La Chandelle d’Arras
Poème en XVIII chants
Par
l’abbé H.-J. Dulaurens
(1765)
Reproduction
de l’édition de Paris, 1807.
Le texte en rouge figure dans la version 1881 ( bnf )
►
L’orthographe et la ponctuation d’origine ont été respectées.
Merci
de nous pardonner ou de nous signaler les fautes qui nous auront échappé.
TABLE DES MATIÈRES
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La Chandelle d’Arras
Querelle
de Jean et de Jérôme – leur combat.
Belle Zéphire ! ô toi, que mes disgraces
Voudraient
en vain arracher de mes bras ;
Toi,
que l’Amour amena sur mes traces,
Pour
m’inspirer sous ces nouveaux climats :
Viens
m’éclairer du feu de ton génie !
Je
vais chanter la Chandelle d’Arras,
Ce
phénomène apporté par Marie,
Qui
toujours luit, brûle et ne s’éteint pas.
Au bon vieux tems,
le vrai tems des sottises ;
Quand
nos Docteurs, porteurs de barbes grises,
Prêchaient
les Saints, le Pape, le Démon,
Le
feu d’enfer brûlant, dans un sermon ;
Tous
les cerveaux, travaillés de vertiges,
Aimaient
la fable et croyaient aux prodiges ;
Les
Châtelains, chargés d’un gros bon sens,
Dans
leurs Châteaux voyaient des Revenants :
Fillette
enceinte accusait du dommage
Quelque
sorcier. Hélas ! un pucelage
A
beau tenir, quelque charme à la fin
Le
fait sauter : un Sorcier est bien fin ;
Et
dans ce tems, pour l’honneur des familles,
On
croyait fort les Sorciers et les filles.
Tel on était
dans le pays d’Artois,
Pays
semblable aux côteaux Champenois ;
Où
l’on naît sot, non pas pour le paraître,
Le
devenir ; mais seulement pour l’être,
Comme
l’on dit, toute une éternité.
Dans Arras donc,
c’était dans la Cité,
Vivaient
jadis deux hommes très-illustres :
Tous
deux avaient un peu plus de huit lustres,
Force
raison au bout de leurs cheveux,
Et
de l’esprit où la poule a ses œufs.
L’un
se nommait Jérôme Nulsifrote :
Quand
le grivois vous tirait une botte
A
jeune fille, il allait droit au cœur.
Son
compagnon s’appellait La Terreur.
Ce
fier vivant, de vaste corpulence,
Fort
comme un turc, vous menait d’importance
Une
grivoise, et tout sur le bon ton.
Des
reins épais, un nez d’un pied de long,
Lui
captivaient les hommages des femmes ;
Le
phénomene allumait dans leurs âmes,
Un
feu divin qui glaçait leurs maris.
Mainte
disait : jarni ! dans quel pays
Le
ciel fait-il croître des nez si rares ?
Pour
nos besoins ses mains sont bien avares !
Près
de ce nez, d’un si noble maintien,
De
nos époux les nez ne seraient rien.
Ces bonnes gens,
l’honneur de la patrie,
De
la Cité soutenaient l’harmonie.
Jérôme
et Jean, de leur profession,
Étaient
tous deux joueurs de violon.
A
livre ouvert, sur le champ, en cadence,
Ils
vous raclaient la fine contre-danse,
Un
cotillon sur l’air de l’Angola,
Ou
du Stabat Mater Dolorosa ;
Ce
dernier air enchantait la province,
Où
de tout tems le goût fut aussi mince,
Que
la boisson que l’on boit dans Arras.
Chéris des
Grands, goûtés des Magistrats,
Nos
Batistins (1)
par un talent unique,
Gagnaient
l’argent et l’estime publique ;
Nôces,
festins ne se passaient sans eux ;
Qui
les avait s’estimait trop heureux.
L’âme des
Dieux, l’Amitié secourable,
Dès
le berceau, d’un nœud toujours durable,
A
Nulsifrote unissait La Terreur ;
Ces
deux amis ne faisaient qu’un seul cœur.
Jamais
mortel ne vit chaîne pareille :
Le
brandevin, la bierre et la bouteille.
Trois
fois le jour ranimaient leurs beaux feux,
Trois
fois le jour resserraient leurs doux nœuds.
Le
vieux Platon, le jeune Alcibiade,
Le
fier Oreste et le tendre Pilade,
Des
romanciers si vantés autrefois,
Vis-à-vis
d’eux n’étaient que des cœurs froids ;
Qui
l’aurait dit ! que la voix d’un profane,
Qu’un
vil oiseau, que son maudit organe
Désunirait
des nœuds si précieux ?
Rien
n’est constant sous la voûte des Cieux.
Certain bon jour,
le jour de Pentecôte,
Jean
La Terreur, Jérôme Nulsifrote,
L’esprit,
le cœur remplis de brandevin,
Vers
Saint-Laurent (2)
cheminaient au matin.
Sortant
d’Arras, à vingt pas de la ville,
Un
animal, une bête incivile ;
( Que
le Démon, ah ! sinistre Coucou,
Aurait
bien fait de te tordre le cou : )
L’animal
donc entonna son ramage.
Jérôme
en rit, et pour le badinage,
En
se tournant, il dit à l’ami Jean :
L’entends-tu
bien ? Connais-tu ce plain-chant ?
Pour
un mari le bel épithalame !
Dis-moi,
l’oiseau connaîtrait-il ta femme ?
L’aurait-il
vue avec notre Curé ?
Sous
le Vicaire, ou près d’un Tonsuré ?
Je
crois, ma foi, qu’il t’en dit des nouvelles.
La
chienne au moins n’est point de ces cruelles
Qu’il
faut toujours tirer par le jupon.
Souvent
chez toi j’ai vu le frère Oignon….
Comment,
coquin, répond Jean en colère,
Sais-tu,
morbleu ! que notre ménagère
N’a
giboyée avec d’autre que nous ?
Ah !
vive Dieu ! je sommes son époux ;
A
la nourrir chaque nuit je m’occupe,
Même
le jour, malgré sa longue jupe….
Va,
le coucou n’a chanté que pour toi.
Serait-il
vrai ?… Quoi ! des cornes à moi ?
Je
bouche trop l’endroit où ça se plante !
Et
puis Nanon…. Tiens, le Diable me tente ;
S’il
ne m’arrête…. à l’instant tu verras….
Ah !
dit Jérôme, ah ! ne te fâches pas.
Tranquillement
accommodons l’affaire ;
Tiens,
pour nous deux il a chanté, Compère.
En
conviens-tu ? Non, diantre, par ma foi !
Je
n’en suis point ; il a chanté pour toi.
J’ons
de l’honneur aussi grand que je sommes,
Et
sur ce point je ne craignons quatre hommes
Tiens,
vois mon front, vois s’il est raboteux ?
Ton
front ! ton front ! tu l’as drôle, parbleux !
Il
est plaisant ? Hé ! mais, il s’imagine
Que
ça se voit…. on aurait belle mine
Si
l’on montrait cette coiffure aux gens !
Cela
paraît, mais ce n’est qu’en-dedans ;
Console-toi,
tu n’es pas sans confrère.
Jean était bon,
et non pas débonnaire.
Quoique
dévot à la sainte amitié,
Il
n’était homme à se moucher du pié ;
Toujours
ses doigts servaient à cet usage,
Pour
épargner les frais du blanchissage
Et
les mouchoirs : le secret était bon.
Jean, plein d’honneur,
n’avait d’aucun affront
Jamais
souffert le flétrissant outrage.
Son
poing nerveux, sur le large visage
De
son ami, vous applique soudain
Cinq
à six coups, mais de la bonne main,
L’œil
irrité, le vaillant Nulsifrote
Siffle
des dents, frappe du pied, et saute
Sur
la Terreur, le saisit aux cheveux,
L’attire
à lui, veut l’abattre : tous deux
Luttent
long-tems, se cognent, se meurtrissent :
Dans
leur fureur, ces malheureux vomissent
Contre
le ciel mille affreux juremens.
O
Dieu vengeur ! où sont tes châtimens ?
Pour
tes clochers réserves-tu la foudre ?
Ne
réduis-tu que tes autels en poudre ?
Fais-la
tomber sur ces monstres affreux :
Leurs
juremens font dresser les cheveux.
Mort…
tête… sang… je tremble ! ils osent prendre
Dieu
par le nez… le Diable par le ventre !
A
ces horreurs l’écho reste sans voix,
Flore,
zéphyr se cachent dans les bois ;
Sur
un ciel noir, le Démon des orages
Vient
en grondant du fond des marécages.
Sa
main terrible a déchaîné les vents ;
Les
champs de l’air, à ses regards brûlans
Sont
enflammés, les flèches du tonnerre
Ouvrent
le ciel et déchirent la Terre ;
En
vain la foudre éclate à leurs côtés,
Jérôme
et Jean n’en sont épouvantés ;
Leur
fier courroux s’accroît avec l’orage,
L’air
en tonnant ranime leur courage
Tel
autrefois ce cynique effronté
Que
le Portique a si long-tems vanté ;
De
son tonneau, l’orgueilleux Diogène,
La
pique en main, à la face d’Athène,
Rit
de la foudre et se moque des Dieux.
Couverts de sang,
ces monstres furieux,
Las,
épuisés, étendus sur l’arène,
D’un
œil éteint, dont la paupiere à peine
Pouvait
s’ouvrir, se défiaient encor.
Tel
expirant l’infatigable Hector
Bravait
Calcas et menaçait Achille.
De leur combat le
bruit vint à la ville ;
Arras
se trouble et s’attendrit pour eux ;
On
court, on vole, on les trouve tous deux
Sans
mouvement et prêts à rendre l’âme.
Dans
ce moment, ô Jean ! tu vis ta femme ;
La
froide horreur avait glacé son teint,
L’amour
ému s’agitait sur son sein ;
De
cent baisers elle mouille ta bouche ;
O
belle Annette ! ô l’orgueil de sa couche !
Ton
cœur soupire…. Annette par trois fois
Tu
veux parler, ta douleur est sans voix.
Perfide
Amour, tu ris de sa tristesse !
Tu
flattes Jean ! cette feinte caresse
Est
l’art discret de tromper un mari.
Vive
un cocu, grand Dieu ! qu’il est chéri !
Plus
mitonné qu’un Directeur de Nonne,
Au
moindre mal on se pâme, on s’étonne,
On
crie, on presse, on le lèche, il faut voir ;
Femme
à lui plaire épuise son savoir.
Ah !
si le ciel d’une chaîne amoureuse
Unit
un jour ma destinée heureuse
A
jeune objet, je veux être cocu.
L’air
trop mal-sain de l’austère vertu
Ne
me plaît point, j’aime un peu la faiblesse :
L’humanité
fut toujours ma sagesse.
Sur un brancard
couvert de deux manteaux,
A
l’hôpital on porte nos Héros.
Anne
les suit en répandant des larmes ;
Son
air touchant embellissait ses charmes ;
Sa
gorge émue attendrissait les cœurs.
Plus
d’un Abbé fut sensible à ses pleurs.
(1)
Allusion au fameux Musicien de ce nom.
(2)
Village
à une lieue d’Arras.
Le
Diable habillé en Ermite descend à l’Hôpital – excite Nulsifrote
à la vengeance.
Dans
la Cité quarante-deux Sœurs-Grises,
Vierges
jadis, mais femmes bien apprises,
De
l’Hôpital ont la direction,
Là,
chaque Nonne avec distraction
Panse
un malade et met à son derrière
Du
vitriol pour l’onguent-de-la-Mère ; (1)
En
quiproquo ces Sœurs en savent long.
Or
dans ce tems, on dit que le Démon
Rôdait
souvent autour du Monastère.
Cet
ennemi du ciel et de la Terre
A
Nulsifrote apparut dans la nuit ;
Le
Diable est fin, c’est un terrible esprit.
Nos
beaux prêcheurs l’ont affublé d’injures.
Dans
leurs sermons surchargés de figures,
Le
Diable est peint, Dieu même en aurait peur.
A
les entendre, il ment comme un rimeur.
Aux
sots, dit-on, cette bête est à craindre ;
Hélas !
pour moi, j’aurais tort de m’en plaindre.
A
ses amis il ne fait jamais rien ;
Le
bon Jésus s’en est trouvé très-bien.
Mathieu
nous dit qu’un jour dans un miracle,
Il
le porta sur le haut d’un pinacle,
D’où
bien à l’aise il voyait l’Auxerrois,
Les
Pays-Bas, l’Ecosse, l’Angoumois,
Berlin,
Paris, le Fort de La Goulette,
La
rue aux Ours, celle de la Huchette,
Où
soupirait à côté d’un gigot,
Certain
Arnaud, le lamentable Arnaud ; (2)
Milord,
dit-il au Maître du tonnerre,
Tout
rondement voulez-vous, ventre à terre
A
mes ergots faire un beau compliment,
Sur
mon honneur je remets à l’instant
Ce
beau pays sous votre obéissance.
Jésus
lui dit : Satan, ton opulence
Ne
peut tenter un cœur comme le mien ;
Aux
Publicains tu peux donner ton bien ;
Sans
la vertu le monde est méprisable.
Laissons
Jésus faire un sermon au Diable ;
Car
en tout tems un bon prédicateur,
Comme
un mauvais, endort son auditeur.
Dans
la nuit donc, pour tromper Nulsifrote,
Le Diable part
orné d’une calote,
Le diable, orné d’une large calotte,
D’un
grand cordon, d’un chapelet sans croix,
D’une
béquille, enfin du saint harnois
De frère Luc
allant en guerre sainte
Du frère Luce, allant en guerre sainte
Trouver
Agnès, qui fut neuf mois enceinte
Pour
faire un Pape, et ne fit qu’un tendron.
O mon ami !
s’écria le Démon,
Je
suis Satan, cet être craint en France,
Des
grands Docteurs profonds en ignorance,
Pour
t’effrayer, me rendre plus hideux,
D’un
habit noir ils m’ont vêtu comme eux
Et
m’ont planté des cornes à la tête :
Ah !
par l’Enfer ! que la Sorbonne est bête !
Que
le fourrage à ses gens convient bien !
En
vérité, c’est leur pain quotidien.
Je
naquis noble, et ma source est divine ;
Jadis
au ciel je pris mon origine,
Mes
compagnons, esprits forts, gens hardis,
De
leur éclat follement éblouis,
A
l’Eternel déclarèrent la guerre.
Tels
les Titans, nous dit le grand Homère,
En
Thessalie insultèrent les Dieux.
La
même fable arriva dans les Cieux.
Avant ce tems,
nous goûtions sans partage
La
froide gloire et le mince avantage
De
dire en prose, en beaux vers, en plain-chant,
Triomphe,
honneur au Seigneur tout-puissant !
Toujours
brailler, toujours la même note,
Cela,
ma foi ! mon ami Nulsifrote,
Nous
ennuyait. Un beau soir Lucifer,
Garçon
divin, sémillant comme l’air,
Voulut
de Dieu surpasser l’élégance,
Ceindre
la gloire, usurper la Puissance.
Messieurs,
dit-il aux jeunes Chérubins,
Notre
Seigneur nous prend pour des gredins.
Sommes-nous
faits pour ramper sous un maître ?
En
se tâtant chacun peut se connaître ;
S’en
faire accroire est le talent d’un sot :
Contre
le ciel formons un saint complot ;
Attaquons
Dieu, chassons-le de son trône,
Brisons
son sceptre, arrachons sa couronne,
Ou
tout au moins égalons-nous à lui.
L’honneur
le veut, soyons Dieux aujourd’hui.
Ce
beau projet fut applaudi des Anges,
A
l’orateur on donna cent louanges.
Je
ne fus point de l’avis d’Astaroth.
Le
Diable était d’attacher le grelot
A
Dieu le Père ; il n’était point maniable.
Comment
le prendre ? Un Prélat respectable
Aux
doux plaisirs, le Cardinal Dubois (3),
Bien
mieux que nous le prenait mille fois
De
cent côtés : aussi son Éminence
Était
l’ami (4)
d’un grand Seigneur en France.
Sur son palier
nous insultâmes Dieu.
Comment,
dit-il, vous osez en ce lieu,
Braver
ma foudre et m’outrager en face ?
Quoi !
des coquins, nés du sein de ma grâce,
Voudront
du ciel me chasser aujourd’hui !
Le
Charbonnier est le maître chez lui.
Holà,
Michel ! soudain que l’on s’escrime,
A
coup de sabre il faut punir le crime,
Dans
le chaos engloutir ces mutins,
De
fers brûlants charger leurs viles mains.
On
se battit ; Dieu du haut de sa gloire
Vit
le combat ; fit pencher la victoire
De
son côté : c’était très-naturel.
Mais,
entre nous, sans le vaillant Michel,
Le
Paradis appartenait au Diable.
Oh !
le bon coup. Lucifer plus traitable
Assurément
n’eut point damné les gens.
Pas
n’était sot pour faire à ses dépens
Ce
noir Ténare où l’on brûle les âmes,
Et, sans
pitié, de très-aimables femmes,
Sans pitié, de très-aimables femmes
Pour avoir
fait de sots maris cocus.
Pour avoir fait un sot mari cocu.
Ah,
si l’Archange, ami, nous a vaincu,
Il
doit sa gloire à notre extravagance ;
Tout
neufs encore et sans expérience,
Nous
n’avions brin connaissance de Dieu.
Pour
nous encor il était de l’hébreu ;
Car
Lucifer n’était point assez bête,
S’il
l’eût connu, de tenter sa conquête.
Que
la jeunesse est un tems mal aisé !
Et
qu’à cet âge on est mal avisé !
Le
cœur léger s’incline vers le vice ;
Il
faut souvent que la barbe blanchisse,
Avant
d’user un peu de sa raison ;
Mais
pour le mal, on l’apprend sans leçon :
Quand
on est bon, c’est souvent par faiblesse ;
C’est
le hasard qui donne la sagesse.
Le hasard donc
toucha mon tendre cœur ;
Le
vif remords, ce tyran du pécheur,
Me
poignarda. Brisé de repentance,
Dessein
me prit de faire pénitence :
Sur
ses vieux jours l’homme se convertit.
D’un
pas dévot j’allai, le cœur contrit,
Près
d’Achicourt (5)
prendre l’habit d’Ermite.
Que
le Rosaire entre mes mains profite !
Qu’un
capuchon est un meuble divin !
Embaumez-vous,
flairez l’odeur de Saint
Que
ça répand : c’est l’encens de la grâce.
Non,
le boiteux, non, l’ignorant Ignace,
De son vivant,
ne sentait pas si bon….
Dans son vivant ne sentait pas si bon…
Dans les vapeurs
de ma dévotion,
J’ai
vu Marie : ô ciel ! qu’elle était belle !
La
fraîche Aurore est un chiffon près d’elle !
Son
œil brillait des feux du chaste amour,
Un
jupon simple, uni comme un bon jour,
N’ajoutait
rien à l’éclat de ses charmes.
A
son aspect je répandis des larmes ;
Quoi !
vous pleurez ! dit-elle en souriant ;
Un
grand garçon fait-il ainsi l’enfant ?
Êtes-vous
donc de ces petites âmes ?
Laissez
les pleurs, ils engraissent les femmes ;
Quittez
la haire, et marchez vers Arras,
Vers
l’hôpital vous porterez vos pas.
Un
sot mortel, insensible à l’outrage,
Entre
deux draps amollit son courage.
L’honneur
honteux, sur son maussade front,
Rougit
encor de l’éternel affront
Dont
l’a flétri la main de son compère.
Dans
son cœur lâche allumez la colère :
Qui
sait se battre est digne de mes yeux,
Qui
ne se venge est indigne des Cieux.
Tel
que l’éclair ouvre, enflamme la nue,
Disant
ces mots, Marie est disparue.
O Nulsifrote !
ô cœur trois fois heureux !
La
sainte Vierge est sensible à vos vœux.
Vous
êtes sûr, sous sa main immortelle,
De
vaincre Jean ; que pourrait-il contre elle ?
Ah !
vengez-vous comme doit un Chrétien ;
Suivez
le ciel ; le ciel se venge bien.
C’est
un plaisir de punir l’insolence ;
Dieu
pour lui seul a gardé la vengeance ;
Il
connaissait les morceaux délicats.
Sur
La Terreur déployez votre bras ;
Que
cette nuit le scélérat périsse ;
Prosternez-vous,
que ma main vous bénisse.
Le Diable alors
élevant deux grands doigts,
Sur
le Héros fait un signe de croix ;
Puis
d’une voix agréable, mais fière,
Les
yeux au ciel, il fit cette prière :
Dieu des vivans,
des morts et des saisons,
A
qui Clément (6)
chante tant d’oraisons,
Pour
obtenir le mépris des richesses,
Sur
Nulsifrote épanche tes largesses !
Donne
à son bras la force de Samson,
A
sa valeur le feu de Gédéon !
Devant
ses pas fait marcher le tonnerre,
Mets
dans son cœur l’homicide colère
Dont tu
frappais les faibles Hétéens,
Dont tu frappais les faibles héthéens,
Les fils d’Ammon
et les Amorrhéens !
Les fils d’Amon et les amoréens ;
Qu’il
soit vainqueur ! De rechef, à ces mots,
De
la main gauche il bénit le Héros.
(1) Onguent-de-la-Mère, ainsi
nommé à cause d’une Religieuse de l’Hôtel-Dieu de Paris, qui en fit la
découverte.
(2) Auteur faisant des Jérémiades et de petits bouquets à
Daphné. Cette Daphné était la moitié d’un Rotisseur de la rue de la
Huchette.
(3) Le Cardinal Dubois reçut la Confirmation, la Tonsure, les
quatre Moindres, le Sous-Diaconat, le Diaconat, la prêtrise, et sa première
Communion le même jour. Ce fut le célèbre Massillon qui lui administra tous
ces Sacremens à la fois, et qui lui dit : Monsieur l’Abbé, ne
faudrait-il pas aussi vous donner le Baptême ?
(4) Voltaire nous a donné le vrai sens de ce mot dans la
Pucelle (Voyez l’article Bonneau.)
(6) Clément XIII, Roi de Rome.
Nouveau
combat de Jean et de Jérôme
– le pansement du blessé – son trépan.
Monsieur
Buffon, dont l’éloquente plume
Créa
pour nous dans un profond volume,
Avec
des mots artistement tournés,
Un
nouveau monde et des cieux mieux peignés,
Parle
du Chien ; mais il en parle en maître,
Qui
connaît tout, qui répand sur chaque être
Le
jour naissant de la création.
Le
Chien, dit-il, est plein d’attention ;
Tendre,
poli, complaisant, doux, affable,
Pour
les humains d’un instinct favorable,
A
les aimer il consume ses jours ;
Paphos
n’a point de plus fermes amours.
Dieu de mon cœur,
trop volage Lisette,
Te
souvient-il ? quand ta flamme coquette
Me
captivait sous ta trompeuse loi,
Ton
chien, ton chien, moins inconstant que toi,
Couvrait
tes feux d’une honte éternelle.
Ainsi
que lui que n’étais-tu fidelle ?
A l’hôpital
trois détestables chiens,
Pendant
la nuit servoient de gardiens.
Ces
trois mâtins ne valaient pas la chatte ;
Oncque
n’avaient bien su donner la patte.
Toujours
jappant, sautant, courant, mordant
Les
malheureux qu’ils trouvaient en passant.
Pif,
Pouf et Paf étoient leurs noms terribles.
Jamais
l’enfer, dans ses gouffres horribles,
N’avait
produit des dogues si hargneux ;
Cerbère
était un mouton auprès d’eux.
Vivent
les chiens chantés dans l’Écriture,
Ils sont
chômés de la race future.
Ils sont chommés de la race future ;
Roch
et Tobie étaient d’assez bons chiens,
Très-bien
pourvus ; mais nos trois vauriens,
Ils l’emportaient
en malice sur l’homme.
L’emportaient presque en malice sur l’homme.
Laissons
ces chiens, revenons à Jérôme.
Ce Fier-à-bras,
par le Diable éveillé,
Saute
du lit, et sans être habillé,
Va
droit à Jean, et d’un regard sévère
Lui
dit ces mots qu’anime la colère :
Visage
affreux, face de réprouvé,
Qu’à
mon courroux le ciel a réservé,
Voici
le jour marqué pour la vengeance ;
Ton
front épais, où l’altière insolence
A
peint d’un gueux la maussade fierté,
Retrace
encore à mon œil irrité
Ce
jour sinistre, où le chant détestable
D’un
vil oiseau brisa le nœud durable
Qui
dès l’enfance, avait uni nos cœurs ;
De
ma colère éprouve les fureurs.
Terrible
Dieu des noires Euménides !
Qui
fit sonner ces Vêpres homicides,
Où
la Sicile et la fière Atropos
Du
sang Français firent couler les flots !
Viens
éclairer ma colère implacable.
Conduis
mon bras, immole le coupable ;
Sa
lâche main a fait rougir mon front.
Que
son vil sang efface cet affront !
Disant
ces mots, d’un poing ferme et robuste
Adroitement
Jérôme vous ajuste,
A
coup portant, sur la face de Jean
Vingt
horions, et lui casse à l’instant
Le
nez, le front, la gueule et la mâchoire ;
Trente-deux
dents sur le champ de victoire,
De ce succès
sont les sanglans témoins.
De ses succès sont les sanglants témoins.
Jean
se réveille ; on se réveille à moins.
Avec
fureur de son lit il s’élance ;
Armé
d’un pot sur Jérôme il avance,
L’atteint,
le frappe et lui brise les os ;
L’autre
résiste, et saisit à propos
Un
Saint Michel enchâssé sur un Diable ;
Le
couple épais, dans sa main redoutable,
Fait
du fracas ; Jean en est abattu.
Un
Diable, un Saint ont bien de la vertu !
Quand
ils sont gros, ils terrassent leur homme.
Le fier combat de
Jean et de Jérôme
Subitement
éveille la maison ;
Tout
l’hôpital est en confusion.
Sur
leurs grabats les malades frémissent,
De
cris plaintifs les voûtes retentissent ;
L’un
croit avoir entendu dans les airs
Le
bruit roulant qu’annoncent les éclairs,
L’autre,
étourdi dans son saisissement,
Croit
ressentir cet affreux tremblement,
Qui
de nos jours a renversé Lisbonne ;
Mainte
femelle invoque sa Patronne,
Le
vieux Saint Roch et le grand Saint Venant.
Par
cent Salve l’une invoque Marie,
La
Sainte-face et Sainte Epiphanie,
Qui,
dans son tems, accoucha des trois rois.
Au
bruit affreux de ces lugubres voix,
Les
trois mâtins, plus méchans que Cerbère,
Dans
l’hôpital entrent avec colère.
Pouf
aboyait ; mais Pif plus courageux
Sur
nos Héros s’élance furieux ;
Paf
à Jérôme entame le derrière.
Pouf
enragé, d’une dent meurtrière,
Le
mord, lui prend certain objet benin,
Idolâtré
du sexe féminin.
Si
je pouvais, sans blesser la décence,
Peindre
l’objet aux yeux de l’innocence,
Ciel !
que sur lui l’on verserait de pleurs :
Son
triste sort ferait fendre les cœurs.
Frêle
pudeur ! faut-il qu’à tes maximes
J’aille
enchaîner ma pensée et mes rimes ?
Tes
faux appas n’enchantent que les sots ;
L’homme
innocent rougit-il pour des mots ?
Femme
le doit, attentive à l’usage,
On
voit soudain briller sur son visage
Ce
faux vernis, masque de la pudeur,
Que
de ses mains prépara l’Art trompeur.
Aux cris des
chiens les Nonnes accoururent.
Leurs
yeux bénis en entrant apperçurent
Le
fier Jérôme étendu sur le dos ;
Sur
lui le sang ruisselait à grands flots.
Divin
sauveur, quelle étonnante affaire !
Dit
en tremblant la Mère Apothicaire,
Ce
malheureux va périr dans nos mains.
O
chiens maudits ! ô dogues inhumains
Qu’avez-vous
fait ?… Attendez que je voie.
O
ciel ! mes Sœurs, les sources de la joie
N’existent
plus ! Jésus ! il n’a plus rien !
Ce
châtiment sans doute est pour son bien :
Il
baisait trop : mais que dira sa femme ?
Ce
coup fatal doit confondre son âme.
Ah !
juste Dieu ! quelle sévérité !
Tes
jugemens font trembler l’équité !
Pourquoi
ta main, cette main large et sûre
Où
les oiseaux vont chercher leur pâture,
Arrache-t-elle
ainsi cruellement
A
sa moitié le pain du Sacrement ?
Sans
le plaisir, le plus riche ménage
N’est
qu’un ciel noir, couvert d’un froid nuage :
Comment
servir, nourrir, fêter un cœur ?
Une
nuit sèche est semblable au malheur.
De
ce fléau, Ciel, préserves nos grilles !
Que
ferions-nous ? hélas ! quarante filles
Ont
des besoins ; et comme dit Gresset,
C’est
bien le moins d’un pauvre perroquet !
Mar
pitié l’on soulage Jérôme ;
Par pitié l’on soulage
Jérôme ;
Sur
sa blessure on applique du baume,
En
le pansant, la Mère Cornichon
Adresse
au Ciel cette sainte Oraison :
Le
faible honneur, Seigneur est ton ouvrage ;
Son
point d’appui, c’est le point du naufrage ;
Y
touche-t-on, soudain il est brisé.
Hélas !
pourquoi dans un vase percé
Ton
bras puissant place-t-il la sagesse ?
De
tes rayons viens couvrir ma faiblesse :
Donne
à ma main l’adresse et la pudeur ;
Que
mon œil pur, sur cet objet trompeur
Ne
souille point…. ah ! fais que je ne tombe !
C’est
un endroit où la vertu succombe.
Dans ce moment,
la Mère Saint-Martin
Vint
tristement apporter un clistère :
Ami,
dit-elle, ici j’ai votre affaire ;
Ce
lavement est fait de Tamarin,
D’Agnus
castus chauffés au bain-marie.
Prenez,
prenez, il est doux et benin :
Feu
Pourceaugnac n’a reçu de la vie
Un
lavement fait d’aussi bonne main.
Tournez
le dos, et levez le derrière….
Un
peu plus haut… votre jambe en arrière.
Bravo,
j’y suis, j’ai le nez sur le trou ;
Non,
attendez, haussez un peu le cou !
Bon !
le cul ferme, allons partez muscade.
La
Mère pousse, et croit de son malade
Avoir
saisi le pertuis ténébreux :
Pas
n’est au trou. Sous son poignet nerveux
Le
piston part, la canule se brise ;
Le
long du dos, entre chair et chemise,
La
liqueur monte, et vous frappe en passant,
Vers
l’occiput, le pauvre patient ;
Et
fait sauter son bonnet en arrière.
Le
malheureux, dans ce moment contraire,
Lève
la tête et veut voir l’accident ;
En
retombant, les ondes du clystère
Vont
pommader, de leur suc anodin,
De
mon Héros la face et la crinière.
Bénissant
Dieu, maudissant le destin,
Dans
ce malheur la Mère Apothicaire,
L’œil
humecté du fatal lavement,
Réclame
encor Saint Vaast et Saint-Venant.
Un assassin,
Docteur en médecine,
De
Lachésis ancien Tambour-Major,
Paraît
soudain. Il portait sur sa mine,
Qu’ombrage
au loin un énorme castor,
(Qu’ombrage au loin un énorme castor,)
L’air
élégant d’un consolant clystère.
En
style épais il fit un commentaire
Sur
le nombril de notre père Adam,
Sur
l’opium, la sauge et le chien-dent.
Mes
sœurs, dit-il, la matière louable
Fut
de tout tems chère à la Faculté,
Et
de notre art, par les sots si vanté,
Le
pot de chambre est l’objet respectable ;
De
nos chapeaux c’est la plus belle fleur ;
La
tubéreuse a pour nous moins d’odeur.
Le vieux Docteur
examine Jérôme,
Tâte
et s’écrie : eh ! comment donc ! cet homme
Est ainsi
fait ? Que peut-on ordonner !
Est-il ainsi ? Que peut-on
ordonner ?
Je
vois deux cas ; là je sens de l’enflure,
A
l’occiput sans doute il a fracture ?
Vîte
un Frater, il faut le trépaner.
Du
grand Saint Côme arrive un vieux confrère,
Qui
rasait bien, mais c’était autrefois.
Dans
quinze jours il ferait un cautère
Habilement
au bras d’un Saint de bois.
Le
chevalier de la triste Lancette
Tire
sa trousse, aussitôt vous apprête
Rasoirs,
ciseaux, plumaceaux et trépan.
Long-tems
en main il tient le patient,
Lorgne
l’objet, opère en tâtonnant,
Ouvre
le crâne…. ô merveille nouvelle !
De
cette plaie il sort une Chandelle,
Qui
dans les airs s’élance avec fracas.
Le
vieux Barbier, étonné de ce cas,
Contre
le mur recule épouvanté ;
Le
Médecin dit que la Faculté
N’a
jamais vu semblable phénomène.
Vîte,
opérons, je crains que la gangrêne
Ne
cause ici le transport au cerveau ;
Parons
le coup. Trente grains d’Ellébore,
Cinq
à six gros d’extrait de Mandragore
Lui
seront bons ; ce traitement nouveau
Est
merveilleux. Ce crâne est sans jointure….
Si
l’on pouvait, pour achever la cure,
Y
faire entrer deux onces de bon sens,
Ce
n’est pas trop…. Comment à cinquante ans
Aller
à neuf habiller une tête ?
Comment…. encor….
Si le poil de la bête
Pouvait
servir ? Quand le timbre est fêlé
Il
faut…. oui…. non…. un peu de foin pilé,
Contre son mal
serait un mal béchique ;
Contre son mal serait un grand
béchique ;
Ma
foi, ce cas met à bout ma pratique !
Guérit
qui veut…. j’y perdrais mon latin.
Le
médecin, d’un air mélancolique,
Alla
vêtir sa robe académique ;
Et
fut apprendre aux Magistrats d’Arras
De
leur ami le triste et piteux cas.
Héloïse
vient consoler Jeanne – Jeanne court à l’Hôpital – Combat de Jeanne et
d’Annette.
et de Jeannette.
Le
jour perçait le voile des ténèbres :
Aux
cris aigus de mille oiseaux funèbres,
La
nuit fuyait vers le noir Phlégéton.
Sur
un char d’or l’épouse de Titon
Versait
déjà, de son urne embrâsée,
Sur
nos coteaux la fertile rosée ;
Dans
nos jardins les innocentes fleurs
Baignaient
déjà leur beauté dans ses pleurs ;
Quand
sur Arras le Démon des orages,
Le
front couvert de grêle et de nuages,
Vint
tout-à-coup fondre comme un vautour.
En
nuit obscure il change ce beau jour.
Son
char de feu roule avec le tonnerre :
Leur
choc affreux épouvante la terre.
Transi
de froid, le vieux Septentrion
Vient
en tremblant embrasser l’Aquilon ;
Leurs
vents unis ont renversé les chênes,
Troublé
les eaux, débordé les fontaines,
De
nos vergers détruit le riche espoir,
Et
de Lisette emporté le mouchoir.
Tendre
Colin, que ton âme est émue !
Quel
sein brillant vient enchanter ta vue !
Son
mouvement est celui de ton cœur :
Deviens
hardi : que pourrait la pudeur ?
Un
rouge heureux couvre en vain ton amante ;
Doit-on
rougir quand l’âme est innocente !
En
vain Lison, honteuse dans tes bras,
A
tes regards veut cacher ses appas ;
A
tes baisers je la vois moins farouche ;
Son
sein palpite, et pressé par ta bouche,
Il
croît, il s’enfle au gré de tes désirs ;
L’occasion
est le cri des plaisirs.
Mais,
quoi ! tandis que ma Muse légère
Chante
Colin, célèbre sa Bergère,
Leurs
tendres feux et leurs charmans ébats,
Un
globe errant s’avance vers Arras.
Du
centre obscur de ce globe terrible
J’entends
sonner une trompette horrible ;
Ses
tons perçans font trembler mes pinceaux,
Et
dans les bois ont glacé les oiseaux.
Jalouse
Mort ! ô déluge ! ô tonnerre !
L’ancien
chaos revient-il sur la terre,
Rendre
au destin le sceptre du néant ?
La
foudre frappe, ô prodige puissant !
Le
globe s’ouvre et l’horison s’éclaire ;
La
sombre nuit fait place à la lumière.
Le
front brûlé par le feu des éclairs,
La
Renommée apparaît dans les airs.
Un
char la suit : c’est le char d’Héloïse.
Il
est orné des larmes d’Arthémise ;
Le
triste ennui, le désespoir touchant
d’un
faible vol le suivaient en pleurant.
Chez Nulsifrote
Héloïse est entrée.
Dans
une couche à l’Hymen consacrée,
Où
l’œil des Dieux lisait sur la blancheur
La
foi, l’amour et la douce candeur,
Sa
jeune épouse, en ce moment éprise
Du
feu secret qui consume Héloïse,
D’un
vain bonheur amusait ses appas.
Un
songe heureux reposait dans ses bras.
Les
vents de Cnide apportaient autour d’elle
L’encens
des fleurs ; et l’Amour sous son aîle
Cachait
aux yeux des volages Zéphirs,
Son
chaste sein, le trône des plaisirs.
Aimable
Jeanne, ah ! que vient-on t’apprendre ?
Quel
trait cuisant va percer ton cœur tendre !
Un
chien cruel a moisonné ton bien :
Pour
te choyer Jérôme n’a plus rien.
Jeanne s’éveille,
Héloïse l’embrasse ;
De
mille pleurs elle inonde sa face.
Tendre
moitié, dont le cœur immortel
A
pour amis l’innocence et le Ciel,
Que
ton époux va te coûter de larmes ?
Il
vit encor ; mais quel deuil pour tes charmes !
Le
froid Hiver, répandu sur ton lit,
Entre
tes bras glacera chaque nuit
Le
chaste objet qu’idolâtre ton âme ;
En
vain ton sein, pour animer sa flamme,
S’agitera
sous ses yeux amoureux :
Désirs
perdus ! Jérôme de tes feux
Ne
pourra plus calmer la douce ivresse.
Ton
cœur brûlant au fort de ta tristesse
Invoquera
les Dieux et les plaisirs ;
Ils
seront sourds, Jeannette, à tes désirs.
Tels
des oiseaux, encore sans plumages,
Abandonnés
par des parents volages,
Désespérés,
agités dans leur nid,
Tendent
le bec sans cesse au moindre bruit.
Ainsi
ton cœur….. A ce discours, surprise,
D’un
œil mouillé regardant Héloïse,
Jeanne
long-tems resta sans mouvement ;
Le
désespoir dans ce cruel moment
De
cent douleurs déchirait son cœur tendre.
Belle
Héloïse, en vain tu veux la rendre
Moins
accessible à ses tristes malheurs,
Moins insensible à ses tristes malheurs ;
Tes
vains discours tariront-ils ses pleurs ?
Sans
le plaisir l’Hymen n’est qu’une chaîne
Qu’un
faible cœur ne soutient qu’avec peine ;
Sans
le plaisir est-il des agrémens ?
Sans
le plaisir est-il d’heureux momens ?
Il
n’en est point, dit Jeannette alarmée :
A
ses douceurs mon âme est donc fermée ?
Va,
tes chagrins sont-ils égaux aux miens ?
Le
crime seul a tissu tes liens ;
Tes
cris plaintifs, dont a pâli la terre,
Étaient
la voix d’une flamme adultère :
Un
vil pédant avait trompé ton cœur ;
Ton
Abélard était un imposteur.
Sans
Colardeau, sans son talent magique,
On
aurait vu la sévère critique
Te
reprocher tes coupables excès.
Ah !
laisse-moi me répandre en regrets :
Ah ! laissez-moi me répandre en
regrets :
Ton
sort cruel console-t-il mon âme ?
Sur
ce malheur calme-t-on une femme ?
Jeanne,
à l’instant, court, vole à l’hôpital,
Le
cœur, hélas ! percé d’un trait fatal.
Ses
cris aigus font retentir les voûtes.
O
Dieu puissant ! Amour, si tu l’écoutes,
Descends des
Cieux, répare son malheur,
Descends des Cieux, répares son
malheur,
Ou
viens ôter ta flamme de son cœur.
Entre
les bras de l’époux qu’elle adore,
Jeanne
soupire, et c’est toi qu’elle implore !
Viens…
mais que vois-je !… insensible à ses cris,
Tu
fais le mal, jeune enfant, et tu ris !
Tandis qu’ainsi
Jeannette se désole,
Que
son époux la flatte et la console ;
Dans
l’hôpital Annette entre à l’instant.
Jeanne
la voit, et d’un air menaçant
Quitte
Jérôme, et vient fondre sur elle :
Femme
hautaine, insolente femelle,
Viens-tu,
dit-elle, insulter à mes pleurs ?
Ton
cœur heureux rit-il de mes malheurs ?
Crains
mon courroux, mon désespoir funeste ;
Dans
mes chagrins ce bras nerveux me reste ;
Tiens,
le sens-tu : Jeanne en disant ce mot
Avec
fureur lui décharge aussitôt
Un
coup terrible, et la jette par terre.
Chantre des
Dieux ! ô toi, divin Homère,
Chantre des Dieux ! ô toi, rapide
Homère,
De
tes accords viens seconder ma voix.
Achille
en vain triompha de vingt rois ;
Ce
demi-Dieu, bruyant foudre de guerre,
Dont
Troie en flamme éprouva la colère,
Méritait-il
cet immortel laurier,
Dont
ta main fière orna son front altier ?
Oserais-tu
le mettre à côté d’Anne ?
Pourrais-tu
bien le comparer à Jeanne ?
S’il
triompha des Troyens malheureux,
Il avait Mars,
le tonnerre et les Dieux.
Il avait Mars, le tonnerre et tes Dieux.
Au centre obscur
d’un amas de nuages,
Armés
d’éclairs qu’enfantent les orages,
Un
char de feu tiré par deux Hullans
Porte
dans l’air l’implacable Bellonne :
Telle
autrefois, aux champs de la Sorbonne,
Contre
Ramus animant des pédants,
Ses
froids regards faisaient trembler les bancs.
Ainsi,
dit-on, elle excitait Jeannette.
Déjà
vingt coups sur la face d’Annette
De
sa colère ont signalé l’ardeur,
Et
de son bras illustré la valeur ;
Quatre
fichus, dans leurs mains vengeresses,
Sont
à l’instant déchirés en cent pièces ;
Quatre
tétons, arrondis par l’Amour,
En
palpitant s’offrent aux yeux du jour.
A
ces appas le tendre Amour soupire.
Objets
divins, qui pourrait vous décrire !
Vous
ajoutez à la douceur des fleurs,
Et
votre éclat efface leurs couleurs.
Du
Créateur ce fut la main féconde
Qui
vous donna cette figure ronde,
Ce
boutonnet, cette aimable blancheur,
Qui
tente l’homme, et surtout le pécheur.
Père
du jour ! Dieu des tems ! Dieu des âges !
A
ces beautés je connais tes ouvrages.
A ce combat, à
ce terrible bruit,
De
mille cris l’hôpital retentit ;
Dans
le couvent on sonne la crecelle :
Peu
s’en fallut que dans chaque chapelle,
On
n’étendit un lugubre drap noir.
On court, on
vole, on descend au dortoir.
On court, on vole, on descend du dortoir ;
Déjà
les Sœurs, pour calmer nos rivales,
Ont
déployé de leurs voix monacales
Les
tons usés, les antiques ressorts :
Vaine
éloquence ! inutiles efforts !
La
fière Annette et l’invincible Jeanne,
Le
cœur brûlant d’une rage profane,
A
leur sermon, à leurs saintes douceurs
Ont
répondu ; mais c’est par des horreurs.
Les
mots ronflants de putains, de ribaudes,
Ornent
cent fois leurs courtes périodes ;
Jamais
Vert-Vert, éduqué sur les flots,
Ne
prononça de si terribles mots.
Aux juremens de
nos deux combattantes,
Aux
cris affreux des Nonnettes tremblantes,
Pâle,
craintif et le cœur agité,
Le
Directeur accourt épouvanté.
Muse, peins-nous
le bonheur de ce Père !
Pour
ce tableau reprends ta gravité.
Depuis trente
ans, dans ce saint Monastère,
Le
moine avait roucoulé maintes fois,
Et
confessé les plus jolis minois.
O
volupté ! Trente chastes Amantes
La volupté,
trente chastes amantes,
Offraient
la nuit, à ses mains caressantes,
Bouche
vermeille, et gorge que l’Amour
Aurait
sucé de ses lèvres charmantes ;
Cuisse
divine, un genou fait au tour,
Un
teint semé de fleurs éblouissantes,
D’une
blancheur qui faisait tort au jour.
Là, sans danger,
loin du fracas du monde,
L’homme
de Dieu, dans une paix profonde,
Ornait
son cœur, cultivait son talent ;
Des
revenans il connaissait l’histoire ;
Correctement
lisait dans le grimoire,
Comme un
sorcier au Sénat de Rouen.
Comme un sorcier du sénat
de Rouen.
Aux
coups hardis de l’intrépide Annette,
Aux
cris perçans des Sœurs et de Jeannette,
Le
moine vint au secours du couvent.
Un
goupillon armait son bras sévère.
Comme
autrefois, dans la main du Saint-Père,
Le
fier outil n’était plus si grenu ;
Partout
de poil il était dépourvu ;
Dans
ce bas lieu tout croûle, tout s’ébranle.
Le
Révérend ne sonnait plus en branle ;
Tintait
encor, mais c’était rarement.
En le voyant,
Jeanne dit à l’instant :
Vieux
Penaillon, parle, que viens-tu faire ?
Va-t’en
ailleurs asperger ton eau claire !
Crois-tu
pourvoir à mon affliction,
En
m’étalant ton chien de goupillon ?
Va !
ton outil n’est que la faible image
Du
Dieu fécond qui charmait mon ménage.
L’hiver
peut-il caresser le printems ?
Sans
les zéphirs Vertumne est sans amans.
Il
te sied bien d’insulter à mes larmes !
Cours
à tes Sœurs porter tes vieilles armes ;
A
leur disette offre ton oiselet.
Lâche,
courbé, sans jeu, sans contenance,
Il
n’offre plus, dans sa magnificence,
Que
l’air crochu du bec d’un perroquet.
Pour
l’amender, la Mère Sacristine
Dix
fois le jour dans sa main le patine…
A
ce discours, indécent s’il en fut,
Fort
sagement le directeur se tut :
Très-bien
lui prit, il fit cesser la guerre.
S’il
eût parlé, Jeannette assurément
Jusqu’au
déluge avec emportement,
Eût
riposté ; car, dans son caractère,
Pour démonter
son homme et son prochain,
Pour démontrer son homme et son
prochain,
Jeannette
avait un furieux instinct.
Description
du Ciel – Marie envoie S. Dunstan chez la Terreur.
Quand
Albion croyait aux Dieux Romains,
Aux
sept Dormants, au Pape, aux deux Crépins,
Certain
Dunstan, Monarque Britannique,
Était
fêté. L’église Catholique
En
son honneur disait mainte oraison,
Prose
traînante, et Messe où le Démon,
Avec
le Saint, décorait l’offertoire,
Le
memento ; car, dans ce tems l’histoire
Dit
que l’Eglise avait force crédit,
Beaucoup
de zèle et point encor d’esprit.
A
ses lecteurs, la Légende imbécile (1)
Contait
alors, toujours en mauvais style,
Que,
par le nez, le bienheureux Dunstan,
Comme
un oison, menoit Monsieur Satan.
Un
Pape, un Saint, un dévot sont à craindre ;
Un
pauvre diable en leur main est à plaindre.
Vive
un mondain, un Poëte, un Auteur !
Ces
gens sont bons, ils ont de la douceur,
Et
pour le diable ils sont remplis d’entrailles.
Mais
Saint Dunstan avec ses deux tenailles,
A
Belzébut ne faisoit point quartier ;
Et
le Démon eut beau, de son métier,
Avec
esprit déployer ses finesses,
Talens
perdus ! toutes ses gentillesses
N’attendrissaient
l’âme du Bienheureux.
Siècle
des Saints, vous fûtes dangereux !
Jérôme
et Jean avaient à leur querelle,
De
tous les Saints intéressé le zèle ;
Vierges,
Martyrs, Veuves et Confesseurs,
Sur
leur colère avaient versé des pleurs.
La
Sainte Vierge, indulgente et sensible,
Était
émue, et le combat terrible
Où
l’affreux Jean avait été vainqueur,
D’un
trait aigu perçait son tendre cœur.
Muse, peins-nous
cette Reine immortelle,
Plus
grande au Ciel que Diane et Cybele,
Que
les oignons chez les Egyptiens,
Et
les marmots adorés des païens !
Au beau milieu de
la Sainte patrie
Sur
l’arc-en-ciel gît la Reine Marie.
Un
sceptre d’or éclate dans ses mains,
Un
long serpent est sous ses pieds divins :
Cet
animal dans sa gueule a la pomme
Qui
dans Eden tenta le premier homme.
Heureuse
fable ! ô fruit délicieux !
Du
juste Adam tu dessillas les yeux.
Sans
le Démon, sans ton suc, sans Madame,
(Ah !
que de biens nous a fait une femme !)
L’homme
était bête à perpétuité :
Femme
d’Adam, ta curiosité
Mieux nous
valut que la sotte innocence :
Mieux nous valut que ta sotte
innocence :
Qu’aurais-tu
fait, sans la concupiscence ?
Cracher
dans l’eau, bâiller avec un sot :
Sans
le péché l’homme était un nigaud.
Que
le Démon nous a rendu service !
Près de Marie
est la chaste milice
Des
beaux esprits, des brûlans Séraphins.
A
ses côtés deux tendres Chérubins
D’un
air galant soutiennent ses deux voiles ;
Son
vaste chef, orné de sept étoiles,
Jette
un éclat qui fait pâlir le jour.
A
ses genoux est sa brillante Cour.
Tournant un peu
son derrière à la Grace,
D’un
air coquet, son greluchon Ignace,
Fait
l’agréable et le joli garçon.
Tout
vis-à-vis, le vieux Carme Simon (2),
D’un
air benêt coupe des Scapulaires.
Saint
Dominique enfile des Rosaires ;
Frère
Bernard en méditation,
La
plume en main, arrange une oraison.
Quelles
beautés ! la lanterne magique
N’est
rien auprès. Le spectacle lyrique,
Où
vingt tendrons, dans un chœur discordant,
Font
chevroter les notes du plain-chant,
N’égale
pas cette pompe immortelle,
Ni
les beautés de la gloire éternelle.
Les
Gros-Caillou, Saint-Cloud, les Porcherons,
Ménil-Montant
et tous leurs environs,
Du
Paradis n’approchent de cent piques :
Mais,
par malheur, ce séjour est bien loin.
Près
d’un tréteau, retiré dans un coin,
Le
Roi David composait des cantiques
Sur
Jonathas, Berthzabée, Absalon,
La
Ch…. P… et la barbe d’Aron.
Là, le cochon du
vénérable Antoine,
Beau
comme un cœur, élégant comme un Moine,
Donnait
la patte aussi bien qu’un gredin,
Faisait
des tours ; jamais maître Gonin
N’eut
ses talens, son esprit, sa souplesse ;
Qu’en
Paradis un cochon a d’adresse !
Le vieux Saint
Roch riait avec son chien.
Monsieur
Tobie, en embrassant le sien,
Montrait
sa queue à mainte jeune vierge :
Le
fier mâtin l’avait ainsi qu’un cierge,
Longue
à plaisir ; le bras d’un Saint de bois
Etait
moins dur. La Frétillon, je crois,
Aurait
souri ; la queue était honnête.
Pareil
objet, dans un doux tête à tête,
Attendrit
bien la conversation ;
Fille
aime un peu sa récréation.
Un Bienheureux,
célèbre dans son âge,
Dont
la Légende (3)
a vanté le corsage,
(C’était
Christophe ; ô ciel qu’il étoit gros !)
D’un
air content disait : j’ai sur mon dos
Jadis
porté le Maître du tonnerre ;
Sous
ce fardeau je fis trembler la terre :
Notre
Seigneur pesait autant que deux ;
Pourtant
alors Dieu n’était qu’un morveux ;
Et
sans mon dos, en passant la rivière,
L’enfant
Jésus eût mouillé son derrière.
Certain voleur, c’était
le bon larron,
Lui
répondit : Pour moi j’eus le nez bon,
Et
bien me prit, en bonne compagnie
D’être
pendu. Grâce à mon industrie
Le
peccavi me vint fort à propos.
Pour
avoir dit à Jésus deux bons mots,
Il
m’a conduit à souper chez son père,
Où,
sans argent, nous fîmes longue chère
D’encens
divin, de Gloria patri.
Un peu plus bas,
le courageux Denis
Des
vieux Gaulois étalait l’oriflamme ;
Jean
Goule, orné des cornes dont sa femme
Dans son hiver
chargea ses cheveux gris,
Dans son automne chargea ses cheveux
gris,
Par
ses malheurs consolait les maris.
Certain Rhéteur,
autrefois Janséniste,
Manichéen,
Quaker et Rieniste,
Disait
à Dieu : dès l’âge de quinze ans,
J’allai,
seigneur, avec d’autres enfans
Me
signaler aux combats des Jésuites ;
Je
surpassai dans ces jeux illicites
Les
siècles d’or de l’ordre de Jésus.
Mes
compagnons, sous ma gloire abattus
Chantaient
partout mes prouesses brillantes,
Abandonnaient
à mes mains triomphantes
Les
myrtes verts de l’ami d’Antéros.
Le jeune enfant
qu’on adore à Samos
Au
carnaval, amena dans Carthage
Une
beauté dont le galant corsage
Enchantait
l’âme, éblouissait les yeux ;
Jamais,
Seigneur, on ne vit sous les cieux
Jamais, seigneur, on ne vit sous les yeux
Un
teint plus blanc, une gorge plus belle.
Des
douces fleurs qui naissaient autour d’elle,
Le
Dieu des cœurs avait tissu nos nœuds.
J’aimais
Eglé. Dans ses bras amoureux
Ton
serviteur devint tendre et fidèle ;
Tu
fus témoin de l’ardeur de mes feux.
Enfin,
Seigneur, dans un moment heureux
Adroitement
je fis à ma bergère
Un
gros garçon aussi beau que sa mère.
Daigne,
mon Dieu, donner à mon poupon
Ces
nobles soins qui conservent l’enfance ;
Garde
son cœur de la concupiscence,
Ne
l’induis point dans la tentation !
Aux pieds d’Eglé
je devins incrédule ;
La
foi des Saints me parut ridicule,
Et
plus encor leur superstition.
Des
sots Hébreux la puérile histoire
Cent
fois le jour étonnait ma raison ;
Plus
je lisais, et moins je pouvais croire
Au
merveilleux de la religion.
L’homme,
dit-elle, est fait à ton image :
Quoi
donc, Seigneur, à ce vieux barbouillage,
A
ce limon échappé de tes mains,
Reconnaît-on
ces traits grands et divins
Que peint la
gloire aux yeux profonds du sage ?
Que peint ta gloire
Près d’Augustin,
le stupide Alexis
Se
lamentait d’avoir quitté sa femme :
Que
j’étais sot ! la plus douce des nuits
De
cent plaisirs allait ravir mon âme.
Mon
cœur flatté d’une orgueilleuse erreur,
De
la vertu crut adorer l’image ;
Comme
Ixion caressant un nuage,
Je
n’embrassai qu’un fantôme trompeur.
O
femme aimable ! ô charmante Sophie !
Ton
chaste amour eût enivré mon cœur :
Ce
Dieu faisait le charme de ta vie,
Et
dans tes bras il eût fait mon bonheur.
Du haut des cieux
l’immortelle Marie,
Branlant
le bout de son sceptre éternel,
D’un
air riant appelle Gabriel :
Esprit
léger, conducteur des familles,
Vous
qui portez des nouvelles aux filles,
Qui
dans Sion fûtes l’Ange gardien
De
saint Tobie et de monsieur son chien,
Connaissez-vous
un Saint un peu capable ?
J’en
ai besoin. Je veux qu’on mène au Diable,
Au
Purgatoire un certain Fier-à-bras,
Ménestrier
célèbre dans Arras.
Reine,
dit l’Ange, un prince d’Angleterre,
Roi
fainéant, s’il en fut sur la terre,
Etait
jadis redoutable à Satan :
Ce
Souverain se nommait Saint Dunstan.
Quand
le Démon voulait livrer bataille
A
sa pudeur ; armé d’une tenaille,
Le
nez soudain le saint roi lui pinçait.
En
vain Satan jurait et grimaçait :
Le
fier monarque, à ses cris insensible,
Allait
son train : ah ! qu’un Saint est terrible !
Pour
plaire au Ciel, servir le Créateur,
Il
détruirait le prochain et son cœur.
Pour obéir aux
ordres de Marie,
L’Ange
appela le Monarque Breton :
Grand
Saint, dit-il, qui pendant votre vie
Fûtes
toujours redoutable au démon,
Vîte,
au plutôt, habillez vous en moine !
Sur
le cochon du vieil hermite Antoine
Grimpez
soudain, et volez vers Arras.
Dans
l’Hôpital, entre deux sales draps,
Le
cœur serré d’une rage indomptable,
Vous
trouverez un mortel implacable,
Plus
franc cent fois que feu Richard sans peur :
Son
nom est Jean, son surnom La Terreur.
Le Roi Dunstan
couvert d’un capuchon,
Et
lestement monté sur le cochon,
Du
haut des cieux s’élance sur la terre.
Déjà
de loin il a vu l’Angleterre ;
Covent-garden,
la Taverne à Rian,
Le
Lord Gramby, la terreur du Risban,
Le
vaillant George environné de gloire,
Qui
dans Munden, en fixant la victoire,
A
mérité la croix de Saint Louis.
Wilke,
entouré des Dieux de sa patrie,
Brave
en riant ses faibles ennemis ;
La
liberté ceint sa tête chérie
De
lauriers verts dignes d’un front Romain.
Binck
malheureux, victime de l’envie,
Est
condamné par un peuple inhumain.
Milords
Paulet, Esnon et Compagnie,
Au
Dieu d’Amour offrent un culte impie ;
Le
front couvert des lauriers de Phallus,
Ils
détruisaient les myrtes de Vénus.
Le Bienheureux d’un
nouveau feu respire ;
Ses
yeux ont vu l’éclatante Hamilthon. (4)
Chantre
élégant ! divin Anacréon !
Descends
des cieux, viens chanter son empire,
Et
de tes fleurs orner son noble front !
Dunstan
n’a point ces roses immortelles,
Dont
tu parais l’amante de Phaon.
Déjà
Dunstan voit ces Tours infidèles,
Où
des Nassau le sang audacieux
Ose
braver l’Espagnol et les Cieux.
Il
voit Anvers et la riche Hollande,
Un
gros fromage, une pipe à la main,
Un
pied dans l’eau, l’autre sur la Légende,
D’un
air épais présenter son offrande
A
Jésus-Christ, au Veau d’or, à Calvin.
Arras
bientôt découvre aux yeux du Saint
Ces
larges murs, cette superbe place,
Qui
des Français voulut braver l’audace. (5)
A
l’Hôpital le Bienheureux descend,
Du
bout du nez il saisit le fier Jean,
Et
dans les airs l’emporte avec vîtesse :
Tel
le Démon, dans les murs de Lutèce,
Vint
enlever le vieux docteur Faustus,
Dans
le désert l’Essénien Jésus.
(1)
Saint Dunstan menait le Diable par le nez avec des
pincettes ou des tenailles. Les pincettes ont été long-tems honorées à
Londres du culte de Dulie. Le jour de la fête du Saint, les Prêtres
Bretons évangélisaient en serrant le nez des fidèles Chrétiens entre les
saintes pincettes, en mémoire du Diable de S. Dunstan.
(3)
La Légende est un gros livre rempli de contes de la Mère l’Oie :
ceux qui aiment encore le vieux tems et les vieilles sottises, trouveront une
pâture abondante dans cette production, la honte et le monument éternel des
bêtises de nos pères.
(4)
La Duchesse d’Hamilthon, la plus belle Dame d’Angleterre.
(5)
Les Artésiens croyant leur ville imprenable, dit Vosgien, avaient mis
sur une des portes de leur capitale cette inscription : Quand les
Français prendront Arras, les souris mangeront les chats. Après
la prise de cette ville en 1640, un Français dit, qu’il n’y avait qu’à
ôter le P.
Jean
passe du Purgatoire dans l’Enfer – Adam Lui conte son Histoire.
Non
loin du Grosne (1)
est un Palais antique.
Vers
l’an neuf cent l’intérêt monastique
Le
fit bâtir des offrandes des sots.
Le
vieux Caron, par l’ordre de Minos,
De
sa main dure en traça l’édifice ;
Le
fanatisme orna le frontispice
D’un
long cordon de crânes, d’ossemens ;
Un
crêpe noir gaze ces ornemens ;
L’obscure
entrée est sous d’antiques bières ;
De
grands tableaux d’indulgences plénières
Parent
les murs délabrés par Calvin.
Hors
de la porte est un vaste chemin
Où
de tout tems l’on voit courir les Prêtres
Après
les biens que nos faibles ancêtres
Ont
en mourant jetés sur leurs tombeaux.
Contens,
heureux, dans le sein du repos,
Les Eglisiers
font fumer leurs marmites ;
Les églisiers voient
fumer leurs marmites,
Sur
leurs foyers ces rimes sont écrites :
”Le
Purgatoire est du siècle d’argent,
”Qui
l’inventa, n’était point ignorant.”
O
feu trompeur, allumé par l’Eglise !
Vous
éclairez cette terre promise
Où
croissent l’or, l’orgueil et le bonheur :
Le
Prêtre seul en connaît la valeur.
O
mes aïeux ! ô Visigoths célèbres !
Vos
gros esprits, remplis d’objets funèbres,
Voyaient-ils
Dieu dans ces feux dévorans ?
Un
tendre père a-t-il pour ses enfans
Tant
de rigueur, et pour blanchir notre âme,
Tel
qu’un cochon, faudra-t-il dans la flamme
Brûler
tout vif un homme à petit feu ?
Un
cul grillé peut-il plaire au bon Dieu ?
Le cul couvert d’indulgences
plénières,
Là,
l’on voyait les douces chambrières
De
nos Pasteurs, savourer sans éclat
Mille
plaisirs volés au célibat :
Leurs
fronts étaient couronnés de sabine ;
Sur
leur jupon de légère étamine
Était
brodé le nom flétri d’Onam ;
Sous
leur menton, gazés d’un voile blanc
Sont des appas
arrondis pour l’Eglise ;
Sont des appas arrondis par l’église ;
Leur
embonpoint, d’une large chemise
Bien
remplissait le contour et l’ampleur ;
Le
purgatoire entretient leur chaleur.
Au bas d’un
mont où coule une onde noire,
Jean
aperçoit le séjour des damnés.
Champs
éternels, Vallons infortunés !
Serait-il
vrai ? L’Eglise nous fait croire
Que
vos tourmens éternisent la gloire
D’un
Dieu clément, qui n’a d’autre intérêt
Que le bonheur
de l’Etre qu’il a fait ?
Que le bonheur des êtres qu’il a faits ?
De
tant d’horreur, Seigneur, es-tu capable ?
Parle,
grand Dieu ! si le mortel coupable
A
transgressé ta redoutable loi,
Te
connaît-il ? Et comment, dis-le moi ?
Son
œil obscur verrait-il la distance
De
son néant à ton pouvoir immense !
Le
pot de terre est fait pour s’ébrécher.
Dans
ses douleurs, si l’homme va chercher
Ce
charme heureux, cette divine flamme,
Qu’en
le formant tu soufflas dans son âme,
Pour
son bonheur et non pour son tourment ;
De
qui tient-il ce céleste présent ?
C’est
toi, qui fis le ciel, la terre et l’onde,
Et
les beautés qui parent ce grand monde :
Tu
fais fleurir les roses au printems,
Dans
ces beaux jours tu rends nos cœurs contens ;
Bon,
en ce monde, es-tu méchant dans l’autre ?
Fille
du Ciel, Nature, ô mon Apôtre !
Le
Créateur est-il, ainsi que nous,
Vindicatif,
colérique et jaloux ?
Dieu
serait-il moins tendre qu’une mère ?
Est-il,
dis-moi, d’autre qu’une Mégère,
Qui
d’un œil sec pourrait voir ses enfans
Ainsi
que toi dans des feux dévorans ?
Mérope,
hélas ! craint bien plus pour Egiste :
Mérope, hélas ! craint bien trop
pour égiste :
Un
mot d’Arbas, un regard, tout l’attriste.
Rachel
en pleurs expire sur les siens.
Et
toi, grand Dieu, tu dévores les tiens ;
Le
vieux Saturne était-il ton image ?
Mais
je blasphême ; ô Ciel ! un Etre sage
Peut-il
penser comme un sot Capucin ?
L’Enfer n’est
pas ce que l’erreur nous peint.
Du
Créateur adorons la sagesse ;
L’homme
en ce monde annonce sa faiblesse,
Mais
dans l’enfer il prouve sa grandeur.
Si
dans ce lieu Dieu poursuit le pécheur,
Sur
sa faiblesse il règle sa vengeance :
Si
le coupable ouvre à la repentance
Un
cœur contrit, il pardonne à l’instant.
Dieu
fit l’enfer pour les célibataires ;
Oui,
c’est pour vous, eunuques volontaires,
Qu’il
alluma ce brasier menaçant.
Il
faut punir votre race parjure ;
Vos
sens oisifs outragent la nature,
Le
Créateur abhorre le néant.
Jean étonné
contemple cet empire ;
Dans
un bosquet, où la raison respire,
Il
voit les Saints fêtés chez les Hébreux,
Que
Rome encor n’a point mis dans les Cieux.
Là, Mons Adam,
le premier des Monarques,
Le
salua d’un air fort gracieux :
C’est
moi l’ami, qui, d’un fruit dangereux,
Ai
fait éclore et la fièvre et les Parques.
Certain
Seigneur qui fait tout avec rien,
Voulant
unir le mal avec le bien,
Fit
le chien-dent, les choux et la lumière :
Entre
ses mains pétrissant la matière,
Il
fit un sot, et ce sot ce fut moi.
Dans un jardin
où je vivais à l’aise,
Sans
embarras, sans chagrin et sans loi,
Avec
un os, un peu de terre glaise,
Beaucoup
d’humeur, il fit….. je ne sais quoi.
Pour embellir
le nouvel automate,
Pour décorer le nouvel automate,
Monseigneur
prit la douceur de la chatte,
L’esprit
du singe, un peu du perroquet,
L’orgueil
du paon ; et de ces caractères
Il
fit ma femme : ô le divin sujet !
Jamais
Tempé qui vanta ses Bergères,
N’a
sur ses bords vu de si bel objet.
Pour décorer le
monde et mon ménage
Dieu
m’amena ce minois séduisant :
”Vois-tu,
dit-il, ce magnifique ouvrage ?
”Quand
sur la boue imprimant mon image,
”Je
façonnai ton corps lourd et pesant,
”Pas
n’ai saisi ce teint blanc, ce corsage,
”Cet
air fripon, ce bel œil agaçant ;
”De
mon portrait tu n’étais qu’une ébauche.
”Ce
joli rien, sorti du côté gauche,
Ӄtait
un os qui te chargeait le flanc ;
”Ma
main l’ôta pour t’en faire une femme.”
Ce beau discours
ne plut point à Madame :
Pas
n’aimait trop les propos ennuyeux :
La
vanité respirait dans son âme,
Et
l’amour-propre éclatait dans ses yeux.
Notre
Seigneur, d’un ton triste et pieux,
Dans
un sermon peignit la gourmandise :
”Enfans,
dit-il, craignez la friandise :
”Dans
ce beau lieu j’ai planté de ma main,
”Pruniers,
Pommiers, excellent saint-germain,
”Des
capendus, de la reinette grise,
”Cuisses-madame,
au milieu tout exprès
”Un
certain fruit….. si vous touchez jamais
”A
ce fruit-là, c’est fait de votre race.
”Du
bien, du mal la science efficace,
”En
éclairant votre postérité,
”M’irritera :
car je suis irrité
”Quand
dans ma main un automate pêche.
”Souvenez-vous
que c’est Dieu qui vous prêche ;
”Et
quand il parle, il veut être écouté.”
Tel
Brioché d’une rage secrette
Se
sent épris, quand une marionnette
Casse
son fil ou brise son ressort.
Dans
son courroux, il donnerait la mort.
Or, Virago, c’est
le nom de ma femme,
Etait
coquette ; à chaque instant Madame
Allait,
venait du côté du pommier :
Certain
Démon, animal familier,
Très-beau
diseur, il parlait comme un ange,
D’un
long serpent prit la figure étrange,
Plaça
sa queue entre deux grosses pommes,
Et
la faisait frétiller joliment.
Que
le Démon sait bien tenter les hommes,
Frapper
au but, saisir adroitement
Le
côté chauve et le cœur d’une femme !
Dans
les enfers pour culbuter une âme
Que
lui faut-il ? un désir seulement.
Ce jeu badin
amusait ma compagne ;
Les
deux gros fruits que la queue accompagne,
La
ravissaient et chatouillaient son cœur :
Nous
étions nuds, sans honte et sans pudeur,
Dévergondés,
ainsi que la nature ;
Rien
ne troublait notre innocent bonheur.
Ma Virago, depuis
cette aventure,
Me
parcourait plus attentivement.
Sous
mon menton elle vit un serpent :
Sitôt
la belle empauma le reptile,
Le
caressa. L’animal fort docile,
D’un
naturel vraiment fait à ravir,
Prit
dans sa main un ton, une élégance :
Son
maintien grave appelait le plaisir,
Et
provoquait notre concupiscence.
A
quoi, l’ami, cela peut-il servir ?
Mais
dans ma main ton serpent est bien drôle !
Comme
il grandit ! S’il avait la parole,
Cela
dirait les choses joliment.
Dis-moi :
pourquoi n’en ai-je point autant ?
Entre
nous deux partageons comme frère ;
Tiens ;
la moitié, mon cher, me suffira.
Mais
rêves-tu… comment ôter cela ?
Ça
ferait mal… Voilà bien du mystère !
S’il
nous fait mal, grand benêt, on criera.
Allons,
voyons… Tirant Ève de peine,
Du
vrai bonheur je rencontrai la veine ;
Le
tendre amour applaudit à ce jeu,
Et
le secret courrouça le bon Dieu.
Un
soir il vint, c’était un jour de fête ;
D’un
ton plaisant il nous lava la tête,
Nous
chanta pouille, et me dit : “Voyez-vous
”Le
grand Docteur, il en sait plus que nous !
”Il
vient d’enter son savoir sur Madame :
”Dieu fit la
fille et l’homme fait la femme. (2)
Dieu fit la fille, et l’homme fit
la femme ;
”Êtres
formés de boue et de crachats,
”Faible
limon, dont j’ai fait deux ingrats,
”La
bienfaisance était mon diadême,
”Et
la vengeance aujourd’hui ceint mon front.
”Sortez
d’ici : ma justice suprême
”Sur
vos enfans vengera cet affront.”
De
son jardin il nous chassa sur l’heure.
Ève,
voyant mes yeux mouillés de pleurs,
Me
dit : mon cher, oublions nos malheurs ;
Va,
le jardin ne vaut pas qu’on le pleure.
A
mes appas attache ta constance.
Ton
cœur me reste….. est-il d’autre bonheur ?
Le
Paradis, le pommier, Monseigneur,
Ne
valent point notre concupiscence.
(1)
Le Grosne,
rivière de Bourgogne où est située l’Abbaye de Clugny, dont les Moines
ont imaginé le Purgatoire.
(2) Ce joli vers se trouve dans le Sceau enlevé de M. Auguste Creuzé, imprimé chez Didot, en l’an 9.
On l’a heureusement traduit en latin, dans ce vers pentamètre :
Facta
puela Deo, fœmina facta viro.
Jean
s’entretient avec Jacob et Moïse.
Jean
vit plus loin un certain juif fripon,
C’était
Jacob ; il a volé son frère.
Ami,
dit-il, un oncle de ma mère,
Fourbe,
menteur (Laban était son nom),
Avait
pour bien à pourvoir deux fillettes.
Désir
me vint de faire ces emplettes :
L’une
était belle et faite pour l’amour ;
Un
sein naissant, mais un sein fait au tour,
Croupe, Dieu
sait ! une taille légère,
Croupe, Dieu ! une taille légère,
Deux yeux
fendus comme l’on ne fend guère. (1)
comme l’on n’en fend guère
Causaient
à l’âme un doux ravissement :
L’autre,
au contraire, eut pu dévotement
Prier
le Ciel de l’embellir encore.
Pour
obtenir le tendron que j’adore,
Sept
ans entiers je servis chez Laban.
Le
tems fini, mon parjure beau-père
Pendant
la nuit m’amena doucement
Sa
fille aînée ; et loin de la lumière
Je
la chômai ; la nuit tout chat est gris.
Je
la trouvai belle comme Cythère,
Dans
le plaisir, douce comme Laïs.
Le
jour parut, je reconnais l’aînée.
O
sort cruel ! ô fatal hyménée !
Tout
furieux, je descends chez Laban :
Oncle
barbare, aurais-tu le talent
De
te jouer de ma crédule flamme !
J’aime
Rachel, tu la dois à mon âme,
Je
l’attendais !…. qu’ai-je vu dans mon lit ?
Fille
du Ciel, ô redoutable Nuit !
Pourquoi
prêter tes ombres au mensonge ?
Dieu
des pavots ! que n’as-tu dans un songe
Enveloppé
sa rivale et mon cœur.
Tout beau,
Jacob, calmez votre fureur.
Tout beau, Jacaut, calmez votre fureur ;
Bon
Dieu ! faut-il que le chagrin vous ronge ?
Comment !
pour rien vous jetez les hauts cris ?
D’un
mal plus grand que le Seigneur vous garde !
Vous
avez cru manger une poularde
A
cuisse blanche, elle était aux pieds gris.
Ah !
rougissez de votre gourmandise :
Osez-vous
bien sortir de votre état ?
Comment !
chasser dans les champs de l’Église ?
Un
paysan est-il si délicat ?
Ça
voulez-vous servir mon écurie
Sept
ans encore ? Et puis sans tricherie….
Sur mon
honneur, dès ce soir ou demain
Je
conduirai Rachel dans votre couche ?
A
ce marché l’eau me vint à la bouche :
Je
vis la belle unie à mon destin.
Fruits
précieux d’un double mariage,
Quinze
marmots affamaient mon ménage ;
Je
gagnais peu, je n’avais point de pain !
Au
triste aspect de ma vaste misère,
Je
vis pleurer mon terrible beau-père :
Faisons,
dit-il, un accord entre nous ;
Pour
vos enfans l’humanité m’excite.
Les
agneaux blancs qui naîtront dans la suite,
Dès
ce moment, mon Neveu, sont pour vous.
J’étais
sorcier, comme on l’est au village ;
Du
Grand Albert j’avais lu les écrits.
D’un bois
blanchis je fis alors usage ;
Je me servis de certains bois blanchis ;
Cette
couleur frappa l’œil des brebis,
Et
d’agneaux blancs je grossis mon partage.
Que du
Seigneur les desseins sont profonds !
Que les desseins du Seigneur sont
profonds !
Dieu
se rangea du côté des fripons ;
J’en
étais un, je l’étais par sa grâce.
Ce
tour malin m’attira la disgrâce
Du
vieux Laban, qui, jaloux de son bien,
De
sa maison me chassa comme un chien.
Sur les confins
de la terre promise,
Loin
de Tabor, sous un ciel nébuleux,
Jean
rencontra le célèbre Moïse,
Qui
pour peupler promptement son Église,
Dans
le désert fit périr les Hébreux.
Son
front cornu, couronné de verveine,
Glaçait
d’effroi les rives du Jourdain ;
Un
bâton noir dans sa main inhumaine
Semblait
encor menacer Benjamin.
Ami,
dit-il, le jour de ma naissance
Sur
l’onde errante on risqua mon berceau.
Le
Dieu du Nil, touché de mon enfance,
Vint
m’arracher du vaste sein de l’eau,
Au
bord du fleuve où les jeunes Naïades,
Les
blonds Sylvains et les Amadryades
D’un
roseau vert tendrement s’enchaînaient,
Où
le cristal d’une onde transparente,
Trompait
toujours la pudeur innocente
Des
sœurs d’Atlas, qui souvent s’y baignaient.
De ce bain pur
sortait une Princesse :
Jaloux
d’avoir caressé ses appas,
Le
fleuve encor promène avec tendresse
Les
doux attraits qu’il a vus dans ses bras ;
Son
onde errante en conserve l’image :
Naïs
encore était sur le rivage
A
demi nue. Elle voit sur les eaux
Voguer
au loin ma légère nacelle :
Nymphes,
que vois-je ? ô Ciel, s’écria-t-elle,
Un
jeune enfant exposé sur les flots !
Fille
de Rhée ! ô Lucine fidelle,
Vient
l’amener dans les bras de Naïs !
Le
Dieu de Chypre attentif à ses cris,
Sur
l’onde humide étend déjà son aîle.
Les
Alcyons s’élancent de leurs nids ;
Le
souffle doux dont Zéphire caresse
Le
sein des fleurs (la robe du printems)
Me
précipite aux pieds de la Princesse,
Le
tendre Amour dans ses bras caressans.
La sage Égypte
éleva mon enfance.
Avec
grand soin ses prêtres révérés,
De
l’art des Rois m’apprirent la science,
Du
grand Apis les mystères sacrés.
L’air de la
Cour effraya ma faiblesse.
Fier
d’être ingrat, je quittai la Princesse ;
J’allai
garder les troupeaux de Jéthro,
Tel
autrefois, des bras de Calypso,
Un
jeune Roi, conduit par la Sagesse,
Sauva
son cœur des pièges de l’Amour.
Au pied d’Horeb,
au déclin d’un beau jour,
Des
Francs-Maçons j’aperçus la lumière.
Le
Vénérable, au milieu d’un buisson,
Me
dit : mon frère, êtes-vous compagnon,
Maître,
apprentif, Écossais, Trinitaire ? (2)
Là,
donnez-moi le signe du Maçon,
L’attouchement,
et dites-moi le nom
D’un
des piliers ?… mais cet homme ricane :
Me
tromperais-je…. êtes-vous un profane ?
Comme
il regarde… il est bien curieux.
Éloignez-vous
au plutôt de mes yeux ;
Prétendez-vous
connaître nos mystères ?
Point
ne saurez comment boivent les frères.
Le Vénérable,
après quelques momens,
Me
dit : l’ami, je suis avant le tems ;
Ma
main tira du sein de la matière
Du
faible Adam la fragile poussière ;
Ma
voix puissante anima le néant,
Du
vieux Chaos, je pris le diadême ;
La
volonté, la raison du tyran,
Dit
la Sorbonne, est ma règle suprême.
Mon
nom superbe est le Dieu du long nez ;
Le
sort affreux des Juifs infortunés,
Leurs
cris perçans ont touché ma clémence ;
Cours
à Memphis annoncer ma puissance ;
Va
dire au Roi que j’aime les Hébreux,
Que
j’ai fait choix de ce peuple crasseux,
Ladre,
vilain, pour embellir la terre ;
Un
jour mon fils, du sang de ces lépreux
Arrosera
les chardons du Calvaire.
Comment,
Seigneur, porterai-je vos lois ?
On
n’entend point distinctement ma voix,
Un
vieux Rabbin, le cousin de ma mère,
A
ma naissance a fait certaine affaire :
Il
me rogna, non pas le bout des doigts,
Mais
autre chose ; il eut mieux fait, je crois,
De
me couper le filet à la langue ;
Point
ne saurais dire un mot de harangue.
Sans
le flatter comment parler au Roi ?
Je
manquerais, Seigneur, à l’étiquette,
Les
courtisans se railleraient de moi.
Va, ne crains
rien, et prend cette baguette ;
Cours
à l’Égypte inspirer la frayeur,
De
Pharaon va braver la colère ;
Pour
le damner j’endurcirai son cœur.
Un Roi se
croit le maître de la terre !
Les Rois se croient les maîtres de la terre,
Dis,
la Nature a-t-elle fait un Roi ?
Va,
les mortels n’ont qu’un maître, c’est moi.
Enfans galeux de
la terre promise,
De
Pharaon brisez le joug de fer.
Fuyez
l’Égypte et courez sous Moïse
Chercher
la mort aux sables du désert.
Son
fier bâton fléchira les obstacles ;
Jamais
Merlin ne fit tant de miracles,
Et
Zoroastre, admiré du Persan,
Auprès
de lui ne fut qu’un ignorant :
L’art
merveilleux de la Pyrotechnie, (3)
Étonnera
vos regards incertains ;
Et
le Veau d’or, fondu par la chymie, (4)
Ramènera
votre argent dans ses mains.
En vrai tyran je
régnai sur mes frères.
Des
riens sacrés, entourés de mystères,
Affermissaient
mon empire naissant.
Le
Dieu d’Isaac me montra son derrière,
(Car
un mortel ne peut voir son devant).
Je
fis des lois. Ma politique altière,
Du
sceau du Ciel scella leur caractère.
Un
grand succès illustra ma carrière,
Et
je devins fameux dans l’Orient.
(1)
Si l’expression choque les petits, petits, petits
Auteurs délicats de Paris, ils pourront lire : comme l’on n’en
voit guère.
(2)
Il y a parmi les Francs-Maçons différens degrés de
lumière. Outre les Apprentifs, les Compagnons et les Maîtres, les Frères
éclairés des derniers mystères distinguent les Elus, les Ecossais, les
Chevaliers de l’Aigle, de l’Epée, la grande Maîtrise d’Orient, les
Chevaliers de St.-Jean de Jérusalem et les grands Princes Trinitaires. J’ai
l’honneur d’être revêtu de toutes ces dignités, et n’en suis pas plus
riche.
(3)
La Pyrotechnie,
ou l’art des feux d’artifices.
(4)
Moïse ayant besoin d’argent pour conquérir la
Palestine, imagina avec Aaron l’aventure du Veau d’or. Il le fit fondre,
et jeta les cendres dans la mer, dans un endroit où il savait bien de
retrouver l’or.
Histoire
de l’innocent Joseph.
De
la vertu chacun vante la gloire :
C’est
un beau mot….. il trompe les humains.
Le
fier Brutus, le plus grand des Romains,
Ne
suivit qu’elle : il s’en plaint dans l’histoire.
A
la chercher Platon perdit son tems.
Dans
mon printems j’ai cultivé l’ingrate ;
Je
n’ai compté que de tristes momens.
Trajan,
Titus, le vainqueur de l’Euphrate,
A
sa chimère ont offert leur encens.
L’affreux
Néron, sous les yeux de Sénèque,
Quelques
momens adora son erreur.
Des
Musulmans l’apôtre séducteur,
Le
fer en main, la prêcha dans la Mecque.
Pierre
dans Rome en a fait son bonheur.
Dans
son roman, l’auteur de Télémaque
Veut
embellir ce fantôme trompeur ;
La
raison plaint le fils du Roi d’Itaque ;
Mais
d’Eucharis elle adore le cœur.
Un
Génevois, pour l’âme d’Héloïse,
Habilement
en a fait un poison.
Un
moine obscur, feu Saint François D’Assise,
A
pris pour elle un grotesque cordon.
Benoît,
Pacôme, Antoine, Hilarion,
Dans
le désert ont jeûné pour lui plaire.
Frère
Gusman (1)
la mit dans un rosaire ;
François de
Paule en la soupe à l’oignon.
François De Paul
dans la soupe à l’oignon,
Le
vieux Simon en fit un scapulaire ;
Bruno
lui mit un pesant capuchon.
De
la vertu chacun fit une image ;
Mais
le bon sens a ri de leur tableau.
Un
jeune Hébreu lui rendit son hommage.
La
chasteté, la couronne du sot,
Fut
autrefois son triomphe et sa gloire ;
Vous
le verrez. Lecteurs, voici l’histoire :
Le
Dieu des Juifs la dicta mot pour mot.
Jean vit plus
loin un dévôt personnage,
C’était
Joseph. Le joli cavalier !
Parmi
les sots, les gens de son village,
(Il
savait lire) il passait pour sorcier.
Je
fus, dit-il, détesté de mes frères.
J’avais
jadis fait quelques songes creux,
Et
raconté qu’ils célébraient entre eux
Des
Loyola certains méchans mystères,
Que
je dirais, s’ils n’étaient pas honteux.
Je fus vendu,
conduit en esclavage,
Chez
un Seigneur de la Cour de Memphis.
Ce
courtisan, vrai martyr de l’usage,
Voulait
encor sur le sein de Laïs
Cueillir
lui seul les roses du bel âge,
Plaire
à l’Amour avec des cheveux gris.
Son
juste-au-corps et sa large brayette,
Portaient
encore la brillante étiquette
Du
tems d’Hérode et de l’arrière-ban.
Sa
jeune épouse, incertaine et volage,
Touchait
le cœur. Un minois ravissant,
Certains
appas, Ciel ! quel galant corsage !…
Mais
dans ses bras, mon ami, je fus sage ;
Et
ce jour-là je fus un innocent.
J’avais un nez,
un peu long pour mon âge ;
En
plein midi l’ombre de son profil
Me
dérobait la moitié du visage.
Ce
nez fameux était droit comme un fil ; (2)
Il
enflamma le cœur de ma maîtresse.
Élise
avait les vertus de la Cour,
Beaucoup
d’esprit, encor plus de faiblesse ;
Sa
voix plaintive appelait la sagesse
En
succombant aux efforts de l’Amour :
Mon
cher Joseph, votre nez m’intéresse,
Il
est bien fait, sa taille me plaît fort ;
En
le voyant, je sens certain transport,
Je
me connais…. Quoi ! moi de la tendresse
Pour
un manant ?… mais pourtant sa jeunesse…
Si
la raison…. mais la raison a tort :
Sans
passion comment user la vie ?
Près
de Junon le chaste Hymen s’endort,
Le
court moment d’une tendre folie
Vaut
cent fois mieux que les ans de Nestor.
Las,
dites-moi !…. personne ici n’écoute ;
Là, dites-moi…
Ne
cachez rien, parlez-moi sans détour.
Jeune
et bien fait, vous avez plu sans doute
Dans
les hameaux, on y connaît l’Amour ;
Collette
est belle, une taille légère,
Un
joli sein que couvre la pudeur,
Et
qu’en jouant sur la verte fougère
On
laisse en proie aux regards du vainqueur,
Vous
captivaient…. peut-être la bergère
A
vos désirs…. Quoi ! vous ne dites mot ?
Quoi !
ses appas ?… Que ce garçon est sot !
N’avez-vous
point dérobé certain gage ?
Perdu
le vôtre ?… O non, grâce au Seigneur !
C’est
un trésor, on le garde au village,
Et
c’est l’Hymen qui cueille cette fleur.
Mais
à la ville, où le caprice engage,
Où
le plaisir souvent d’être volage
Forme des nœuds,
connaît-on ce bonheur ?
Forme ces nœuds,
Il
a raison…. mais…. comment, il est sage !
Dieux,
qu’il est beau ! dites-moi, m’aimez-vous ?
Madame, ô Ciel ! vous avez un époux.
Pouvez-vous
donc ?… je connais l’innocence,
Quoi !
la pudeur…. excusez mon silence,
Mon
front rougit…. vos coupables desseins….
Je
voulus fuir….. la Princesse indiscrette.
Deux
fois voulut saisir mon aiguillette ;
Je
fis un saut, j’échappai de ses mains.
En
me sauvant, à cette débauchée
J’abandonnai
ma culotte ébréchée.
Son
cœur honteux, dans ces affreux momens,
Poussa
dans l’air mille cris éclatans,
Son
époux vint : Ah ! mon chat, (3)
lui dit-elle,
Ton
sot Laquais d’une chaîne fidelle
Voulait
briser les légitimes nœuds :
L’honneur
m’empêche… épris d’horribles feux…
L’honneur
toujours éclaira ma famille,
Vous
le savez…. car j’étais encor fille :
L’honneur
alors…. Ah ! le crime est affreux !
Un
vil manant de Mésopotamie….
Je
vis encor ! arrachez-moi la vie….
Comment !
un gueux vouloir me violer !
Cessez
vos cris, et de grâce, Madame,
Nommez
au moins l’honneur, sans vous troubler.
Vous
violer…. ah ! le crime est infame,
Et
nos aïeux l’auraient puni jadis.
Le
siècle change : aujourd’hui, dans Memphis,
De
violer, qui veut prendre la peine ?
Est-il,
Madame, une seule inhumaine ?
Lucrèce
est morte. Elle était d’un pays….
O
tems ! ô ciel ! que je suis malheureuse !
Tenez,
voyez cette culotte affreuse….
Quoi !
le coquin sur mon front conjugal
Voulait
planter…. étiez-vous la coiffeuse ?
Chère
moitié, le trait est déloyal.
Comme
un héros, je sais qu’un manant baise ;
Mais
sans culotte ? Ah ! cet original
Voulait
jouir du plaisir à son aise,
Le
savourer en Fermier-Général.
Je
prends sur moi le soin de la vengeance ;
Dès
ce moment punissons l’insolence.
Hola !
mes gens ? qu’on le mène en prison.
Dans un tombeau
creusé par le caprice,
Où
triomphait la cruelle Albion,
Chargé
de fer, d’honneur et d’injustice,
L’amiral
Bing attendait son supplice.
Un
compagnon partageait sa douleur.
De
leur cachot pour dissiper l’horreur,
Ces
gens rêvaient : quelquefois le mensonge
Tarit
les pleurs qui tombent de nos yeux.
Bing étonné
vit, la nuit, dans un songe,
Son
chef chargé d’un panier monstrueux ;
Il
était plein de ces plaisirs des Dames
Dont
le badaud se régale à Paris :
Plaisirs
décens qu’on peut donner aux femmes
Sans
ombrager les fronts de leurs maris.
Sur
le panier Margot la Ravaudeuse,
La
Lescombat, Javote l’Écosseuse,
Avidement
dévoraient ces biscuits :
Quel
rêve affreux ! disais-je à l’Insulaire ;
O
jour terrible ! un conseil sanguinaire
Va
te traiter comme ses ennemis ;
Un fusilier
contre ton faible crâne,
Un fusilier buté contre ton crâne,
Au
mouvement d’une légère canne,
Tire
en virant le bout de son canon ;
Le
chien s’abat, une pierre étincelle…..
Hélas !
dans l’air à l’instant ta cervelle
Vole
en éclat, et d’un durable affront
Couvre
en tombant la féroce Albion.
L’autre rêveur
me dit : l’ami Prophête,
Mon
songe est beau, je n’ai rien sur la tête,
Bien
m’en croirez, en voici la raison :
Point
n’ai de femme, et suis encor garçon.
Pour mille
gueux qui, dans ce tems de guerre
qui, dans ces
tems de guerre
A
la Courtille humectent leur misère,
J’ai
magasin de vin gros et nouveau,
J’en
vends beaucoup ; mon nom est Ramponeau.
Hier,
dans la nuit, monté sur deux béquilles,
Près
d’un grand puits, au fond d’un magasin,
Ainsi
que Dieu, je changeai l’eau en vin.
Ce
rêve est beau, je n’y vois point de filles,
Pas
même un brin ; il doit plaire au bon Dieu ;
Avant
trois jours vous quitterez ce lieu.
Près
des remparts où la molle indolence
Dans
des chars d’or promène l’inconstance,
Vous
tromperez les faubourgs et Memphis :
Or,
mon ami, quand chez vous les Marquis,
Les
Courtisans, chenilles de Versaille,
Les courtisans, chevilles
de Versailles,
Iront
trinquer, boire avec la canaille ;
Au
nom du Dieu ! mon cher, songez à moi.
Par
trois sermens il me jura sa foi :
Un
prisonnier se parjure sans peine !
J’avais l’espoir
de voir briser ma chaîne
Au
songe heureux que ferait un bon Roi.
Pour
mon malheur le Roi ne rêvait guère ;
Mais
son Ministre avait rêvé souvent.
Enfin
le Roi fit un songe effrayant,
Où
les Docteurs trouvaient bien du mystère,
Dont
se moquait le malin courtisan.
Dans un Palais
où l’avide Finance,
D’une
urne vaste épanche sur la France
Abondamment
la misère et les maux,
Le
Roi voyait sept fermiers Généraux
Qui
sur leurs pieds n’étaient pas encor fermes ;
Gens
malotrus, sans naissance et sans noms,
Maigres,
petits, ladres, sots et fripons,
Tels
qu’ils sont tous en entrant dans les fermes.
Ce
fatal songe intimida le Roi ;
En
s’éveillant il veut savoir pourquoi
Ces
sept Fermiers ont mangé La Boissiere,
Dupin, Pâris,
De La Poupeliniere.
Dupin, Paris et
De La Poplinière.
De
Ramponeau le Roi parlait souvent,
Ainsi
qu’il fait de l’ami Pompignan. (4)
Il
sut par lui que j’expliquais les songes
Plus
joliment que le Mouphti Latin.
Quoi,
disait-il, les Dieux du genre humain
Seront
toujours entourés de mensonges !
La
vérité n’approchera point d’eux !
Ne
cherchons qu’elle, et l’Egypte ira mieux.
J’entre à la
Cour : un air de complaisance
Me
prit au nez, j’eus presque des vapeurs.
Ces
lieux sont pleins de vils adorateurs,
Toujours
craignant l’orage et le tonnerre ;
l’orage ou le tonnerre,
Lâches,
rampans, fourbes toujours polis :
Ces
vermisseaux ne vont que terre à terre,
Et
ne sont grands qu’aux regards des petits.
Je m’énonçai,
mais avec éloquence :
Grand
Roi, lui dis-je, écrasez le Fermier.
Un
Roi chéri n’est jamais sans finance.
On
vous adore….. amour est l’abondance ;
Otez
le nom du vingtième denier,
Et
vous verrez l’Egypte en allégresse
A
vos genoux apporter ses trésors.
Vous
connaissez ses vœux et sa tendresse,
Vous
avez vu l’excès de ses transports.
Voir,
dit le Roi, voici le bon système !
J’ai
le cœur bon, sensible et généreux,
J’aime
mon peuple ; il faut le rendre heureux.
Grands,
écoutez ma volonté suprême,
Vîte,
à Joseph que l’on donne un Crachat ;
Qu’il
soit ici le second de l’Etat ;
Grand,
s’il le peut, mais grand sans diadême.
Bravo,
Seigneur, dit certain Richelieu,
Monsieur
Poisson a bien un ruban bleu. (5)
Monsieur P a bien un ruban bleu.
(1)
Gusman, nom de S. Dominique, qui n’était point
assurément de cette illustre maison, comme le prétendent les Jacobins. Voyez
sur cela les bollandistes.
(2)
Dom Calmet, le crédule Historien des Vampires, nous dit que les Dames
de Memphis avaient des vapeurs à l’aspect du nez de Joseph. Voyez les
ouvrages de ce savant Bénédictin.
(3)
Mon chat, expression caressante dont les belles Dames de Paris
régalaient leur époux en 1760.
(4)
Auteur Français, qui fait imprimer que le Roi parle toujours de lui.
(5)
C’était le frère de Madame de Pompadour. Comme il venait de
recevoir le cordon bleu, un plaisant s’écria : On a mis le poisson
au bleu.
Histoire
de Fanchon – Jean veut jouir de ses faveurs – Châtiment du Ciel –
Apparition de L’Ange Gabriel.
Près
de Joseph, au coin d’un vert bocage,
Jean
vit Fanchon : un mince corset blanc,
Jupon
léger, comme on porte au village,
Embellissaient
son embonpoint charmant ;
De
ses aïeux elle eut pour héritage
Deux
yeux fripons, et deux tétons jolis ;
Ces
globes ronds tentaient les yeux du sage,
Et
plus souvent la main des étourdis.
O
sein brillant ! ô beau sein de Lisette !
Je
vous cachai : c’était sous une fleur.
Humble
jasmin, timide violette,
De
votre sort j’enviai la douceur ;
Vous
occupiez la place de mon cœur.
J’étais
putain, ma Mère maquerelle ;
Notre
talent fut connu des Hébreux.
J’étais
gentille ; et quand la fille est belle,
Le
chaland vient, et le couvent (1)
va mieux.
Mais
au Marais nous étions sans pratique ;
Cinq
ans durant nous y tînmes boutique,
Pas
un pigeon n’entrait au colombier :
Que
ce Marais est un maudit quartier !
Les
gens y sont gauches à toute outrance,
D’un
mauvais ton, d’un air, d’une innocence !
Enfin,
l’ami, nous y mourions de faim.
Maman
me dit : Fanchon, il faut demain
Aller
glaner, déjà l’Automne avance ;
Vers
Vaugirard, vous aurez de la chance.
Le
vieux Cassandre est un riche terrain ;
Bon,
généreux et galant pour son âge,
Il
a des droits, certains droits de jambage ; (2)
Tâchez
un peu d’attraper de son bien.
J’allai glaner
dans les champs de Cassandre.
Il
m’aperçut parmi ses moissonneurs :
Ma
belle enfant, me dit-il d’un air tendre,
Quoi !
vous glanez ? glanez plutôt les cœurs ?
Un
ciel serein, le plus beau paysage,
L’éclat
des champs ne vous égalent point.
Aline
a-t-elle un si joli corsage ?
Non,
son corset n’a point cet embonpoint.
Filles
de l’ombre, ô douces violettes,
Venez
parer Fanchon de vos couleurs !
Ah !
si ma main…. mais avec des lunettes,
Comment
pourrai-je arranger tant de fleurs ?
Allez,
Monsieur, cela vous plaît à dire ;
Vraiment
mon sein n’est point sans agrémens.
C’est
trop d’honneur ; mais, Monsieur, veut-il rire ?
J’ai
trop d’esprit ; je connais les amans ;
Ils
sont trompeurs, l’Amour l’est davantage.
Cassandre
était un vieillard fort épais,
D’esprit
surtout. A ce brillant langage
Il
reconnut que j’étais du Marais. (3)
Ma belle enfant,
êtes-vous en ménage,
Ou
par hasard cherchez-vous un époux ?
Combien ?
quinze ans. eh ! c’est justement l’âge
Où
d’un mari jeune cœur est jaloux.
En
attendant voulez-vous des noisettes ?
Dans
mon jardin il en croît de parfaites :
Venez,
entrez, cueillez-en sans façon,
Et
faites-en bonne provision.
Mais
où les mettre ? attendez ; je m’avise….
Il
faut les mettre – où ? – dans votre jupon :
Mais,
Monseigneur, je n’ai point de chemise,
Et
vous verriez. – Hélas ! que puis-je voir ?
Ma
pauvre enfant, je porte des lunettes ;
Et
puis après vous partirez le soir ;
Vesper
accourt, et le tems est fort noir ;
Qui
pourrait voir sous le sac aux noisettes ?
Chez nous je vins
apporter le présent.
Voyant
mon sac, mon habile Maman
Me
dit : Fanchon, louons la Providence ;
Ton
air galant, et surtout mon esprit,
T’aideront
bien ; Cassandre est sans prudence,
Va
dès ce soir, et sans faire de bruit,
Subtilement
te glisser dans son lit.
Comme
l’on peut dans le monde on s’avance ;
L’un
par l’épée, et toi par le fourreau.
Qu’as-tu
ma fille ? une frêle innocence,
Et
deux moulins, l’un à vent, l’autre à l’eau.
Un
gueux adroit s’attache à l’opulence :
Il
a raison ; car la dure indigence,
De
l’univers est le premier fléau.
Or, dans la nuit,
j’allai trouver Cassandre ;
Dans
ce moment que mon cœur était tendre !
Mon
greluchon dormait tranquillement.
Près
de son lit j’avançai doucement :
J’ôtai
jupon, corset et collerette,
Puis
par les pieds j’entrai dans sa couchette.
Mon
vieux s’éveille ; il sent je ne sais quoi
De
chatouilleux remuer dans sa couche ;
O
tendre amour ! cher enfant, est-ce toi ?
Non,
c’est Vénus, c’est elle que je touche ;
Reine
des cœurs ! laisse-moi sur ta bouche
Cueillir
encor mille baisers brûlans.
Divin
amour ! que tes feux sont puissans !
Viens-tu
donner des sens à ma vieillesse ?
Viens-tu,
dis-moi, de l’aveu d’Oïarou ? (4)
Ou
de la part du fourbe Manitou ? (5)
Non,
Monseigneur, excusez ma tendresse,
Je
viens vers vous de la part de l’Amour :
Je
suis Fanchon, cette jeune glaneuse
Qui
dans vos champs a travaillé ce jour.
Si
je pouvais ?….. serais-je assez heureuse !
Ah ! si l’esprit
d’un sincère retour….
Ah ! si l’espoir d’un
Maman
m’a dit qu’un galant héritage
Vous
distinguait ; que vos droits étaient beaux ;
Je
viens chercher votre droit de jambage :
J’aime
beaucoup les droits Seigneuriaux.
O
belle enfant ! ô l’orgueil de ta mère !
Que
n’étais-tu du tems heureux d’Homère,
Où
l’on formait de si sages liens !
Comment !
Fanchon méprise les Modernes !
Son
jeune cœur aime les Anciens ?
Comment !
ma fille, à quinze ans tu discernes,
Comme
Dacier, leur mérite éclatant ?
Ah !
que ne puis-je en cet heureux moment
Couvrir
ton sein des roses d’Amathonte !
Mais,
chère enfant, ma vieillesse est ma honte :
Je voudrais
bien….. mais que sont des désirs ?
Je voudrais bien ; mais que sont ces
désirs ?
L’hiver
n’est plus la saison des plaisirs.
Heureux
Titon ! toi seul eus l’avantage….
Mais,
attendez ! Monbrin, notre barbier,
Est
un garçon fameux dans le village ;
Depuis
vingt ans il apprend son métier,
En
nous coupant proprement le visage.
Il
est habile et savant sur les droits ;
Allons
le voir ; il me dira, je crois,
Bien
des secrets : il a pour lui l’usage.
L’expérience
est la fille de l’âge.
Cassandre alla
consulter son Monbrin.
Fier
d’être heureux, il vint le lendemain
D’un
style usé me conter sa tendresse :
Deux
fois il veut ; mais que veut la vieillesse !
Donner
des feux ?….. l’hiver est sans chaleur.
A
ses efforts je vois fuir la nature.
Je
fus deux nuits sur le lit de douleur ;
Du
Sacrement l’agréable jointure
Ne
s’ouvrait point aux vœux de mon vainqueur.
Dans le combat,
Cassandre eut trois faiblesses :
Aux
Trépassés il promet trente Messes,
S’il
peut remplir son amoureux dessein.
Le
Ciel l’exauce, et le Héros soudain
Sent
que l’espoir ressuscite son âme ;
Son
œil éteint, subitement s’enflamme
Au rouge
heureux répandu sur mon sein.
sur son sein.
Epoumoné,
fatigué comme mille,
Mon
greluchon, dans sa course tranquille,
Recule,
avance, et lâche comme un Grand,
Reste
sans vie en achevant l’ouvrage :
Un
Duc et Pair en aurait fait autant.
Car
les Seigneurs n’ont pas tout en partage ;
Dans
la coulisse ils ont raté souvent.
Le Roi Breton,
las peut-être d’entendre
Vanter
la honte et l’amour de Cassandre,
Sur
le gazon s’endormit doucement ;
Jean
l’aperçoit ; Amour, viens à son aide !
Fanchon,
hé quoi ?… mais, Fanchon n’est point Laide ?
Son cœur est
bon, on peut toucher ce cœur.
on peut toucher son cœur.
Viens
te livrer, ma fille, à la tendresse,
Et
dans mes bras goûter le vrai bonheur !
Laisse
ton vieux ; que pourrait sa vieillesse !
Ah !
pour manquer à la loi du Seigneur
Il
faut au moins des talens au pécheur.
J’en
suis pourvu : vois-tu mon encolure,
Ce
bras nerveux ? la féconde nature
Sur
mon ensemble épuisa sa vigueur :
Viens,
hâte-toi d’éprouver ma valeur.
Fanchon d’abord
faisait la précieuse,
Se
rengorgeait…. Vraiment y pensez-vous ?
L’honneur,
Monsieur…. tenez, je suis honteuse ;
De
la vertu mon cœur est trop jaloux,
Car
la vertu n’est qu’une circonstance ?
Quoi !
voulez-vous… ah ! bon Dieu, quand j’y pense ! Voudriez-vous…
ah ! bon Dieu
Vous, me
baiser ! Ecartez cette horreur,
Quoi, me baiser ?
écartez cette horreur,
Je
ne pourrais…. voyez-vous ! ma frayeur
Redoublerait,
je perdrais connaissance.
A ce discours,
Jean sourit dans son cœur :
Il
prend Fanchon, et doucement la pousse
Contre
un buisson, l’embrasse tendrement,
Puis
d’une main le barbare la trousse ;
De
l’autre il cherche… ô supplice effrayant !
Deux
fois Fanchon veut rabattre sa cotte,
Son
sein palpite aux apprêts du tourment ;
Dans
les déserts d’une vaste culotte,
Jean
furte, cherche ; ô prodige étonnant !
Au
lieu d’un peigne, il trouve une chandelle.
A
ce spectacle une rage cruelle
Se
peint soudain dans les yeux de Fanchon.
Jean,
sans parole à ce terrible affront,
Pousse
un soupir ; Saint Dunstan se réveille,
Crie
au miracle ; au pied de la merveille
Il
s’agenouille en bénissant le Ciel.
Dans
l’air on voit descendre Gabriel ;
Aux pieds de
Jean il tombe sur la face,
Aux pieds de Jean l’ange tombe en extase,
Signe
son front, bénit trois fois la Grâce ;
Et
du Seigneur, admirant les desseins,
Il
lève au Ciel ses innocentes mains :
Dieu
de Jacob ! ô puissance éternelle !
Ton œil
sourit au projet des humains !
aux projets
Jean
veut pécher, et ta main paternelle
Change en l’instant
son Priape en chandelle ;
Change à l’instant son priape
en chandelle :
Ainsi
Barjone a vu dans un festin,
Sous
tes regards, l’eau se changer en vin ;
Le
Juif, au son d’une faible trompette,
Vit
à ses pieds les murs de Jéricho :
Au
mouvement d’une mince baguette,
L’onde
fit place au gendre de Jéthro.
Ingrat,
brûlé des feux de l’adultère,
Infâme
époux, impitoyable Jean,
Viens,
reconnais le bras du Tout-puissant.
Cette
chandelle est encore un mystère ;
Mais
cette nuit le Ciel t’éclairera :
Cours
aux autels apaiser sa justice.
Et
toi, Dunstan, conduis Jean chez Patrice :
Sur
son destin ce vieux Saint l’instruira.
L’ange
aussitôt, de sa main immortelle,
Arrache
à Jean la divine chandelle ;
Et
gravement tenant le lampion,
Comme
Denis monté sur un rayon,
Vers
l’Eternel subitement s’envole.
Jean retrouvant
son peigne et la parole,
Les
yeux au Ciel, le cœur en oraison,
Fait
au Très-Haut cette ardente prière :
Que
ta bonté, que ta Grâce plénière,
Dieu
tout-puissant, m’ont causé de guignon !
Dieu trop puissant,
Un
jupon court, sans ton triste miracle,
A
mes désirs n’opposait point d’obstacle ;
Dans
ses beaux bras, la sensible Fanchon,
D’un
bonheur pur couronnait ma tendresse ;
Las
d’être époux je devenais amant :
Encor
un pas, je goûtais la faiblesse
Dont
ta puissance honora mon néant.
(1)
Nom honnête qu’on donne à Paris aux maisons
consacrées à la débauche.
(2)
Droit comique et fort indécent, connu de nos pères.
Un Seigneur mettait dans le lit de la nouvelle mariée une jambe bottée et
éperonnée.
(3)
Le Marais, quartier de Paris où les gens n’ont
point d’esprit, ou bien en ont toujours trop tard.
(5)
Le Diable blanc de la
Nigritie.
S.
Dunstan conduit Jean au Purgatoire de S. Patrice – Leur passage à Paris.
Dunstan
et Jean ont passé l’Italie.
La
Suisse avare étale à leurs regards
Ces
beaux jardins, où le Dieu du Génie
Reçoit
l’encens des Héros et des Arts,
Brillant
rival de Corneille et d’Homère !
Père
du chant ! ô mon Maître ! ô Voltaire !
Dunstan
t’a vu : que Dunstan est heureux !
Ah !
si la faim, la pénible misère,
Ne
m’enchaînaient dans leurs fers douloureux,
J’irais
parer tes autels de guirlandes,
A
tes foyers, ornés de mes offrandes,
Je
brûlerais un légitime encens ;
Je
fléchirais tes Pénates propices ;
Mes
vers heureux, écrits sous tes auspices,
Seraient
sans doute applaudis des talens.
Des champs d’Arcueil,
déjà Dunstan découvre
Les
boulevards du superbe Paris ;
Déjà
ses yeux ont vu, du haut du Louvre,
Un
peuple immense aux genoux de Louis.
Français,
pour vous que ce monde a de charmes !
que ce jour a de charmes !
Livrez
vos cœurs au plus ardent transport ;
Que
le plaisir fasse couler vos larmes ;
Louis
revient, il a vaincu la mort.
Sur
les genoux de l’éternelle Hygie,
Metz
à l’instant va l’offrir à vos yeux.
Bonheur
des Rois, amour de la Patrie,
Remplissez
l’air de vos chants glorieux !
Venez
chanter les succès de la France !
La
Paix, les Arts, la Gloire et l’Abondance
Vont
triompher dans l’Empire des Lis.
Je
vois tomber l’autel de la Finance :
Épars
au loin sous ses vastes débris,
J’entends
crier La Boissière et Paris. (1)
D’un regard
froid, le Saint long-tems admire
Ces
foux charmans, ce variable Empire,
Où
tous les goûts ont fixé leur séjour ;
Où
le caprice et la raison volage,
Des
mêmes fleurs couronnent tour à tour
Le
sein d’Églé, les chansons de l’Amour,
Et
quelquefois le front serein du sage.
Sur
ces remparts où la frivolité,
Le
Dieu du jour, et la fatuité
Viennent
chanter aux pieds du persifflage,
Dunstan
a vu des tableaux merveilleux,
Où
de Téniers le pinceau curieux
A
peint exprès, en vieille enluminure,
Chaumeix,
Hayer, l’indocile Beaumont ;
Comme
un cheval tiré d’après nature
Au
gros charbon, l’animal Jean Fréron,
L’ange du
sot, la honte du beau style ;
L’ange des sots,
A
ses côtés, Palissot l’imbécile,
Peint
à la grecque, est hué des passans.
Environné
de lauriers éclatans,
On
voit Rosbac au pied d’une éminence ;
Quatre
Tambours remplis d’expérience,
Donnent
de loin le signal du combat.
Mars
en chenille, orné d’un chapeau plat,
Conduit
au feu des portraits à la mode,
Des
vieux Pantins, des Perruquiers français ;
D’Arnaud
(2),
plus loin, célèbre dans une Ode
Arnaud plus loin célèbre
De
ces Héros les étonnants succès.
En clair obscur
un moderne Ergumène
Foulait
aux pieds les palmes de Boileau,
D’Aristophane,
et les vers de Rousseau. (3)
Petit
Auteur du mince Aristomène,
Qui
des neuf sœurs prêchez les nourrissons,
Quittez
ces soins, ne perdez pas vos veilles !
De
leur travail instruit-on les Abeilles ?
Est-ce au
Génie à suivre des leçons ?
Est-ce aux génies
à
Galant
conteur d’Hortense et de Timante,
Chantez
Lubin, peignez-nous son amante !
Pour
honorer votre conte enchanteur,
Demain,
Bastienne avec son confesseur,
D’un
sot enfant de l’Opéra-Comique
Enrichiront
le faubourg Saint-Laurent. (4)
Peint
à la craie, un gros crâne à l’antique
Fixait
sur lui les regards du passant :
C’était
Trublet ; qui, l’œil sur sa lorgnette,
Ne
pensant rien, compilait maint écrit.
Tout
vis-à-vis, Dubelloy, sans esprit,
Du
vieux Froissard rimaillait la gazette.
Tout
Paris court à ses douteux succès :
Pour
faire honneur à son drame imbécile,
Des
Magistrats, sur les murs de leur ville,
Entre
Saint-Pierre (5)
et feu Jean de Calais,
Ont
du rimeur accroché l’effigie.
O
Dubelloy ! ton aride génie,
Tes
lauriers secs, sont dus à la Clairon.
Des
vieux foyers, cette antique Bergère,
Depuis
cinq ans, t’a fait son greluchon.
Pour
lui marquer ton amitié sincère,
Deux
fois le jour tu panses son ulcère.
Pour
un rimeur, ô l’honnête garçon !
Dans un tableau
que soutient la folie,
Mais
que Molière orna de mille fleurs,
L’auteur
plaisant de la Métromanie, (6)
D’un
air malin, montrait aux spectateurs
Les
immortels nés de l’Académie.
Peintre des
fleurs, poëte du printems,
Heureux
Bernis, j’aperçois votre image ;
L’art
vous a peint au fond d’un paysage,
Où
l’horizon, semé de vers luisans,
De
son éclat embellit vos ouvrages.
Le Saint, honteux
d’avoir perdu son tems
A
contempler tant de sots personnages,
Quitte
Paris ; et traversant Noyon,
Amiens,
Boulogne, arrive en Albion.
Au vaste fond d’une
froide caverne,
Digne
réduit des enfants de l’Averne,
Un
Dieu Romain a fixé son séjour.
Ce
trou fameux est couvert de montagnes ;
Jamais
les fleurs ne croissent alentour.
Ces
sables noirs, ces arides campagnes
N’ont
jamais vu l’éclat du Dieu du jour.
Sur
l’Océan est cet endroit horrible :
L’étroite
entrée est presqu’inaccessible :
Onc
on ne voit sur ces rochers déserts
Que
les débris dispersés des naufrages,
Ou
les mortels, que le flux des orages
Ont
apportés du vaste sein des mers.
Ce lieu caché,
si l’on en croit l’histoire,
Par
les Anglais fut nommé purgatoire.
Depuis
mille ans, Patrice le Breton,
Du
sot bigot, y reçoit l’oraison ;
Pour
le choyer, on allume à sa gloire
Gomme,
résine et parfum très-puant,
Dont
Rome enfume encor le Tout-puissant.
Dunstan conduit
Jean aux pieds du vieux Prêtre,
Le
Saint voyant un plat Artésien,
D’un
air bénin lui demanda : mon Maître,
N’êtes-vous
pas Académicien ?
Car,
dans Arras, la Bibliographie
Fonda,
dit-on, nombreuse Académie,
Tripot
habile, estaminet savant,
Qui
chaque mois disserte éloquemment
Sur
la hauteur qu’avait dans l’origine,
Chez
les Flamands, la première chopine.
Hélas !
dit Jean, saluant le Patron,
Je
suis, grand Saint, un pauvre compagnon
Comme
Bonel (7) ;
je n’ai point de génie,
Tout
mon bon sens est dans un violon ;
J’en
racle fort, c’est ma profession,
Et
fais souvent danser l’Académie.
Bien
te remets, répond le Saint Breton :
Ta
haine injuste a fait pleurer Marie.
Pour
se venger, l’Éternel, dans Arras,
Avant
trois jours va déployer son bras.
Des
feux ardens brûleront les coupables.
J’entends
déjà ses carreaux redoutables,
Le
bruit tranchant de sa faulx du trépas.
Quand sur la nuit
l’amante de Céphale
Fera
rouler son char d’or et d’opale,
Que
sa main blanche ouvrira dans le Ciel
Au
Dieu du jour la porte orientale ;
Sur
les genoux de l’Ange Gabriel,
Le
front couvert d’une grâce immortelle,
Tes
yeux verront la fille de Joachim :
Un
beau crachat (8)
éclate sur son sein,
Un
sceptre d’or orne sa main pucelle,
Et
sous ses pieds une chaîne éternelle
Tient
dans ses fers le Démon et Calvin.
Tu
la verras descendre avec la gloire,
Sur
ton chevet écarter la nuit noire ;
Ton
ciel-de-lit, couvert de Chérubins,
Retentira
de cantiques divins.
O
l’heureux Jean ! notre Médiatrice,
De
ton courroux calmera la fureur ;
La
douce paix, de sa bouche propice,
Par
un baiser coulera dans ton cœur.
Va,
sois heureux autant que le Ciel même !
Jouis,
mon fils, de la gaieté suprême
Que
l’Éternel accorde à ses élus !
Va
mériter ses palmes immortelles,
En
Paradis ! ses faveurs éternelles
Couronneront
tes modestes vertus.
Disant ces mots,
le Saint à barbe grise,
De
son étole entoure La Terreur,
Et
par trois fois saintement l’exorcise,
En
conjurant le Diable et le Sauveur :
Tel
dans Arras, le jour que Bonneguise (9)
Chôme
la Manne (10),
un Prêtre évangélise
Des
pélerins les flots tumultueux,
Qu’un
vieil usage attire dans ces lieux ;
Et
qui soudain, pour conserver la Grâce,
Au
cabaret vont boire à pleine tasse.
(1)
Je ne cite que ces deux
Fermiers, pour épargner au public l’ennuyante liste d’une bande de
fripons qu’il déteste depuis long-tems.
(2)
Le Poëte lyrique du cul de Manon.
(3)
Marmontel s’est avisé de dire dans sa Poétique tout le mal possible
d’Aristophane, de Virgile, de Boileau et du Poëte Rousseau.
(4)
Madame Favart et l’Abbé de Voisenon
ont mis en Opéras quelques Contes de Marmontel. Voici la Chanson qu’on fit
courir à Paris à l’occasion d’Annette et Lubin.
Il
était une femme
Qui, pour se faire honneur,
Se joignit à son Confesseur ;
Faisons, dit-elle, ensemble
Un ouvrage d’esprit ;
Et l’Abbé le lui fit.
Il
cherche en son génie
De quoi la contenter,
Il l’avait court pour inventer :
Prenant un joli Conte
Que Marmontel ourdit,
Dessus il s’étendit.
On
a dit qu’un troisième
Au travail concourut,
C’est Favart qui les secourut ;
Aux œuvres de sa femme,
C’est bien le droit du jeu
Que l’époux entre un peu.
Esprit,
naturel, grâces,
Tendre simplicité,
Tout cela fut du Conte ôté ;
On mit des gaudrioles,
De l’esprit à foison :
Tant qu’il fut assez long.
A
juger dans les règles,
La pièce ne vaut rien ;
Et cependant elle prend bien :
Lubin est sûr de plaire,
On dit qu’Annette aussi
En tire bon parti
(5)
Les applaudissemens que
Paris a donnés au Siége de Calais prouvent le mauvais goût du siècle et la
décadence du bon.
(6)
La Métromanie, le chef-d’œuvre
du Théâtre depuis Molière.
(8)
Crachat, nom qu’on donne
en France au Saint-Esprit.
(10)
On adore dans l’Eglise d’Arras
la sainte Manne.
Dunstan
et Jean retournent à Arras – Un orage les surprend au-dessus de l’Abbaye
d’Avennes – Accident qui arrive à Jean – Les suites de ce malheur.
de ces
Malheurs
Heur
et malheur accompagnent toujours
Nos
tristes pas : au sein des doux amours,
Un
jour, hélas ! j’éprouvais leurs disgrâces.
Toi
que j’aimais, toi que suivaient les Grâces,
Et
que Vénus orna de ses appas,
Te
souvient-il, Lise, quand tes beaux bras
M’enveloppaient
dans ces rians bocages,
Zéphir,
jaloux de nos tendres plaisirs,
D’un
doux murmure agitait les feuillages ;
Ton
sein naissant, ouvert à mes désirs,
Abandonnait
à mes lèvres brûlantes
Ces
lis charmans qui ravissaient mes yeux.
Moment
chéri ! transports voluptueux !
Où
suis-je ? ô Ciel ! à mes mains pétulantes,
Perfide
Amour, que tu livres d’attraits !
Jeune
Zéphir suspendez vos regrets,
N’enviez
plus le sort qui me couronne :
Dans
mon bonheur Lizette m’empoisonne !
Un
doux venin coule avec ses faveurs.
Témoin
secret de mes vives douleurs,
O
grand Saint Côme ! à qui le Ciel propice
Donna
le soin de soulager nos maux,
Du
vieux serpent corrigez la malice,
A
mes douleurs accordez du repos,
Ou
de Colomb retirez le calice.
Si
dans nos champs vous aviez des autels,
Le
cœur rempli de vos biens immortels,
J’irais
placer auprès de votre image,
Et
le tableau de mon triste naufrage,
Et
le récit de mes cuisants regrets ;
Je
le peindrais de ces traits pleins de flamme,
Tel
que le sent et peut le peindre une âme
Reconnoissante
à vos rares bienfaits.
Ami lecteur, si
vous êtes plus sage,
Contre
un rosier ne vous frottez jamais !
Bien
je comptais trouver un pucelage….
L’épine
tient à l’arbre de l’Amour :
Bien
l’ai senti dans ce funeste jour.
Heur
et malheur sont pour notre nature ;
Jean
l’éprouva : voici son aventure.
Le fier Dunstan,
monté sur son cochon,
Du
Purgatoire a quitté l’horison :
Le
nez toujours serré dans la pincette,
Jean
tristement voltige à son côté :
Déjà
de loin il a vu la retraite,
Où
Pecquini, Cythère et la beauté,
Vont
dès l’aurore, en corset de bergère,
Chanter
en chœur les leçons du bréviaire,
Et
sur le soir les hymnes de l’amour. (1)
Du vieux Douai
Jean découvre la tour ;
Il
t’aperçoit, sévère Radamanthe :
Ton
diadême est un réchaud sans fond,
Ton
sceptre affreux la souche de Pluton.
A
ton aspect Apollon s’épouvante,
J’entends
frémir les bords de l’Hélicon.
Fais
triompher la fourbe et l’injustice,
Ramènes-nous
le siècle de Sylla !
Pourquoi
ton sein, injustement propice,
Veut-il
nourrir l’hydre de Loyola ?
Ton
fier mortier sur sa tête effroyable,
Ton
glaive ardent dans sa griffe coupable,
A
tes côtés épouvantent les Rois.
Couronnes-tu
les forfaits de ces traîtres ?
Ne
crains-tu rien pour les jours de tes Maîtres ?
Entre
leurs mains ta balance est sans poids ;
Nés
chez Damiens (2),
ton cœur sans bienfaisance
Oublierait-il
les dangers de Louis ?
Dans
quel malheur veux-tu plonger la France ?
Rappelle-toi
leur perfide vengeance :
Ils
ont frappé le dernier des Henris.
Vierge inconnue
à la chaste innocence,
Reine
des sots, étroite Bienséance,
De
tes couleurs viens tremper mon pinceau !
Il
faut des fleurs pour cacher ce tableau ;
Sa
nudité blesserait le coupable.
Jean et le Saint
allaient au gré du vent ;
Quand
vers Arras, un orage effroyable
Les
assaillit au-dessus d’un Couvent.
En
vain Dunstan conjure la tempête,
Parle
à la foudre et commande aux éclairs ;
Le
froid Nord-est qui gronde sur sa tête,
Sifflant
au loin, lui répond dans les airs.
Le
pauvre Jean, balancé par la foudre,
Croit
que sur lui le Ciel va se dissoudre,
Veut
se tirer des mains de Saint Dunstan.
En
s’agitant, de la pince il s’échappe ;
Subitement
le saint Roi le rattrape
Par
son engin ; la pince au même instant
Tout
rasibus lui coupe l’instrument.
Dunstan
surpris, redoublant de vîtesse,
Court
après Jean, le saisit par la fesse,
Et
gravement l’emporte dans Arras.
Muse, dis-nous,
comment le piteux cas
Du
pauvre Jean, venant du Ciel en terre,
Alla
gaudir dans un saint Monastère
Mainte
nonette ; et comment Sœur Suson
Sentit
bientôt mouvoir sous son jupon,
Ce
fier objet cher à la créature !
Près
d’un ruisseau couronné de verdure,
Que
chaque Nonne a grossi de ses pleurs,
Où
l’onde triste en s’éloignant murmure
De
voir ses bords en proie à cent douleurs,
La
jeune Sœur, d’une main innocente,
Légèrement
caressait son beau sein,
Dans
ce moment sur sa gorge naissante
De
La Terreur tombe le triste engin.
Sur
ce sein blanc Priape s’électrise,
Et
du corset glissant sous la chemise,
Il
va se perdre… on ne sait pas bien où :
C’était
je crois…. ce n’était pas au cou.
Du doux plaisir
la flamme enchanteresse
Coule
à grands flots dans le sein de la Sœur.
Divin
Jésus ! Seigneur que ta tendresse
Est
généreuse aux besoins du pécheur !
De
quel bienfait combles-tu ton image !…
O
Ciel ! Amour ! plaisir où mon cœur nage !
……. où
suis-je ? A ces cris, trente Sœurs
J’expire, où suis-je !
à ces cris trente Sœurs
Viennent
en pleurs au secours de la Nonne ;
D’un
ton dolent Sœur Thècle la questionne :
Dans
quel endroit sentez-vous des douleurs ?
Votre
rosier va-t-il porter des fleurs ?
Ou
sortez-vous des jours caniculaires ?
Le
jardinier ou d’autres téméraires
Ont-ils
osé ?… Mais, ma Sœur, parlez-nous !
L’œil vers le
Ciel, Suson sortant de crise,
S’écrie :
Amour, que tes charmes sont doux !
Ton
feu brulant…. ô plaisir ! je m’épuise !
Godemiché
soudain de sa chemise
S’échappe,
vole, et de son onction
S’en
va remplir la mère Cornichon,
Sœur
Bobillon, la vénérable Abesse,
La
Sœur Percé, la plus jeune Professe ;
En
moins d’une heure il chôme le bercail.
Anéanti
d’un si rude travail,
Il
tombe enfin sans force et sans haleine.
Un
chat le voit palpiter sur l’arène,
Le
long du froc de la Sœur Nicolas.
Le
ventre à terre, il vient à petits pas ;
Droit vers l’objet,
en guettant il avance,
Droit vers l’objet en guettant il s’avance.
Recule
un pas, saute, tombe, s’élance
Sur
l’oiselet, et l’emporte soudain.
Pour l’arrêter,
notre Sœur court en vain ;
Pour l’arrêter Sœur Luce court en
vain ;
L’adroit
matou devance la Tourrière,
De
mur en mur il gagne la gouttière,
Croyant
bientôt rassasier sa faim.
Croyant bientôt de rassasier sa faim.
(Qui
peut compter sur les coups du destin ! )
Passant
le toît d’une collégiale,
Il
laisse choir son butin dans la Halle.
Mainte Poissarde
accourt à cet objet : (3)
Commère,
voir…. dame, ça paraît drôle !
Dis-moi,
ton homme en a-t-il un si fait ?
Comment,
morbleu ! gibier de casserole,
Il
est monté, son vigoureux giblet….
Tiens,
je soutiens que le Saint Père à Rome
Est
un nigaud en ça près de notre homme.
Ton amoureux t’en
fait-il voir autant ?
Cela
vaut mieux pour toi qu’un quart de toile ;
J’ons
vu ton homme, et tâté son merlan ;
Le
bel anchois ! (4)
il ne vaut pas la sauce.
Va,
je t’en f…. que le Démon me hausse….
Mais
tu fais bien de la chienne aujourd’hui,
Va, ton mari n’est
qu’un grand bande-à-l’aise :
n’est qu’un grand b… de à l’aise ;
Si
quelque jour par miracle il te baise,
Il ne fera qu’un
bougre comme lui.
Il ne fera qu’un b… gre comme lui.
Mère Fanchon,
putain et bouquetière,
Dit :
taisez-vous ! la trouvaille est à moi,
J’ai
vu du Ciel tomber ça la première….
Manon, prends
garde, et Jeanne, contiens-toi ;
contiens-moi !
Car,
jerni Dieu ! je vous tordrai la gueule :…
Dame !
voyez cette affreuse bégueule,
Qui
devant nous ose dire, je veux….
Donnez-lui
donc : elle a place pour deux.
Petit
Jésus ! n’en avez-vous point mille ?…
Te
souviens-t-il des remparts de la ville,
Quand
Bourbonnais était en garnison ?…
Ce
mot lâché, crac, la Mère Fanchon,
D’un
fier soufflet vous colle la Manon.
Poissardes
sont femmes qui se défendent.
Les
coups de poing se donnent et se rendent ;
Fichus,
jupons, de vos tristes débris,
Caques,
pavés, bancs, sièges sont remplis :
Les
airs au loin de leurs cris retentissent ;
Vingt
polissons à leurs coups applaudissent ;
Dans
le marché tout paraît confondu :
Conclusion :
le lapin est perdu.
(1)
L’Abbaye de Flines, où il y a de très-jolies Vierges.
(2)
Ce M. est de la Thuyloie.
J’ai de
grandes raisons de me plaindre de ce tyran ; sa colère m’a sacrifié
à la haine des Jésuites.
(3)
Ce sont des Poissardes qui
parlent :
le costume m’oblige à leur faire parler leur langage.
(4)
Anchois. Quand le Roi
revint de Metz, les Poissardes
de Paris criaient dans les rues où il passait : Vive le Roi, que son
Anchois soit toujours droit. Cette saillie sortie de la caque, plut
infiniment. En prononçant cet oracle, les commères expérimentées n’ignoraient
pas que la révérence de l’Anchois est ordinairement un grand signe de
santé, comme dit Hippocrate au chapitre des Anchois.
Une
maladie épidémique attaque l’Artois – La Vierge une Chandelle à la
main, va trouver La Terreur – Réconciliation de Jean et de Jérôme.
Le
bien, le mal composent l’Univers.
Ils
sont partout, et même dans mes vers ;
C’est
un bonheur pour le mortel né libre,
D’être
bercé par leur juste équilibre.
A
ce défaut, l’un d’eux séparément
Pourrait
guider les pas certains du sage ;
De
cette preuve un Cordier est l’image.
Filant
son lin, marchant en reculant,
Que
Dieu l’avance ou Satan le recule,
Il
fait toujours sa corde également.
Mais
quoi, tandis que ma main ridicule
Veut
nuancer de bizarres couleurs,
Du
bien, du mal l’étonnant assemblage,
Sur
quel pays vois-je fondre l’orage ?
L’Artois
succombe à ses tristes malheurs.
Ma
Muse tremble, et sa frayeur augmente ;
La
pâle Mort s’élance du tombeau.
Je
vois voler sa faulx étincelante ;
Le
signe ardent d’une fièvre brûlante
En
traits de feu s’imprime sur la peau.
Gazet
(1)
nous dit dans sa grossière histoire,
Que
l’Éternel, pour affermir sa gloire,
Marquait
ainsi d’un feu vif et brûlant,
L’endroit
du corps qui servait au coupable
A
transgresser sa loi triste et durable.
Églé voyait
noircir sur son sein blanc
La
fraîche rose, où la main d’un Amant
Avait
surpris des faveurs ravissantes ;
Ce
teint brûlant, sur la peau des servantes,
Vers
le nombril était plus transparent.
Le
Loyola portait sur son derrière
Le
noir cachet de ses coupables feux.
Là,
maint Curé, près de sa Chambrière,
La
festoyant, voyait l’endroit verreux
Où
le Seigneur imprimait sa colère.
Un
Moine ardé de ces feux au pendant
Du
plus enflé, dans ce double accident
Criait
au Ciel : guérissez la brûlure,
Mais
pour Manon conservez mon enflure.
Reine
des Cieux, fille auguste des Rois,
D’un
triste peuple entends la faible voix !
Un
poison lent dans ses veines se glisse.
L’aveugle
Mort s’apprête au sacrifice,
Je vois son
glaive étendu vers Arras.
étendu sur Arras ;
Du sein de
Dieu descends, viens Immortelle !
descends, vierge immortelle,
Viens
arracher la faulx de la cruelle !
Sion
t’a vu triompher du trépas.
Toi, qu’enfanta
le néant redoutable,
Et
que chaque être a nourri dans son sein :
Jalouse
Mort, dont le fer implacable
Est
ici bas le sceptre du Destin,
Fuis
loin de nous ! Par ses regards propices,
A
nos malheurs Marie offre un secours ;
Nous
allons voir, sous ses heureux auspices,
De
nos beaux jours recommencer le cours.
Anges du Ciel,
enfans de la lumière,
De
vos lauriers parez le firmament !
Des
Cieux Marie a franchi la barrière :
J’entends
rouler son char de diamant.
L’astre
du jour resplendit autour d’elle ;
Une
Chandelle, en sa main éternelle,
Va
dissiper les ombres de la mort.
Tranquille
Artois, bénis ton heureux sort !
Du sein doré d’une
brillante nue,
Chez
La Terreur, Marie est descendue.
Monstre,
dit-elle, à qui mon faible cœur
A
prodigué sa douce bienfaisance,
Je
viens encor…. quel excès de clémence !
A
tes regards présenter le bonheur.
Jadis
mon Fils te fit à son image.
Ingrat,
noirci de ses bienfaits nombreux,
Ta
haine indigne a terni son ouvrage,
Et
ta vengeance a fait rougir les Cieux.
Sors
de ton lit, va trouver Nulsifrote ;
Dans
son cœur froid va rallumer la paix.
Et
rougissant tous deux de votre faute,
Venez
encor mériter mes bienfaits.
Vois-tu,
mon Fils, cette sainte Chandelle
Qui
va sauver les tristes jours d’Arras !
Au
pur éclat de sa flamme immortelle
Tu
verras fuir la fièvre et le trépas.
Le
jour sacré qu’on célèbre la Manne,
Dans
cette Église où Judas le profane (2)
Est
noblement pendu parmi les Saints,
Fais
remplir d’eau vingt ou trente bassins ;
Puis
doucement dégoûte dans icelle
Un
peu de suif de la sainte Chandelle ;
Ceux
qui boiront de cette eau saintement,
Des
feux ardens guériront au moment.
Or,
dès demain, quand la naissante Aurore
De
ses couleurs peindra les champs de l’air,
Va-t-en
trouver mon serviteur Lambert ;
C’est
un Prélat que ma tendresse honore.
Tu
lui diras…. Mais à propos, mon cher,
Es-tu
pourvu d’un peu d’intelligence,
Et
ton gros crâne a-t-il du jugement ?
Là…
saurais-tu tourner un compliment ?
Non, sur mon
Dieu, je n’ai point d’éloquence ;
De
compliment, voir je ne sais un mot :
Un
brin je peux défiler mon chapeau,
Très-gauchement
faire la révérence.
Mais
quand par fois l’on boit à ma santé,
Tout
aussitôt je trinque avec les autres.
Vierge,
excusez mon incapacité,
Appris
je n’ai qu’un peu mes patenôtres,
Encore
en ai-je oublié la moitié.
Ton
air épais aisément le fait croire,
Le
compliment n’est point Artésien ;
Dans
ton pays on ne fait rien de bien,
Hors
s’enivrer ; tu connais cette gloire.
Sans
compliment, à Lambert tu diras
Que
samedi dans l’Église d’Arras,
Au
chant du coq, habillée à la Grecque,
Le
front couvert d’un verdoyant areque,
Je
paraîtrai sur le haut de l’Autel,
Tenant
en main ce brandon immortel.
Cours
à Lambert annoncer ce mystère.
Dans un nuage,
où grondait le tonnerre,
Marie
au Ciel à l’instant s’envola.
Jean
effrayé soudain se réveilla,
Et
sur-le-champ va trouver son Compère.
En
le voyant, Nulsifrote enchanté
Saute
à son cou, dans ses bras s’entrelace,
Vingt
fois le serre, et trente fois l’embrasse :
A
ces transports La Terreur agité,
Au
fond du cœur sent expirer sa haine :
Viens,
cher ami ! de notre antique chaîne
Serrons
les nœuds, et que l’humanité !…
Mais,
parsansdié ! laissons-là la morale…
Au
cabaret réparons le scandale
Que nos
débats causèrent au prochain.
Que nos débats ont causés au prochain ;
Lavons
nos cœurs, ranimons dans le vin….
Mais,
à propos, connaîtrais-tu la Vierge ?
A mes regards
elle a paru la nuit ;
Eh bien ! l’ami, je l’ai vue cette
nuit ;
Dans
sa main blanche elle avait un gros cierge.
A
son aspect mon cœur fut interdit.
Dame,
vois-tu ! j’avais sur la conscience
Bien
du mauvais ; et ces sortes de gens
Voudraient
toujours qu’on eût son innocence,
qu’on eût leur innocence,
Qu’on
ne bût point. Il faut tuer le tems,
Il
est si long ! ami, passons-le à boire,
Laissons
la Vierge, et cela vaudra mieux :
Au Cabaret je
conterai l’histoire.
je te contrai
l’histoire
Sais-tu
Jérôme, où l’on vend du vin vieux ?
Chez
la Fricau ; non, allons chez Claudine.
Tous deux s’en
vont au Cabaret voisin :
Hola !
quelqu’un, qu’on apporte chopine !
Buvons,
ami, buvons jusqu’à demain :
A
toi, mon Jean ; grand merci, mon Compère.
Hé,
mon garçon ! apporte un plus grand verre ;
Dis, nous
prends-tu, bougre, pour des moineaux ?
nous prends-tu, bourge,
J’avalerions
la cave et les tonneaux,
Le
Cabaret, le vin jusqu’à la lie.
Le cœur joyeux,
nos deux héros en train
Sans
le mâcher vous avalaient le vin ;
Et
de leurs pots, d’où naissait leur génie,
Sortait
par fois mainte grosse saillie,
Que
dans Arras l’on prend pour des bons mots.
Jean
déjà sou, faisait mille propos :
Jean déjà saoul faisait
Le
Ciel plaisante, il nous la baille belle !
Que
veut Marie et sa longue Chandelle ?
Quoi !
pour la fièvre elle ordonne de l’eau ?
Pour
nous, Compère, allons droit au tonneau,
Chassons
le mal à grands coups de bouteille ;
Car,
sans le vin, le corps est en langueur :
Point
d’eau, sanbleu ! c’est le jus de la treille
Qui
seul pourra le remettre en vigueur.
Oh !
la maison…. à crier je m’ennuie :
Vîte,
du vin ici comme la pluie !
Le
tems qui court sur le char des saisons
Le
mûrira, tandis que nous boirons….
La
joie au cœur ! Jean, conte-nous l’histoire.
Te
souviens-tu, quand le voisin Grégoire
Eut
son affaire, et que par amitié
Notre
Pasteur perfora sa moitié !
Le
pauvre époux avait bien la berlue.
Oh !
le Curé savait bien s’aviser….
Dame
Margot est femelle entendue ;
Morbleu !
sur elle on peut se reposer :
Teint
à ravir, croupe grasse et dodue !
Depuis
long-tems leurs cœurs étaient unis,
Margot
souvent lui faisait des caresses ;
C’est
le plaisir qui choisit nos maîtresses,
Et
c’est le cœur qui nous fait des amis.
Nargues,
morbleu ! des amis de la Fable !
Narguons, morbleu, ceux que l’on fait à
table,
Les vrais amis
sont ceux qu’on fait à table.
Les vrais amis ne sont que dans la fable.
Buvons
à nous, tope à notre amitié !
A
toi, Jérôme, allons, à ta moitié !
Le
vin est bon, puisqu’il se laisse boire.
Mais,
à propos, quand demain la nuit noire
Prendra
la fuite, en voyant Lucifer,
Dis-moi,
comment irons-nous chez Lambert ?
Trop
je ne sais…. Quel singulier message !
La
Vierge rêve…. et gens de notre étage
Sont-ils
tournés pour faire un compliment ?
Mais
que dira l’Évêque en nous voyant ?
Va,
Monseigneur est homme comme un autre.
Ne
crois point ça, tu te trompes, mon Jean,
Son
fier néant, n’approche point du nôtre ;
L’humilité,
la vertu des enfans,
Ne
pare plus le front changeant des Grands ;
La
vanité, voilà leur caractère.
Tiens,
ces gens-là sont ces gros pots de terre
Qu’on
voit briller dans les appartemens,
Dans
les jardins et sur les cheminées.
Ouvre
ces pots, et regarde dedans !
Que
verras-tu ? des toiles d’araignées.
Qu’y verras-tu ?
L’orgueil
s’est fait un trône d’un tonneau.
L’ambition,
peinte sur un chapeau,
D’un
nain rougi, vous fait une Éminence.
Le
sentiment, plus fort que l’éloquence,
Nous
réglera, dit Jean ; buvons un coup.
Bois
donc, Compère ! – Eh ! coquin, es-tu fou ?
On
est heureux, ma foi, quand on s’enivre ;
Ne
cessons point de goûter ce bonheur.
Jus
de Bacchus, précieuse liqueur,
L’Artésien
sans toi pourrait-il vivre !
Viens
soulager mon chagrin et mon cœur !
Allons,
l’ami, vive la tempérance !
Elle
me plaît, ainsi qu’aux Templiers
Du
tems jadis, plaisait la continence.
Holà !
garçon, apporte dix septiers.
Voûtes des Cieux
couvertes de nuages,
Où
le jour brille, où naissent les orages,
A
mes accords, ouvrez-vous un moment !
Ne
voilez plus aux yeux du firmament
Deux
scélérats enterrés dans l’ivresse !
Toi,
qui sur eux prodiguas la tendresse,
Tes
biens flatteurs et tes soins infinis,
Reine
des Cieux, du séjour de la Gloire
Où
l’Éternel t’a mis près de son fils,
De
tes Héros admire la victoire,
De
tes bienfaits vois germer les beaux fruits !
Sous,
ivres-morts, couchés sur la poussière,
Saouls, ivres-morts,
Reconnais-tu
ces monstres endormis ?
Hélas !
en vain le pouvoir salutaire
De
ta Chandelle à leurs soins est remis.
Fille
des Rois, lance sur ces coupables,
D’un
Dieu vengeur les carreaux redoutables !
Dans
le chaos qu’ils soient anéantis !
Mais
quoi ! ton sceptre est la bonté suprême ;
L’astre
du jour, ton brillant vêtement ;
Le
doux Jésus, ton riche diadême,
Et
ton pouvoir, celui du Tout-puissant.
Ton
chaste sein, où naquit la clémence,
S’ouvre
pour eux. Je vois déjà leurs cœurs,
Par
des remords expier leur offense,
Et
t’attendrir par leurs sensibles pleurs.
Sous les drapeaux
de l’auguste Marie,
Jérôme
et Jean s’en vont trouver Lambert.
Jésus
du haut de la sainte Patrie,
Sur
leurs succès a déjà l’œil ouvert.
(1)
Mauvais Auteur d’une Histoire Ecclésiastique des Pays-Bas.
(2)
A la porte de la
Cathédrale de la ville d’Arras,
on voit les figures des douze Apôtres. Celle de Judas accrochée à un arbre,
est en rang d’oignons avec les autres. Les Artésiens, fort reconnaissans,
ont dressé ce monument à Judas Iscariote, pour conserver la mémoire de ce
pauvre défunt.
Jean
et Jérôme vont trouver l’Evêque Lambert – Réception que leur fait le
Prélat.
Anciennement,
quand Rome était païenne,
Et
qu’un Pontife, inspiré du Seigneur
Aux
vieux Romains prêchait la foi chrétienne,
L’Église
alors avait de la candeur,
Point
ne songeait aux faux biens de la terre.
Pierre
en sabots au fond du Sanctuaire,
Tout
rondement bénissait son prochain,
Sans
vétiller sur la sotte rubrique.
L’ambition,
le faste évangélique
D’un
sceptre fier ne chargeaient point sa main ;
Le
vaste orgueil, sur son crâne divin,
Point
n’avait mis la thiare superbe ;
Ainsi
qu’un ver, Pierrot caché sous l’herbe,
Pas
ne pensait que l’anneau du pêcheur,
Des
Souverains scellerait la grandeur ;
Qu’un
jour Léon, par sa magnificence,
Éclipserait
la majesté des Rois ;
Que
Sixte-Quint, aux accens de sa voix,
Ferait
trembler l’Angleterre et la France.
Contens
et fiers de leur sainte indigence,
Pierre,
long-tems tes enfants glorieux,
De
leur sagesse ont ébloui le monde.
Ce
tems n’est plus, la vanité profonde
A
dans leurs mains brisé la clef des Cieux.
Dans
des chars d’or, que le faste environne,
Où
l’azur brille, où l’art hardi couronne
Du
diadême, ornement de nos Rois,
Ta
mince barque et tes filets adroits,
On voit dans l’air
voler ton Éminence.
voler son éminence.
Là,
Monseigneur, plus loin, Sa Révérence,
Gens
engraissés des biens de nos aïeux,
D’un
air hautain, nous bénissent pour eux.
Car
la fierté, l’insolence et la gloire,
Sont
aujourd’hui les talens des Prélats ;
Par
eux Lambert fut connu dans Arras.
Vous
le verrez en lisant cette histoire.
Sur
un rivage aujourd’hui fréquenté,
Vers Achicout
s’élève une Cité.
Vers Achicourt
Ses
murs épais sont sans magnificence,
Sans
agrément : pourtant, en récompense,
Dans
leur enceinte on entend quelquefois
Parler
sans goût le bel esprit bourgeois,
En tems et
lieu, comme on sait dans la Suisse,
comme on fait
Adroitement
dire un Dieu vous bénisse,
Lorsqu’un
quidam éternue à grand bruit.
Quand un quelqu’un éternue
hautement.
Près
des fossés, après un long circuit,
Près des fossés dans un éloignement,
Sur
le coteau paraît la Citadelle,
Fort
inutile, et cependant fort belle.
Là,
chaque hiver, pour choyer les tendrons
L’amour
honnête amène des Dragons,
Gentils
Soudarts, polis, constans, fidèles,
Qui
chaque jour offrent à trente belles
Des
tendres cœurs fermes comme le tems ;
Car
les Dragons ont de beaux sentimens.
Un
saint Hymen, fait sous la cheminée,
D’un
nœud coulant unit la destinée
De
chaque fille à son fidèle amant ;
Pour
constater la force du serment,
Sans
la figure épaisse d’un Notaire,
L’Amour
lui-même écrit sur la poussière
Les
saints accords du chaste engagement.
Près de ces
lieux paraît un doux asile,
Où
dans la paix, loin du bruit de la ville,
Un
saint vivait, en mangeant comme un saint.
(Lambert
était le nom du personnage,)
[pas de parenthèses]
Austère
Évêque, admiré dans son âge,
S’il
n’eût été trop sévère au prochain.
Il
possédait le génie ordinaire
De
réciter lestement un bréviaire,
Qu’un
Capucin souvent n’entend pas bien.
Hors
ce talent, Lambert ne savait rien.
Léger
d’esprit, faible de conscience,
Il
accusait le tentateur malin,
D’avoir
lui-même apporté dans la France
Le
passe-pied, le menuet, la danse,
Le
mirliton, la béquille et pantin.
Il
s’écriait, dans l’ardeur de son zèle :
Ah !
que la guerre est un rude fléau ?
Qu’un
plumet blanc, sur les bords d’un chapeau,
Ombrage
bien une jeune pucelle !
A
cet objet, hélas ! la plus cruelle,
Point
ne pourra résister un moment ;
Et
le plumage un jour assurément,
La
couvrira ; fillette est trop fragile.
O mœurs !
ô siècle ! Arras, ô pauvre ville !
Un lustre
avant que l’Ebère vomit
avant que l’érèbe
Ces
fiers soudarts que la danse séduit,
Sur
tes foyers l’ennui tombait à verse ;
Si
les beaux jours, au soir, à la traverse,
Pour
se gaudir on branlait le jupon,
C’était
sans bruit, c’était sans violon :
Branle
on dansait ; mais branle de couchette,
Un
tour de lit, où souvent la fillette
Faisant
un saut, en avait pour neuf mois.
Ainsi Lambert se
lamentait par fois.
Muse,
dis-nous, comment un noir fantôme,
Vînt
l’animer contre Jean et Jérôme :
Comment
l’Enfer vint souffler dans son cœur,
Des
saints autels l’homicide fureur !
La
sombre nuit, sous une toile obscure,
Déjà
partout ombrageait la Nature ;
L’astre
brillant qui dore nos coteaux,
Depuis
une heure, au sein profond des eaux,
Rafraîchissait
son ardeur amoureuse ;
Le
tendre lis, la chaste tubéreuse,
D’un
vent plus frais humectaient leur blancheur.
Dans
une alcove où régnait l’opulence,
Entre
deux draps reposait Monseigneur
La
gravité, fille de l’indolence,
Sur
ses genoux, dans un songe flatteur,
D’un
fade encens parfumait Sa Grandeur.
Dans
ce moment, l’horrible Tisiphone,
Qu’un
long serpent entortille et couronne,
Vient
du Pontife arracher les rideaux,
Offre
à ses yeux ses sinistres flambeaux :
Fier
Souverain d’un petit diocèse,
Dont
le mérite est un bonnet fendu,
Peux-tu
goûter le repos à ton aise,
Quand
dans Arras ton pouvoir est perdu ?
Dis,
est-il tems de sommeiller encore,
Quand
sous tes murs la jeune Terpsichore
A contre toi
suscité les enfans !
suscité ses enfants ?
Deux
violons, deux coquins insolens,
Dans
les vapeurs d’une ivresse endormie,
Ont
vu, dit-on, l’immortelle Marie,
Abandonner
à leurs profanes mains
Un
saint brandon, le salut des humains.
Comment
le Ciel protège-t-il la danse ?
Un
violon, dont la vertu s’offense,
Peut-il
toucher, par ses sons discordans,
Le
goût divin du Maître des vivans ?
Deux
malheureux que la haine et l’envie
Ont
si long-tems enchaînés dans mes fers,
Sont
destinés à sauver leur patrie,
Et
de leur gloire étonner l’univers !
Prélat,
on veut avilir ta puissance,
Braver
tes lois, fouler tes mandemens ;
Jadis
par eux tu censuras la danse,
Laisseras-tu
tes foudres impuissans ?
Il
faut sur eux que ton courroux s’épuise ;
Arme
tes mains des canons de l’Eglise,
Et
sous tes pieds écrâse ces méchans.
Dieu
de Jacob ! Dieu puissant de Moïse !
Dont
Abiron ressentit la fureur,
Terrible
Dieu, mémorable vengeur !
Ce
n’est plus toi désormais que j’implore.
Anges
affreux ! pâles Dieux de Milton !
Dieux de Miltron !
Embrasez-vous
du feu qui me dévore ;
Pour
me venger, sortez du Phlégéton !
Du
vieux Lambert brûlez l’âme implacable !
Jean
et Jérôme ont bravé sa vertu.
Disant
ces mots, le monstre redoutable
Au
noir Ténare est soudain descendu.
Du haut des airs
le blond fils de Latone
Voyait
déjà les Chantres du Seigneur
Le
verre en main, du jus frais de la tonne,
Se
délasser des fatigues du Chœur ;
Quand nos
Héros, encor sous de la veille,
saouls
Les
yeux mouillés du nectar de la treille,
S’en
vont heurter au palais de Lambert.
Un
suisse, orné d’un grand baudrier vert,
Ouvre
aussitôt ; d’un ton de suffisance,
Leur
dit : Messieurs, ici que voulez-vous ?
De
Monseigneur un moment d’audience :
Là,
pourriez-vous, par amitié pour nous,
Sans
l’acheter, nous rendre ce service ?
Quoi !
sans argent ? sans argent point de Suisse,
Mes
bonnes gens, vous êtes dans l’erreur.
Ah !
mon ami, si le jus de la treille
A
le pouvoir de changer votre cœur,
Tenez,
voici de quoi boire bouteille ?….
Vous
raisonnez, vous verrez Monseigneur ;
Allez,
montez. Nos gens, chez Sa Grandeur
S’en
vont frapper. Le Prélat se réveille.
O
jour heureux ! ô précieux bonheur !
Le
Tout-puissant exauce enfin Ninive,
Il
va cesser d’appesantir son bras ;
La
Sainte Vierge, à nos cris attentive,
Descend
demain pour secourir Arras.
Nos
yeux mortels ont vu, la nuit dernière,
L’éclat
brillant de sa vive lumière ;
Dans votre
Eglise, au lever du soleil,
Dans notre église
Vous
la verrez dans un char de vermeil,
Entre
nos mains remettre son gros cierge.
Que
dites-vous ? quel propos ? quoi ! la Vierge
Vous
a parlé ? voir dame ! oui, répond Jean.
Quoi !
tu soutiens…. mais qu’es-tu, mon enfant ?
Musicien,
faisant danser les filles.
Comment,
coquins, corrupteurs des familles,
Qui
chaque jour, contre mes mandemens,
Osez
encor de vos vils instrumens
Faire
parler l’écorchante harmonie ;
Quoi !
de l’Artois, la poussière et la lie,
Deux
scélérats, deux gueux, deux violons,
Auront
la nuit vu la Vierge Marie ?
Hola !
mes gens…. vîte dans nos prisons….
Quel
pot-pourri ! j’en aurai la migraine ;
Comment,
morbleu ! la canaille chrétienne,
Dans
mon palais, bravera mes bontés….
A ce discours,
Jérôme Nulsifrotte,
Tremblant
de peur, lâcha dans sa culotte
Ce
que l’on fait dans les commodités.
Jean,
embaumé de la liqueur traîtresse,
Pour
son ami, rappelant sa tendresse,
Veut
du Prélat appaiser la fureur :
Pontife
Saint, Evêque magnanime,
De
mon ami n’accusez point le cœur,
Son
accident, Seigneur, n’est point un crime.
L’ignorez-vous….
quoi…. ce sont nos enfans,
Nourris,
formés, travaillés dans nos flancs ;
Ayons
pour eux les entrailles d’un père ;
Un
fils a-t-il plus de droit sur sa mère ?
Comme
elle, hélas ! nous leur donnons le jour ;
Ne sont-ils
pas dignes de notre amour !
Ne sont-ils point dignes de mon amour ?
Quand
accroupi dans un coin solitaire,
Le
cul au vent, un papier à la main,
Les
yeux baissés, le menton sur le sein,
Serrant
le ventre, et poussant du derrière,
Nous
donnons l’être à cet infortuné ;
Se
relevant, l’homme le plus austère,
D’un
air bénin, lorgne le nouveau né :
Ces
doux regards sont les adieux d’un père,
Qui
voit son fils pour la dernière fois.
Ce
beau sermon, où l’auteur, à la fois,
Vantait
l’amour, excusait son confrère,
Ne
fut goûté. Monseigneur en colère,
Grinçant
des dents, tempêtant et jurant,
A
coups de pied, de son appartement,
Chassa
Jérôme et monsieur son Compère.
Saint
Vaast, à cheval sur Jean-Jacques, va trouver l’Evêque Lambert – Marie
descend du Ciel avec la Chandelle d’Arras.
Le
goût des Saints fut toujours merveilleux.
Dans
leur histoire, on voit ces Bienheureux
En
amitié prendre chacun leur bête ;
Témoin
Antoine, il aimait son cochon :
Aux
champs du Nil, dans un saint tête-à-tête,
Ils
se parlaient en faisant oraison.
On sait de Luc
le goût évangélique.
Du grand Saint Luc le goût
évangélique
Était
le bœuf ; Inigo, le dindon ;
Monsieur
Saint Roch, si l’on croit son cantique,
A
Montpellier, jadis en bon chrétien,
Alla
mourir dans les bras de son chien.
Le
vieux Denis faisait cas de son âne,
Le
caressait, le baisait comme Jeanne.
Sainte
Gertrude aimait beaucoup les rats.
L’Apôtre
Saint, qui jadis dans Arras
Alla
planter l’étendard catholique,
Aimait
les ours ; il fit bâtir pour eux,
Près
de la Scarpe, un couvent somptueux.
Il
leur donna le harnois monastique,
Et
l’air léché d’un gros Bénédictin.
Mère de
Rome ! ô toi savante Attique !
Le
paganisme autrefois, dans ton sein,
Peignit
un aigle à côté de Jupin ;
Sur
les genoux de la mère d’Hélène
Un
cygne blanc caressant ses attraits ;
Aux
pieds du Dieu qu’invoque l’Hypocrène,
L’ardent
Python percé de mille traits.
Reine
des cœurs ! la Colombe amoureuse,
Avec
l’Amour accompagne tes pas.
Cent
fois le jour elle vole en tes bras,
Et
chaque fois tu la rends plus heureuse.
Si
pour mes vers, le Mouphti des Latins
Me
niche un jour parmi ses Dieux romains,
Ou
si sans lui je faisais la conquête
De
ce séjour où sont les Chérubins,
Point
ne voudrais caresser une bête.
Zéphire
seule y ferait mon bonheur,
Zéphire
seule aurait toujours mon cœur.
Du fier Lambert
le courroux indocile
Avait
touché les cœurs des Bienheureux ;
Vaast,
alarmé des malheurs de sa ville,
Pour
la sauver abandonne les Cieux,
Plane
dans l’air, vole vers la Norwège,
Où
l’Aquilon, sur un trône de neige,
D’épais
glaçons couronne les hivers,
Et
dans leurs bras engourdit l’univers.
Déjà le Saint a
passé la Scythie.
En
le voyant, l’attentive Orythie
Tient
dans ses fers Borée et ses enfans.
Le
Bienheureux dans l’île des Ours blancs
D’un
air pressé cherche après sa monture.
Un
Genevois, lassé de son allure,
Parmi
les Ours, ses compagnons chéris,
A
quatre pieds marchait ainsi qu’un âne ;
Instruit,
léché, par ses nouveaux amis,
On
admirait, dans sa marche profane,
L’air
élégant des Ours les plus polis.
Le grand S.
Vaast, à cheval sur Jean-Jacques,
A
traversé l’horizon des Cosaques ;
Déjà
Berlin frappe ses yeux surpris.
Un
Roi couvert de la brutale gloire
Dont
Alexandre a fait pâlir l’histoire,
De
son Palais appelle les Beaux-Arts.
Enfans
du Ciel que la paix environne,
Ne
courez point sur ses sombres remparts
Mêler
vos fleurs aux palmes de Bellone,
Laissez
la Mort couronner le Dieu Mars :
Et
toi, grand Roi, que le bon goût inspire,
Ne
touche plus aux fleurs de l’Hélicon ;
Ta
voix terrible épouvante Apollon :
Tes
doigts sanglans discorderaient sa lyre,
Et
ses lauriers sécheraient sur ton front.
Féconde
l’art de détruire la terre,
Place
ton trône à côté du tonnerre.
Solon
pourra t’éclairer sur les loix ;
Mais
Apollon n’inspire point les Rois. (1)
Nos voyageurs, qu’Eole
favorise,
Ont
traversé les plaines du Valais.
Jacques
revoit cette faible Héloïse,
Dont
sa vertu défigura les traits.
Du
feu honteux dont son âme est éprise,
Il
ose au Saint étaler la fureur ;
Tais-toi,
Jean-Jacque, et laisse ta sagesse :
Que
me dis-tu ? le crime est dans ton cœur.
Un
style ardent nuance ta faiblesse ;
Mais
sous les fleurs j’aperçois le serpent.
Ta
vertu lâche est cette fausse Ithaque,
Qui
sous Mentor égarait Télémaque ;
Et
ta logique, un sophiste éloquent.
Pour
la vertu ton âme est sans étoffe :
Julie
a fait dans tes bras un enfant.
Tel
en couvrant une sage jument,
Epris
d’amour, un cheval philosophe
Fait
un poulain très-vertueusement.
Dans
un Palais, où l’orgueil canonique
Couronne
en paix, les sueurs de Jésus,
Du
vieux Lambert le faste évangélique,
Jacque
et le Saint sont déjà descendus.
Au
fier Prélat, Saint Vaast tint ce langage :
Vois-tu,
Lambert, cette bête sauvage !
C’est
un enfant du docteur Robinson.
A
ses leçons, l’imbécile Beaumont
N’a
pu répondre, et sa Grandeur enrage.
Pour toi, mon
fils, sois plus juste, plus sage,
sois plus juste et plus sage ;
Ne
brave pas ce sauvage éloquent !
Ainsi
qu’Antée il est fils de la Terre :
En
combattant sur le sein de sa mère,
Craint-il
Christophe, ou son fier Mandement ?
Pour
l’étouffer il faut les bras d’Hercule,
Et
Monseigneur est un nain ridicule.
O cher
Lambert ! sois pacifique et doux,
N’écoute
plus les conseils du courroux,
Orne
de fleurs ta crosse Apostolique,
Tiens
en tes mains l’étendard politique,
Laisse
danser le plat Artésien.
Né
sans esprit, ce peuple aime la danse.
Si
mainte fille y perd son innocence,
C’est
une fleur, cette perte n’est rien.
Cours
aux Autels offrir ton sacrifice !
Au
chant du coq, notre Libératrice
Va
dans Arras ramener le bonheur.
Une
Chandelle, en sa main bienfaisante,
Ecartera
de sa flamme puissante
La
pâle mort, la fièvre et la douleur.
Toi que Phœbus
et Lucine ont fait naître
Pour
embellir leur absence et les Cieux ;
Toi, que le
Maure avant nous vit paraître,
avant nous voit paraître,
Et
que la Perse adore avec ses Dieux,
Accours,
Aurore, et répands ta lumière !
et répands la lumière,
Poursuis
la nuit dans sa sombre carrière ;
Viens
nous montrer un spectacle étonnant.
Vingt
Tonsurés, de leur moelleuse couche
Ont
délaissé le repos séduisant.
En
te quittant, sur ta brûlante bouche,
Le
Chantre, Jeanne, a scellé son amour.
Un
grand Vicaire… au chœur avant le jour !
Y
penses-tu ? disait la jeune Elise ;
Quoi,
de mes bras, pour courir à l’Eglise,
L’ingrat
s’échappe ! à ma bouillante ardeur
Réponds
au moins, donne-moi la pitance,
Et
puis après, va, si tu veux, au chœur…
Comment,
vingt ans de soin et de constance,
Trente
rivaux immolés à ton cœur,
N’arrêteront
la fureur désolante
D’aller
chanter les hymnes du Seigneur !
Ainsi
criait une vieille servante,
Dont
le Doyen, lunettes sur le nez,
Chômait
encor les appas surannés.
Quoi,
si matin ! veux-tu gagner un rhume ?
Disait
Suson, dans les bras du Prévôt ;
D’aller
au chœur reprens-tu la coutume ?
Un
prébendé doit-il être dévôt ?
Au
Sacristain laisse cette rubrique.
Comment
Lambert, ce Prêtre fanatique,
Fait-il
sonner l’office avant le jour ?
Que
ne va-t-il résider à la Cour !
Est-ce
sa fête ici qu’on solennise ?
Quoi,
ton Prélat ferait-il son métier ?
Connoîtrait-il
les dedans d’une Eglise ?
C’est
le devoir du sot Pénitencier.
Malgré les cris
de trente Gouvernantes,
Du
vieux plain-chant les notes discordantes
Tremblaient
déjà sur les vîtres du chœur.
Depuis
minuit auprès de Monseigneur,
A
deux genoux Jérôme et son confrère,
Les
yeux au Ciel, le cœur en oraison,
Hâtaient
les chants du fier Alectryon.
Dans l’air ému
l’on entend le tonnerre,
Le
vent augmente, on sent trembler la terre,
L’orgue
ébranlé bourdonne en frémissant :
Fausset,
basson, haute-contre, serpent,
N’ont
plus d’accords : la basse, sans cadence,
Tremblante
aux coups d’un archet incertain,
Ne
soutient plus les chantres du lutrin.
Maître
Grégoire, homme d’expérience,
Dont
le long nez nasille en faux bourdon,
Trois
fois au chœur veut rendre l’unisson ;
Mais
c’est en vain, l’affreux tonnerre augmente,
L’Eglise
s’ouvre. On aperçoit soudain
Des
Cieux parés la voûte étincelante.
Sur
les genoux d’un brûlant Chérubin,
Du
Tout-puissant descend l’auguste Mère ;
Une
Chandelle éclate dans sa main ;
Du
Saint-Esprit l’abondante lumière
Du
haut des Cieux rayonne sur son sein.
Chantres
gagés, cessez votre harmonie !
Ce
gros plain-chant étourdit le Seigneur.
Prosternez-vous
à l’aspect de Marie ;
De
son triomphe adorez la grandeur !
Lévites saints,
dont mon fils est le père,
Venez
jouir des fruits de ma bonté !
Du
Dieu vivant je suis l’auguste Mère,
Et
mon sourire ouvre l’Éternité.
Jusques
aux Cieux vos cris se font entendre,
Pour
vous sauver l’amour me fait descendre.
Ne
craignez plus la fureur du trépas ;
Contre
ses traits j’apporte une Chandelle
Qui
toujours brûle et ne s’éteindra pas.
O
toi, mon fils ! mon serviteur fidèle !
Avance,
Jean, et reçois ce flambeau,
Fais-en
tomber quelques gouttes dans l’eau :
Ceux
qui boiront cette onde salutaire,
Des
feux ardens guériront aussitôt.
Mais
l’esprit fort, le pécheur téméraire,
Qui
douteront de son effet puissant,
Seront
punis de mort au même instant.
Disant ces mots,
sur les genoux de l’Ange,
Au
bruit confus des concerts de louange,
Marie
au Ciel remonte gravement.
Toi,
que le tems démolit en silence,
Religion
faite pour les enfans,
Qui
veux briller à notre intelligence
En
éteignant le flambeau de nos sens ;
Du
sanctuaire où ta voix nous appelle,
Viens
nous montrer cette sainte Chandelle
Qu’allume
encor la superstition !
L’Artésien,
avec dévotion,
De
tous côtés vient signaler son zèle,
De
Saint-Omer, Mathurin du Haut-Pont, (2)
Depuis
long-tems à ton culte fidèle,
A
tes genoux accourt avec les siens.
Du
vieil Hédin les fiers Paroissiens
Viennent
t’offrir leur figure importune.
Bapaume,
Lens, Lillers, Aire, Béthune,
Viennent
te rendre un immortel honneur.
Courant
fêter la Chandelle divine,
A
son amant, plus d’une pélerine
Laisse
cueillir son innocente fleur :
Avec
Colin, Lise gaîment couronne
Son
lourd mari des lauriers d’Actéon ;
Près
de Lubin, la volage Fanchon,
Goûte en
allant les douceurs de Latone ;
les douceurs de la tonne ;
Pan
dans les bois veut instruire Erigone,
La
Nymphe rit et fuit à sa leçon.
Le
vieux Silène accompagne la troupe,
Bacchus, du
Ciel leur apporte sa coupe ;
Bacchus du Ciel lui apporte sa coupe,
On
boit, on chante, et les jeunes Silvains,
Avec
grelots, sifflets et tambourins,
Autour
d’Eglé faisaient mainte gambade ;
Un
Faune épais dans sa main tient la Croix ;
Et
dans Arras la Sainte mascarade
Entre
à l’instant au bruit de mille voix.
Abbé charmant,
aimable Saint Sulpice,
Que
faisiez-vous dans ces momens douteux ?
Près
de Sophie, à côté de Clarice,
De
mille fleurs vous orniez leurs cheveux.
Ah !
parfumez le sein de ces Bergères !
Un
jeune enfant, de ses aîles légères
Vous
a prêté le volage secours ;
Ainsi
que lui, trompez toutes les belles,
Et
promenez vos ardeurs infidelles ;
Est-on
constant dans l’âge des Amours !
Ne
suivez point cette vieille sagesse,
Qui
veut encor respecter un fichu ;
Abandonnez
la timide tendresse
Qu’inspire
aux sots une austère vertu :
Vous
n’allez pas à la sainte Chandelle
Chercher
le feu qui brûle votre cœur.
Le
feu du Ciel est constant, plein d’ardeur :
Abbé,
le vôtre est toujours infidèle.
(1)
Je
ne goûte plus les poésies de ce Monarque, depuis qu’il a égorgé si
cruellement l’humanité.
(2)
Mathurin
du Haut-Pont, figure qui sonne l’heure à St.-Omer, aussi révérée dans les Pays-Bas, que les glorieux
Saints Bertin et Martin de Cambrai.
Sanspain
enlève la Chandelle d’Arras – On la retrouve dans son grenier –
Procession de la sainte Chandelle.
Vers
un sentier qui mène à l’Hôpital,
Paraît
un mont ; au pied, une fontaine ;
Sur
le sommet, un vigoureux cheval ;
L’onde
qui coule est l’eau de l’Hypocrène,
Et
le cheval, l’Apollon de Fréron.
Un
laurier vert, que la foudre environne,
Croît
au milieu de cet aride mont.
Le
Dieu des vers, de ses branches couronne
Les
chants d’Horace et ceux de Fénelon.
La
main du Tems, sur son auguste tronc,
Y
suspendit la trompette d’Homère,
Entrelacée
aux fleurs d’Anacréon,
Entrelacé des
fleurs d’Anacréon,
Elle
y posa le clairon de Voltaire,
Et
le cornet à bouquin de Milton.
Orné des fleurs
dont vous parez Glycère
Je
vois, Bernis, briller votre chapeau ;
Et
pour vous seul, sur ce double coteau,
J’entends
chanter les moineaux de Cythère.
Virgile
aux pieds d’Euterpe et des Saisons,
Le
front couvert de vos roses lyriques,
Présente
aux Dieux ces belles Géorgiques,
Que
votre Muse unit à nos chansons.
O mont
sacré ! ton heureuse fontaine
Mêlait
ses eaux à l’or du vieux Plutus :
La
main des Dieux et celle de Mécène
Donnaient
des prix aux travaux de Phébus ;
Et
jusqu’aux champs qu’arrose la Durance,
Le
chalumeau des grossiers Troubadours
Etait
orné des fleurs de l’abondance.
Ce
tems n’est plus ! les vents de l’indigence
Ont désolé
les Chantres de nos jours.
Ont décidé les chantres
La
faim habite avec eux le Parnasse,
Et
les talens de Catulle et d’Horace
Sont
mis aux fers sous des Dieux rigoureux.
O Rois
vainqueurs ! arbitres de la terre !
O Rois vainqueurs ! ô bourreaux de
la terre !
prenez pitié
des mortels malheureux !
Pour égorger les mortels malheureux,
Vos
mains de sang dans les champs de la guerre
Aux
meurtriers présentent des honneurs ;
Sur
les endroits où tombe le tonnerre,
Le
Ciel jamais fait-il naître des fleurs ?
Par
des bienfaits méritez nos hommages ;
Nos
chants divins peindront aux yeux des âges
La
paix, l’amour, et les dons généreux
Dont
l’Eternel embellit ses images.
En quinze cent,
sur ce mont périlleux
Vivait,
dit-on, un Poëte fameux ;
Sanspain
était le nom du malheureux.
L’affreuse
faim, dans ses mains désolantes,
Avait
détruit son robuste embonpoint.
Saturne
avait, de ses aîles pesantes,
Frotté
trente ans son aride pourpoint.
Le
dernier siècle avait fait sa culotte ;
Son
caudebec était une anecdote
Des
jours naissans du bon vieux Roi Guillot.
Trente-deux
trous, sur ce feutre gothique,
Très-bien
comptés, formaient l’époque antique
D’autant
de Rois fameux dans l’Yvetot. (1)
Pour son bonheur,
ce célèbre lyrique
Très-peu
croyait à la Foi catholique,
Et
doutait fort du bon Enfant Jésus ;
Sa
sainte mère, à sa Muse critique,
Servait
souvent à faire maint rébus :
Le
Dieu des vers fut toujours incrédule.
Perse,
Térence et Plaute, sans scrupule,
Ont
persifflé les Dieux du tems passé :
Si
Dieu mourut, comme Rome l’assure,
Si
sous Tibère il souffrit la torture,
Faut-il
en rire ? O rimeur insensé !
Laissez
en paix un pauvre trépassé.
Un
jour Sanspain, il était près d’une heure,
Encor
à jeûn, sortit de sa demeure,
Et
dans le temple où la Chandelle était,
Cherchant
la rime, entra d’un air distrait.
Là,
fixément il lorgne avec surprise
Quelques
momens le sacré lampion :
Tel
vers Horeb, à l’aspect d’un buisson
Toujours
ardent, le farouche Moïse
Fut
près d’une heure en admiration.
Sanspain, ayant
bien parcouru l’Eglise,
Et
se trouvant isolé dans ce lieu,
Tel
que Fantin sur les pieds du bon Dieu,
Il
s’empara de la sainte Chandelle :
Parbleu,
dit-il, la trouvaille est fort belle !
Point
n’ai d’argent, encor moins de crédit ;
Ce
lampion, pour composer la nuit,
Me
servira ; sous sa sainte lumière,
Mes
vers plus doux, plus coulans et moins froids,
Eclateront
comme le feu Grégeois.
Dans
un réduit voisin d’une goutière,
Où
se tenait le synode des chats,
Il
emporta la Chandelle d’Arras.
Le vol bientôt
se répand dans la ville,
Le
Magistrat, le Bourgeois imbécile,
Sur
ce sujet bavarde sans esprit.
Arras,
privé du sacré phénomène,
Est
agité ; Monseigneur est contrit ;
Tout
est en pleurs ; l’enlèvement d’Hélène
Anciennement
ne fit pas tant de bruit.
On
cherche, on furte, on accuse, on raisonne ;
Pour
le trouver chaque prêtre se donne
Du
mouvement : on découvre à la fin
Le
luminaire au grenier de Sanspain.
On
le reprend, et pour venger l’injure
Faite,
dit-on, au Dieu de la Nature,
L’auteur,
saisi par dix Hallebardiers,
N’habite
plus qu’une maison obscure :
Car
dans ce tems l’on brûlait les sorciers,
Et
maintenant les gens qui savent lire. (2)
O Roi
David ! dont la divine lyre
Chanta Sion,
la Vérole et les Cieux ;
Chanta Sion, la v et les Cieux ;
De
ces accords qui charmaient les Hébreux,
Et
que Jérôme a mis en mauvais style, (3)
Viens
seconder les transports d’une Ville !
Pour
retrouver le sacré Lampion,
Arras
va faire une Procession.
Sous l’étendard
de la Vierge Marie,
Du
Carnaval la troupe réunie.
Au
haut d’un bois fiché par trois grands cloux,
Pliant
la tête et courbant les genoux,
Premièrement
venait l’Être Suprême :
Un
Capucin, aux yeux creux, au teint blême,
Modestement
portait le sacré bois :
Une
Catin, à côté de la croix,
De
Magdelaine offrait la tendre image :
Tétons
flamands remplissaient son corsage ;
Sa
belle gorge et son regard fripon
Faisaient
honneur à la Procession.
Le
bon Larron et son vilain confrère,
L’un
figuré par un Tailleur austère,
Et
le méchant par un dur Procureur,
Venaient
ensuite, en louant le Seigneur.
Pompeusement
arrangé sur deux lignes,
Venait
le corps des Capucins indignes :
Barbe
de Chèvre entoure leur menton,
Leur
crâne ignoble est sous un capuchon,
Ce
long tuyau leur tombe sur l’échine :
A
leur côté pend un lâche cordon.
Fils
de François, vénérable vermine !
De
vos beautés vous charmez les passans ;
L’éclat
du jour, le feu des diamans,
La
pourpre, l’or, la douceur de l’hermine,
N’égalent
point vos pompeux vêtemens. (4)
Du vieil Elie
arrivaient les enfans :
Leur
froc épais, de leur chaude cuisine
Sentait
encor la fumée et l’odeur ;
En
vieux plain-chant ils célébraient en chœur
Du
Mont-Carmel les beautés éternelles.
Vingt
Cordeliers les yeux sur les pucelles,
Pour
s’exciter à la componction,
Dessous
leur froc, avec dévotion,
De
tems en tems soulevaient leurs chandelles.
Trente
porcs gras, vêtus en Jacobins,
Faisaient
jouer le grelot du Rosaire.
Fiers d’être
sots, trente Génovéfains
trente génovésains
Se
pavanaient en lisant leur Bréviaire.
A
leur côté brillaient les Théatins,
Les
Récolets, les Pères Augustins.
De
Saint Bruno les Moines solitaires
Venaient
ensuite ; ils portaient les mystères,
Les
instruments dont à la Passion
S’étaient
servi les Romains téméraires,
Pour
tourmenter le Maître de Sion.
D’un gros Abbé
la douce Chambrière
Portait
le coq qui chanta pour Saint Pierre,
Quand,
chez Caïphe, assis au coin du feu,
Il
renia correctement son Dieu.
La
prébendée était une matoise,
Dévote
au Ciel et robuste en amour ;
Pour
son plaisir, elle aurait dans un jour
Fort
bien porté les coqs de sa Paroisse.
Hector,
valet d’un Chanoine joueur,
Tenait
les dez, avec quoi du Seigneur,
Vadeboncœur,
Sansquartier, La Tulippe
Avaient
joué certaine vieille nippe.
Le
bon Jésus, pour un grand Souverain,
Etait fort
pauvre, et comme Auteur maigre,
Était fort pauvre, et comme auteur
fort maigre,
Il
ne portait qu’un habit d’écrivain.
Dans
un flacon, un gros Bénédictin
Tenait
le fiel ; un Chartreux, le vinaigre ;
Le
fier Chaumeix représentait Judas ;
Maître
Fréron, le voleur Barrabas ;
Et
puis venait Saint Denis, Sainte Jeanne,
Qui
par Chandos fut troussée autrefois,
Et
dont l’honneur, amoureux et profane,
Fut
conservé, nous dit-on, douze mois,
Pour
le livrer le treizième à son âne.
Très-bien
monté sur un cheval de bois,
Venait
Saint George ; après lui Saint François,
Le sacré Cœur,
Sœur Marie Alacoque,
Sœur Marie à la coque
Saint
Augustin, lisant le Soliloque :
Saint
Inigo, le plus bête d’entre eux,
Quoique
chassé du Ciel et de la France,
Voulait
encor prouver son innocence,
En
rajustant son cas dur et honteux.
Le crâne orné d’un
soufflet, nommé mître,
Venait
Lambert, suivi de son Chapître.
A
ses côtés, avec dévotion,
Jérôme
et Jean jouaient du violon.
Le
Magistrat escortait la Comtesse,
Qui
de l’Artois était alors maîtresse :
C’était
Méhaut, dont la douce équité
Paisiblement
gouvernait la Cité ;
Son
sceptre heureux est le sceptre d’Astrée,
Et
ses vertus celles du tems de Rhée.
Sur
ses genoux le bonheur est assis ;
De
ses bienfaits il orne son pays.
Pour
seconder l’Artésien fidelle,
Méhaut
portait la Divine Chandelle.
L’éclat
des Cieux n’égale pas son teint ;
En
la voyant, on connaît la tendresse ;
Le
sage même, aux charmes de son sein,
Sent
qu’il est homme, et chérit sa faiblesse.
Louant le Ciel,
et bénissant l’Amour,
Le
carnaval au Temple est de retour ;
Des
belles mains de la jeune Princesse,
Lambert
reprend l’auguste Lampion,
Et
donne avec, la Bénédiction.
(1)
Yvetot, Bourg de France au
pays de Caux, en Normandie, à deux lieues de Caudebec.
(2)
Peu s’en fallu que M. l’Archevêque de Paris, le Daim et
consorts n’aient fait brûler Jean-Jacques Rousseau, pour avoir fait
imprimer en Hollande, avec la permission des Etats-Généraux, un très-bon
livre.
(3)
S. Jérôme a traduit fort
mal l’Ecriture Sainte. Il n’avait point assez de talent et de
connaissance, dit Scaliger, pour entreprendre cette besogne avec succès.
(4)
A croire les Capucins, il
n’y avait
rien dans le Ciel et sur la terre de comparable à la beauté de leur habit.
Ces Moines, les plus ignorans et les plus orgueilleux de l’Eglise, se
disaient tous de condition, ou la plupart d’entre eux avaient été
Capitaines de Cavalerie ou de Dragons.
Fin
tragique d’Aline et de Sanspain.
Pour
varier le récit et les charmes
D’un
long Poëme, il y faut des malheurs :
Sur
les Héros, on dit que les beaux cœurs
Ont
du plaisir à répandre des larmes.
A
mes accens, Lecteurs, mêlez vos pleurs ;
Sur
la douleur je vais monter ma lyre.
Aux champs du
Tibre, où l’Aigle des Césars,
Les
Dieux du goût, des vers et des Beaux-Arts,
De
Rome ancienne éternisaient l’Empire,
S’élève
un Temple habité par l’orgueil.
Un vieux
Mouphti, là ne voit que d’un œil
D’un vieux mouphti qui ne voit que d’un œil
Les
biens du Ciel, de deux, ceux de la terre ;
Dans
la nacelle où Jadis Simon Pierre
Mangeait
son pain trempé de ses sueurs,
La
main plaça le faste et les grandeurs.
Comme
aux Tarquins, l’orgueil lui fit un trône.
L’ambition
d’une triple couronne
Vint
elle-même orner ses cheveux gris :
Mars
en ses mains remit un cimetère,
Le
vieux Caron, les clefs du Paradis ;
Le vieux Momus
lui donna pour tonnerre,
Le Dieu Momus
De vieux
canons et des papiers moisis.
Des vieux canons
De tous nos biens
ce Roi mange la dîme ;
Pour
s’enrichir il taxe chaque crime ;
Pour
un écu Sodôme a son pardon ;
Au
tems passé Dieu n’était point si bon.
Le
Pape aussi, ma foi, n’était pas tendre !
Lisez
l’histoire, il fut fatal aux Grands ;
Sous
de sots Rois il osait entreprendre
De
les braver ; le Pape a des talens.
Pour
étouffer les palmes du génie,
Il
eut jadis la barbare industrie
D’imaginer
un tribunal affreux,
Où
dans les fers l’innocence et le vice
Sont
confondus par des arrêts honteux.
L’art
criminel d’égarer la justice
Est
le savoir de l’Inquisition ;
L’âme
des sots, la superstition,
Les
yeux bandés, y conduit au supplice
Le
tendre Amour, Galilée et les vers.
L’Artois
alors avait son Saint Office,
Pour
les savans des échafauds divers.
Un
Jacobin, enfant du saint Rosaire,
Prêtre
ignorant, dévôt et sanguinaire,
Par
le Mouphti, de ce Sénat nouveau
Etait
nommé le juge et le bourreau.
Sanspain bientôt
parut en sa présence :
Frère,
dit-il, quel métier faites-vous ?
De
l’Ecriture avez-vous connaissance ?
A
Saint Thomas croyez-vous comme nous ?
Des
sept Docteurs ce bœuf est l’angélique,
Vers
l’Italie en style académique
Un
Crucifix lui fit des complimens ;
Dans ce
tems-là le crucifix aux gens
les crucifix
Parlaient,
dit-on, comme avec leurs semblables….
Mais
vous riez…. ce ne sont point des fables….
Mais,
par hasard, auriez-vous des talens ?
J’ai,
Monseigneur, de l’esprit comme un rêve,
De
la raison comme on n’en trouve point ;
Et
de lecture un énorme embonpoint
Me rend
habile : au printems quand la sève
quand la fève
Pousse
sa fleur, je pétille d’esprit ;
Je
fais des vers et des bouquets aux filles ;
Dans
mes chansons je mets force chevilles,
Maints
hiatus… je mets tout à profit….
Oh ! mon
cher frère, abandonnez Horace,
Laissez
Nason ; attentif à la Grace
Suivez
l’Eglise, adorez ses avis,
Allez
pian et marchez sur la trace
Du
bon Jésus, qui rendit efficace
L’écrit
divin du Moine d’Akempis.
Ah !
Monseigneur, répondit le Poëte,
Sur
ce sujet ayez l’âme bien nette ;
Du
bon Jésus j’ai suivi le sentier.
Le
Fils de Dieu naquit sur un fumier.
sur le fumier,
Moi,
Monseigneur, je naquis sur la paille.
A
sa naissance on fit mainte rimaille ;
On
entendit les bergers du hameau
Sur
le hautbois chanter l’enfant nouveau.
Aussi
chez nous mon gros parrain Grégoire,
Fit
sans esprit un beau cantique à boire.
Le
bon Jésus ne voyait que des gueux,
Des
Publicains, des Scribes, des Lépreux,
Mathias,
Judas, et la femme adultère,
Matthieu, Judas et
Et
Marthe encor, qui tenait un bouchon ;
Sa
jeune Sœur, la belle Magdelon,
Fille
à croquer, d’un pliant caractère,
Qui
chaque jour épiçait dans Sion
Lévi,
Juda, Nephtali, Zabulon,
Et
qui donna ses faveurs à son frère ;
Il
en mourut, non en dernier ressort ;
Pour
le guérir, à l’ombre du mystère,
On
fit courir le bruit qu’il était mort.
Or
de Jésus bien j’imitai la vie :
J’ai
vu long-tems mauvaise compagnie,
Maître
Fréron, des Grecs, des Procureurs,
Des
Hollandais, des Moines, des Rimeurs.
Le
bon Jésus fut trahi par un traître,
Par
mes amis je fus trahi vingt fois ;
Notre
Seigneur fut jugé par un Prêtre,
De
cet état, Monseigneur est, je crois ;
En
tout, voyez, j’ai copié mon Maître ;
Il
fut pendu, je le serai peut-être !
Il
descendit au séjour des Démons,
Pas
trop n’y crois, non plus qu’à vos sermons ;
Mais
tant y a, si pour punir nos crimes
Notre
Dieu bon a creusé ces abîmes,
Ainsi
que lui, certes j’y descendrai.
Il
en sortit, pour moi j’y resterai ;
Car
il faut bien se fixer dans la vie :
De
trop de maux l’inconstance est suivie.
A ce discours, le
grand Inquisiteur
Frappa
du pied, s’écria : quel blasphême !
Jamais
le Ciel ouï-t-il telle horreur !
Sanspain,
Messieurs, se condamne lui-même ;
Un
vil mortel copier le Seigneur !
Gardes,
menez ce coquin au supplice,
Qu’il
satisfasse au vœu de la justice !
Et
que son corps, consumé par le feu,
Soit
un encens flatteur au nez de Dieu.
L’ordre donné,
les gens du Saint-Office
Vers
le bûcher conduisent notre Auteur.
Deux
Capucins, objets dignes d’horreur,
L’accompagnaient,
et sans intelligence
De
l’Eternel lui vantaient la clémence,
L’honneur
des Saints ; et dans leurs pots-pourris
Grand
bien disaient du benoit Paradis :
Vous
souperez ce soir avec les Anges,
De
vos deux yeux vous verrez le Seigneur,
Vous
chanterez ses sublimes louanges.
Tel
que Zadig, dans un plain-chant flatteur,
Avec
les Saints vous redirez en chœur :
Jésus
est bon, son mérite est extrême ;
Autour
de lui que je vois de grandeur !
Qu’il
est divin ! Ah ! combien Monseigneur,
En
Paradis, est content de lui-même !
Sanspain, orné d’un
triste vêtement,
Les
yeux baissés cheminait lentement
Vers
le bûcher, suivi du Saint-Office ;
Pour
s’amuser dans ses mains il branlait
Un
Crucifix, secourable hochet,
Qu’on
donne aux gens que l’on mène au supplice,
Et
qu’un voleur porte jusqu’au gibet,
Pour
honorer l’Eternel et l’Eglise.
Toi, qui chantas
le fils du vieil Anchise,
Peintre
élégant des malheurs d’Ilion,
Viens
me prêter ces cyprès dont Carthage
Vit
décorer le tombeau de Didon !
Viens !
s’il est vrai que le sombre rivage
Troubla
son onde au bruit de tes accords,
Inspire-moi
ton sublime langage !
Un
même objet doit effrayer les morts.
Aline accourt,
une pâle tristesse
De
son beau teint efface les couleurs ;
Sanspain
la voit, Aline est sa Maîtresse,
Le
désespoir a confondu leurs pleurs…..
Le
tendre instinct, sur l’autel de l’enfance,
Avait
reçu leurs innocens soupirs :
Depuis
cinq ans les feux de la constance
Brûlaient
leurs cœurs, éclairaient leurs plaisirs.
Aline est belle,
et Psiché l’est moins qu’elle ;
Chaque
printems, une grâce nouvelle
Arrondissait,
sous les doigts de l’Amour,
De
son beau sein l’agréable contour.
Phriné
jamais, au fier Aréopage,
N’offrit
un sein paré d’autant de fleurs.
Gorge
d’Aline, on trouve ton image
Et
ta beauté peintes dans tous les cœurs.
Les
yeux remplis d’amour et de vengeance,
Vers
les soldats la jeune Aline avance.
Un
fer pesant armait sa faible main :
Tigres,
dit-elle, affamés de carnage,
Assouvissez
votre brutale rage,
Prenez
ce glaive, enfoncez-le en mon sein !
C’est
dans mon sang qu’il faut laver l’outrage
Que
la Chandelle a reçu de Sanspain !
Ce
n’est pas lui, c’est moi qui fis le crime ;
De
mes appas son cœur fut la victime.
Il
m’adorait : ce malheureux amour
Cause
sa perte et la mienne en ce jour.
Près
de ces bois où l’Aurore fidelle,
Chaque
matin, dans un char de vermeil,
Ouvre
les Cieux aux coursiers du Soleil,
Je
vis Sanspain : d’une flûte nouvelle
Il
essayait les agréables sons.
Auprès de lui
j’amenai des moutons.
mes moutons,
Il
me jura, sur la lyre immortelle,
De
ne porter d’autres fers que les miens :
A
nos sermens l’Amour mêla les siens.
Mon
sein couvert de ses baisers de flamme,
Mes
tendres bras ouverts à ses désirs,
La
volupté, l’ivresse et les plaisirs,
De
leurs bienfaits environnaient son âme.
Tant
de bonheur égara sa raison.
Pour
me chanter, dans sa folie extrême,
Il
démeublait l’Olympe et l’horizon :
Junon,
Vénus, l’astre du jour lui-même
N’avaient
l’éclat dont il ornait mes yeux :
Les
Dieux, Aline, ont peint sur ton visage
Et
mon amour et la beauté des Cieux :
Mon
tendre cœur, pour garder son image,
ton image,
S’il
le fallait, renoncerait aux Dieux.
A
ces accens, connaissez la folie.
Son
crime, hélas ! n’était point dans son cœur ;
Sa
faible tête a causé son malheur.
Sauvez
mes jours en lui sauvant la vie ;
A
vos bienfaits je devrai ce bonheur.
Tes
yeux, Aline, un pouvoir invincible
Aline, ô pouvoir invincible !
Changent
les cœurs des farouches soldats,
L’humanité,
pour se rendre sensible,
Avait
besoin de tes puissans appas.
A
ton aspect, ou plutôt à tes charmes,
Trente
guerriers ont vu tomber leurs armes ;
Et
ton amant s’échappait de leurs bras ;
Quand
tout-à-coup un Prêtre sanguinaire,
L’Inquisiteur,
d’un regard menaçant,
Vint
aux soldats inspirer sa colère :
Faibles
Chrétiens ! lourds enfans de la terre !
Vous
reculez….. craignez le Dieu vivant.
Quoi !
les attraits d’une faible bergère
Ont
pu toucher vos indomptables cœurs !
Vos
sens durcis aux horreurs de la guerre
Sont
agités ! vous répandez des pleurs !
A
votre foi Dieu remet sa vengeance ;
Vous
le craignez, vous n’osez le servir.
Oubliez-vous
ce que peut sa puissance !
Lâches,
tremblez ! ce Dieu va vous punir.
A ce discours, la
troupe sanguinaire
Sent
ranimer sa première valeur.
Ainsi
jadis écumant de colère,
Dans
le désert, Moïse avec fureur
Encourageait
le barbare Lévite :
Tel
dans les champs des enfans d’Israël
On
vit encor le prêtre Samuel,
La
hache en main, d’un bras ferme et cruel,
Trancher
les jours d’un prince Amalécite.
De son Amante on
arrache Sanspain.
En
sa faveur, aimable Aline, en vain
Tu
fais parler tes pleurs et ta faiblesse.
Sur
le bûcher un soldat inhumain
Vient
d’attacher l’objet de ta tendresse….
Arrête,
monstre…. ah ! comment ! un Amant !…
Aline,
ô Ciel ! Aline en ce moment
Sur
le bûcher subitement s’élance.
Sanspain,
connais l’amour et la constance,
Bénis
le Ciel, ta flamme et le destin ;
Aline
vient expirer sur ton sein ;
Ouvre
ton âme à ses douces caresses.
Bravons
la mort dans les bras de l’amour,
Son
fer tranchant peut nous ôter le jour ;
Mais
nos deux cœurs sont les seules richesses
Que sa faveur
ne puisse nous ravir.
Que sa fureur ne puisse nous ravir ;
Mourons
Amans, puisqu’il nous faut mourir…..
Ce
feu, ce bois, ce funèbre appareil
Ne
peut troubler l’âme égale du sage.
La
fière mort n’est pour nous qu’un sommeil
Dont
notre vie a commencé l’image.
Que
nos soupirs dans ces derniers momens….
Déjà la flamme
entoure nos Amans ;
Le
jour s’éteint, l’astre de la lumière
Vers
l’Orient recule épouvanté,
L’onde
en tremblant s’éloigne de la terre ;
Le
froid Nord-Est, de son sein redouté
Laisse
échapper les enfans d’Orythie.
Ainsi
jadis, jouant la tragédie
Devant
Jacob, sur le mont Golgota,
Le
premier né des enfans de Marie,
Du
Saint-Esprit et du vieux Jéhova,
Vit
le Soleil se couvrir de nuages,
Du
sein de l’Arche éclater les orages,
Et Lachésis
déchirer de sa main
Et Lachéfis
Le
voile épais qui couvrait le lieu saint.
Amours
honnêtes de Jean Tirefort – Naissance du Curé de Lambre.
Près
de ces champs que la Scarpe environne,
Vers
ces coteaux où Cérès et Pomone
Vont
moissonner ces fruits délicieux,
Qu’on
voit mûrir sur le sein de l’Automne,
Est
un Village antique et cher aux Dieux.
Lambre
est son nom ; (1)
sous ces tranquilles Cieux,
Un
Brabançon, la fleur de sa Province,
Vivait
alors, c’était un Cordonnier ;
Mons
Tirefort était le nom du Prince ;
Ce
nom brillant allait à son métier.
Or,
le héros, talent qui n’est point mince,
Adroitement
relevait un quartier,
Poissait
son fil, affilait l’alumelle,
D’un
bras nerveux polissait la semelle,
Et
mieux qu’un Ange il faisait un soulier.
Près du
Château, sous un vieux toit gothique,
S’élève
un Louvre au travail consacré,
L’ordre
Toscan, l’ornement Ionique
Ne
chargent point cette demeure antique :
Un mur obscur,
de vingt bottes paré,
Un mur obscur de vingt bottes baré,
Soutient
sans faste une sombre boutique.
Là,
Tirefort, l’honneur de la manique,
Sur
un tréteau, juché sur trois bâtons,
Dressa
son trône, où donnant audience,
Comtes,
Seigneurs, Marquis, riches Barons,
D’un
air soumis lui montraient les talons.
Terrible
et ferme était sa contenance ;
Son
bras armé d’un acier menaçant,
Aurait
bravé, sous les yeux du Divan,
Le
Grand-Visir et les fiers Janissaires.
Henri
d’Estrées et Monsieur Ferdinand,
Et
les Anglais, ces braves insulaires,
Ne maniaient
le tranchet comme lui !
Pas ne maniaient le tranchet comme lui,
Son
tire-pied était son seul appui.
Des
Rois fameux il ne craignait la chûte :
Cent
fois son trône aurait fait la culbute,
Jean
le pouvait redresser à l’instant ;
Quel Souverain
en pouvait faire autant !
Quel souverain en pourrait
faire autant ?
Pour égayer les
soucis du ménage,
Mons
Tirefort avait à son usage
Fille
à croquer, et faite pour l’amour :
Si
la Bergère était sans pucelage,
Ce
n’était rien : elle avait en retour
Deux
yeux fripons, un séduisant corsage,
Un jupon
court, qui n’était point pesant,
Un jupon court, il n’était pas
pesant :
Fort
se vêtir quand on fait son ouvrage,
On
le sent bien, c’est trop embarrassant.
Loin de l’ennui
qui tourmente le sage,
Jean
fêtait Anne en tout bien, tout honneur.
Dans
ses amours le sire eut du malheur ;
Car
sa moitié, vicieuse Mégère,
Sur
certain point était un peu sévère.
Fort
sur sa bouche, elle aimait le devoir :
Jean
la trichait. Alors il fallait voir
Comme
on criait : mon Ami, disait-elle,
Vous
l’avez drôle, et vous rattez souvent !
Tel
que le chien de feu Jean de Nivelle,
Vous
me fuyez quand mon cœur vous appelle.
Quel
sacrilège ! ô mon Dieu, quel tourment !
Pourquoi
porter le pain du sacrement
Hors
de chez nous ? J’ai payé le Notaire.
Un
maudit jour, Monsieur notre Vicaire,
Pour
quatre francs joints à deux escalins, (2)
A
fait, je crois, en nous serrant les mains,
Un
nœud coulant qui m’a traduite en femme.
Le
Ciel le sait ! cent fois au fond de l’âme
J’ai
bien maudit les quatre mots latins,
Dont
le Vicaire embarrassa ma flamme.
Ah !
cher ami, pour Dieu, corrigez-vous !
Quel
chien de train ! hélas ! si les époux
Vivaient
ainsi, femmes fort mal à l’aise
Verraient
le jeûne affamer leur maison.
Un
Cordonnier vit-il à la française ?
Êtes-vous
fait pour être un greluchon ?
Abandonnez
et Perrette et Fanchon :
Ne
souillez plus la candeur de ma couche.
Vous
connaissez la légende et la loi ;
Pas
ne devez chômer d’autre que moi.
Si,
dans mon tems, mon âme peu farouche
Vous
captiva par ses tendres faveurs,
Faut-il
sitôt oublier ces douceurs.
Il
m’en souvient ! quand j’étais vertueuse….
Je
n’osai point…. je suis trop scrupuleuse….
Ah !
sur ton front, prens garde, on pourrait bien…
Est-il
bien vrai que Jeanne ne fit rien ?
Jean
Tirefort n’écoutant point sa femme,
n’écoutait
Près
de l’objet qui captivait son âme,
Soudain
allait oublier sa chanson.
Hélas !
comment aux pieds d’une maîtresse
Se
souvenir d’un ennuyeux sermon !
Laissons
en paix respirer la faiblesse ;
Nos
jours trop courts ont besoin des plaisirs :
Dans
notre cœur, le sentiment sans cesse
Parle
tout haut par la voix des désirs ;
Si
de ses cris la sagesse murmure,
Sans
l’écouter, rions de son erreur :
Le
tendre Amour, l’instinct de la Nature,
Dit
Tirefort, est la loi de mon cœur.
O champs des airs !
écartez vos nuages ;
Brillante
Aurore, enflammez l’horizon ;
Enfans bourrus du vieux Septentrion,
Tremblant
Norwège, et rapide Aquilon,
Fuyez,
volez sur l’aîle des orages ;
Allez
régner sur les glaces du Nord !
Le
tendre Amour paraît sur nos rivages.
Son
char doré descend chez Tirefort.
Les
Alcyons soudain vont reparaître,
Le
gai printems à sa voix va renaître,
Flore
et Zéphir sont déjà de retour.
Fils
de Latone ! ô Dieu brillant du jour !
Echauffe-toi
des regards de ton maître,
Et
rends aux fleurs la chaleur de l’amour.
Entre les bras de
la fringante Annette,
Couvert
des lys qui couronnent Paphos,
Jean,
l’heureux Jean, d’une ardeur satisfaite,
Goûtait
en paix l’agréable repos.
Sur
le sein blanc où son âme respire,
Son
front galant ne rougit point d’aimer ;
Quand
pour Annette un Dieu même soupire,
Qui
rougirait de se laisser charmer ?
Tendre
union, tes plaisirs ont leur source
Dans
les beaux nœuds dont les cœurs sont épris.
Belle
et sensible, Aréthuse, en sa course,
Contemple
encor ces nœuds toujours chéris ;
Un Dieu la
suit, triomphe et l’environne,
Un Dieu la fuit,
L’aimable
Alphée est vainqueur de ses sens ;
Et
l’urne enfin, que l’Amante couronne,
Est
l’heureux prix qui flatte les Amans.
O
tendre Amour ! d’une chaîne éternelle,
Attache
Annette au sort de l’heureux Jean.
Dieu
des pavots, qui sommeilles près d’elle,
N’offre à
ton cœur qu’un songe séduisant ;
N’offre à son cœur
Et
toi, plaisir, sous ton onde immortelle,
sous ton aîle immortelle
Aux
yeux jaloux cache son sein brûlant :
Annette
craint une épouse cruelle,
Jean
craint d’ouïr un reproche éclatant ;
A
ses regards dérobe son Amante,
A
ses désirs voile l’heureux Amant.
En cultivant les
champs de l’innocence,
Tous les neuf
mois on recueille des fruits.
Tous les neuf mois l’on recueille
Jean
fut heureux ; sa terre eut de la chance :
Au
terme fixe, Anne accoucha d’un fils.
Un
Magister éleva son enfance :
Un
Cordelier se chargea de ses mœurs.
Entre
les mains de ces cultivateurs,
Il
fut savant comme on l’est dans la Flandre.
En
latin plat, un savant érudit (3)
Très-bien
soutint, même sans les entendre,
Thèses,
logique, argumens sans esprit.
Tant
de savoir étonna son village ;
Dans
son pays on s’étonne de rien.
Qui
sait bien boire, y passe pour un sage,
Qui
paye à boire est un homme de bien.
Quand
on est bon, on n’est point difficile.
Or
donc, Jeannot, furieusement habile,
Sachant
signer, connaissant ses deux mains,
Eut
des amis et des patrons fort bêtes :
Car
les Flamands sont tous de bons humains.
Dans
Lambre alors étaient deux fortes têtes,
L’une,
dit-on, en propre appartenait
A Pénillon,
le Greffier de l’endrait ;
le greffier de l’endroit.
Homme
savant. Il ne savait point lire ;
Et
cependant, quand il fallait écrire,
Signer
son nom, il faisait une croix.
L’autre
cervelle appartenait, je crois….
M’en
souvient-il….. au Bailli du village,
George Bondon,
ladre, riche et vilain,
Georges Bondon, ladre, chiche
et vilain,
Au
demeurant très-grave personnage,
Quand
il chantait le dimanche au lutrin.
Par
leurs moyens, Jeannot obtint la Cure
De
son village ; une belle figure
Parlait
pour lui, cela parle souvent.
De
cet objet femme est toujours éprise,
Et
rarement d’un mérite éclatant.
De son métier,
notre Curé content,
Comme
il pouvait gouvernait son Eglise,
Prêchait
fort mal, quoique de tout son mieux.
Point
ne pensait à conquérir les âmes :
Mais
pour la dîme, il était scrupuleux,
Il
la prenait sur le lin, sur les œufs,
Sur
les moutons, et surtout sur les femmes.
On
en comptait jusqu’à quinze au Curé,
Encor
d’amour était-il dévoré.
Que
voulez-vous ! la chair nous est contraire ?
Son
aiguillon, dans un célibataire,
Est
violent ; il faut purger ses reins.
Dans
les Couvens, j’ai connu bien des Saints,
Ceints du
cordon, vêtus du scapulaire,
Ceints de cordon
Avoir
encor bien des démangeaisons.
Hélas !
bon Dieu ! la chair a des raisons
Et
des besoins : à la vertu sévère,
Mieux
conviendrait plus souvent de se taire,
Que de
troubler les plaisirs d’un pécheur.
d’un pcheur.
Dans
son logis, le tranquille Pasteur
Choyait
encore une beauté naissante :
C’était
Lison. Lison était servante,
Pour
la parade, et le jour seulement ;
Mais
pour la nuit, Lison était maîtresse.
Son
front paré des fleurs de la tendresse,
Embellissait
un minois séduisant :
Dans
son air tendre on voyait la finesse ;
Ses
yeux lançaient les rayons du plaisir ;
Sur
son beau sein voltigeait le désir ;
Un
pied mignon, une jambe élégante,
Un
teint, un front, une main caressante,
Des
reins puissans, et deux globes unis :
Voilà
mes Dieux ! voilà mon Saint Denis.
Eût
dit Arnaud, en voyant son derrière ;
Jadis
Manon, la chaste chambrière
D’un
Rotisseur, avait le cul fort beau : (4)
Paris
connaît le Cantique nouveau,
Dont
Baculard honora les deux fesses.
Belle Lison,
gémis de tes appas,
Ton
fier Amant méprise tes caresses,
Un
autre objet va voler dans ses bras,
Le
Ciel cruel…. La Chandelle d’Arras…..
Le
tendre Amour…. Javote…. une pécore….
Arrête,
Muse ! attendons que l’Aurore,
Dans
nos vergers, sur le beau sein de Flore,
Ait
réveillé les Zéphirs endormis :
C’est
le matin que Phœbus voit éclore,
Avec
les fleurs, les Amours et les Ris.
(1)
Lambre, Village du
Diocèse d’Arras, où était anciennement le Château des Rois de la
première Race.
(2)
Dans le pays d’Artois et dans le plat-pays des Patards
on compte encore par escalins.
(3)
Il étudia dans la
pitoyable Université de Douai, où les Docteurs sont plus sots, plus
ignorans et plus vains que dans les autres Académies du Royaume.
(4) Tout Paris connaît la belle Epître de M. Arnaud au joli cul de Manon, où l’on trouve ces beaux vers :
Ce cul divin, ce cul vainqueur,
Il a des autels dans mon cœur !
Le
Diable va trouver Javote – Le Curé Jeannot fait voir à Javote la Chandelle
d’Arras.
Un
pucelage est un grand avantage,
Ce
joli bien est un présent des Cieux ;
Pour
le détruire il fut fait par les Dieux :
Un
sot le garde, il leur en fait hommage ;
Le
sot a tort. Amour, je fus plus sage ;
Dans
mes beaux jours, j’ai cueilli cette fleur.
Toi,
qui régnas trop long-tems sur mon cœur,
Te
souvient-il, inconstante Glicère,
Quand,
vers la Loire unissant nos désirs,
Ton
sein, couvert de rose et de fougère,
Vint
sur le mien répandre les plaisirs.
Moment
heureux, que tu m’es cher encore !
Le
jour tombait. Au fond de ce jardin,
Près
d’un ruisseau, sous ce beau sycomore,
S’il
m’en souvient, je pense que l’Aurore
Nous
eût surpris encor le lendemain.
Mais,
par malheur, c’était un jour de fête,
Lise
à Colin avait promis ce jour ;
L’heureux
Berger vint chercher sa conquête,
L’amour,
hélas ! fit du tort à l’amour.
Depuis six mois,
grâce à la Providence,
Qui
donne encor bon exemple aux méchans,
Dans
Lambre était un trésor d’innocence ;
C’était
Javote : elle avait quatorze ans.
Quelle
saison ! un trésor à cet âge
Fait
grand plaisir ; et je crois que le sage
L’aimerait
mieux qu’un trésor de trente ans.
Mais
en ce siècle où trouver des enfans ?
On
grandit vîte ; et puis le pucelage
Grandit
aussi : ne perdons pas le tems
A
le chercher, cette fleur est si rare !
Anciennement
on était fort avare,
On
reculait les désirs des Amans :
Anciennement
les gens étaient fort bêtes.
Des
bracelets, des cheveux et des fleurs,
Aux
amoureux tenaient lieu de conquêtes ;
Mais
dans ce siècle, en moissonnant les cœurs
On
est jaloux d’avoir les dépendances,
Aux
soins constans on doit des récompenses :
Le
tendre Amour est le Dieu des faveurs.
Javote donc
était une pécore.
Peur
de le perdre, elle tenait encore
De
ses deux mains son gentil sérieux,
Et
de l’endroit n’osait lever les yeux.
A
quatorze ans une fillette sage,
Comme
un bijou garde son pucelage.
S’il
était pris, on croirait tout perdu ;
Ah !
qu’on est sot avec de la vertu.
De La Terreur,
cette jeune innocente
Etait
la fille, et chez Barbe, sa tante,
Depuis
six mois Javote demeurait.
Depuis
ce tems le Curé la trouvait
Fort
de son goût ; mais la tante cruelle
Dans
son logis tellement la tenait,
Qu’aucun
Amant n’osait approcher d’elle.
Tel
autrefois, sous la garde fidelle
D’un
vieux serpent, Colchos vit la Toison.
Barbe
vingt fois valait mieux qu’un Dragon,
Force
n’est rien, mieux vaut l’expérience ;
Barba
jadis…. je crois, vers les treize ans,
Avait
laissé ravir son innocence.
Moines,
Soldats, Robins, Négocians,
Et
tant d’Abbés !… Dieu seul en sait le nombre….
Jusqu’à quinze
ans, Javote, sans encombre,
Sous
l’œil de Barbe eût gardé son honneur,
Si
Barbe avait étouffé dans son cœur
Les
mouvemens d’un orgueil indocile.
Ingrate
et fière aux bontés du Seigneur,
Dans
les vertus de sa jeune pupille
Point
ne connut la main du Tout-puissant.
De
tant d’orgueil, Dieu pour punir la tante,
Permit
au Diable (il lui permet souvent
De
nous tenter, et le Diable nous tente).
Il
permit donc à l’Ange séducteur
De
s’escrimer avec la jeune nièce.
Contre
un Démon que peut une jeunesse ?
Ma
foi, c’est trop, n’en déplaise au Seigneur,
A
quatorze ans donner au tentateur
La
liberté de perdre l’innocence ;
Passe
à l’amant, s’il aime avec constance :
On
gagne un cœur en perdant une fleur.
Pour mieux
tromper cette jeune innocente,
Le
Diable prit la livrée indigente,
L’œil
égaré, le minois d’un Rimeur.
Un
justaucorps, dont la taille infidelle
Pend aux
mollets et commence à l’aisselle,
Prend aux mollets
De
ses lambeaux couvrait un long pourpoint.
Ce
négligé, d’un pesant Bourguemestre
Lui
donnait l’air et l’épais embonpoint.
Les
nudités du Paradis terrestre,
D’une
culotte ébréchée, où le jour
Perçait
partout, étalaient leur misère.
Un
grand castor, dont le vaste contour
Avait
jadis embelli Despautère,
Ornait
son chef de ses derniers débris ;
Ce
feutre usé, collé sur ses sourcils,
Donne
à sa mine une fierté nouvelle.
Le
Diable ainsi va chez la jouvencelle,
Hurlant
les vers, soufflant comme le Kain,
Très-gravement
ce discours il lui tint :
Réjouis-toi !
chante, belle Javote !
Ton
père heureux, vainqueur de Nulsifrote,
Va
de ton nom illustrer la splendeur,
Et
de l’Artois relever la grandeur.
Le
tems n’est plus où la brutale Envie,
De
ses accords dérangeait l’unisson,
Aux
raclemens de son dur violon
Le
Ciel sensible a vu pleurer Marie.
Harpe
d’Orphée ! ô lyre d’Amphion !
N’aspirez
point à sa gloire éclatante !
Titon,
en vain vous chantez votre Amante !
Rival
des Dieux, heureux Endimion,
Ne
vantez plus les faveurs de Diane !
Un
feu plus pur, un myrthe moins profane,
Vont
couronner le sauveur de l’Artois ;
La
Grâce parle, et Marie à sa voix
Vole
à l’instant : dans les mains de ton père
Elle
remet le flambeau salutaire
Qui
doit sauver un peuple malheureux.
Quitte,
Javote, au plutôt cette couche,
Où
le Zéphir dérobe sur ta bouche
Ces
doux baisers que jalousent les Dieux ;
Hâte
tes pas et vole au Presbytère.
Un
saint Curé, le guide du pécheur,
T’expliquera
ce glorieux mystère,
Et
sa Chandelle échauffera ton cœur.
La jouvencelle en
sursaut se réveille.
Brûlant
déjà d’admirer la merveille
Dont
le Démon vient de flatter ses sens,
Soudain
s’habille. Une simple parure,
De
douces fleurs lui servent d’ornemens ;
Sur
son beau sein qu’embellit la nature,
Où
soupiraient l’amour et le printems,
Sont
deux boutons : ces roses, pour éclore,
N’attendent
point les caresses de Flore,
Ni soins des
Dieux, ni souffle du Zéphir ;
Les soins des Dieux, le
souffle du zéphyr ;
Un
doux baiser, une main caressante,
Et
le plaisir les font épanouir.
Et les
plaisirs
A son pasteur,
Javote se présente.
Galant
Jeannot, quel spectacle t’enchante !
Enveloppés
sous un large mouchoir
De
lin très-fin, Javote te fait voir
Un
col de neige, une gorge d’albâtre ;
Un
Saint Antoine en serait idolâtre.
Si
le Démon, tentant jadis ce Saint,
Eût
à ses yeux offert un si beau sein,
Le
Solitaire aurait fait des merveilles ;
Son
froid pendant, malgré ses longues veilles,
Un
jeûne austère, eût clandestinement
Jusques
au Ciel levé son front superbe.
Tel
dans nos champs, ensevelis sous l’herbe,
A
la chaleur s’éveille le serpent.
Ouvre, Jeannot,
ton cœur à l’espérance !
Javote
vient t’offrir son innocence.
Si
tu pouvais, par art ou par crédit,
La
pourvoyer d’un peu d’intelligence,
Bien
lui ferait…. car elle est sans esprit….
L’esprit….
l’esprit…. est-ce l’esprit qu’on baise ?
Au
demeurant, fillette un peu niaise,
En
est plus propre aux mystères d’amour.
Jeannot surpris,
dit en voyant la belle :
Quoi !
c’est Javote ! ô Ciel ! avant le jour !
Que
voulez-vous ? Parlez, gente pucelle ;
Mieux
vous convient un jeune Confesseur
Qu’un
vieux barbon froid et mélancolique,
Qui
ne peut plus aider un tendre cœur ;
Sa
main tremblante oncques, dit-on, n’applique
Bien
comme il faut le baume évangélique ;
Mais
fiez-vous à ma robuste main :
Plus
fermement que le Samaritain,
Je
panserai votre fraîche blessure.
Foi
de Pasteur, je suis sûr de la cure.
Dans
mes fureurs je puis certainement
Huit
à dix fois, ma chère, adroitement
A
votre mal appliquer la compresse.
Hélas !
Monsieur, point ne viens à confesse,
Bien
vous savez ; le bruit court dans Arras
Qu’un
saint flambeau brûle et ne s’éteint pas :
Marie,
on dit, l’a remis à mon père ;
Je
voudrais voir cet astre salutaire,
Le
révérer, le baiser saintement.
Bonne
pensée !oui, c’est Dieu sûrement
Qui
vous la donne, et sa Grâce, ma chère,
Avant
de voir ce sacré Luminaire,
Veut
d’un mouchoir que l’on couvre vos yeux ;
Car
l’Eternel, contre deux curieux,
Fit
dans Eden éclater sa colère :
Rien
ne verrez, mais vous sentirez bien.
Vîte,
au plutôt, mettez-vous en prière ;
Faites
sur vous le signe du Chrétien,
Invoquez
Dieu, priez Monsieur Saint Pierre,
Saint
Guignolet, Saint Jacques le Majeur.
Javote prie.
Aussitôt le Pasteur
Prend
le mouchoir dont la toile légère
Couvrait
sa gorge, et lui bande les yeux.
Quel
sein, grand Dieu ! ce beau sein dans les Cieux…
Long-tems
Jeannot le contemple et l’admire :
Vingt
fois sa main…. vingt fois son cœur soupire.
A
tant d’appas reste-t-on sans désir ?
Las
d’admirer, et pressé de jouir,
Sur
un fauteuil Jeannot pousse Javote,
Subtilement
lui soulève la cotte.
Dieux !
qu’a-t-il vu ! que d’appas enchanteurs !
Sous
un bosquet, d’où coule une fontaine,
Où
chaque mois le doux printems ramène,
Pour
nos plaisirs, l’abondance et les fleurs,
Il
voit un trou… le joli précipice !
Ce
n’était point le trou de Saint Patrice ;
C’en
est un autre. En ce moment pressant,
Javote,
hélas ! à son corps défendant,
Se
laisse faire, avance la croupière,
Et par trois
fois remuant la charnière,
remuant la carnière,
Elle
enfonça la Chandelle d’Arras.
Saint Lampion, s’écria
la pucelle,
Vous
me brûlez ! que vous avez d’appas !
Divin
Pasteur ! n’arrête point ton zèle,
Enfonce
encor, si tu peux, la Chandelle…..
Oh !
je me pâme…. ô séduisant plaisir !
Mon
cœur s’en va…. Jeannot…. je vais mourir….
Six fois Jeannot,
de son fier Luminaire
Fit
à Javote éprouver la colère ;
Six
fois la flamme alla jusqu’à son cœur
Du
doux plaisir répandre la chaleur.
Jeannot fut
las ; toujours le même ouvrage
Fatigue
trop. On nous dit que le sage,
L’instant
d’après s’endort sur le métier :
Qui
peut tenir ? Sans doute un muletier.
Ces
gens sont forts, rudes de corpulence ;
Mais
cependant, sans le Ciel et les Saints,
En
travaillant ils se rompraient les reins.
La
Foi fait tout, Dieu leur donne assistance ;
Il
en faut bien quelquefois au pécheur.
Javote enfin
retrouvant la lumière,
D’un
air ému regarde son Pasteur,
Lui
dit : comment !… ton dévot Luminaire
Est-il
éteint ? quoi ! le plaisir trompeur
Abuse-t-il
de ma faible croyance ?
Quoi !…
tu ne peux ? Parle ! l’intelligence
De
ses rayons vient d’éclairer mes sens.
Ne
saurais-tu rappeler ces instans…..
As-tu perdu la
chaleur de ton zèle ?
Qu’est devenu la chaleur de ton
zèle ?
Arras
nous dit que la sainte Chandelle
Brûle
toujours… et la tienne s’éteint !
Console-toi,
Javote, et viens demain,
Je
te promets une fête nouvelle.
Toujours on
veut, on ne peut pas toujours.
On veut toujours, on ne peut pas
toujours ;
Bonheur,
plaisir, dans ce monde, tout passe ;
Et
ma Chandelle est ainsi que la Grâce :
Elle
a des tems pour choyer les amours.
Mais,
dam ! encor elle a bien des vigiles,
Des
quatre-tems, et des fêtes mobiles :
Toujours
brûler et ne s’éteindre pas
Est
une fable : on la croit dans Arras.
Belle Zéphire,
ô toi, que ma Chandelle
Embellissait
dans les champs de Berlin !
Toi !
que l’amour unit à mon destin,
Et
que mon cœur trouva toujours fidelle :
Reçois
ces vers composés dans tes bras !
A
tes faveurs ils doivent leur naissance.
Viens
leur prêter l’éclat de tes appas,
Et
les orner du feu de ta constance.
Puisse
ce feu, comme celui d’Arras,
Toujours
brûler et ne s’éteindre pas !
FIN.
Selon édition
LA / CHANDELLE / D’ARRAS, / POËME EN
XVIII CHANTS. / [filet] / ....Sunt quædam mediocria, sunt mala plura / Quae
legis : aliter non fit, Avite, Liber. Mart. / [filet]
/ NOUVELLE ÉDITION, / Précédée d’une Notice sur la Vie et les
Ouvrages / de l’Auteur, et ornée de 19 planches. / PARIS. / Egasse
Frères, rue St.-Jacques, n°. 21 ; / Et même maison, à Brest ;
/ Chaumerot, Libraire, Palais du
Tribunat, / Galeries de bois, n°. 188 ; / Delance, Imp.-Lib., rue des Mathurins S. J. / [filet ondulé]
/ 1807.
Description
[4], XII, 188 p. [19] pl. dont front. In-8°
Note
Cette édition est connue pour sa notice préparée par l’ami de Dulaurens :
Marc-Ferdinand Groubentall de Linière (1739-1815).
Quatre
exemplaires de cette édition (1807) figurent à la Bnf
( Cotes :
RES-YE-3928, -29, -30 et –31, Tolbiac - Rez-de-jardin - Magasin )
Deux
exemplaires de l’édition originale (1765) figurent à la Bnf
( Cotes :
8-YE-7596 & FB-7560, Tolbiac / Rez-de-jardin / Magasin )
La
Chandelle d’Arras
numérisée (uniquement les XVIII chants éd. 1881)
est
disponible en ligne au département Gallica de la Bnf :
http ://gallica.bnf.fr/
2003-2017
© http://du.laurens.free.fr