un Berruyer, le Scarron de la Bible, Un
sot Mainbourg, le menteur des Chrétiens, Un Rodriguez & des
Noëls anciens. On
laisse en proye aux flammes dévorantes De
cent bonbons les douceurs succulentes. Dans
ce danger la sœur Jeanne Luçon Sentit
tomber son large caleçon, Antique
étui, qui chez l’Anachorete Garantissait des feux de la
chaussette Les
environs & tous les
pays-bas. Par
un malheur qui côtoyait ses pas, Voulant
lever ses canons
incommodes, Son
cul à nud chaussa les antipodes. Tandis qu’en troupe on fuyait du dortoir, Sœur
Jeudi-Saint de retour au parloir, Leur
dit : Mes sœurs, où courez-vous aux armes ? Le
feu n’est point l’objet de nos alarmes : Un
deuil profond va regner dans ces lieux ; Pleurons
d’avance un veuvage ennuyeux. L’objet
chrétien de nos oisives flammes, Le
grand Docteur qui dirige nos ames, D’un
rhume affreux cette nuit a toussé ; S’il
tousse encor, le bon homme est troussé. Mon
bon Jesus ! notre Dame de joye ! Dit
sœur Cécile, arrachez cette proye Des
Médecins ; car ils ont
d’Atropos Certains
talents, avec certains
ciseaux. Avant
d’ouir les sensibles complaintes, Et
les douleurs dont nos sœurs sont atteintes, Muse,
dis-nous quel fut ce
Directeur, Docte,
savant, & cher à plus d’un cœur ? L’homme de Dieu dans ce réduit tranquille Dévôtement faisait de très-bon
chyle. Sa ménagere, un vieux
chat, un vieux chien, Tous
trois rivaux composaient tout son bien. Là
chaque jour, des plus antiques filles Il
écoutait les vieilles peccadilles. A
son début il fit, pour coup d’essai, Changer,
dit-on, le manche du Balai ; Car
le bon pere un peu trop Janséniste, Et
du plaisir sévere Antagoniste, De
rond jadis le fit faire quarré. Car
manche rond, disait le bon Curé, Des
saintes sœurs eût flétri l’innocence ; Et
par le tact, dame concupiscence, Qui
sur un rien s’aiguise l’appétit, Eût
soulevé la chair contre l’esprit. L’esprit des sots, l’aveugle calomnie A
répandu quelques traits sur sa vie, Qui
font penser qu’avec l’amour divin, Son
cœur profane aimait trop le prochain. Certains
papiers disent que le bon homme, Fit
tout exprès certain voyage à Rome, Ville
chrétienne, au désordre propice, Où
l’étendart de la croix & du vice, A réuni depuis plus de
mille ans, Des
Monsignors, des moines fainéans, Et
pour de l’or les enfans de la Bible, C’est
dans ce lieu qu’un Pontife infaillible, Le
crâne orné d’un vieux Solideo, (*) Pour
de l’argent lui vendit l’absolvo. Ce cas verreux touchait un peu sa niece, Qui
certain jour (qu’une ame a de faiblesse !) Se
laissa cheoir lourdement sur un point, Et
de la chûte orna son embonpoint. Que
voulez-vous ? jeune
fille est fragile, L’esprit
est prompt, & la chair trop docile Se
laisse aller au jeu du tendre amour : Et
puis après, d’un quart où deux trop court, Le cotillon, trahissant le
mistere, Porte
l’alarme au sein du
presbitere, Et
le remplit de l’odeur du péché. L’oncle pourtant n’était point débauché. Il
avait fait, jadis dans sa jeunesse, Ces
petits tours que l’humaine faiblesse Fait
sans trembler, tous les jours, sous les yeux D’un
Dieu charmant, vainqueur des autres Dieux. Aussi
par
fois mettait-il sous la presse Certain
objet, moins chaste que Lucrece, Par
là, plus propre à la conception. Enfin, pour Dieu,
soit par distraction, On
dit qu’il fit, cela sans eau bénite, Du
même coup un clerc, un acolyte. Ce
soin chrétien était bien dans ce lieu : Il
faut pourvoir la maison du bon Dieu Avant
la sienne ;
&
puis, quand on est
sage, On
songe en paix aux besoins du ménage. Pas
n’y manqua, car l’homme était prudent. Or, faisant droit
à son besoin pressant, D’un
tourne-broche il
meubla sa cuisine. Que
voulez-vous ? la
servante Claudine Avait
tenté le serviteur de Dieu : Deux
yeux fripons, un minois tout en feu, Sont
suffisans pour éteindre la glace De
la sagesse, & puis d’ailleurs la grace N’est
point toujours à côtoyer nos pas ; Et
dans ce monde enfin n’avons nous pas Chacun
un cœur & chacun nos faiblesses, Chacun
un diable, ou chacun nos maîtresses ? L’âge bientôt, plus puissant que le Ciel, Avait
touché ce pénitent mortel. Les
cheveux blancs, qui font germer la grace, Ces
jours heureux où sa pointe efficace Sur
tous les cœurs agit avec succès, Et
fait mûrir nos stériles regrèts, Avaient, dit-on, converti le
saint homme, Tout
aussi saint, que bien des saints à Rome. Il gémissait, il lavait de
ses pleurs, Des
courts plaisirs les volages faveurs. Son
bon exemple, & sa dévôte mine, Avaient
touché la suivante Claudine, Qui
loin du monde, & plus près des amours, A
cinquante ans alla fixer ses jours Près
du verger d’un hermite
profane, Qui
sous ses pas lui découvrit la manne Cachée
aux yeux des profanes mondains : Cet
heureux fruit, de prodiges divins Avait
meublé sa terrestre cervelle. Ce
cœur contrit, cette vierge nouvelle Reçut
des cieux une insigne faveur : Dieux députa son
ange tentateur Pour
éprouver un peu sa continence. Le ciel souvent fait
cette expérience, Et
par le Diable, il éprouve ses saints. Hélas !
pour nous, misérables mondains, Le
Ciel est dur, & sa bonté nous laisse Sans
tentateur nous damner à notre aise. Ainsi
sans diable, aux graces de Baron, On
vit pécher l’adorable Ninon. Toujours en proye à la tristesse amere, Nos
tendres sœurs, sur l’accident du pere Poussaient
au Ciel de lamentables cris, Et
tour à tour faisaient ces pots-pourris. (*) Hélas !
dit l’une, ô que la race humaine A
de malheurs ! les soucis & la peine Vont
avec elle, & menent pas à pas Chaque
mortel aux portes du trépas. O
triste vie ! ô songe peu durable ! Vos
maux sont purs, & le plaisir aimable Est
bien mêlé d’amertume & de fiel. O
jours trop courts ! faible présent du Ciel ! Vous
n’êtes beaux qu’au printemps de la vie, Dans
ces momens où la douce folie Du
tendre amour, enchaîne, avec nos cœurs, Nos
sens captifs dans ces liens de fleurs. Hélas !
dit l’autre, on marche sur la terre Tout
garroté de sa triste misere. La
faulx du temps moissonne à nos côtés Les
plus beaux jours, les plus fortes santés. De
tous les maux ce monde est l’assemblage ; Dieu
faisant l’homme, ou plutôt son image, Ne
fit au fond qu’un rien organisé. Ah !
que la vie est un temps mal aisé ! S’il
est par fois sujet aux morts subites, Dit
sœur Suson, appréhendons les suites. L’autre
disait : Ah ! son lit fut mal fait ; La
couverture ainsi que le chevet, Auront
sorti peut-être de leur place ; Le
vent coulis, ce vent plus froid que glace, Aura
glissé sous les draps doucement, Et
du bon pere aura subitement Gêlé les pieds, le
poumon, ou la bile. Sa ménagere est donc bien mal habile, Répond
sœur Thecle ; & comment sans horreur, Fait-elle ainsi le lit
du directeur ! Il
a, dit l’autre, une douceur charmante ; Mais
sa bonté gâte sa gouvernante : Elle
est chez lui tout le long d’un saint jour, A
toujours dire & du contre, & du pour, Les
bras croisés, & le bec aux corneilles, Croit
faire ici des monts & des merveilles. Madame
à tout veut mettre son caquet ; Comment
un lit peut-il être bien fait ? Elle
a pourtant demeuré chez des moines, Dès
sa jeunesse a servi trois chanoines. Chez
tout ce monde on doit avoir appris A
remuer, à bien fouler des lits. Grand
saint Bernard !... disait sœur
Angélique, Le
Révérend a souvent la colique : Ce
mal affreux l’incommode très-fort ; S’il
n’en guérit, notre bon pere est mort. Vîte
au plutôt appellons la tourriere, Envoyons-lui du jus de capillaire, Du chocolat, des massepains exquis, De
la gêlée & des
citrons confits. D’album
Græcum donnons lui quelque prise : Ce
simple est bon pour le rhume d’église. Tandis qu’en proye aux plus vives douleurs, La
vieille cour répandait mille pleurs ; Dans
le dortoir les plus jeunes professes, L’esprit
rempli de saintes gentillesses, Sur
leurs regrets aiguisaient leurs bons mots. Et
dans les jeux de cent riants propos, Faisaient
briller, avec la
médisance, Le
zele ardent d’une prompte vengeance. Ce fut alors, qu’Ursule avec succès Prit
le moment d’annoncer ses secrets. Quoi
donc, mes sœurs, verrons-nous en silence, Le
vieux sénat, enflé de sa puissance, Nous
captiver sous ses antiques Loix ? Sur
la raison les ans ont-ils des droits ? Est-ce
au couchant à diriger l’Aurore ? L’hyver jamais
l’emporta-t-il sur Flore ? Allons,
mes sœurs : que chacune de nous Fasse
en ce jour éclater son courroux ! Livrons
la guerre aux vieilles vénérables ; Courons
ôter de leurs mains méprisables, Le
vil objet de leur indigne soin. Que
le ramon, relégué dans un coin, Signale
ici notre éclatante gloire. Contre
l’usage appellons la victoire ; Le
Ciel propice aux charmes de nos ans, Couronnera
nos efforts triomphans. Déjà pour nous la bonté se
déclare : Entre
mes mains voyez ce gage rare Qu’un
Loyola m’a remis cette nuit. Ce reliquaire où le destin
peignit Avec
l’amour, les plaisirs de Cythere. Voyez, mes sœurs,
l’amoureuse Cadiere Entre
ses bras serrer son cher amant : Voyez couler les
pleurs du sentiment. Girard
expire au doux sein de l’yvresse : De
cent baisers il rougit sa maîtresse. Le
sot remords n’étouffe point ses feux : Ce
ver rongeur, dans ses momens heureux, Laisse
au plaisir le triomphe & la gloire. Allons, mes sœurs, courons à la
Victoire. Tout
nous promet les plus heureux destins, Et
les lauriers n’attendent que nos mains. A ce discours de la nonne éloquente, On
vit bientôt la jeunesse bouillante, Brûlant
d’ardeur de courir sur ses pas, Chercher
la gloire & le sort des combats. Allons,
dit-on, que le péril commence ; Nos
cœurs vaillans brûlent d’impatience. Non,
dit Ursule, attendons que la nuit Aux
yeux du jour dérobe ce réduit. Son
voile heureux, ses ombres bienfaisantes Nous
cacheront aux vieilles
surveillantes. Sans
craindre alors, d’un pas plus affermi Nous
marcherons en troupe à l’ennemi. Jusqu’à
tantôt conservons le silence : Que
dans notre air rien n’annonce d’avance Le
grand débat qui doit troubler ces lieux : Un
coup fourré réussit toujours mieux. Ainsi la sœur, de fleurs de rhétorique Embellissant
son discours politique, Tint
jusqu’au soir leur babil aux arrêts : Miracle
grand, s’il arriva jamais ! (§) Leur Parloir est
dédié à Saint Nicolas & à Saint Babil. (α) Solideo, nom de la coëffure du Pape ; c’est une espece de bonnet de nuit à
oreilles. Les Italiens dévôts disent qu’il n’y a que le Pape & Dieu le Pere qui
aient le droit de le porter. (§) Comme les paroles chez les nonnes se précipitent les unes
sur les autres, j’ai tâché de me rapprocher de leur style. |
CHANT TROISIÈME
CHANT TROISIEME. L’Alégresse va trouver l’Amour. Le Dieu va trouver un chat aux
Jacobins. Terreur des Nonnes : le Balai est enlevé. La
sombre nuit, le sommeil, & les songes, Heureux
présens du Ciel & des mensonges, Versaient
déja, sur ce vaste univers, Tous les
bienfaits de leurs êtres divers. Là dans les bras,
de leurs douces compagnes, Le forgeron,
l’habitant des campagnes, Sur un châlit,
trône des cœurs heureux, Seuls
jouissaient d’un sommeil fait pour eux. Un songe ami,
miroir pur de leur ame, Leur assurait
cette éternelle flamme Dont chaque
époux ferait sa joie encor, Si vous
regniés, candeur de l’age d’or. Ce fut ce tems cher au Dieu du silence, Qu’on vit dans
Sin, la coupable vangeance, Au sombre
éclat d’un sinistre flambeau Créer dans
l’ombre un jour pâle & nouveau. Ce feu guidait
cette troupe invincible Vers le
chapitre, où le Balai paisible, Du vieux Divan
saintement appuié, Goutait en
paix un honneur envié : Tel à Colchos,
la fable nous présente Du Roi Phrixus
la Toison triomphante, Qu’un vieux
Dragon, portrait des vieilles sœurs, Gardait jadis
des pieges des vainqueurs. Tandis qu’ainsi l’héroïque cohorte, Va du chapitre
environner la porte ; Muse, dis-nous
comment le Dieu des cœurs Vint dans ces
lieux intimider nos sœurs. Depuis trois mois la riante Alégresse, L’ame livrée à
la sombre tristesse, Voiait dans
Sin les plaisirs isolés, Les jeux
captifs, & les ris exilés. Quoi,
disait-elle en répandant des larmes, Pour ces beaux
lieux n’aurai-je plus de charmes ? Déja les
fronts, ces images des cœurs, N’ont plus
l’éclat de mes vives couleurs ; Des doux
plaisirs, ne suis-je plus la mere ? Quoi, le
dépit, l’envie & la colere, Me chasseront
de ce riant séjour ? Pour nous
vanger, appellons y l’Amour. Disant ces mots elle vole à Cythere. Là dans les
bras des jeux & de sa mere, L’enfant malin
respirait les douceurs De ce repos
dont il prive nos cœurs. L’Alégresse
entre en ce Palais terrible, Où l’enfant
Dieu par un charme invincible Tient dans ses
mains les ames des mortels ; Là chaque jour
aux pieds de ses autels Epris des feux
que la Beauté fait naître, Tous les amans
viennent chanter leur maître ; Là l’Espagnol,
né constant & jaloux, Au feu des
cœurs allume son courroux ; Là le
Français, léger comme sa flamme, Des feux d’un
jour court embellir son ame : Le Musulman,
seul paisible en ce lieu, Baîlle &
s’endort dans le sein de ce Dieu. L’Amour de loin voit venir l’Alégresse. Sa lente
marche annonçait sa tristesse ; D’humides
pleurs, découlaient de ces yeux ; Un noir
cyprès, couronnait ses cheveux. Au sombre
deuil répandu sur ses charmes, L’Amour
soupire & sent couler ses larmes. Que vois-je,
hélas ! dit-il en gémisant [sic] ? Qu’est devenu
cet éclat séduisant, Dont autrefois
vous ornâtes les Graces, Ma sœur ?
Des Dieux, auriés vous les disgraces, Vos doux
plaisirs vainqueurs de nos douleurs, Dont les
regards embellisaient [sic] les
cœurs, Ne sont-ils
plus les délices du monde ? N’êtes vous
plus cette source féconde De ces doux
jeux, de ces rians desirs, Enfans heureux
de vos tendres plaisirs ? Ce tems n’est plus, répondit l’Alégresse, Où des mortels
souveraine maitresse, Ma flamme
heureuse allumait les transports, Où mes
plaisirs, inconnus des remords, Portaient ces
fruits que l’aimable innocence, A ses enfans
donnait pour récompense. Ces fruits
encor muriraient dans les cœurs, Si le dépit
n’en fanait point les fleurs. Ce monstre né
des pleurs de la vangeance, Triste ennemi,
jaloux de ma puissance, Dans ses liens
veut tenir les mortels ; Déja partout
il sappe mes autels ; Déja dans Sin,
je vois que sur mon trône, Sa main
flétrie honteusement couronne Le fier
orgueil fils de l’entêtement, Dont la
douleur est le seul élément. Si par mes
soins j’étendis votre empire, Si mes
plaisirs & les jeux que j’inspire, Ont illustré
votre nom dans les cieux, Et si mes
fleurs sont les sceptres des Dieux, Volés à Sin,
faites fuir la tristesse. Que sans
regret la brillante jeunesse Jouïsse encor
de ces tendres douceurs, Dont mes
bienfaits avaient comblé les cœurs. L’Amour sourit, & dit à la Déesse, Calmés ma
sœur, la douleur qui vous presse ; De votre front
arrachés ces ciprès. Je cours à Sin
vanger vos intérêts. Tout dans ce
lieu reconnaît mon empire ; D’un feu muet
plus d’un cœur y soupire ; L’adroit
mistere y cache avec des fleurs, Les tendres
nœuds de mes liens vainqueurs. Disant ces mots, de ses ailes brillantes Il fend des
cieux les voutes éclatantes, Bientôt suivi
des jeux vifs & badins, Vole à Douai,
descend aux Jacobins. Là dans les bras de l’heureuse ignorance, De l’embonpoint & de la nonchalance, Vivait alors le plus beau des matoux. Là sans jamais
hurler avec les loups, Le saint
reclus, constant célibataire, Comptait pour
rien les plaisirs de la terre. Jamais Robin
n’avait, en tapinois, Croqué des
yeux le moindre des minois ; Jamais n’avait
d’une ardeur pétulante Fanné les
fleurs d’une Beauté naissante ; Chaste
toujours & toujours continent ; Quel Jacobin
en pouvait dire autant ? Le tendre
amour qui cherche à le surprendre, Sous un faux
nom près de lui vient se rendre ; Du frere
George il prend la grêle voix La taille
épaise [sic] & le défunt minois. Un vieux
bonnet de couleur de grain d’orge, Dont autrefois
l’insolent frere George, [abs. : (§)] Parait son
chef, aux grands jours, qu’au lutrin Le Pere Jean
mutilait le Latin, Du fils de
Mars ornait la chevelure. Un tablier
d’un vieux chiffon de bure, De six vingt
trois percé dans son contour, Montrait du
Dieu la place & le Fauxbourg. A ce haillon
pendait une écumoire, Deux grands
couteaux, une énorme lardoîre. Ainsi l’Amour s’avança vers Robin. Bon jour
l’ami, lui dit l’enfant malin, A-t-on
toujours son pesant pucelage ? O
siecle ! ô mœurs ! il devrait à votre âge Déja courrir
& les monts & les champs. Que
faites-vous de cela si longtems ? Quoi !
voulés vous que votre cœur moisisse ? Joués
vous-donc à gagner la jaunisse ? Il faut,
l’ami, faire valoir son bien ; La chasteté ne
produit jamais rien. Vivés
d’exemple, imités vos confreres. Si comme vous,
ces dévots solitaires N’avaient
jamais triché sur ce grand point, Quel superflus
de sang & d’embonpoint ! On n’est point
sot, on chérit l’existance, Et puis,
Robin, sans la concupiscence, La vie à l’homme
est-elle un grand bonheur ? Comment porter
le fardeau de son cœur ? Comment
remplir les vuides de la vie Et tenir tête
aux desirs de l’envie ? Si le devoir,
tiran de nos plaisirs, Défend au cœur
d’écouter ses desirs, A ses leçons
opposés la nature. Contre elle
envain qu’il tonne ou qu’il murmure, Elle a sur lui
l’antiquité des droits, Et nos desirs
sont nos premieres loix. Les Dieux ont
fait & les chats & les hommes ; Pouvons-nous
être autrement que nous sommes ? En chat
d’esprit révérés leurs desseins, Nos passions
sont l’œuvre de leurs mains. Si de leur
cœur notre cœur est l’image, Comme eux,
Robin, il faut en faire usage. L’être &
l’amour sont leurs plus grands bienfaits : Pourquoi gémir
des biens qu’ils nous ont faits ? Des cerveaux
plats, trente grosses machoires, Pour nous
instruire ont fait cent vieux grimoires. Qu’ont ils
gagné ? Qu’ont produit leurs leçons ? Sur nos
écrans, l’on plaça leurs chansons. Ces bonnes
gens, hérissés d’ignorance, Voulaient de
l’homme éléver l’existance. Si leur
systême eût pris chés vos matous Les chats
peut-être aussi faibles que nous, Se repaissant
d’une idée aussi creuse, Auraient
rempli la Trappe & la Chartreuse ; Mais votre
instinct, plus fort que la raison, Vous garantit
de la tentation. Par là les
Dieux garderent leur ouvrage, Du projet fou
d’être austérement sage. La volupté qui trompait Ixion, Qui couronna
l’heureux Endimion, Du sein des
Dieux fait briller sa lumiere. Son feu
vainqueur vous montre la carriere De ces beaux
jours, de cet heureux printems, Que flore ici
ramene tous les ans. Si des mortels
le printems est l’image, Ainsi que lui,
le mortel n’a qu’un âge, Les vents
bientôt dessécheront les fleurs : Les ans bientôt dessécheront les cœurs. Du jour qui
fuit, & du tems qui s’avance, Par les
plaisirs arrêtons l’inconstance ; Ou s’il faut
perdre au moins de si beaux jours, Qu’ils saient [sic] perdus dans les bras des amours. Non loin d’ici, dans une austere grille, Depuis six
mois une chatte gentille Porte à regret
un joiau que l’honneur A mis à prix
plus haut que sa valeur. Malgré les
soins de vingt chastes Nonettes L’attention de
cinq à six discrettes, Son jeune cœur
lassé de la vertu, Voudrait
goûter certain fruit défendu ; Non point
celui qui tenta jadis l’homme, Le beau ragoût
de croquer une pomme ! Minette eut un
morceau plus friand, Plus homogene
& moins propre à la dent. Déja ses cris
vous ont fait les avances, Bientôt son
cœur, avec les dépendances, Sera le prix
de vos amoureux soins. Courés, mon
cher, soulager ses besoins, Des romanciers
laissés le vieux langage, Prenés le ton,
moulés vous sur l’usage, Que le bel air
vient d’amener chés nous. L’amour
parfait, ce partage des foux, Ne touche plus
la chatte & la vestale. Laissés filer
Hercule aux pieds d’Omphale. De si longs
soins ne font que prolonger L’ennui du
cœur, & l’heure du berger. L’heureux Robin sent bientôt dans son ame, Ces traits
vainqueurs, cette immortelle flamme, Qui, des
mortels adoucissant le sort Remplit chés
eux les vuides de la mort. Partons,
dit-il au Dieu de la tendresse ; Laissons les
sots moisir dans la sagesse, Guidés mes
pas, éclairés mon dessein. Disant ces
mots, le chat arrive à Sin, Il grimpe, il
saute & bientôt par la vitre, Avec l’Amour,
Robin entre au chapitre. Depuis une heure en ce paisible lieu La jeune
chatte entre les bras du Dieu, Qui fait
fleurir le teint brillant des moines, Le vermillon,
l’embonpoint des chanoines ; Tranquillement
jouissait sans remords, Du doux
plaisir, des sensibles transports Qu’un songe
heureux permettait à son ame. Au bruit du
chat, ou plutôt à la flamme Du feu
vainqueur qui fait pâlir le jour, Qu’offre à ses
yeux le redoutable Amour, Elle
s’éveille, & son ame confuse Croit au
moment, qu’un vain songe l’abuse, Que le matou
dont les airs gracieux, Charment ses
sens, éblouissent ses yeux, Sont de ces
jeux que le sommeil fait naître, Ou de ces
riens que l’auteur de notre être Mêle à nos
maux, pour soulager nos cœurs Des noirs
chagrins & des soucis rongeurs. Déja Robin qu’un tendre feu dévore, Parle d’amour
à l’objet qu’il adore ; Et sans noier
son cœur dans ses récits, Je viens,
dit-il, appelé par vos cris, Offrir,
Minette, au mal qui vous consume Certain remede
hétérogene au rhume, Que sagement
les Dieux ont fait, je crois, Pour nous
guérir tous les deux à la fois. Au médécin
confiés vos stigmates ; Un chat de
moine est la perdrix des chattes. Dame, avec eux
on va toujours bon train, Gens reposés
font bien mieux leur chemin. Ainsi Robin
faisait parler sa flamme, Ses yeux
rendaient les transports de son ame. Ah ! que
l’amour exprime nos besoins : Abandonnons
notre cœur à ses soins : L’art a
toujours gâté son éloquence. Robin pressé
par la concupiscence, Dit à
Minette : Avançons le moment, Et par la
queue entamons le Roman. De longs
amours font périr la tendresse, De longs
propos font périr de tristesse. Laissés la
forme aux Lucreces du jour. Feu Céladon,
ce flambeau de l’amour, Dont le goût
fade & les tristes lumieres, Aux Ostrogots,
aux matoux nos grands-peres Servant de
phare, éclairaient autrefois Leurs cœurs
épais & leur vieux feu gaulois, N’est plus le
Dieu que notre siecle adore. Si l’on gémit,
si l’on soupire encore, C’est dans le
sein des séduisans plaisirs, Qu’un tendre
cœur exhale des soupirs. Le cœur ému, notre chatte-Lucrece Sent dans son
ame expirer la sagesse. Son front
serein, siege de la pudeur, Ne rougit plus
que d’un feu suborneur ; L’adroit matou
qui prévoit sa défaite, D’un œil malin
contemplant sa conquête, Par les
cheveux empoignant le hazard, Touche à
l’instant flatteur du cauchemart ; Quand tout à
coup il vit entrer les Nonnes : Amour, dit-il,
du fer des Amazonnes Garantissés la
perle des matoux. Des saintes
sœurs je connais le courroux ; Prenés le soin
de ma race future ; Je crains ici
certaine découpure, Qui, pour
nommer modestement l’endroit, Se fait sur
l’homme ailleurs qu’au bout du doigt. A ce danger ranimant sa vaillance, Vers l’ennemi
l’amoureux chat avance : Son air
guerrier, ses yeux étincelans Sa griffe en
l’air, ses Fu Fu menaçans, Firent
trembler cette troupe guerriere. Mon doux
Jesus ! s’écria Dame Hilaire, Que vois-je ici !
quels spectres sont cachés ! C’est le démon
& ses traits tout crachés. A ce gros mot, les Nonnes se dispersent, Poussent des
cris, se heurtent, se renversent. Envain Ursule,
incapable d’effroi, Ferme,
tranquille & maitresse de soi, Veut ranimer
cette troupe tremblante ; Du spectre
affreux l’horreur & l’épouvante, Ont consterné
les cœurs & les esprits. On n’entend
plus, que ces horribles cris : Ciel, quelle
griffe ! o Dieux ! qu’elle est horrible ! Que le démon
est un monstre terrible ? Où nous
sauver ! où courir ! hélas où ! Mon doux
Jesus ! il nous tordra le cou ! O quel
danger ! sauvons nous au plus vîte, On vole en
troupe, on court à l’eau bénite. Où fuiés
vous ? Jour de Dieu ! quelle erreur ! Mes sœurs,
cette eau ne guérit point la peur, Que n’avés vous
plutôt dans ces allarmes, Du beaume
humain, ou bien de l’eau des carmes ? Cela, dit-on,
ressuscite les cœurs, Et rend au
teint ses premieres couleurs. Tandis qu’ainsi le Bataillon timide Battait aux
champs, le valeureux Alcide, Le chat
vainqueur des sœurs & de l’amour, Dans les
plaisirs à qui tout doit le jour, Goutait en
paix le seul agrément d’être, Et le moment
où le cœur voit rénaitre Ces grands
désirs trop nombreux pour nos sens. Sa jeune
amante en ces instans pressans, Voyant de loin
revenir la cohorte, Lui dit :
Robin, vîte prenés la porte. N’exposés
point aux dangers du hazard, Le doux bijou
que perdit Abailard. Ce rien
suffit, pour ternir votre gloire, Méfiés vous
des jeux de la victoire. En chat
d’esprit rétirés de ce lieu, Adroitement
votre épingle du jeu. La nuit
prochaine, au fond de la goutiere, Loin de nos
sœurs, plus loin de la Touriere, Tranquillement
nous pourrons de nos feux Gouter en paix
nos transports amoureux, Allés, partés,
& fuiés au plus vîte. L’heureux
matou prend aussitôt la fuite. Déja Robin, avait sans dire adieu Subitement
abandonné ce lieu. Ursule alors,
ranimant son courage, D’un front
ridé, d’un œil brûlant de rage, Court à ses
sœurs, & leur dit en courroux : Revenés
donc : lâches, où courés vous ? D’un faible
chat l’impuissante grimace, A donc glacé
cette guerriere audace, Dont vous
faisiés tantôt un si grand bruit ? La honte,
hélas ! sera donc tout le fruit Des grands
succès promis à notre gloire ; Et nous
verrons sur le champs de victoire Nos ennemis,
gonflés de leur grandeur, Nous insulter,
sourire à notre peur ? Quoi ! c’est un chat, s’écria sœur Florence ? Dans le
chapitre, ô ciel ! en conscience Pouvait il
bien corrompre un jeune cœur. Ah !
notre chate a perdu son honneur. Grand Saint
Mathieu ! dit la sœur Rosalie, Quel garnement
& quelle ignominie ! Pere
éternel ! Seigneur ! les Jacobins, Ont-ils chés
eux des chats si libertins ? Mon doux
Jesus ! dit une sœur converse, De plus en
plus le monde se renverse. L’un sur le
dos, l’autre bien autrement, Hélas !
tout va, le bon Dieu sait comment. Ame du monde,
amoureuse folie, Que vous
jettés d’agrémens sur la vie ! Le noir courroux, cette fievre des cœurs, Dont l’Iliade
exprime les fureurs, Aux cris
d’Ursule, à sa voix intrépide, Dans les
esprits portant son feu rapide, On vit bientôt
la troupe avec ardeur Bravant les
chats, le démon, & la peur, Dans le
chapitre entrer avec audace. Tel autrefois
le vainqueur de la Thrace, Bravant
Cerbere, intimidant Pluton, Seul menaça
les Dieux du Phlégéton. Telle on a vu,
telle on ouit Ursule, Dans les accès
d’un courroux ridicule D’une voix
mâle articulant ces mots, Faire au Balai
ces risibles propos. ” Fier
monument de nos fureurs durables, ” Toi qu’en
ces lieux, les vieilles vénérables ” Ont malgré
nous placé depuis longtems, ” Pour insulter
au printems de nos ans ; ” Sois
aujourd’hui l’infaillible présage, ” Du noir
courroux, du foudroïant orage, ” Qui doit
demain éclater en ces lieux ; ” Va loin de
nous sur quelque bord honteux, ” Honni,
flétri, montrer que la vangeance ” A des
attraits pour les cœurs qu’on offense. Disant ces
mots, elle empaume soudain, Le vieux Balai
d’une intrepide main : Un bruit
confus, mille cris de victoire Remplissent
l’air de sa brillante gloire. Tel dans la Grece on vit jadis les rats, Devant les
Dieux, décidant leurs débats, De leurs
clameurs ébranler les montagnes. D’un air guerrier Ursule & ses compagnes Dans le jardin
entrerent avec bruit. L’Astre
inconstant qui regne sur la nuit, Au pâle éclat
de sa triste lumiere Conduit la
troupe auprès d’une riviere. Là sœur
Ursule, en grande émotion Dans l’eau
soudain jette l’affreux ramon. Va, lui
dit-elle, errer au gré de l’onde. Si le hazard
te fait courrir le monde, Sois sans
repos, comme le Juif errant ! Sois le jouet
de la foudre & du vent Et que l’Enfer
soit ton dernier rivage ! Antiques sœurs, que cet affront outrage, Vous ignorés
le destin du Balai. Hélas, Grand
Dieu ! tandis qu’un songe gai Retrace encor
sur les fibres tremblantes De vos
cerveaux, les images parlantes Des doux
plaisirs, dont vos sensibles cœurs Ont autrefois
épuisé les douceurs ; Hélas !
tandis que ce sommeil barbare Fils de la
nuit & du sombre Ténare, Fait reposer
vos vieux individus Entre les
draps que Bertoul (*)
a tissus ; Vos jeunes
sœurs, ces pétulantes filles, Que les amours
escortent à vos grilles, Dans le
chapitre, ont fait un coup affreux, Qui doit
demain, arracher de vos yeux Des pleurs
amers, & sur vos tristes mines, Sur vos vieux
fronts, tout hérissés d’épines, Tracer en noir
le chagrin dévorant, L’affreuse
haine, & le dépit sanglant. Ah ! vous
dormés...... vous ignorés encore... Arrête,
Muse !......... attendant que l’Aurore Ait sur les
fleurs répandus ses parfums, Laissons en
paix reposer les défunts. (§) Le frere George marmiton des P.P. Jacobins, fut attaqué d’une sécheresse dans les Amygdales : il les humectait tous les matins avec une chopine d’eau-de vie. Il mourut dans l’opération. (*) Fameux Tisseran qui fait les guenillons des Nonnes. |
CHANT TROISIEME. L’Allégresse va trouver l’Amour. Le Dieu va trouver
un chat aux Jacobins. Terreur des Nonnes : le Balai est enlevé. La sombre nuit,
le sommeil, & les songes, Heureux
présens du Ciel & des mensonges, Versaient
déjà, sur ce vaste
univers, Tous
les bienfaits de leurs êtres divers. Là,
dans les bras
de leurs douces compagnes, Le
forgeron, l’habitant des campagnes, Sur
un châlit, trône des cœurs heureux, Seuls
jouissaient d’un sommeil fait pour eux. Un
songe ami, miroir pur de leur ame, Leur
assurait cette éternelle flamme Dont
chaque époux ferait sa joie encor, Si
vous régniez, candeur de l’âge d’or. Ce fut ce temps cher au Dieu du silence, Qu’on
vit dans Sin, la coupable vengeance, Au
sombre éclat d’un sinistre flambeau Créer
dans l’ombre un jour pâle & nouveau. Ce
feu guidait cette troupe invincible Vers
le chapitre, où le Balai paisible, Du
vieux Divan saintement appuyé, Goûtait en paix un
honneur envié : Tel
à Colchos, la fable nous présente Du
Roi Phryxus la Toison triomphante, Qu’un
vieux dragon, portrait des vieilles sœurs, Gardait
jadis des pieges des vainqueurs. Tandis qu’ainsi l’héroïque cohorte, Va
du Chapitre environner la
porte ; Muse,
dis-nous comment le Dieu des cœurs Vint
dans ces lieux intimider nos sœurs. Depuis trois mois la riante allégresse, L’ame
livrée à la sombre tristesse, Voyait dans Sin les
plaisirs isolés, Les
jeux captifs, & les ris exilés. Quoi,
disait-elle en répandant des larmes, Pour
ces beaux lieux n’aurai-je plus de charmes ? Déjà les fronts,
ces images des cœurs, N’ont
plus l’éclat de mes vives couleurs ; Des
doux plaisirs, ne suis-je plus la mere ? Quoi,
le dépit, l’envie & la colere, Me
chasseront de ce riant séjour ? Pour
nous venger, appellons-y l’amour. Disant ces mots, elle vole à Cythere. Là
dans les bras des jeux & de sa mere, L’enfant
malin respirait les douceurs De
ce repos dont il prive nos cœurs. L’Allégresse entre en ce
Palais terrible, Où
l’enfant Dieu par un charme invincible Tient
dans ses mains les ames des mortels ; Là
chaque jour aux pieds de ses autels, Epris
des feux que la beauté fait naître, Tous
les amans viennent chanter leur maître ; Là
l’Espagnol, né constant & jaloux, Au
feu des cœurs allume son courroux ; Là
le Français, léger comme sa flamme, Des
feux d’un jour court embellir son ame : Le
Musulman, seul paisible en ce lieu, Bâille & s’endort
dans le sein de ce Dieu. L’amour de loin voit venir l’allégresse. Sa
lente marche annonçait sa tristesse ; D’humides
pleurs découlaient de
ses yeux ; Un
noir cyprès couronnaient [sic] ses cheveux. Au
sombre deuil répandu sur ses charmes, L’amour soupire &
sent couler ses larmes. Que
vois-je, hélas ! dit-il en gémissant ? Qu’est
devenu cet éclat séduisant, Dont
autrefois vous ornâtes les graces ? Ma sœur, des Dieux
auriez-vous les disgraces ? Vos
doux plaisirs vainqueurs de nos douleurs, Dont
les regards embellissaient les cœurs, Ne
sont-ils plus les délices du monde ? N’êtes-vous plus cette
source féconde De
ces doux jeux, de ces riants desirs, Enfants heureux de vos
tendres plaisirs ? Ce temps n’est plus, répondit l’allégresse, Où
des mortels souveraine maîtresse, Ma
flamme heureuse allumait les transports ; Où
mes plaisirs, inconnus des remords, Portaient
ces fruits que l’aimable innocence A
ses enfans donnait pour récompense. Ces
fruits encor mûriraient dans les cœurs, Si
le dépit n’en fannait point les fleurs. Ce
monstre né des pleurs de la vengeance, Triste
ennemi, jaloux de ma puissance, Dans
ses liens veut tenir les mortels ; Déjà partout il
sappe mes autels ; Déjà dans Sin, je
vois que sur mon trône, Sa
main flétrie honteusement couronne Le
fier orgueil fils de l’entêtement, Dont
la douleur est le seul élément. Si
par mes soins j’étendis votre empire, Si
mes plaisirs & les jeux que j’inspire, Ont
illustré votre nom dans les cieux, Et
si mes fleurs sont les sceptres des Dieux, Volez à Sin, faites
fuir la tristesse. Que sans regret la brillante jeunesse ◄ Jouisse encor de ces
tendres douceurs, Dont
mes bienfaits avaient comblé les cœurs. L’amour sourit, & dit à la Déesse : Calmez, ma sœur, la
douleur qui vous presse ; De
votre front arrachez ces cyprès. Je
cours à Sin venger vos intérêts. Tout dans ce lieu reconnaît mon
empire ; ◄ D’un
feu muet plus d’un cœur y soupire ; L’adroit
mystere y cache avec
des fleurs, Les
tendres nœuds de mes liens vainqueurs. Disant ces mots, de ses aîles brillantes Il
fend des cieux les voûtes éclatantes ; Bientôt
suivi des jeux vifs & badins, Vole
à Douai, descend aux Jacobins. Là dans les bras de l’heureuse
ignorance, De l’embonpoint & de la nonchalance, Vivait alors le plus beau des matoux. Là
sans jamais hurler avec les loups, Le
saint reclus, constant célibataire, Comptait
pour rien les plaisirs de la terre. Jamais
Robin n’avait en tapinois, Croqué
des yeux le moindre des minois ; Jamais
n’avait d’une ardeur pétulante Fanné
les fleurs d’une beauté naissante ; Chaste
toujours & toujours continent : Quel
Jacobin en pouvait dire autant ? Le
tendre amour, qui cherche à le surprendre, Sous
un faux nom près de lui vient se rendre ; Du
frere George il prend la grêle voix La
taille épaisse & le défunt minois. Un
vieux bonnet de couleur de grain d’orge, Dont
autrefois l’insolent frere George (*) Paraît son chef, aux
grands jours, qu’au lutrin Le
Pere Jean mutilait le Latin, Du
fils de Mars ornait la chevelure. Un
tablier d’un vieux chiffon de bure, De
six vingt trous percé dans son contour, Montrait
du Dieu la place & le fauxbourg. A
ce haillon pendait une écumoire, Deux
grands couteaux, une énorme lardoire. Ainsi l’amour s’avança vers Robin. Bon
jour, l’ami, lui dit
l’enfant malin, A-t-on
toujours son pesant pucelage ? O
siecle ! ô mœurs ! il devrait à votre âge Déjà courir & les
monts & les champs. Que
faites-vous de cela si long-temps ? Quoi !
voulez-vous que votre cœur
moisisse ? Jouez-vous
donc à gagner la jaunisse ? Il faut, l’ami, faire valoir son bien ; La
chasteté ne produit jamais rien. Vivez d’exemple, imitez vos confreres. Si, comme vous,
ces dévôts solitaires N’avaient
jamais triché sur ce grand point, Quel
superflu de sang &
d’embonpoint ! On
n’est point sot, on chérit l’existence ; Et
puis, Robin, sans la concupiscence, La
vie à l’homme est-elle un grand bonheur ? Comment
porter le fardeau de son cœur ? Comment
remplir les vuides de la vie, Et
tenir tête aux desirs de l’envie ? Si
le devoir, tyran de nos plaisirs, Défend
au cœur d’écouter ses desirs, A
ses leçons opposez la nature. Contr’elle en vain qu’il tonne ou
qu’il murmure, Elle
a sur lui l’antiquité des droits, Et
nos desirs sont nos premieres loix. Les
Dieux ont fait & les chats & les hommes ; Pouvons-nous
être autrement que nous sommes ? En
chat d’esprit révérez leurs desseins, Nos
passions sont l’œuvre de leurs mains. Si
de leur cœur notre cœur est l’image, Comme
eux, Robin, il faut en faire usage. L’être
& l’amour sont leurs plus grands bienfaits : Pourquoi
gémir des biens qu’ils nous ont faits ? Des
cerveaux plats, trente grosses machoires, Pour
nous instruire ont fait cent vieux grimoires. Qu’ont-ils gagné ?
Qu’ont produit leurs leçons ? Sur
nos écrans l’on plaça leurs chansons. Ces
bonnes gens, hérissés d’ignorance, Voulaient
de l’homme élever l’existence. Si
leur systême eût pris chez vos matoux, Les
chats peut-être, aussi faibles que nous, Se
repaissant d’une idée aussi creuse, Auraient
rempli la Trappe & la Chartreuse ; Mais
votre instinct, plus fort que la raison, Vous
garantit de la tentation. Par
là les Dieux garderent leur ouvrage, Du
projet fou d’être austérement sage. La volupté qui trompait Ixion, Qui
couronna l’heureux Endymion, Du
sein des Dieux fait briller sa lumiere. Son
feu vainqueur vous montre la carriere De
ces beaux jours, de cet heureux printemps, Que
Flore ici ramene
tous les ans. Si
des mortels le printemps est l’image, Ainsi
que lui le mortel n’a qu’un âge : Les
vents bientôt dessécheront les fleurs, Les
ans bientôt dessécheront les cœurs ; Du
jour qui fuit, & du temps qui s’avance, Par
les plaisirs arrêtons l’inconstance ; Ou
s’il faut perdre au moins de si beaux jours, Qu’ils
soient perdus dans
les bras des amours. Non loin d’ici, dans une austere grille, Depuis
six mois une chatte gentille, Porte
à regret un joyau que l’honneur A
mis à prix plus haut que sa valeur Malgré
les soins de vingt chastes Nonnettes, L’attention
de cinq à six discretes, Son
jeune cœur, lassé de la vertu, Voudrait
goûter certain fruit défendu ; Non
point celui qui tenta jadis l’homme, Le
beau ragoût de croquer une pomme ! Minette
veut un morceau
plus friand, Plus
homogene & moins propre à la dent. Déjà ses cris vous
ont fait les avances ; Bientôt
son cœur, avec les dépendances, Sera
le prix de vos amoureux soins. Courez, mon cher,
soulager ses besoins ; Des
romanciers laissez le vieux langage, Prenez le ton, moulez-vous sur l’usage, Que
le bel air vient d’amener chez nous. L’amour
parfait, ce partage des foux, Ne
touche plus la chatte & la vestale. Laissez filer Hercule
aux pieds d’Omphale. De
si longs soins ne font que prolonger L’ennui
du cœur, & l’heure du berger. L’heureux Robin sent bientôt dans son ame Ces
traits vainqueurs, cette immortelle flamme, Qui,
des mortels adoucissant le sort, Remplit
chez eux les vuides
de la mort. Partons,
dit-il au Dieu de la tendresse ; Laissons
les Sots moisir dans la sagesse, Guidez mes pas, éclairez mon dessein. Disant
ces mots, le chat arrive à Sin, Il
grimpe, il saute, & bientôt par la vitre, Avec
l’amour, Robin entre
au chapitre. Depuis une heure en ce paisible lieu La
jeune chatte, entre les bras du Dieu Qui
fait fleurir le teint brillant des moines, Le
vermillon, l’embonpoint des chanoines, Tranquillement
jouissait sans remords, Du
doux plaisir, des sensibles transports Qu’un
songe heureux permettait à son ame. Au
bruit du chat, ou plutôt à la flamme Du
feu vainqueur qui fait pâlir le jour, Qu’offre
à ses yeux le redoutable amour, Elle
s’éveille, & son ame confuse Croit
un moment qu’un vain
songe l’abuse, Que
le matou, dont les airs gracieux Charment
ses sens, éblouissent ses yeux, Sont
de ces jeux que le sommeil fait naître, Ou
de ces riens que l’auteur de notre être Mêle
à nos maux, pour soulager nos cœurs Des
noirs chagrins & des soucis rongeurs. Déjà Robin qu’un tendre feu dévore, Parle
d’amour à l’objet qu’il adore ; Et
sans noyer son cœur dans les récits, Je
viens, dit-il, appelé par vos cris, Offrir,
Minette, au mal qui vous consume Certain
remede hétérogene au rhume, Que
sagement les Dieux ont fait, je crois, Pour
nous guérir tous les deux à la fois. Au médecin
confiez vos stygmates ; Un
chat de moine est la perdrix des chattes. Dame,
avec eux on va toujours bon train, Gens
reposés font bien mieux leur chemin. Ainsi
Robin faisait parler sa flamme, Ses
yeux rendaient les transports de son ame. Ah !
que l’amour exprime nos besoins : Abandonnons
notre cœur à ses soins : L’art
a toujours gâté son éloquence. Robin
pressé par la concupiscence, Dit
à Minette : Avançons le moment, Et
par la queue entamons le Roman. De
longs amours font périr la tendresse, De
longs propos font périr de tristesse. Laissez la forme aux
Lucreces du jour, Feu
Céladon, ce flambeau de l’amour, Dont
le goût fade & les tristes lumieres, Aux
Ostrogots, aux matoux nos grands-peres, Servant
de phare, éclairaient autrefois Leurs
cœurs épais & leur vieux feu gaulois, N’est
plus le Dieu que notre siecle adore ; Si
l’on gémit, si l’on soupire encore, C’est
dans le sein des séduisants plaisirs, Qu’un
tendre cœur exhale des soupirs. Le cœur ému, notre chatte-Lucrece Sent
dans son ame expirer la sagesse. Son
front serein, siege de la pudeur, Ne
rougit plus que d’un feu suborneur. L’adroit
matou qui prévoit sa défaite, D’un
œil malin contemplant sa conquête, Par
les cheveux empoignant le hazard, Touche
à l’instant flatteur du cauchemart ; Quand
tout à coup il vit entrer les Nonnes : Amour,
dit-il, du fer des Amazones Garantissez
la perle des matoux. Des
saintes sœurs je connais le courroux ; Prenez le soin de ma
race future ; Je
crains ici certaine découpure, Qui,
pour nommer modestement l’endroit, Se
fait sur l’homme ailleurs qu’au bout du doigt. A ce danger ranimant sa vaillance, Vers
l’ennemi l’amoureux chat avance : Son
air guerrier, ses yeux étincelants, Sa
griffe en l’air, ses Fu Fu menaçants, Firent
trembler cette troupe guerriere. Mon
doux Jesus ! s’écria Dame Hilaire, Que
vois-je ici ! quels spectres sont cachés ! C’est
le démon & ses traits tout crachés. A ce gros mot, les Nonnes se dispersent, Poussent
des cris, se heurtent, se renversent. En
vain Ursule, incapable d’effroi, Ferme,
tranquille & maîtresse de soi, Veut
ranimer cette troupe tremblante ; Du
spectre affreux, l’horreur & l’épouvante, Ont
consterné les cœurs & les esprits ; On
n’entend plus que ces horribles cris : Ciel,
quelle griffe ! ô Dieux ! qu’elle est horrible ! Que
le démon est un monstre terrible ! Où
nous sauver ? où courir ? hélas ! où ? Mon
doux Jesus ! il nous tordra le cou ! O
quel danger ! sauvons-nous au plus vîte. On
vole en troupe, on court à l’eau bénite. Où fuyez-vous ? Jour de
Dieu ! quelle erreur ! Mes
sœurs, cette eau ne guérit point la peur. Que
n’avez-vous plutôt dans
ces alarmes, Du
beaume humain, ou bien de l’eau des carmes ? Cela,
dit-on, ressuscite les cœurs, Et
rend au teint ses premieres couleurs. Tandis qu’ainsi le Bataillon timide Battait
aux champs, le valeureux Alcide, Le
chat vainqueur des sœurs & de l’amour, Dans
les plaisirs à qui tout doit le jour, Goûtait en paix le
seul agrément d’être, Et
le moment où le cœur voit renaître Ces
grands desirs trop nombreux pour nos sens. Sa
jeune amante en ces instans pressans, Voyant
de loin revenir la cohorte, Lui
dit : Robin, vîte prenez la porte. N’exposez point aux
dangers du hazard, Le
doux bijou que perdit Abailard. Ce
rien suffit pour ternir votre gloire ; Méfiez-vous des jeux de la
victoire. En
chat d’esprit retirez de ce lieu, Adroitement
votre épingle du jeu. La
nuit prochaine, au fond de la gouttiere, Loin
de nos sœurs, plus loin de la Tourriere, Tranquillement
nous pourrons de nos feux Goûter en paix nos
transports amoureux, Allez, partez, & fuyez au plus vîte. L’heureux
matou prend aussi-tôt la fuite. Déja Robin, avait sans dire adieu Subitement
abandonné ce lieu. Ursule
alors, ranimant son courage, D’un
front ridé, d’un œil brûlant de rage, Court
à ses sœurs, & leur dit en courroux : Revenez donc, lâches, où courez-vous ? D’un
faible chat, l’impuissante grimace, A
donc glacé cette guerriere audace, Dont
vous faisiez tantôt un si grand bruit ? La
honte, hélas ! sera donc tout le fruit Des
grands succès promis à notre gloire ; Et
nous verrons sur le champs de victoire Nos
ennemis, gonflés de leur grandeur, Nous
insulter, sourire à notre peur ? Quoi ! c’est un chat, s’écria sœur Florence ? Dans
le Chapitre, ô ciel !
en conscience Pouvait-il bien corrompre
un jeune cœur ? Ah !
notre chate a perdu son honneur. Grand
Saint Mathieu ! dit la sœur Rosalie, Quel
garnement & quelle ignominie ! Pere
éternel ! Seigneur ! les Jacobins, Ont-ils
chez eux des chats
si libertins ? Mon
doux Jesus ! dit une sœur converse, De
plus en plus le monde se renverse. L’un
sur le dos, l’autre bien autrement, Hélas !
tout va, le bon Dieu sait comment. Ame
du monde, amoureuse folie, Que
vous jettez d’agrémens sur la vie ! Le noir courroux, cette fievre des cœurs, Dont
l’Iliade exprime les fureurs, Aux
cris d’Ursule, à sa voix intrépide, Dans
les esprits portant son feu rapide, On
vit bientôt la troupe avec ardeur Bravant
les chats, le démon, & la peur, Dans
le Chapitre entrer avec
audace. Tel
autrefois le vainqueur de la Thrace, Bravant
Cerbere, intimidant Pluton, Seul
menaça les Dieux de Phlégéton. Telle
on a vu, telle on ouït Ursule, Dans
les accès d’un courroux ridicule D’une
voix mâle articulant ces mots, Faire
au Balai ces risibles propos : ”
Fier monument de nos fureurs durables, ” Toi, qu’en ces
lieux, les vieilles vénérables ”
Ont malgré nous placé depuis long-temps, ”
Pour insulter au printemps de nos ans ; ”
Sois aujourd’hui l’infaillible présage, ”
Du noir courroux, du foudroyant orage, ”
Qui doit demain éclater en ces lieux ; ”
Va loin de nous sur quelque bord honteux, ”
Honni, flétri, montrer que la vengeance ” A
des attraits pour les cœurs qu’on offense. Disant
ces mots, elle empaume soudain, Le
vieux Balai d’une intrépide main : Un
bruit confus, mille cris de victoire Remplissent
l’air de sa brillante gloire. Tel dans la Grece on vit jadis les rats, Devant
les Dieux, décidant leurs débats, De
leurs clameurs ébranler les montagnes. D’un air guerrier Ursule & ses compagnes Dans
le jardin entrerent avec bruit. L’astre inconstant qui
regne sur la nuit, Au
pâle éclat de sa triste lumiere, Conduit
la troupe auprès d’une riviere. Là, sœur Ursule,
en grande émotion, Dans
l’eau soudain jette l’affreux ramon. Va,
lui dit-elle, errer au gré de l’onde. Si
le hazard te fait courir le monde, Sois
sans repos, comme le Juif errant ! Sois
le jouet de la foudre & du vent, Et
que l’enfer soit ton dernier rivage ! Antiques sœurs, que cet affront outrage, Vous
ignorez le destin du
Balai. Hélas,
grand Dieu !
tandis qu’un songe gai, Retrace
encor sur les fibres tremblantes De
vos cerveaux, les images parlantes Des
doux plaisirs, dont vos sensibles cœurs Ont
autrefois épuisé les douceurs ; Hélas !
tandis que ce sommeil barbare, Fils
de la nuit & du sombre Ténare, Fait
reposer vos vieux individus Entre
les draps que Bertoul (*) a tissus ; Vos
jeunes sœurs, ces pétulantes filles, Que
les amours escortent à vos grilles, Dans
le Chapitre ont fait un
coup affreux, Qui
doit demain, arracher de vos yeux Des
pleurs amers, & sur vos tristes mines, Sur
vos vieux fronts, tout hérissés d’épines, Tracer
en noir le chagrin dévorant, L’affreuse
haine, & le dépit sanglant. Ah !
vous dormez.... vous ignorez encore.... Arrête,
Muse !.... attendant que l’Aurore Ait
sur les fleurs répandu ses parfums, Laissons
en paix reposer les défunts. (*) Le frere George, marmiton des P.
P. Jacobins, fut attaqué d’une sécheresse dans les Amygdales : il les
humectait tous les matins avec une chopine d’eau-de-vie ;
il mourut dans l’opération. (*) Fameux tisserand qui fait les guenillons des Nonnes. |